Rassemblement
Il n’a pas même pas essayé de comprendre. Pour lui, l’arrêt de l’Invertist est simplement le destin. Suite à cela, il m’a demandé de partir.
Selon moi, l’Invertist n’est plus assez puissant pour contenir notre impétuosité. Il va vouloir rétablir le problème en éliminant les esprits forts.
Que faire ? Attendre sans broncher ? Si ma théorie prend forme, notre pays court à sa perte. Je n’ai plus qu’une seule solution : me rendre chez l’ennemi.
Le risque est trop grand. Les querelles, même impardonnables, doivent être suspendues. Je dois parler au chef des anges, Daranor.
*****
Arrivé devant cette forteresse détruite, je constate l’ampleur des dégâts. La luminescence qui irradiait jadis du royaume des anges, n’est plus. L’orage gronde aux environs.
Lorsque je m’approche des remparts pour les survoler, aucun garde ne me fait face. Personne à l’horizon. Seulement des milliers de tombes alignées en un dédale rectiligne.
Si je ne perçois aucun signe de vie, la mort, elle, est bien présente. Une flamme monte en moi, boue dans mes tripes. J’en veux à cette malédiction, à cet Invertist pour tout le mal qu’il nous a provoqué. Pourquoi devons-nous nous affronter ? L’harmonie est le symbole même du rassemblement. Pour les miens et les anges, je dois au moins essayer.
Personne ne devrait vivre ce carnage.
Je me dirige vers la tour du roi que nous avons assiégé tant de fois. Des bribes de souvenirs de la grande guerre refont surface, tandis que je tente de les noyer par tous les moyens. Les actes impunis sont comme des morceaux de bois ; même en essayant de les couler, ils remontent tôt ou tard des profondeurs.
Les gardes m’arrêtent devant la tour. Je leur tends un message. Ils se guignent, me fouillent, m’accrochent des menottes aux poignets, puis me laissent entrer à l’intérieur d’une grande pièce assombrie.
Le faible éclairage venant des lampions que tiennent les gardes me permet de distinguer la silhouette de Daranor assis dans un fauteuil, au fond de la grande salle.
Pour un démon, vivre dans le noir est habituel. Pour un ange, c’est très étrange.
Daranor se lève, s’approche doucement en demandant à ce que ses sentinelles referment les portes.
Lorsqu’un des gardes se tourne pour exécuter son ordre, un faisceau lumineux éclaire une fraction de secondes le visage de Daranor. Je reste impassible, mais mon esprit a retenu cette image horrifique. Les traits défigurés par des plaies béantes renforcent la marque noire qui recouvre la moitié de sa joue. Ses cheveux calcinés chutent à chaque pas qu’il effectue en chancelant. Son nez cassé et son souffle rauque me font ressentir une souffrance mentale atroce.
Comment avons-nous pu nous détruire pendant si longtemps ?
Avant de commencer à lui raconter l’origine de ma venue, je remarque que ses ailes ne font plus partie intégrante de son corps. Je frissonne subrepticement, puis lui explique ma théorie en omettant aucun détail.
Les excuses irrémissibles seront déclarées à la fin de mon monologue si je suis encore en vie.
*****
Daranor paraît inébranlable.
Je termine mes explications.
Pendant un court instant, je perçois de la haine dans ses yeux. La peur grimpe doucement en moi. Je lui répète qu’il faut cesser les guerres et se rassembler pour faire face à l’Invertist.
Il m’interrompt d’un signe de main en baissant la tête.
Je prie pour que ces mots ne soient pas les derniers.
Daranor plonge ses yeux dans les miens, puis opine sèchement. Il a compris !
Il avertit ses gardes, me fait parvenir un message pour Rexel et commence à s’armer en prévision de l’extinction qui approche.
Sur le chemin, je ne pense plus qu’à une seule chose ; Rexel, tu dois accepter de coopérer et comprendre ou notre peuple sombrera dans les méandres de la magie noire, avalé par un pouvoir incommensurable.
Une boule se forme dans mon ventre. Mon souffle saccadé accélère mes battements de cœur.
Un seul mot me vient à l’esprit lorsque j’écris ces lignes. Espérons.
Annotations