Chapitre 21

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Nous étions tombés dans un piège. Je n’osais tourner la tête pour voir celui qui m’avait capturé, de peur qu’il n’enfonçât son arme pour de bon. La pointe était bien aiguisée et aurait tranché les chairs comme du beurre.

— Que faites-vous ici ? C’est Ocar qui vous envoie.

Il avait employé la langue de l’empire. Mais ce n’était pas forcement un natif du pays. Je réfléchis à la réponse que j’allais donner. Ma vie en dépendait.

— Nous venons pour affaire, intervint Velel, nous ignorions que la maison avait brûlé.

— Quel genre ?

— Dedar possédait quelque chose que je voulais acquérir.

— Quelle chose ?

J’espérais que Velel avait une idée des activités de cet individu. Si sa réponse ne leur paraissait pas plausible, nous étions morts. Il disposait cependant un avantage par rapport à moi. Il voyait celui qui me tenait en joue. Il pouvait, s’il se montrait assez bon, deviner ce qu’ils attendaient.

— Le genre d’affaire qui met des vies en jeu, répondit-il.

La réponse ne dut pas le satisfaire. Celui derrière moi enfonça sa lance dans mes reins, entaillant la peau. Je ne pus retenir un cri de douleur.

— Attendez ! s’écria Velel.

La lance ne me transperça pas. Celui qui la maniait voulait juste décider mon partenaire.

— Je suis venu négocier une libération.

La pression sur le bas de mon dos se relâcha. J’entendis celui qui se tenait derrière moi marcher autour de moi. Bientôt, il apparaîtrait dans mon champ de vision.

— Dedar s’adonnait au trafic d’esclave. La famille de l’un d’eux m’a mandaté pour le racheter.

— Tu arrives trop tard, la plupart sont morts dans l’incendie.

Mon tortionnaire passa devant moi. C’était un bel homme, pas très grand, mais musclé. Sa lance était de conception primitive, mais soigneusement confectionnée. La pointe avait été taillée sans être polie. Brusquement, son attitude changea. Il exprimait maintenant une fureur extrême.

— Salope, s’écria-t-il.

Il m’envoya une gifle qui me projeta au sol. Je ne portais pas d’arme et je n’étais pas au mieux de ma forme. J’étais incapable de me défendre. L’homme m’attrapa par mon corsage pour me relever et continuer son tabassage. D’instinct, je protégeais mon visage de mes bras croisés. Le coup de poing ne vint jamais. Au bout d’un moment, il me saisit par le bras et m’aida à me remettre sur mes jambes, me soutenant le temps que je récupérasse mon équilibre. Puis il prit mon menton dans la main pour me tourner la tête et examiner la marque de la gifle qu’il m’avait donnée. La grimace qu’il fit me confirma ce que la douleur m’avait déjà appris, il m’avait bien amochée.

— Désolé, s’excusa-t-il, j’ai réagi trop vite.

— La prochaine fois, prenez le temps de la réflexion.

— J’ai retenu la leçon.

Et moi donc.

Il arracha une aiguille d’un conifère à portée et s’en servit pour refixer mon corsage déchiré, me rendant un air décent.

— Que fait-on ? demanda son compagnon.

— On les ramène au camp.

— Mais si ce sont des espions d’Ocar.

— Absolument pas.

Il s’adressa enfin à moi.

— Suivez-nous.

L’homme qui m’avait frappé partit devant nous, nous servant de guide. Je lui emboîtais le pas. Velel se porta à ma hauteur.

— Vous comprenez leur langue ? me demanda-t-il.

— Ils parlent ocariamen, répondis-je.

— Pas du tout.

Je le regardais, intriguée. Mais quelle langue avais-je bien pu utiliser ? Au cours de mes voyages, j’avais tant l’habitude de basculer de l’une à l’autre que je ne sus répondre à la question. En changer s’effectuait instinctivement, sans que j’eusse à y réfléchir.

La marche ne dura pas longtemps. Le camp était caché au cœur de la forêt, à une longe de la maison seulement. Ils étaient bien organisés. Les fugitifs avaient construit des huttes en bois suffisamment hautes pour qu’ils pussent s’y tenir debout. Un rideau de cuir en fermait l’accès. Une dizaine de personnes se trouvaient sur place, mais je soupçonnais que beaucoup d’entre eux étaient dispersés aux alentours à récolter de quoi assurer leur subsistance. Les habitations permettaient de loger dix fois plus de monde. L’endroit présentait un aspect temporaire, ils ne comptaient pas rester longtemps ici. Ils allaient prochainement se mettre en route. Mais ils avaient besoin de s’équiper, de constituer des réserves et aussi de préparer une monnaie d’échange pour se procurer le nécessaire le long de leur trajet.

Le rideau d’une hutte que rien ne distinguait des autres s’écarta. Une personne s’encadra dans l’espace dégagé. Je mis un moment pour prendre conscience de ce que je voyais. La femme devant moi était pâle et amaigrie. Son regard était hagard. Mais c’était bien elle.


J’avais enfin retrouvé Vespef !

Après des mois de recherche, de voyage à travers toute l’Ectrasyc, de souffrance, ma pentarque se tenait devant moi !


Je transmis aussitôt l’information à Wotan, juste avant de me précipiter vers ma reine pour la prendre dans mes bras. Je pensais un peu tard que mon guide pouvait se méprendre sur mes intentions et me clouer sur place. Il ne le fit pas.

Vespef se raidit quand je l’enlaçais. Elle cherchait à se dégager de mon étreinte.

— Lâchez là, m’incita mon geôlier.

Son ton était calme, il ne semblait pas en colère pour mon geste, il me donnait juste un conseil. Et ce coup-ci, je fis attention. Il avait parlé helariamen.

Je m’écartais ma pentarque à regret.

Regarde-la, m’ordonna Wotan.

Je sentais l’excitation dans sa voix. Quoi qu’il était en train de faire, il avait tout abandonné pour se consacrer à ce qui se passait ? Et je percevais ses sœurs autour de lui. J’obéis à son injonction. Vespef leva les yeux et me dévisagea l’air étonné. Brusquement, elle me prit dans ses bras, posa sa tête sur mon épaule et se mit à pleurer.

Sur le moment, je ne sus que faire. J’hésitais à l’enlacer de peur de la faire fuir. Mais sur les conseils de Peffen, je le fis. Elle n’y prit garde.

— Que se passe-t-il ? demanda Velel.

— Vous n’imaginez pas ce que c’est que pour un télépathe d’être coupé de tout contact, expliqua notre guide. Elle était trop faible et trop loin des nôtres pour qu’elle pût les joindre. Je suppose que Saalyn a pu rétablir le lien.

— Saalyn ! Vous la connaissez ?

— Non, c’est marqué sur son bracelet. D’ailleurs, il faudra nous apprendre ce que sont les guerriers libres. Cette corporation n’existait pas quand je suis parti.

— Vous êtes Helariaseny ?

— La plupart d’entre nous le sont. Mais pas vous on dirait.

— Non, je suis un correspondant de l’Helaria pour aider les guerriers libres dans leur mission.

Correspondant de l’Helaria. Il s’avançait un peu. Mais je ne protestais pas. Si nous étions arrivés ici, c’était grâce à ses contacts.

Je m’écartais légèrement de Vespef. Puis je décrochais la gemme de mon cou pour le passer au sien. Elle prit le petit bijou et le regarda longuement. Puis elle m’adressa un sourire tout en le glissant sous ses vêtements. Puis elle me repoussa, pour que je pût la laisser sortir. Elle ne m’avait toutefois pas lâché la main, comme si elle avait besoin d’un contact physique, aussi ténu fût-il. Elle jeta un coup d’œil sur mon visage. L’air déconfit de mon guide la mit sur la piste de ce qui s’était passé.

— Quand j’ai vu ta gemme à son cou, j’ai cru qu’elle faisait partie de ceux qui t’avaient torturée.

— Je m’occuperai de ça demain, dit-elle, quand elle sera chargée.

J’en profitais pour la détailler. Elle avait changé. Envolés les robes vaporeuses, les voilages, les corsages transparents, les jupes fendues. Elle avait adopté une tenue semblable à celle que j’utilisais pendant mes déplacements, un pantalon de cuir et une tunique ample. Aux pieds, elle portait des mocassins souples, totalement inadaptés pour la longue marche que nous allions faire le lendemain.

— Je suis accompagnée d’un peu moins d’une quarantaine de compagnons à deux longes d’ici. Il faudrait aller les chercher.

— Je vais envoyer quelqu’un, dit-elle.

— Sans bracelet d’identité, ils ne vous croiront pas. Je dois y aller en personne.

— As-tu ton sceau de maître sur toi ?

— Euh oui.

En tant que maître, je me devais de toujours l’avoir sur moi. Comme il était décoratif, je le portais en pendentif. Je ne m’en séparais qu’en de rares occasions, ce qui avait été le cas pendant la plus grande partie de ce voyage d’ailleurs.

— Alors tu vas valider quelques bracelets. On dispose de quelques perles. On en a fabriqué, mais comme on n’avait pas de sceaux on ne les utilise pas encore.

— Lesquels ?

— Le mien. Et quelques autres pour que nous puissions nous reconnaître.

— Mais. Le vôtre, je ne peux pas. Je ne me situe pas assez haut dans la hiérarchie.

— Trouve une personne au-dessus de moi et confie-lui cette tâche.

Elle n’avait pas tort. Les règles qui s’appliquaient aux citoyens ne s’étendaient pas aux pentarques. C’était forcément un inférieur qui validait leur bracelet. C’est comme ça que j’apposais mon paraphe sur celui de ma pentarque.

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