Chapitre 4 - Exercice de reniflement

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Des cris extérieurs me réveillèrent en sursaut, la sueur au front. Lorsque je tirais les rideaux et observais la ville qui semblait déjà éveillée, je ne constatais rien de particulier. Comme l’université surplombait les bâtiments, il était difficile de distinguer quoi que ce soit depuis ma fenêtre. Je haussais les épaules, abandonnant ce brouhaha incessant.

Une fois habillé, je rejoignais mes cours, commençant cette journée avec Madame Brindillovan et son cours de Développement personnel. Adossé contre le mur, Mirabella semblait faire une séance de relaxation debout, les yeux clos.

Comme elle ne paraissait pas avoir perçu ma présence, j’avançais la main vers elle, d’un geste toujours hésitant.

— Ça va ? Murmurais-je, gardant ma main proche de son épaule, sans pour autant la toucher.

Un spasme traversa son corps, ses yeux s’ouvrirent d’un coup sec, le regard apeuré. D’un geste rapide, elle m’envoya un coup sur le torse. L’accueillant comme un mur de pierre, je sentis tout de même qu’elle y avait mis de la force.

— Aïe ! M’écriais-je, plus comme un réflexe que par réelle douleur. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?

— Désolée, un vieux réflexe… Tu m’as vraiment fait peur !

— Un vieux réflexe ? Répétais-je, mi-surpris, mi-amusé.

Ses sourcils firent un mouvement léger, j'ignorais ce qui se passait dans sa tête à ce moment-là.

— Excuse-moi, dit-elle dans un souffle.

— T’as mal dormi ?

En observant les traits de son visage, je constatais que deux lignes bleutées formaient une ligne sous ses yeux, répondant à ma question.

Pour toutes réponses, elle haussa les épaules. Tout en gardant le silence, nous fîmes quelques pas, finalement rejoint par Célestin, qui semblait bavarder avec Vilenia, une des personnes présente à notre soirée présentation.

— C’est comme ça qu’elle a fini par tout lâcher sur le sol ! S’écria Vilenia, en arrivant à notre hauteur.

Célestin et elle se mirent à rire bruyamment, me faisant presque grimacer, plaignant mes pauvres tympans qui n’avaient rien demandé.

— Vous allez bien ? Nous lança Vilenia, une fois que ces deux jeunes gens s’étaient remis de leurs émotions.

Un sourire franc et solaire se dessinait sur ses lèvres. Mirabella et moi hochâmes la tête, comme les deux personnes bavardes que nous étions. Gray et une personne que je n’avais encore jamais vu, passèrent devant nous et saluèrent Célestin, comme s’ils le connaissaient déjà depuis des années. Ils échangèrent quelques banalités avant d’entrer dans la salle.

— Dis donc, t’es populaire, lui lançais-je en entrant à leur suite.

— J’ai toujours été très sociable, me répondit-il, le sourire aux lèvres.

Madame Brindillovan était déjà installée à son bureau, plongée dans une lecture passionnée, dont la couverture annonçait « Richesse et beauté de la nature ». En ce nouveau jour, elle avait arboré une couleur de cheveux rousse, coiffé en chignon strict.

Lorsque je pris place, je surpris la R.D. marcher devant la salle, avant de disparaître dans l’ombre. Je secouais la tête, essayant de reprendre mon sérieux.

Quand tous les élèves furent arrivés et installés, la professeure se leva d’un bond, tapant dans les mains.

— Bien. Avant de commencer, je vais vous envoyer le programme des différents dons que vous devrez développer au cours du temps.

D’un mouvement franc, elle écarta les doigts vers nous. Pour réponses, nos Platphones vibrèrent à l’unisson.

— Prenez le temps de lire ce que vous venez de recevoir. En silence.

Mattheus Occis. Futur Maître de La Mort.
Dons personnels à développer durant votre cursus :

  • Invisibilité : La Mort doit rester invisible aux yeux des mortels. Elle doit accomplir sa mission avec discrétion totale. À la fin de son apprentissage, La Mort devra être capable de se faire totalement invisible aux yeux des humains.
  • Téléportation : La Mort doit être capable de se déplacer instantanément vers les âmes à récolter. Pour ce faire, elle doit apprendre à ressentir l’énergie des âmes et se matérialiser à leur proximité.
  • Absorption : La Mort devra apprendre à absorber les âmes qui quittent le corps humain. Cela lui permettra d’accompagner les âmes vers leur passage vers l’au-delà.
  • Effacement : Après avoir effectué le visionnage et apporté du réconfort à l’âme, La Mort devra être capable de la remettre à zéro. Cela implique que l'âme soit totalement blanche avant la transition.

Durant les années passées à mes côtés, vous devrez vous investir pleinement pour maîtriser ces quatre dons essentiels. À la fin de chaque cycle, vous passerez un examen final pour évaluer votre progression. En cas d’échec, vous devrez passer des épreuves de rattrapage. Si ces dernières ne sont pas concluantes, vous serez convoqué devant le Grand Conseil, qui décidera de la suite à donner à votre échec.

Bonne chance,

Nysabella Brindillovan.

Une phrase retenue mon attention. « Si ces dernières ne sont pas concluantes, vous serez convoqué devant le Grand Conseil, qui décidera de la suite à donner à votre échec. ». Voulait-il vraiment dire que, si nous n’étions pas à la hauteur de leur attente, ils nous élimineraient ? Étions-nous réellement dans ce genre de climat ?

Doucement, je tournais la tête par-dessus mon épaule, pour observer la réaction de mes camarades. Comme je m’y attendais, tout le monde resta de marbre, appliquant à la lettre la volonté du Grand Conseil : ne montrer aucune émotion.

— Pour commencer, nous allons développer l’art de l’invisibilité. Puisqu’il s’agit de l’un de nos dons commun, je pourrais vous aider plus facilement. Levez-vous !

Sa voix était ferme et assurée. D’un nouveau mouvement du poignet, elle déplaça les meubles, formant un cercle au milieu de la pièce.

— Formez un rond. Nous allons faire des exercices de respiration, pour se recentrer sur nous-même. Inspirez profondément — elle fit une vague avec sa main, remplissant ses poumons d’air — puis expirez, finit-elle dans un souffle.

Tout le monde s’exécuta.

— Maintenant, nous allons nous passer ces vibrations, en faisant des mouvements circulaires.

Son corps se désarticula comme une poupée, bougeant ses membres avec douceur, créant des vagues. Plusieurs personnes autour de moi commencèrent à l’imiter. De mon côté, j’étais encore statique, les observant faire, avec un léger sentiment de malaise. Je jetais un regard du côté de Mirabella, qui semblait dans la même attente que moi. Célestin, quant à lui, paraissait prendre ces exercices très au sérieux, gesticulant avec la grâce d’un danseur classique. Je pinçais mes lèvres pour me retenir de rire.

La professeure lança un regard à toutes les personnes qui n’avaient pas encore commencé les mouvements, et nous encouragea à le faire. Avec résiliation, je finis par l’imiter. Seulement, je n’avais pas la fluidité de Célestin, et donnait l’impression d’avoir les membres gelés.

— Pour devenir invisible, il vous faudra faire un sacrifice corporel, annonça Madame Brindillovan, continuant de gesticuler.

Un sacrifice corporel ? Que voulait-elle dire par là ?

— Cela signifie, reprit-elle comme si elle venait de lire dans mes pensées, que vous devrez renoncer à votre forme physique. Vous devrez ressentir au fond de vous une vraie volonté de disparaître.

Mon souffle se coinça dans ma gorge, comme si elle venait de me mettre un coup de poing dans l’estomac. Être invisible, c’était comme une seconde peau pour moi. Mon père aurait presque pu me donner ce second prénom, tant il me collait à la peau. Cela aurait dû sonner comme une évidence. Mais, à ma plus grande surprise, ce n’était pas le cas.

Une petite voix résonnait dans un coin de mon cerveau, s’éveillant doucement, puis prenant de plus en plus de place. Un désir, une envie d’exister. Tant bien que mal, j’essayais de la réprimer, de la faire taire. En vain.

« Ne doute jamais, Mattheus ».

Pourtant, il était important pour moi de réussir à disparaître. Je n’avais jamais été une personne très délicate, ou bien discrète. Si je voulais devenir un Maître de La Mort, il était primordial que je puisse le faire en toute invisibilité.

En réfléchissant à cela, je repensais à une de nos sorties « âmes » avec mon père. Ou comme il les appelait, « exercice de reniflement ».

« Ressens-les, renifle-les », répétaient les paroles de mon père dans ma tête. « N’est-ce pas étrange de renifler des humains ? » avais-je répondu. « Les Âmes, Mattheus, les Âmes. »

Deux Âmes humaines, apparemment destinées à quitter leur enveloppe charnelle dans un accident de voiture, allaient bientôt devoir être récupérées. Leur produit d’immortalité ne les protégeait ni des accidents, ni des meurtres, et, honnêtement, de pas mal d’autres choses aussi.

Le centre commercial était blindé, à tel point que ça en devenait presque un sport. C’était la première fois que je me retrouvais dans cette marée humaine, moi qui n’étais habitué qu’à la solitude de la mort. Des robots, ressemblant à des humains, déambulaient parmi les boutiques pour servir les clients, et certains semblaient même se déplacer sur des roulettes.

Au loin, je repérais les deux futurs cadavres. Leurs âmes brillaient autour d’eux comme des petites boules lumineuses, se mouvant en vagues. Je me souviens encore de l’odeur. C’était la première fois que je sentais la mort. C’était étrange, mais néanmoins, c’était comme retrouver une vieille amie après des années.

— Respire, Mattheus. Ressens leurs âmes qui s’apprêtent à quitter leurs corps. Sens cette énergie qui faiblit. Tu sens cette odeur de soufre ?

Mon père faisait des gestes bizarres, comme des vagues de bras, et m’encourageait à l’imiter. Mais j’étais là, immobile, les yeux grands ouverts, fixant mon père comme s’il était complètement demeuré. Dépité, il baissa les bras.

— L’Âme sait déjà que le corps va mourir ?

— L’Âme sait toujours à l’avance, Mattheus. Tout est écrit. Ça ne change presque jamais.

Presque ?

— Oui, presque. Le seul moment où le destin peut changer, c’est quand nous, les Maîtres de la Mort, restons trop longtemps à proximité des humains. Ou bien… dans les cas de meurtres non prémédités. Sinon, tout est scellé.

— Et pourquoi le corps ne sait-il pas qu’il va mourir ?

— Parce qu’il n’est qu’une location. L’Âme programme sa vie bien avant. Elle évolue, elle voyage à travers ses vies successives. Et, sais-tu ce qui les rend parfaites, ces vies ? Le fait de tout expérimenter. Nous sommes là pour les aider à franchir la porte, à les guider vers leur nouvelle existence. Mais si on échoue… Si on fait mal notre travail, l'Âme devient défectueuse. Et, elle ne pourra plus être insérée dans un nouveau corps.

Insérée dans un nouveau corps ?

— Les Maîtres de la Vie insèrent uniquement des âmes blanches, propres, « vides », dans des corps tout neufs. C'est comme une nouvelle feuille blanche. Nos rôles, à nous tous, ont un impact direct sur la chaîne du destin.

Je l’écoutais avec attention. À tel point que je ne réalisai même pas que nous étions déjà tout près des deux futurs accidentés. Mon père continuait de marcher comme si de rien n’était, tandis que moi, je me retrouvais à marcher sur la pointe des pieds, comme si j’avais affaire à des œufs fragiles sous mes orteils. Je n'avais aucune idée de pourquoi je faisais ça.

— Agis simplement, fils.

Le bruit de mes fesses frappant le banc fit lever la tête du couple juste devant nous. Leurs regards étaient comme des lasers, me scrutant avec une intensité qui me fit instantanément regretter de ne pas être invisible. Ils se levèrent et s’éloignèrent, m’observant toujours avec suspicion.

— Essaie de te comporter comme un vrai gamin.

— Je suis un vrai gamin.

— Non, tu es plus que ça, Mattheus. Suis-les et sois discret. Je te surveille de loin.

Je ne me fis pas prier. En quelques secondes, je retrouvai le couple. Je me cachai derrière un faux palmier et les observai, fasciné. La leur luisait faiblement et semblait vouloir se détacher de leur corps. Les autres humains autour d'eux n’avaient rien de tout ça. C’était fascinant, un peu comme regarder un film d'horreur où l’on sait que la fin est inévitable.

Mes jambes ont commencé à bouger, comme guidé par une force invisible… Comme un zombie, j’avançais dangereusement dans leur direction, et, en un clin d’œil, je me retrouvais face à eux.

— Tu es perdu, mon petit ? demanda la jeune femme aux cheveux d’or, son regard rempli de confusion.

Ma bouche restait fermée, et mes yeux, ouverts à s’en décrocher, devaient sûrement me donner l’air d’un idiot total.

— Tu étais avec ton papa tout à l’heure, où est-il ?

— Je vous suivais, répondis-je soudainement, faisant reculer la blonde.

— Quoi ?

— C’est mon papa qui m’a dit de vous suivre. Il va venir vous chercher.

— Qu’est-ce que tu racontes, petit ? intervint l’homme chauve, l’air méfiant.

— Vous allez mo…

À cet instant, mon père m’attrapa violemment par le bras, plaqua sa main sur ma bouche avec la délicatesse d’un étouffeur, et, d’un regard, me fit comprendre de me taire immédiatement. D’un geste sec, il me poussa dans son dos, comme si je n’étais qu’un sac de pommes de terre.

— Veuillez m’excuser, mon fils est atteint d’une maladie cognitive rare. Il n’a pas toute sa tête et ne réalise pas ce qu’il dit.

Il me traîna hors de la foule, et le reste de l'après-midi se passa sans autre incident.

Je poussais un soupir, repensant à ma vie aux côtés de mon père. Le fait d’être ici était différent. Lors de notre soirée présentation, je m’étais senti à ma place, entouré de personne qui vivait la même chose de moi. Qui pensait, peut-être, la même chose que moi.

— Essayez de faire disparaître une petite partie de vous-même, pour commencer, suggéra Madame Brindillovan, sa voix douce me ramenant à l’instant présent. Votre main, par exemple. Cela demandera moins d’énergie, et vous pourrez plus facilement y arriver. Regardez…

Elle leva sa main droite vers le ciel, et, en quelques instants, la rendit translucide, nous indiquant qu’elle avait réussi.

Je fis comme elle, ramenant ma main devant mon visage, tentant de reproduire ce qu’elle venait de nous montrer. Jetant un coup d’œil vers Mirabella, je remarquais qu’elle avait les sourcils froncés, comme si elle allait entrer dans une colère noire. Célestin, lui, était tout rouge, comme s’il avait cessé de respirer.

Tout le monde s’était perdu dans la concentration, pourtant j’étais là, à ne pas savoir quoi faire. Je reportais mon attention vers ma main, essayant de retrouver une contenance. Ce n’était pas si évident que cela.

Pour m’y aider, je fermais les yeux, essayant de visualiser le flux d’énergie se regrouper dans mon bras, pour remonter jusqu’à ma main. Mais, quand j’ouvris de nouveau les yeux, rien ne semblait avoir évolué.

— Ce n’est pas facile de disparaître, nous fit Madame Brindillovan, un léger sourire aux lèvres. Ne vous inquiétez pas, nous avons encore le temps. N’hésitez pas à vous exercer de temps en temps. Chaque tentative vous rapproche du but.

Une fois qu’elle eut terminée ses explications, elle nous libéra. J’eus l’impression de voir l’ongle de mon pouce devenir translucide, mais je n’en étais pas sûr.

Célestin vint me voir en poussant un soupir.

— Il m’a épuisé ce cours, me lança-t-il, les paupières à demi close.

— Tu dois apprendre quoi d’autre ? Lui demandais-je, curieux de connaître les dons des Cupidons.

— La téléportation, télépathie et l’influence.

— Ça consiste en quoi, exactement ?

— Je dois pouvoir lire les sentiments amoureux des humains, comprendre où est le blocage et le supprimer à sa source. Ensuite, je dois créer un fil invisible entre les deux humains choisis par le Grand Conseil, pour qu’il puisse tomber amoureux.

— Attend, c’est le Grand Conseil qui décide de ça ?

— Ouais. T’as pas encore compris qu’ils contrôlent tout ? Me lança-t-il d’une voix blasée.

— Je pensais que les humains étaient au moins libre de leur choix.

— Non, plus depuis 2086.

— 2086 ? Comment ça se fait ?

Célestin haussa les épaules.

— J’y connais rien en politique humaine. Je sais juste qu’avant, notre rôle était plus celui d’un guide, que celui d’un maître.

Avant que je ne puisse répondre, Mirabella arriva à nos côtés, poussant un soupir encore plus exaspéré que celui de Célestin quelques instants plus tôt.

— La plaie, ce cours, lança-t-elle.

— On est bien d’accord, lui répondit Célestin, un sourire amusé aux lèvres.

— Je crois que j’ai réussi à faire disparaître mon index, mais je suis pas très…

— Oh, si jamais, je sais comment t’y aider, lança une voix masculine derrière nous.

Comme un seul homme, nous nous retournions vers Melvin, qui arriva vers nous tout sourire. Il se positionna devant moi, et il me tendit son poing, que je réceptionnais avec le mien.

— C’est toi que j’aurais plutôt envie de voir disparaître, si tu vois ce que je veux dire, répliqua Mirabella, le sarcasme dans la voix.

Melvin lui fit une moue taquine, et porta la main à son cœur, comme si elle lui avait lancé une flèche meurtrière.

— Ah, fit-il dans un soupir détendu, il va être facile ce cours, vous trouvez pas ? J’ai l’impression que c’est inné chez moi, même pas besoin de forcer.

— Et l’arrogance, c’est inné chez toi aussi, je me trompe ?

Mirabella lui lançait un regard de flamme, prête à se battre avec lui dans un ring.

— Cool, approuvais-je, faisant abstraction de leur querelle.

— Elle est marrante, votre copine, répondit Melvin, un sourire en coin, tout en la désignant du pouce. Je peux lui conseiller un stand-up comique sympa en ville, si jamais vous voulez vous en débarrasser.

— Où ça ? Dans une autre décharge ?

Melvin se tourna une nouvelle fois vers elle, un sourire franc sur les lèvres.

— Oh, tu n’as pas aimé ? J’avais sélectionné ce lieu spécialement pour toi…

Il fit claquer sa langue sur son palet, amusé de la situation, tandis que Mirabella fronçait les sourcils si fort qu’elle en avait presque des marques blanches. D’un mouvement de torse, elle s’avança vers lui, le jaugeant de toute sa hauteur. Ils faisaient tous les deux la même taille.

Vilenia s’approcha de nous, une lueur d’incompréhension dans les yeux.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Demanda-t-elle, surprise.

— Tu es prête à voir un combat de coq ? Lui répondit Célestin, visiblement amusé.

Un sourire se dessina sur mes lèvres. Mirabella finit par revenir vers moi.

— Ce serait un combat peu équitable, lança Melvin à Célestin, j’ai un bec plus solide.

— Et j’ai des griffes plus acérés, lâcha Mirabella, une grimace déformant ses traits.

— J’espère qu’on aura le temps de s’entraîner, les coupa Vilenia, la panique dans la voix, j’ai l’impression d’avoir vraiment été nulle. Elle nous a même pas dit quand on aurait le test… J’aimerais bien m’y préparer.

Célestin lui passa un bras autour des épaules, puis tapota avec sa main sur son épaule.

— T’inquiète, on s’entraînera ensemble s’il le faut.

Notre petit groupe se dirigea vers la sortie. En passant, on croisa la R.D.Â. L’un d’eux tourna son « visage » vers nous. Ou bien son casque. Je ne savais pas ce qui se cachait derrière. Nous pressions le pas, retrouvant l’air extérieur.

— J’ai la dalle, lâcha Célestin, sous nos regards amusés. Bah quoi ?

— Je crois que c’est là-bas, nous montra Mirabella.

En suivant son doigt, je voyais plusieurs élèves, Altruistes et humains, se dirigeait au milieu des deux ailes.

— Merci la Renifleuse*, se moqua Melvin.

* Renifleurs (n.m. ou n.f.) : Individus possédant des capacités spéciales leur permettant de détecter une âme et d'en percevoir la couleur à travers son odeur corporelle. Ils ont un grand sens de la déduction, et sont utilisés par le Grand Conseil comme enquêteur. Ils servent également à identifier et traquer les fraudes avec une grande efficacité. En effet, tandis que la vue peut être modifiée pour le commun des Altruistes, cela n’est jamais le cas pour un Renifleur, dont les perceptions restent inaltérées.

Mirabella lui lança un regard noir.

Sans plus attendre, nous nous dirigions vers la cafétéria, dont les baies vitrées s’ouvrirent à notre passage. Le brouhaha nous accueillit, nous dûmes presque crier pour se faire entendre.

— Vous sentez cette odeur ? Grogna Mirabella.

— Quelle odeur ? Demanda Célestin, reniflant l’air avec un air perplexe.

— Les humains… répondit-elle, son visage déformé par une grimace de dégoût.

L’expression incrédule de Célestin nous fit exploser de rire.

Une fois dans la file d’attente, le regard de Célestin s’anima.

— Eh ! Regardez ça !

J’essayais de voir ce qu’il essayait de nous montrer. Je finis par voir une affiche, accrochée sur un poteau.

— C’est quoi ça ? Demandais-je, n’arrivant pas à lire ce qui y était inscrit.

— Une soirée déguisée pour fêter la rentrée ! Ça vous dit ?

— Oh, trop bien ! S’écria Vilenia, qui s’approcha de lui pour regarder l’affichage.

— Pourquoi pas, répondit Mirabella, un air intrigué.

Pour toutes réponses, je hochais la tête à l’intention de Célestin. Melvin, quant à lui, était resté silencieux, et fixait Vilenia avec intensité. Je détaillais ses traits, essayant de deviner ce qui le tracassait, en vain. Au bout de quelques secondes, il finit par l’attraper gentiment par le bras. Vilenia, surprise, releva la tête vers lui.

— Avant de manger, je peux te parler cinq minutes ? Lui demanda-t-il, d’une voix froide.

Elle leva les sourcils et nous lança un regard, comme si nous étions au courant de ce qu’il voulait. Célestin haussa les épaules, et elle finit par hocher la tête.

— Ne nous attendez pas, nous lança Melvin.

— On en avait pas l’intention, répondit Mirabella.

Mais Melvin n’entendit pas sa pique, car ils avaient déjà quitté la cafétéria.

— Quel pauvre type ! J’espère vraiment que je serais pas sa binôme. T’imagines, une éternité avec ce loser ?

Mirabella fit semblant de frissonner de dégoût.

— Tu l’aimes toujours pas ? M’étonnais-je, un sourire en coin.

— Je t’ai donné l’impression de l’apprécier, là ? Répliqua-t-elle, ses yeux lançant des éclairs.

— OK, OK, lâche les arracheuses*, répondis-je en levant les mains en signe de paix. Il est sympa ce gars, je comprends pas pourquoi tu l’aimes pas.

* Les arracheuses sont les armes qu’utilisent la R.D. (Régularisation Des Âmes) qui consistent à arracher une âme de son hôte et de la détruire dans une souffrance horrible. J'espère que ça ne vous arrivera jamais !

— Sympa ? Il est lourd ! Tu l’as connu sous l’influence de la bière, c’est tout ! T’es aveuglé !

— Euh… T’es au courant que l’alcool ne nous affecte pas, non ? Donc, je…

— Ouais, je suis au courant, merci, me coupa-t-elle d’un ton sec.

Je pinçais mes lèvres pour ne pas rire, et l’énerver davantage. Personnellement, je trouvais cette situation amusante. Cela dit, je ne comprenais vraiment pas pourquoi elle n’appréciait pas Melvin. Tous deux semblaient brûler d’une même énergie, bien que Mirabella se rapprochait aussi de la mienne.

Après avoir choisi ce que nous allions mangé, nous prîmes place sur une table au fond de la pièce.

— Vous voulez m’accompagner samedi matin, pour choisir les costumes ? Nous proposa Célestin, la bouche pleine.

— Samedi matin ? Répétais-je. À quelle heure ?

— Vers huit heures ?

Je fis une grimace.

— Pourquoi aussi tôt ? Grognais-je.

— Parce que mes parents viennent nous voir, Cole et moi, pour manger au resto à midi, et aller faire les magasins dans l’aprem. Et après y’a la soirée…

— OK, je vois. Je suis partant, même si j’aurais bien aimé faire une grasse mat’.

Célestin finit son entrée puis se tourna vers Mirabella, qui n’avait pas répondu.

— Et toi, Mira ? Tu viens ?

— Ça aurait été avec plaisir, mais mes parents seront là toute la matinée…

— Ah, mince…

Célestin fit une moue triste.

— Pourquoi viennent-ils te voir ? Lui demandais-je.

Elle poussa un soupir et posa sa fourchette sur la table.

— Ils veulent qu’on fasse un bilan de mes premiers jours. Et, ils veulent aussi que je leur montre ma chambre.

— Un bilan ? Répéta Célestin, les sourcils froncés.

— Ils veulent savoir avec qui j’ai sympatisé, ce que j’ai fait, si je suis bien obéissante…

— À ce point ?!

Célestin et moi l’observions, un air choqué sur le visage.

— Oh oui. J’espère seulement qu’ils ne vont pas me faire les coups toutes les semaines.

— J’espère aussi pour toi, lui fis-je d’une voix que j’espérais rassurante.

Nous étions concentrés à finir notre repas, perdus dans nos pensées. Puis, Célestin leva une nouvelle fois la tête vers nous.

— Vous savez comment vous vous déguiserez ?

Je haussais les épaules, ne sachant pas trop quoi répondre.

— Tu m’aideras à choisir, lui fis-je. J’ai aucune inspiration. Pourquoi pas mettre un masque ? Comme ça, si je dis n’importe quoi, personne ne saura que c’était moi.

Je lui adressais un sourire taquin. Les yeux de Célestin s’illuminèrent d’amusement.

— Tu voudras qu’on t’en prenne un, Mira ?

Elle leva la tête vers Célestin, finissant de mastiquer.

— Non, merci. J’irais le choisir moi-même, quand mes parents m’auront enfin retirer ma laisse.

Elle nous fit un sourire sarcastique avant de reprendre une bouchée de son plat.

— Tu sais ce que tu vas choisir, toi ? Lui demandais-je.

Elle haussa les épaules, puis poussa un soupir.

— Un costume sexy, finit-elle par répondre.

— Sexy ? M’étonnais-je, haussant un sourcil.

Un sourire amusé s’installa sur ses lèvres, le regard pétillant.

— Bien sûr, me répondit-elle, la voix enjouée. Après avoir supporté mes parents, faudra bien que je décompresse un peu, histoire d’oublier.

— Avec les humains ? La taquina Célestin, avec un sourire malicieux.

— Pas forcément, répondit-elle, un éclat de défi dans la voix. Cela dit, pour ce genre de plaisir, ils peuvent avoir des arguments solides.

Célestin et moi rirent. Mirabella se joint à nous, avant que son sourire ne s’évanouisse.

— Amusez-vous bien sans moi, samedi. Si vous me croisez avec eux, ne vous étonnez pas si je tire la tronche.

— Ah, parce qu’en temps normal, t’as une autre expression faciale ? Se moqua Célestin.

Elle lui tapota l’épaule par-dessus la table avant de rire. Celui-ci résonnait dans l’air, comme une douce mélodie. Sans pouvoir m’en empêcher, je ris avec elle.

**

— Bien ! Pour commencer, je vais vous poser quelques questions sur ce que vous avez lu, annonça d’une voix vibrante Monsieur Tantum. Toi, avec le bonnet rouge, peux-tu m’expliquer pourquoi l’Âme des Maîtres de La Vie est blanche ?

Mon camarade au bonnet rouge déglutit, clairement mal à l’aise sous le regard de la salle entière. Le silence pesait lourdement.

— La couleur blanche représente l’effacement, le commencement d’une nouvelle existence pour une âme. Lorsqu’on insère l’âme blanche dans un nouveau corps, elle est encore vierge, sans but, sans forme. C’est une page blanche, prête à être écrite. L’Âme des Maîtres de La Vie est blanche. Elle symbolise toutes les âmes qu’ils remettent en circulation pour de nouvelles vies, expliqua-t-il avec une assurance qui cachait son stress.

— Bien. Et que peux-tu me dire à propos de l'âme rouge des humains ?

— C’est l’âme des personnes prêtes à recevoir l’amour, celles qui sont particulièrement sensibles à l'influence des Cupidons. Cette couleur incarne l'ouverture aux sentiments, l’aptitude à aimer et à se laisser toucher, répondit-il.

— Bien, très bien...

Le professeur prit place sur son bureau et croisa les bras, son regard perçant balayant la salle. Ses yeux brillaient d'une intensité presque hypnotique.

— Parfait, poursuivons donc notre exploration des âmes et de leurs couleurs. Lire, c’est bien. Mais comprendre, expliquer, c’est mieux. L’âme des Altruistes est dite fixe ; elle ne varie que dans de rares exceptions. Elle nous définit, raconte notre passé, notre rôle.

Il marqua une pause, et son regard s’assombrit légèrement.

— Celle des humains, en revanche, est changeante. Elle se transforme en fonction de leurs émotions, de leur humeur. Et plus que cela, ils ont deux couleurs. La première, la couleur profonde, celle qui révèle leur nature véritable : sont-ils empathiques ? Cruels ? Bienveillants ? Égoïstes ? Et la seconde, la couleur de surface, qui est plus fugace, plus malléable, et peut changer selon leur état d’esprit ou leurs désirs du moment.

Un silence respectueux s’installa alors qu’il continuait à nous expliquer avec passion.

— C’est simple : si l’âme de surface des humains est rouge, les Cupidons peuvent facilement les influencer. Si elle est bleue, ce sera la Muse qui aura le plus d’impact, etc. Leur nature profonde joue un rôle lors de notre influence. En effet, si cette personne a bon fond, une muse pourra l’inspirer dans les plus beaux poèmes. En revanche, s’ils ont mauvais fond, cette influence aura un mauvais impacte. Même si nous essayons de doser, certain humains tournent malheureusement mal.

« Leur humeur varie, et avec elle, leur réceptivité aux influences de ceux qui les entourent. Mais parfois, un humain peut être bloqué dans ses émotions, figé dans une couleur qui l’empêche de s’ouvrir. C’est là que nous intervenons. Nous allons voir ensemble comment guider ces âmes, comment transformer leur couleur pour les amener là où nous le souhaitons.

Les Muses avaient une âme bleue, les Naturels une âme verte, les Cupidons une âme rouge… Chaque membre jouait un rôle crucial dans la vie des humains, mais celui qui avait le plus d'impact était la Mort. Forcément, c’est d’eux que tout commençait. Ou se terminait, en fonction des points de vue.

Durant le reste du cours, il nous expliqua les couleurs de chaque membre ainsi que celles des humains. Ce cours-là me semblait beaucoup plus simple que celui de Madame Brindillovan, sur lequel j’eus la sensation que j’allais avoir du mal.

Au fur et à mesure que les explications se succédaient, une question persistait dans mon esprit : jusqu’où allait notre pouvoir sur les humains ? Et sur nous-mêmes ? Le libre arbitre semblait n’être qu’une illusion, un mirage dans un monde où le destin semblait écrit d’avance. Même mon père, que je savais ne pas être un fervent admirateur du Grand Conseil, ne les avait jamais défiés. Pourquoi ? Pourquoi obéissait-il à des règles qu’il détestait tant ?

Mon regard se perdit dans l’espace un instant. Je n’avais jamais vraiment eu le choix. Tout avait été tracé pour moi depuis mon plus jeune âge. « Je t’interdis de créer des liens, fils. N’oublie jamais que tu ne peux pas. Ne te mêle pas aux humains, c’est dangereux… Dangereux. Obéis-moi et tout se passera bien… Tout se passera bien… », les paroles de mon père résonnaient encore dans mon esprit, comme une boucle sans fin.

Au diable tes conseils, Papa !

Je n'avais aucune envie de me laisser engloutir par ces pensées. Après tout, être La Mort, c'était un destin incroyable, non ? Une place d’honneur. Un rôle unique.

— Monsieur Occis, vous rêvassez ? s'écria Monsieur Tantum, frappant violemment sur mon bureau.

Je sursautai. Un rire éclata dans la salle, et je me redressai immédiatement.

— Désolé, Professeur, murmurais-je, embarrassé.

Heureusement, la cloche sonna, marquant la fin du cours. Comme un signal de libération, je me levai rapidement, évitant le regard scrutateur de Monsieur Tantum.

— Alors, Matt, on écoute plus le cours ? Me lança Melvin, sa main se posant lourdement sur mon épaule.

— Non, j’étais juste… distrait, répondis-je, tentant de me redresser et de cacher mon malaise.

— Distrait… répéta Melvin d’un air songeur, lointain.

— Laisse-le respirer un peu, Melvin, tu l’étouffes avec ton gros bras ! s’écria Mirabella, sa voix pleine de vivacité.

Melvin la regarda, amusé, puis pencha la tête de côté avec un sourire malicieux. Célestin arriva à nos côtés, demeurant silencieux.

— Ce que je retiens, c’est que tu trouves que j’ai un bras musclé, répliqua Melvin, sa moue taquine sur les lèvres.

— J’ai dit gros, pas musclé ! Protesta-t-elle.

— Oh, mais merci Bella, c’est vraiment gentil, se délecta-t-il, savourant chaque mot.

— Ne m’appelle pas comme ça ! Gronda Mirabella, une lueur de colère dans les yeux.

Melvin leva les mains en signe de paix, retirant son bras de mes épaules pour me faire face directement.

— Ne t’en fais pas trop, Matt. Si tu as besoin de parler, je suis là.

— S’il cherche de l’empathie, je doute que ce soit vers toi qu’il faille se tourner, lança Mirabella, une pointe de sarcasme dans sa voix.

— Et visiblement, pas vers toi non plus, répondit Melvin, un sourire narquois aux lèvres.

Il me fit un clin d'œil et s’éloigna, laissant derrière lui un air de défi.

— Il y a une tension électrique entre vous, dis donc, se moqua Célestin, un sourire taquin sur les lèvres.

Mirabella lança un regard noir à Célestin.

— Redis ça encore une fois et je te jure que je me débrouille pour trouver une Arracheuse et venir te débusquer ! menaça-t-elle.

Célestin ne put s'empêcher de rire, et je me joignis à lui, emporté par l’atmosphère de camaraderie.

— Franchement, vous trouvez pas qu’il est bizarre ? s’écria Mirabella, l’air soudainement très sérieux.

— Non. répondis-je, bien que je ne sois pas certain de qui elle désignait.

Elle secoua la tête, exaspérée.

— Vous les hommes, vous êtes vraiment aveugles, ma parole.

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