D’un même geste, ils se remirent en marche. Néanmoins la progression fut de courte durée puisqu’ils se retrouvèrent face à une immense crevasse. Au bas de celle-ci se trouvaient de gigantesques pieux. Pas de doute, la chute serait fatale.

— Pas moyen de continuer en sautant, dit Nate. C’est bien trop loin, il faudrait faire un bond de géant.

— Je me demande bien comment un humain pourrait traverser un tel gouffre, s’interrogea Leah.

— On s’en fiche, répliqua Derek. Nous sommes des sorciers. Utilisons la magie.

— Qu’est-ce que tu proposes ? lui enjoignit Ethan.

— Que l’on s’entraide pour léviter à tour de rôle.

  Nate jeta un œil dans le trou.

— Tu es sûr de toi ? Je ne tiens pas vraiment à mourir. Et puis je doute d’avoir la puissance nécessaire pour te faire voler aussi longtemps.

— Si vous maintenez le sortilège tous les trois, cela devrait suffire. Je passe en premier, trancha Ethan. Je vous fais confiance.

  Il se plaça au plus proche du précipice et hocha la tête pour leur signaler qu’il était prêt.

— Ventus, s’écrièrent-ils tous d'une même voix.

  Ethan monta brusquement dans les airs et vit que la traversée avait débuté. Il observait le vide avec appréhension. Il espérait que la puissance combinée de ses amis serait suffisante pour atteindre l’autre côté. Ils paraissaient concentrés, mais ils ne semblaient pas avoir de difficultés à maintenir le sort. Quelques secondes plus tard, il posa souplement les pieds sur la terre ferme.

— Parfait, leur cria-t-il. Pas trop compliqué de votre côté ?

— Non, lui répondit Leah. Tout va bien.

  Il entreprit alors d’apporter son aide pour faire parvenir ses compagnons jusqu’à lui. Quelques minutes plus tard, tout le monde avait traversé sans encombre.

— J’espère que c’était la dernière épreuve, dit Derek.

  Pourtant, il découvrit avec déplaisir quelques mètres plus loin qu’ils n’étaient pas au bout de leur peine. Un long couloir s’étendait devant eux. Le sol était dallé et sur chaque carreau se trouvait un symbole. Il y en avait un pour chaque élément. Le feu, l’eau, l’air, la terre. Il y avait aussi un dessin qui ressemblait à une pierre ainsi qu’un autre qui représentait une empreinte d’animal.

  Nate approcha et observa le chemin avec attention.

— Je pense que nous devons traverser en marchant uniquement sur les bonnes cases. À mon avis, il n’y a qu’une seule solution.

— Comment faire pour deviner quel symbole est le bon ? l’interrogea Leah.

— Je ne suis pas sûr… La première épreuve avait un lien avec Hood et j’imagine que celle-ci également.

— Les différents éléments n’ont aucun rapport avec lui, fit observer Ethan. On peut déjà éliminer ceux-là.

— Je suis d’accord, acquiesça Derek. Je pencherais plus pour la pierre. Après tout, il est surtout connu pour ça.

  Il s’approcha et s’apprêtait à marcher dessus, mais Leah le stoppa.

— Attends ! On n’a aucune idée de ce qu’il se passera si tu te trompes.

— Nous n’avons pas le choix. Nous devons avancer si nous voulons récupérer la pierre. Tu préfères que ce soit la secte qui mette la main dessus peut-être ?

— Non, mais…

— Ethan ne peut pas prendre tous les risques, la coupa-t-il. J’y vais.

  À l’instant où il posa le pied sur la dalle, il y eut une énorme détonation. Derek cria de surprise au moment où il était éjecté violemment contre le plafond de la caverne. Il frappa durement la pierre et atterrit comme une poupée de chiffon quelques mètres plus loin.

— Derek ! hurla Nate en se précipitant vers lui.

  Ethan et Leah accoururent immédiatement.

— Il est vivant, leur apprit Nate qui était penché sur le corps de leur ami. Assommé, voire pire, mais bien vivant.

  Il tourna la tête vers Ethan.

— Poursuivez sans moi. Je ne peux pas le laisser seul dans cet état. Vous nous récupérerez sur le trajet du retour.

— Tu es sûr ?

— Je ne crains rien ici, acquiesça Nate. Soyez prudents et ne vous trompez pas cette fois.

— On ne sera pas long, le rassura Leah.

  Il sourit et leur fit signe de continuer leur chemin. Ethan posa doucement le pied sur le premier carreau qui symbolisait une empreinte d’animal. Il ferma les yeux, attendant avec terreur la même détonation qui avait expulsé Derek. Néanmoins, elle ne vint jamais. Il avança sur la deuxième puis troisième dalle. Cette fois, il en était certain, ils pouvaient traverser sans danger. Leah était sur ses talons et bientôt ils atteignirent le bout du couloir piégé.

  À mesure qu’ils progressaient, la luminosité dans la grotte devenait de plus en plus forte.

— Je crois que nous sommes plus très loin de la sortie, dit Leah avec soulagement.

  Une étrange plainte s’éleva quelques mètres devant eux. Ils échangèrent un regard et avancèrent avec précaution. Ils découvrirent avec surprise, ce qui semblait être un kobold. Il était recroquevillé sur lui-même et paraissait sangloter.

  À leur approche, il leva la tête. Ethan observait l’une de ces créatures pour la première fois, mais celle qui se trouvait devant eux était particulièrement hideuse. Son visage était difforme, son teint anormalement verdâtre, sa dentition était un véritable chaos et ses oreilles étaient presque aussi grandes que lui.

— Faisons comme si on ne l’avait pas vu, et continuons notre chemin, chuchota Leah à l’adresse d’Ethan.

— Et s’il s’agit d’un test ? s’enquit ce dernier.

— Oh non, pas question que je m’approche de cette horreur !

  Le kobold se remit à sangloter, un épais liquide jaune coulait le long de sa jambe gauche.

— Je crois qu’il est blessé, dit Ethan.

— Tant pis pour lui, on ne connaît aucun sortilège de guérison de toute manière, le rabroua-t-elle.

  Ethan s’avança doucement vers la créature. Cette dernière leva les yeux dans sa direction avec méfiance puis montra les crocs.

— Qu’est-ce que tu fais, bon sang ? le houspilla Leah.

— Je ne te veux aucun mal, dit Ethan à l’adresse du kobold en lui exposant ses mains.

  Le monstre pencha la tête sur le côté et observa tristement sa jambe blessée.

— Je vais t’amener à la maison de Hood, lui dit Ethan en prenant doucement le kobold dans ses bras. Je ne peux rien pour toi, mais tu trouveras certainement de l’aide là-bas.

— Tu es complètement inconscient, râlait Leah. Et s’il te saute à la gorge d’un coup ?

— Espérons simplement qu’il restera calme, dans ce cas.

  Ils continuèrent à avancer vers la lueur. La luminosité devenait de plus en plus forte. Ethan fut obligé de plisser les yeux, mais il devait demeurer concentré puisque la créature, dans ses bras, commençait à s’agiter.

— Doucement, doucement, tenta-t-il de l’apaiser. Nous y sommes presque.

  Le kobold observa le jeune garçon de ses grands yeux noirs, puis fit un étrange rictus qui ressemblait presque à un sourire.

— Merci. Ami, lui dit la créature avant de se transformer en tas de cendres.

  La lumière s’évanouit brusquement. Ethan et Leah se retrouvèrent face à une épaisse paroi de pierre.

— Ce n’était qu’une illusion, murmura-t-elle avec étonnement. Tu avais raison, il s’agissait encore d’un test.

  Il y eut une secousse puis le mur devant eux se souleva, dévoilant une large ouverture vers la sortie. Ils avaient réussi. Ils avaient atteint l’autre bout de la caverne.

  Ils avancèrent doucement, observant ce qui les entourait avec émerveillement. Ils se trouvaient dans une magnifique clairière. Ethan ignorait comment, mais le ciel était d’un bleu sans nuage et le soleil brillait comme en plein jour. Une multitude de fleurs diverses et variées jonchaient le sol devant eux. Une mare sympathique où bondissaient joyeusement des grenouilles profitait de l’ombre d’un arbre gigantesque. Au loin se dressait un manoir absolument immense. Construit à l’aide de pierres volcaniques, il offrait un étonnant contraste avec le reste du domaine.

  Ils furent accueillis par de nombreuses créatures magiques différentes. Des lutins, des kobolds, des spriggans et même de petites fées qui voletaient autour d’eux en les observant avec curiosité. L’un des hommes-arbre s’avança vers eux.

— Suivez-moi, ordonna-t-il à Ethan.

— Et Leah ? s’enquit-il.

— L’humaine à échouée, elle n’ira pas plus loin.

— Ce n’est pas grave, lui assura Leah. Je t’attends ici.

  Ethan escomptait marcher vers le manoir, mais ils n’en firent rien. Ils se dirigèrent plutôt en direction de l’arbre colossal qui se tenait vers le point d’eau. Il n’avait jamais vu un tronc comme celui-ci. Il était massif et semblait presque avoir été taillé. La forme qui lui avait été donnée lui paraissait étrangement familière.

  Les branches tressaillirent et d’énormes yeux verts apparurent sur l'écorce. Ethan n’était pas fou, il s’agissait d’un visage. Celui d’un spriggan, particulièrement âgé. En revanche, il n’avait pas de bouche.

— Bienvenue, humain, résonna une voix profonde dans sa tête. Je suis Oro’Eden, celle qui veille sur ce domaine. Mes enfants me nomment également « matriarche ».

— Enchanté, répondit maladroitement Ethan en faisant une courte révérence.

— Depuis la disparition de notre maître, personne n’était plus venu nous rendre visite. Cependant, le vent parle et je l’écoute. Je sais quels dangers tu as bravé pour arriver jusqu’ici. Je sais aussi que tu n’étais pas seul dans cette entreprise. Pourtant, aucun n’autre n’a réussi toutes les épreuves.

  Ethan ne savait pas s’il devait répondre ou non. Il préféra rester silencieux.

— Je sais ce qui t’amène. La pierre du voleur. En es-tu seulement digne ?

— Je ne souhaite pas l’utiliser, lui fit savoir Ethan. Uniquement la mettre à l’abri. Des gens dangereux sont à sa poursuite et je crains qu’ils ne parviennent à la retrouver si vous la conservez ici.

— Tu dis vrai. Je le sens dans l’air. Des forces maléfiques recherchent le bien du maître. Pourquoi ? Je l'ignore.

  Les immenses yeux se fermèrent pendant de longues minutes. Ethan pensa qu’il avait échoué. La matriarche ne lui donnerait pas la pierre. Néanmoins, cette dernière finit par rouvrir les paupières.

— J’ai décidé d’accéder à ta requête. Nous ne sommes plus aussi vaillants qu’autrefois et nous ne pouvons rien contre les lanceurs de sorts.

  Un objet noir de forme pyramidale apparut et flotta devant lui. Il avait la taille d’un poing et de petites runes étaient gravées sur chaque face.

— Pars à présent, lui intima la créature. Ne parle à personne de cet endroit et ne reviens jamais. Adieu, humain.

  Sur ces mots, les paupières de l’arbre se refermèrent définitivement. Il ne put s’empêcher de sourire cependant. Il avait réussi. Il avait retrouvé la pierre du voleur. Le spriggan qui l’avait accompagné jusqu’ici lui indiqua la sortie. Ethan s’empressa d’aller rejoindre Leah. Ils devaient maintenant faire demi-tour et confier l'artefact au professeur Tarr.