Chapitre 5 - En vie

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— Tu as l’air... heureux ? Est-ce que ce serait un sourire que je vois sur ton visage ? C’est… étrange, grimaça Mirabella, voyant ma mine réjouie.

À vrai dire, elle n’exagérait qu’à peine. Pour la première fois de ma vie, j’arborais un demi-sourire. Je sentais une boule d’énergie brûler en moi, heureux de découvrir enfin notre futur métier. Nous nous dirigions vers notre cours l’après, et j’étais impatient comme jamais.

— Ouais, j’ai vraiment hâte d’y être, répondis-je, d’un ton calme.

Ce cours était notre définition, la raison de notre présence au sein de l’université. C’était normal d’avoir hâte de s’y rendre, non ?

Mirabella me rendit mon demi-sourire. Je pouvais sentir qu’elle aussi, quelque part, ressentait une forme de bonheur.

Depuis que je la connaissais, je sentais qu’elle retenait ses émotions, comme si elle refusait de se laisser aller. Derrière cette maîtrise, je sentais une puissance contenue, brûlante, prête à éclater au moindre souffle. Le Grand Conseil et ses parents, tout le monde l’avait dressé à se taire, à se courber sans jamais plier. Cela faisait écho en moi, comme une note familière dans une musique étrangère. Sauf que moi, à la différence d’elle, je n’avais jamais su quel était le feu qui brûlait dans mon âme.

Comme deux enfants insouciants, nous nous faufilions à travers les couloirs, le bruit de nos pas résonnants entre les murs.

Dans la salle, une personne était déjà présente. Comme son visage ne m’était pas familier, je supposais qu’il s’agissait de notre professeur. Son crâne poli brillait sous la lumière, et sa chemise à rayures semblait trop grande pour lui, presque décalée. Mais, étrangement, cela lui donnait une aura de charisme naturel

Le chariot qu’il poussait produisait des cliquetis hypnotisant, attirant instantanément mon attention. En baissant les yeux, je remarquai une multitude de fioles de toutes les couleurs. À l’intérieur, des âmes se trémoussaient, captives dans leurs prisons de verre.

Nous n’étions pas les seuls à entrer dans la salle. Une fois installée, je constatais que nous n’étions que douze. Mon père m’avait prévenu : nous étions en voie de disparition. Et pourtant, je m’étais attendu à ce que l’on soit au moins une vingtaine.

Vilenia me lança un sourire en s’installant derrière moi, accompagné de Melvin qui me fit une tape sur l'épaule.

— Bonjour à toutes et à tous, lança le professeur d’une voix calme et chaleureuse, une fois que tout le monde était assis. Je suis le professeur Rhânlam. Je serais votre guide tout au long de votre apprentissage.

Ses yeux en amande se posèrent sur nous, un léger sourire dans le regard. Il porta son poing fermé contre son cœur, d’un geste solennel, d’une figure presque paternel. Comme si nous faisions sa fierté. Lorsque son regard s’arrêta sur moi, je crus apercevoir un haussement de sourcil à peine perceptible. J’eus l’impression qu’il s’éternisa sur moi. Une sensation étrange m’envahit.

— Aujourd’hui, je vais vous faire parvenir une fiole, contenant l’âme d’une vie passée. Tout ce que je vous demanderais pour ce premier cours, c’est de tenir le plus longtemps possible. Je sais que ça peut paraître simple, mais je vous préviens tout de suite : ça ne le sera pas.

Il marqua une courte pause, faisant monter le suspens. Nous étions tous suspendu à ses lèvres.

— À travers ces fioles, vous ressentirez tout un panel d'émotion, que vous n’avez jamais pu connaître à cause de votre neutralité. Ce sera intense, difficile. Notamment parce que je vous ai sélectionné des âmes compliquées. Accrochez-vous de toutes vos forces. Laissez-vous porter par la vie de votre hôte.

Une fois ses explications terminées, il poussa son chariot entre les rangs. Sans que je ne puisse le retenir, ma jambe vibrait d’attente. Quand le professeur arriva à mon niveau, il me déposa une fiole contenant une âme bleue. Elle était pleine d’énergie, se jetant contre les parois.

Mirabella reçut une fiole contenant une âme jaune, calme et paisible. Je jetais également un coup d’œil derrière moi, pour vérifier ce que Melvin et Vilenia avait eu, mais je n’eus pas le temps de regarder car la voix du professeur reprit :

— Dès que vous vous sentez prêt, ouvrez la fiole et placez votre œil contre le trou.

J’observais mon âme, oubliant tout le reste. Mon cœur battait la chamade. J’inspirais profondément avant d’attraper d’une main tremblante le bouchon de liège. Sans plus attendre, je posais mon œil contre la fente, comme le professeur nous l’avait préconisé.

L’âme s’agita violemment. Dans un éclair de lumière, elle pénétra mon esprit, emportant avec elle une vague d’émotions fortes, comme un torrent dévalant une montagne.

[...]

Des cris. Des pleurs de bébés. Le noir. Le flou. Mon corps tombait dans un puit sans fond, entouré de lumière, de scène vivante, comme une bobine de film. Des souvenirs d’enfants. Des jeux. Des pleurs. Des chutes. Des rires. Tout s’entremêlait, me traversant de toutes parts, comme des lames d’épées.

Une fillette rousse faisait du vélo. Les petites roues arrières grinçaient. Ses parents la poussaient. Son rire résonnait dans ce tourbillon d’innocence.

Puis, les images changèrent. La scène se transformait, comme un château de sable qu’on supprimait pour recommencer. Ma course finit par s’arrêter, me faisant atterrir dans une chambre peinte de rose.

— Non, Père… S’il vous plaît...

La même jeune fille rousse pleurait, désormais. Ses larmes brouillaient sa vue, brouillant également la mienne. Je sentais le liquide cristallin rouler sur mes joues. Je sentais sa fatigue, sa douleur.

Il le faut, Heidi.

— Mais...

— Je dois servir notre pays. Je n’ai pas le choix, ma princesse. C’est comme ça. Les hommes sont appelés à prendre les armes.

Son père sortit une peluche en forme d’hippocampe et la déposa doucement devant elle. Puis, il déposa un baiser sur son front, dont je sentis le contact sur le mien, avant de se diriger vers la sortie. Avant de quitter la pièce, il lui lança un regard triste, dans un soupir de frustration.

Heidi sanglota, son corps prit de spasmes. Je sentais ma poitrine se soulever par à-coup. Mes yeux me brûlait. Une douleur sourde me tordait les entrailles. Cette émotion s’insinuait en moi, circulant dans mes veines, se répendant comme une maladie. C’était fort, mais jusqu’ici, je pouvais le supporter.

Des voix s’élevaient de l’autre côté de la porte. La voix ferme de son père, puis une autre, plus douce, plus tremblante, celle de sa mère. Le bruit sec d’une porte qui claque. Des pas.

Sa mère ouvrit la porte de la chambre d’Heidi, et vint s’asseoir à ses côtés. Elle l’attrapa dans ses bras, la serrant avec force. Un geste silencieux d’amour et de soutien, que je perçus dans mes tripes. Toutes deux pleuraient.

En moi se déchaînait la panique d’Heidi. Je ressentais ses doutes, ses peurs. Alors, je savais qu’elle avait peur de ne plus jamais voir son père. Son pays était entré en guerre depuis déjà quelques mois, et les pères de ses camarades étaient déjà annoncés comme disparus ou morts.

Même si elle n’avait que quinze ans, elle avait conscience qu’il risquait de ne jamais revenir.

Mon cœur se brisa d’une même fêlure qu’Heidi. Je pouvais ressentir chaque parcelle d’elle se fissurer. Dans le silence de cet instant, je savais que la souffrance qu’elle vivait, je la vivais aussi.

[...]

Le soleil brûlait, accablant de chaleur l’atmosphère déjà lourde de tension. Heidi se trouvait dans une ruelle étroite, cachée dans l’ombre. Sa respiration haletante, comme si chaque battement de son cœur battait plus fort que le précédent. Son pouls martelait ses tempes, rapides, irrégulier, comme après une course effrénée. La sueur perlait de son front, glissant sur sa peau chaude, mais elle n’avait pas le temps de s’en préoccuper.

Ses yeux scrutaient les alentours, à la recherche du moindre mouvement. Du moindre bruit qui pourrait trahir sa présence.

Des soldats en uniforme gris-vert marchaient en symphonie. Elle attendit un instant avant de se faufiler derrière une grosse benne à ordure. Autour d’elle, les passants se hâtaient, évitant les regards. Des voiles dissimulaient les visages, pour se protéger du soleil ou bien d’autres choses.

Au loin, un cri déchira l’atmosphère, attirant soudain son attention. Elle s’écarta légèrement pour apercevoir un homme en train de voler une poignée de fruits sur un étal.

— Eh ! Reviens ici, espèce de voleur !

Les militaires relevèrent la tête dans un réflexe commun, leurs regards se braquant sur le voleur. Puis, en une fraction de seconde, ils commencèrent à courir dans sa direction. Heidi les observa brièvement avant de s'apercevoir que le voleur se dirigeait directement vers elle. Son cœur battait à tout rompre. Une fois à son niveau, d’un coup sec, elle tira le voleur par le t-shirt pour l’attirer vers la benne, avant de le pousser dedans.

— Qu’est-ce que… ?

— La ferme ! répondit-elle d’une voix basse, mais déterminée.

Les bruits de pas s’éloignèrent alors, laissant place à un silence lourd. Heidi, haletante, se tourna vers l’homme qu’elle venait de sauver.

— Sans moi, tu serais déjà cuit !

Le voleur la dévisagea, un sourire moqueur accroché à ses lèvres.

— Oh, bien sûr. Comme si j'avais besoin d'une gamine pour m'extirper de ce genre de situation.

— T'as volé en pleine journée ! T'es suicidaire ou quoi ? Si ces types t’attrapent, ils te feront parler jusqu’à ce que mort s’ensuive.

— Et toi, comment tu sais ça ?

Heidi se mordit la lèvre un instant, son regard se durcissant.

— Parce que mon père a subi ça... pour s’être rebellé.

Un instant de silence pesant s’installa. L'homme, soudainement désarmé, détourna les yeux, comme gêné par la révélation d’Heidi.

— Je… je suis désolé.

Le poids de ses mots flottait un instant dans l'air, avant que l'homme, après une hésitation, tende une pomme à Heidi.

— Tiens, pour te remercier.

— Merci, répondit-elle simplement.

Il lui sourit, puis tendit la main.

— Moi, c’est Karl.

— Heidi.

Ils échangèrent un regard, un sourire furtif, un instant de complicité fragile dans un monde qui ne laissait guère de place à la tendresse. Heidi souleva doucement le couvercle de la benne, scrutant la rue déserte. La voie était libre. Ils en sortirent discrètement, puis se mirent à courir, leur souffle s’accordant, chacun suivant l'autre pour trouver enfin un refuge dans l’ombre.

[...]

La pièce était vaste et poussiéreuse, les murs jaunis par les années et l’oubli. Des murmures s'élevaient de tous côtés, des voix s’entrelaçaient dans une cacophonie de mots inintelligibles. Je tendais l’oreille — ou plutôt, Heidi tendait l’oreille — et entendis l’écho des discussions : des personnes à cacher, des vies à sauver. Un fragile espoir dans un monde brisé. Karl, le regard grave, prit Heidi à partie. Hors de la pièce, la lumière peinait à s’infiltrer à travers les rideaux sales.

Je me sentis attiré à leur suite, comme si j’étais le rallongement de l’esprit et du corps d’Heidi.

— Je profite de ce moment pour te dire au revoir, dit-il doucement, une lueur de tristesse dans ses yeux.

— Tu pars quand ?

Sa voix était serrée, pleine d'émotion.

— Ce soir, au coucher du soleil.

Il soupira, l'air lourd d'une vérité trop difficile à dire.

Un silence s'installa entre eux, lourd, presque palpable. Le cœur d'Heidi semblait se briser, et je pouvais ressentir cette douleur, comme un poison qui s'immisçait lentement dans ses veines. Une nausée profonde m'envahit à cet instant, comme si cette douleur m'appartenait aussi.

— Pour combien de temps ?

— Tu sais très bien qu’on ne le sait pas... On sait quand on part, mais pas quand on revient.

Il baissa les yeux, comme s’il cherchait ses mots.

— Je pourrais venir avec toi, t’aider à cacher Frank et sa famille…

Le regard d’Heidi était rempli de larmes non versées, d’un amour qui voulait tout risquer, tout sacrifier.

Karl secoua la tête, l’air résolu.

— Ce serait trop dangereux. Tu sais qu’il vaut mieux voyager en petit groupe…

— Mais j’aimerais…

Il posa sa main sur la sienne, la serrant fort, d’une douceur qui trahissait la violence de ce qu’il avait à dire.

— Je te promets de revenir vite. Je dois le faire, pour notre liberté à tous.

— Je sais.

Elle acquiesça, la voix presque inaudible, comme si elle parlait plus à elle-même qu’à lui.

Je ressentis la douleur dans sa poitrine, comme un feu dévorant, comme un gouffre qui s’ouvrait sous ses pieds. J'avais l'impression que mon propre cœur se déchirait sous la pression de cette douleur partagée. Je voulais la consoler, mais je ne pouvais rien faire. Heidi avait peur, une peur viscérale de ce départ. Une peur terrible, celle de le voir disparaître, de ne plus jamais pouvoir le retrouver.

— Je ne serais pas long.

Il la regarda dans les yeux, cherchant à apaiser l'inquiétude qui hantait son regard.

— Promis ?

Sa voix tremblait.

— Promis.

Karl se pencha vers elle et la serra dans ses bras, un dernier geste débordant d’amour, comme si tout le poids du monde reposait sur leurs épaules. Je ressentis ce câlin au plus profond de mon être, comme si c’était moi qui me blottissais contre lui, qui sentait la chaleur de son corps. Une envie naquit en moi, un désir brûlant. Dans le creux de mon ventre, je sentais mes tripes se serrer.

Heidi, le regard rivé sur les lèvres de Karl, semblait hésiter. Je sentais son désir monter, presque tangible, comme une énergie frémissante entre eux. Elle avait envie de l’embrasser. De le retenir. De le faire s'arrêter. De le plaquer contre le mur. De goûter chaque instant de cet amour suspendu dans l’air. Elle voulait le garder pour elle, ici et maintenant, comme si tout le reste n’avait plus aucune importance.

Mais il finit par la relâcher, doucement, sa main gardant la sienne un instant de plus, comme pour prolonger l’instant, comme si une partie de lui refusait de partir. Elle le regarda s’éloigner, sans un mot, les yeux pleins de tout ce qu’ils ne pouvaient se dire.

[...]

La nuit s'était installée, enveloppant le monde d’un voile sombre et paisible. Le visage d’Heidi, marqué par le temps, semblait perdu dans la contemplation du ciel étoilé. Elle était allongée sur l’herbe. Je sentais la douceur des feuilles sur ma peau.

Elle balançait lentement son pied, suivant le rythme d'une mélodie murmurée entre ses lèvres.

Soudain, un bruit de pas interrompit la sérénité de la nuit. Heidi se redressa immédiatement, prête à réagir. Lorsqu'une silhouette apparut dans la lueur de la lune, elle se jeta sur elle, instinctivement.

— Heidi ! C’est moi ! Qu’est-ce que tu...

— Karl !

Le monde sembla s’arrêter un instant, l'attaque se transformant en une étreinte chaleureuse. Ils roulèrent dans l'herbe, leurs corps se mêlant dans une explosion de bonheur de se retrouver. L’odeur familière de Karl, celle qui lui avait tant manqué, la rassura immédiatement. C’était lui…

— J’ai eu si peur…

— Je suis de retour, ma douce…

Ils se séparèrent doucement, Heidi posant ses mains sur son visage, cherchant à déchiffrer les épreuves qu'il avait traversées. Ses yeux se plongèrent dans les siens, attendant une réponse silencieuse. Karl, d’un léger hochement de tête, lui confirma ce qu’elle espérait sans le dire. Elle glissa ses mains derrière sa nuque et l’attira vers elle pour l’embrasser avec une passion incontrôlable. Un baiser qui les reliait, effaçant toute distance, toute attente.

Je ressentis cette intensité vibrer à travers moi, un feu dévorant qui envahissait toutes les parcelles de mon corps. C’était plus qu’un baiser. C’était la fin d’un long silence, le début de ce qu'ils avaient attendu si longtemps. Une douleur sourde m’envahit, comme si je ressentais chaque battement de cœur, chaque souffle qu’ils partageaient.

Heidi et Karl continuèrent de s’embrasser, se roulant dans l’herbe, se mélangeant, s’enivrant. Ils ne voulaient former plus qu’un. C’était leur premier baiser, et je ressentis l’urgence de son envie. Ça faisait des années qu’elle avait attendu ce moment.

Sans plus attendre, elle arracha le t-shirt de Karl, et le jeta sans ménagement.

— Tu sais que c’est une denrée rare tout de même et je...

— Oh, tais-toi ! Ordonna Heidi.

Karl poussa un grognement, un rire étouffé sous les baisers d'Heidi. Délicatement, il retira le t-shirt d’Heidi et dégrafa son soutien-gorge. Ses baisers se perdirent sur son corps : sur son cou, sur ses clavicules, sur ses seins. Elle poussa un soupir de plaisir.

J’essayais de détourner le regard pour leur laisser leur intimité, mais c’était impossible. J’avais beau fermer les yeux, ils ne m’appartenaient plus. Ce que voyait Heidi, ce qu’elle ressentait, je le vivais aussi. Dans son intégralité.

Karl prit le dessus et déshabilla entièrement Heidi, puis ôta le reste de ses vêtements. Sans attendre plus longtemps, il fondit en elle, dans un grognement sauvage. Désormais, ils ne formaient plus qu’un.

[...]

Le décor avait encore changé. J’essayais de reprendre mon souffle tant les émotions que je venais de vivre m’avait submergé. Seulement, tant qu’Heidi et moi ne faisions qu’un, j’étais obligée de suivre son rythme.

Cette fois-ci, je me trouvais dans un vieil appartement, empreint de l’odeur du passé. Les murs étaient fatigués, la tapisserie décolorée et déchirée, mais il y avait une douceur, une chaleur qui s’en dégageait malgré tout. Heidi était là, luisante de simplicité. Elle préparait le déjeuner, ses gestes gracieux, malgré la vétusté de la poêle qui semblait avoir vécu mille vies. Vêtue d’une chemise bleue un peu trop grande, elle dégageait une beauté brute et authentique.

Elle servit son repas avec soin, un sourire tendre éclairant son visage. Puis, portant l’assiette, elle entra dans ce qui semblait être la chambre, tout aussi usée que le reste de l’appartement. Le lit, bien que poussiéreux, paraissait être un petit havre de paix au milieu du chaos. Quelques feuilles déchirées jonchaient le sol, mais il y avait quelque chose de paisible dans cet endroit, comme si la vie, malgré ses épreuves, y trouvait toujours sa place.

Elle déposa l’assiette devant Karl, qui lui sourit, ému, s’étirant dans un soupir satisfait.

— Hummm… Merci mon amour.

Elle le regarda, un éclat de tendresse dans les yeux, et il lui répondit avec un sourire sincère, un sourire qu’elle n’avait pas vu depuis trop longtemps.

— C’est en quel honneur ?

— Pour avoir survécu, pour être encore là, vivants, tous les deux.

Il lui sourit à nouveau, un sourire empli de tout l’amour qu’il portait. Puis, doucement, il l’attira vers lui et leurs lèvres se rencontrèrent dans un baiser doux.

— Je t’aime, Karl. Je crois que je n’ai jamais aimé comme je t’aime.

— Je t’aime aussi. Infiniment.

Dans un geste léger, elle monta sur lui, se blottissant dans ses bras, trouvant réconfort et chaleur dans l’étreinte. Ils s’embrassèrent encore.

Je me sentis enveloppé d’un sentiment de plénitude, comme si tout était à sa place, simple et beau. Il n’y avait rien d’autre autour d’eux, juste cette tendresse partagée. La légèreté de l'instant effaçait tout, comme si, dans ce souvenir, il n’existait rien d’autre que leur amour. Mes propres soucis se dissipaient, loin, très loin. C’était un bien-être absolu, presque magique. Et dans cette sérénité, je me surpris à désirer rester dans cet instant, à le garder à jamais.

[...]

Heidi et Karl couraient à toute vitesse, leur souffle lourd et irrégulier, emportés par l’urgence du moment. Mes poumons me tiraillaient. Leurs pas résonnaient dans la nuit, tandis que derrière eux, une horde de policiers hurlait des ordres furieux. Ils prirent un virage. Un autre. Ils escaladèrent un grillage. Ils franchirent un muret, mais se retrouvèrent face à un mur. Un cul-de-sac. Le piège s’était refermé sur eux.

Au-dessus d’eux se trouvait une échelle, bien trop haute pour y grimper à deux. Le regard de Karl se fixa dans celui d’Heidi. Un adieu silencieux s’y dessina. Les mots n’étaient pas nécessaires. Leurs âmes se comprenaient.

— Non... souffla-t-elle, les yeux emplis de terreur.

Elle ne pouvait pas le perdre, pas maintenant, pas après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble. Son cœur se brisait à l’idée de continuer seule. Son père était tombé pour la cause, et elle ne pourrait survivre à un tel vide. La solitude était une option qu'elle refusait d'accepter, elle préférait mourir que de vivre sans lui.

Mais Karl, plus résolu que jamais, ne l'écoutait pas. D'un geste ferme, il la prit par la taille, la soulevant avec force. Il la hissa vers l’échelle, mais elle lutta. Au bout de quelques secondes, elle se résolue à attraper le métal froid. Une fois sur la plateforme, elle tendit une main vers lui. Son regard chercha désespérément le sien. Mais il ne la saisit pas.

— Je t’aime, murmura-t-il avant de disparaître dans l'ombre, courant sans un regard en arrière.

Les bruits des coups résonnèrent alors dans la rue, accompagnés des sanglots étouffés d’Heidi. Un cri silencieux d’agonie se forma dans ma gorge, une douleur insoutenable. Tais-toi ! suppliai-je intérieurement, mais les mots ne pouvaient pas lui parvenir. L’odeur du sang, sucrée et métallique, s’échappa dans l’air. Tout ce que je pouvais entendre, c’était le bruit sourd de la fin.

Le monde d’Heidi venait de s’effondrer. Elle était allongée en position fœtale, pleurant son désespoir, ses larmes tombant comme une pluie glacée. Elle avait tout perdu.

Une boule énorme, noire de douleur, se noua dans ma gorge. Une autre, plus lourde encore, se forma dans mon ventre. Une rage dévorante, incontrôlable, m’envahit. J’avais envie de hurler, de tout détruire. Comment pouvaient-ils supporter de vivre ainsi, avec ce poids écrasant sur les épaules ?

Et pourtant, au milieu de cette tourmente, une sensation nouvelle se réveilla en moi, forte et pure. La douleur, l’angoisse, tout cela m’enveloppait, mais il y avait aussi cette sensation inédite : la vie. Une vie palpitante, brisée et entière à la fois. C’était un feu sauvage, brûlant et pur, qui me traversait avec une intensité que je n’avais jamais connue.

Et malgré la tristesse, malgré le chaos, une vérité s’imposa : ce feu, cette sensation, c’était la vie qui me saisissait. Et putain, qu’est-ce que c’était bon !

[...]

Heidi était entourée d’homme en uniforme. Leurs mains froides la tenaient fermement. Elle se débattait. Criait. Pleurait. Elle avait résisté si longtemps, et voilà qu’elle était attrapée pour un simple petit vol. Ils la trainèrent dans une grande pièce vide. L’allongèrent sur une sorte de fauteuil de dentiste. L'odeur du lieu lui piquait le nez. Ils lui attachèrent les mains. Depuis plusieurs années, le moindre délit était puni. Et, ils s’en donnaient à cœur joie.

Ils la plaquèrent contre le dossier, déclenchant une nouvelle vague de cri. La peur l’avait envahie. Sa sentence allait tomber, et elle savait pertinemment quel était le sort réservé aux femmes. Les hommes se regardèrent d’un air complice. Ils riaient.

Je me sentis impuissant. Mes mains étaient paralysées. Je me débattais : en vain. Si je le pouvais, je l’emmènerais loin, la sauverais de cette vie. Mais c’était impossible. Mon rôle était d’observer. Le passé ne pouvait être changé.

Un des hommes enleva sa ceinture et fouetta la cuisse d’Heidi. Ses hurlements résonnaient dans la pièce, mêlés aux miens. Leurs rires accompagnaient nos gémissements de douleur.

— Tu sais c’qu’on fait à des minettes dans ton genre ?

Il enleva le bouton de son jeans, dégrafa sa braguette. Dans un geste vif, il finit de l’enlever, le jeta en boule juste à côté du fauteuil. Deux autres hommes maintenaient Heidi. Le jeu semblait les amuser. L’homme sans pantalon s’avança vers Heidi, lui arracha le sien ainsi que sa culotte. Ses hurlements ne cessaient de monter dans les aigües. Elle se débattait. C’est ce qui semblait exciter l’homme en face d’elle.

— Non ! Hurla-t-elle.

Quand il s’approcha, elle lui cracha au visage. Ce qui lui valut une grosse claque, qui lui démonta la mâchoire. Je me tins la joue. L’homme caressa ses cuisses, les écarta avec violence. Il glissa quelques doigts à l’intérieur de son intimité. Je me sentis sale. J’avais du mal à me concentrer. C’était si douloureux. Si déchirant. Si horrible.

L’homme ôta son caleçon et grimpa comme une bête sauvage sur Heidi, son sexe déjà en érection. Sans se faire prier, il la pénétra.

La douleur était abominable. Heidi criait, son cri se mêlant au mien. Nous pleurions en écho. C’était insupportable. Tout brulait. Tout à l’intérieur d’elle se déchirait. Elle ferma les yeux, essayant de s’imaginer ailleurs. De s’imaginer auprès de Karl. Seulement, la douleur l’empêchait de penser à autre chose. À chaque coup de reins qu’il donnait, des morceaux de son âme se brisaient. Encore et encore.

Les cris d’Heidi étaient stridents. Des larmes roulaient sur ses joues, son cou. Je me sentis tomber sur le sol. Je n’en pouvais plus. Voir ces souvenirs était trop difficile. J’avais si mal. J’agonisais. Je me sentais souillé. Impuissant.

Comment pouvait-on observer les souvenirs de quelqu’un, avec une telle intensité, et se sentir totalement indifférent ? Comment pouvait-on faire pour soulager une personne qui avait de telles douleurs en elle ?

N’y tenant plus, je sentis le contact avec son âme se rompre.

Le retour à la réalité me fit l’effet d’un choc électrique. Un cri s’étrangla dans ma gorge, étouffé par ma main. Mes yeux étaient grands ouverts. Mon souffle se figea, comme un poids insoutenable, et une douleur intense me coupa la respiration. Je dus soutenir mes poumons de mes bras pour les apaiser. Une larme solitaire roula sur ma joue sans que je puisse la retenir. D’un geste rapide, je l’effaçais. Ma gorge était serrée, un nœud d’angoisse m’empêchant de faire le moindre son. Le tumulte des émotions battait encore en moi, une marée indomptable. Je fermai les yeux pour retrouver un semblant de paix.

Inspire. Expire. Inspire… Expire…

Je soufflai, essayant de me recentrer. Puis, lentement, mes yeux s’ouvrirent. L’âme d’Heidi flottait encore en moi, comme une ombre persistante. Je vis son âme bleue sur l’écran de mon Platphone, se mouvoir dans un tourbillon silencieux. Sans plus attendre, je me précipitai, réinstallant mon œil contre la fiole, et expulsai ma première âme. À l’instant où elle s’échappa, je repris mon souffle, plus léger, plus libre.

Comment qualifier cette vague d’émotions ? Comment le gérer ? Je m’étais perdu, éreinté, dans cette expérience brutale. Mon énergie était au plus bas, et un sentiment de vide me rongeait.

Les autres n’avaient pas encore terminé, à l’exception de Vilenia. Son visage était marqué par la douleur. Ses yeux noyés de larmes qu’elle n’essayait même pas de cacher. Ses sanglots résonnaient, lourds et inarticulés. Dans cet instant de fragilité, une envie étrange naquit en moi. Je voulais la prendre dans mes bras, pleurer avec elle, partager cette souffrance pour la libérer. Mais je restai là, sans un mouvement, absorbant chaque éclat de cette émotion en elle.

La voix de mon père résonna dans mon esprit, dure et sans appel : « Ne montre pas tes émotions, Mattheus. » Ces mots s’imprimèrent en moi, et je baissai la tête, retrouvant la froideur qu’il m’avait enseignée, le masque impassible.

Mirabella, elle, était toujours dans son état de concentration intense, les yeux perçants d’un éclat jaune. Le professeur, perdu dans ses recherches, ne nous prêta aucune attention. Ce silence me donna un peu de répit, un moment pour rassembler mes pensées.

Mais elles étaient bousculées, entrecroisées, dans ma tête. Comment vivre avec ces vagues de sentiments ? Comment faire face à cette houle d’émotions, la porter chaque jour sans se briser ? Comment endurer cette douleur, cette joie, ces souffrances, et toujours garder son intégrité ? Comment aider une âme dévastée sans se perdre dans les débris ?

Peu à peu, toute la classe revint parmi les vivants. Plus aucun visage ne trahissait d’émotion, seulement des apparences froides. Mirabella frottait nerveusement ses mains. Tandis que Melvin restait implacable, comme une statue d’onyx. Seule Vilenia continuait de pleurer, inconsolable.

Monsieur Rhânlam se leva alors, sifflotant doucement, et se dirigea parmi nous avec un sourire malicieux.

— Douloureux, n’est-ce pas ? Fit-il gaiement.

Aucun de nous ne répondit. Le silence était lourd, pesant.

— Le premier voyage est toujours le plus difficile, dit-il. C’est la première fois que vous ressentez des émotions aussi intenses. Dans les âmes, tout est amplifié. Et, puisque ce n’est pas dans votre nature de vivre ces sensations, cela devient encore plus complexe. Mais ne vous inquiétez pas, les prochaines fois, ce sera plus simple.

Il nous expliqua ensuite que les âmes qu’il nous confiait étaient parmi les plus difficiles, les plus brisées, répétant les paroles de ce début de cours.

— Mais ne craignez rien, nous dit-il, nous avancerons ensemble dans ce voyage. Les prochaines seront plus faciles à gérer. Je vous accompagnerai dans vos visionnages, et peu à peu, vous arriverez à supporter tous ces sentiments.

Puis, il libéra la classe. Je restai là, comme pétrifié, ne trouvant pas la force de bouger. Mirabella me saisit alors par le bras, avec une urgence silencieuse.

— Viens, murmura-t-elle, me tirant doucement.

Mon corps, comme figé dans un état de léthargie, résista un moment, mais elle me poussa encore. Melvin jeta un regard en direction de notre interaction, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.

Je me sentais vide. Comme si, en retirant son âme, j’avais également ôté la mienne. Heidi… Sa vie, son histoire… J’avais ce besoin presque viscéral de savoir ce qu’il était advenu d’elle. Avait-elle pu fuir avec Karl ? Avaient-ils trouvé la paix, le bonheur ? Était-elle parvenue à se reconstruire après tout ce qu’elle avait enduré ?

Mes pensées se bousculaient comme un tourbillon. Le flux d’émotions continuait de m’envahir, encore et encore.

Et, alors, une réflexion monta en moi. Qu’est-ce qui était préférable ? Ressentir des émotions si fortes, si exaltantes, mais aussi capable de nous briser, ou vivre dans une froideur absolue, ne rien ressentir, ne rien risquer ?

La vie n’était-elle pas faite pour ça ? Pour ressentir ? Pour se sentir vivant ?

Je n’avais jamais remis en question ma propre neutralité. C’était moi. C’était mon essence. Mais, était-ce vraiment moi ? Ou bien était-ce ce qu’ils m’avaient imposé ? Mon père, le Grand Conseil. M’avaient-ils privé de ce choix, de cette liberté de vivre, de ressentir ?

Mes pensées s’emmêlaient, se perdaient dans des questions sans fin, des doutes brûlants.

Une main se posa alors sur mon épaule, me faisant sursauter.

— Wow, ça va, mec ? demanda Célestin, sa voix détendant l’atmosphère.

Je clignai des yeux, confus. Comment avais-je bien pu arriver dans la cour ?

— O… Ouais, balbutiai-je, en retrouvant un semblant de conscience.

Je jetai un regard furtif vers Mirabella. Elle était silencieuse, le regard ailleurs, perdu dans le vide.

— Alors, comment était ton cours de Cupidon ? Demandai-je, détournant l’attention.

— Enrichissant, répondit-il. Le professeur nous a montré comment il influençait les humains. C’était étrange. Nouveau. J’ai ressenti… des choses. Et vous ?

— Nous… on a vu la vie d’une âme défiler devant nos yeux. C’était… déroutant…

— Ah ouais ? Pourquoi ?

— Parce que ça met une grosse claque dans la gueule, cette vague d’émotion… C’était douloureux.

— Oh, je vois…

Célestin posa sa main sur mon épaule, un geste empreint de bienveillance, mais ma tête était ailleurs, perdue dans des pensées tumultueuses.

— Tu ressens des trucs toi, dans la vie de tous les jours ? Lui demandais-je, la voix calme, mais teintée d’une curiosité sincère.

— Bah ouais, je suis Cupidon, j’ai le droit de ressentir des trucs. On vit toutes les palettes d’émotions, sauf... Oui, on ressent des trucs. Je crois que vous êtes les seuls à être aussi neutres. Avec La Vie, peut-être.

— Je vois.

Un sourire traversa mes lèvres. Pourquoi est-ce que je culpabilisais d’avoir aimé ressentir tout ça ? Après tout, pourquoi en faire tout un drame ? Une poussée d’adrénaline avait envahi mon corps après le cours. Maintenant, je me sentais minable, comme si toute la joie m’avait quitté d’un coup, laissant place à un vide insupportable.

Malgré la douleur des émotions qui m’avaient submergé, j’en voulais encore plus. Voir une âme, ressentir à nouveau. Depuis toujours, je m’étais senti comme une coquille vide. Désormais, c’était comme un coup de poignard. La vérité me frappait brutalement. Ma vie avait été terriblement morne jusqu’alors.

— Et toi, Mira, ça va ? demanda Célestin, l’inquiétude dans ses yeux.

Elle sursauta comme si elle venait à peine de remarquer notre présence. Son expression était floue, difficile à saisir. Lorsqu'elle planta ses yeux dans les miens, j’eus l’impression de voir une lueur dans son regard, un éclat que je n’avais jamais vu auparavant.

— Je... Oui... Faire... Partir, balbutia-t-elle en pointant vaguement la porte du hall, avant de nous planter là, sans un mot de plus.

Je l’observai partir, silencieux. Était-elle aussi bouleversée que moi, ou y avait-il autre chose derrière son départ précipité ?

Célestin scruta l’endroit où Mirabella venait de disparaître. Le silence s’épaissit, et je sentis que même lui, d’ordinaire si enjoué, semblait perdu dans ses pensées.

Pris d’un besoin de me confier, je l’entraînais à l’écart. Il fallait que je vide mon cœur. J’avais l’intuition que lui, mieux que quiconque, saurait comprendre mes dilemmes.

— Tu devrais pas t’en vouloir d’aimer ça. Moi, je trouve ça génial que tu veuilles te sentir vivant. Faut bien qu’on profite un peu avant de prendre nos fonctions !

— C’est juste que c’est pas dans ma constitution… C’est... Contre-nature… Je suis pas censé vouloir ça. On n’a pas le droit…

— T’es pas obligé de le dire.

Il me lança un clin d'œil.

— Relax, Matt. T’as pas à t’en faire. Tu crois pas qu’il y a pire dans la vie ? Quoi de plus normal que d’avoir envie de se sentir bien ? Personne n’a le droit de nous imposer ça. Merde, c’est à nous de décider ce qu’on veut, non ? Alors profite !

— Merci...

Un large sourire s’étira sur mes lèvres, un sourire sincère, car pour la première fois, je me sentais compris, sans jugement. Mais je remarquai aussi une certaine rancœur cachée chez Célestin, comme une brèche qu’il n’osait pas ouvrir. Je n’insistais pas, respectant ses secrets. S’il en avait besoin, je serais présent pour lui, autant qu’il pouvait l’être pour moi.

Avant d’arrivée ici, je n’aurais jamais parié que je serais ami avec un Cupidon. Je nous pensais diamétralement différent. Pourtant, notre amitié née de rien, était devenu tout ce que j’avais de plus cher.

Mes pensées dérivèrent alors vers Mirabella. Je me demandais ce qui la perturbait tant et pourquoi elle semblait aussi bouleversée. En réalité, j’aurais aimé en discuter avec elle aussi. Après tout, nous étions faits du même bois. Peut-être qu’elle aurait une perspective différente, quelque chose que je n'avais pas vu. Son amitié était également devenu importante.

— Est-ce que ça va aller ? me demanda Célestin, son regard rempli de sollicitude.

— Oui, je crois. J’ai juste besoin de faire le vide.

— OK. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver. Chambre 311. N’oublie pas, chambre 311 !

— Merci... Est-ce que je peux te poser une question... bizarre ?

— Vas-y, je t’écoute.

— Est-ce que tu m’aimes bien ? Demandai-je, un brin d’hésitation dans ma voix.

Célestin haussa les sourcils, visiblement surpris par la question.

— Je veux dire... je suis un être sans émotion, comme... mort à l’intérieur. Je suis probablement nul en amitié. Et toi... T’es plein de vie, toujours joyeux. T’as l’air de bien savoir t’y prendre. Alors... pourquoi moi ? Pourquoi m’avoir choisi comme ami parmi tant d’autres ?

Célestin sourit à pleine dents.

— Y’a quelque chose en toi. Je sais pas, mais je me sens à l’aise avec toi. C’est ça l’amitié, non ? Se sentir bien ensemble ?

— Probablement.

— Alors arrête de te poser des questions. T’as pas à te remettre en cause.

— Et Mira ? C’est pareil, après tout. On est deux futurs Maîtres de La Mort…

— Ouais, c’est pareil. Je vous apprécie tous les deux, et je pourrais pas t’expliquer pourquoi. Certaines choses ne se expliquent pas dans la vie. Ne t’inquiète pas, d’accord ? Et si tu veux, je peux t’apprendre à ressentir tout ça. Mais il faudra que tu m’appelles "Ô Grand Maître".

Je ris, laissant échapper cette pression qui m’oppressait depuis un moment. Mes muscles, tendus par l'angoisse, se relâchèrent enfin.

— Bon, encore une fois, tu peux venir me voir à toute heure. Je sais que ça doit pas être facile d’accepter toutes ces émotions... Alors surtout, n’hésite pas.

— Oui, Papa, ironisai-je, sentant la lourdeur s'éloigner.

Mais il y avait encore une question, une seule qui persistait dans mon esprit : Est-ce que moi aussi, je connaîtrai l’amour ? Un amour aussi fort que celui d’Heidi et Karl ? Ou tout simplement... Pourrais-je ressentir quoi que ce soit ?

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