Chapitre 6 - La Renarde
Ce sont les trois coups à ma porte qui me réveillèrent en sursaut, en ce samedi matin. Mon crâne me faisait un mal de chien, si bien que le bruit me fit l’effet d’éclats de tonnerre. Un grognement se forma dans ma gorge, en réponse à ce son incessant.
Jetant un coup d’œil à mon réveil, je remarquai qu’il affichait une heure bien trop matinale. Huit heures douze.
Comme les coups continuaient, se faisant plus pressants, je me levais avec nonchalance. Chacun de mes pas me semblait désaccordé, comme si je ne savais plus comment me tenir debout.
— J’arrive… grognais-je, les mots sortant à peine de ma bouche.
D’un geste vif, je tirai sur la poignée.
— Quoi ? lançai-je, la voix rauque trahissant mon manque de sommeil.
— T’es de bonne humeur, dis donc ! T’as oublié ?
Célestin fronça les sourcils, voyant mon expression perdue.
— Nos costumes ! On avait prévu d’aller les chercher ce matin…
— Mais la soirée commence qu’à dix-neuf heures…
Il posa ses mains sur ses hanches, prêt à me sermonner.
— Je t’ai rappelé hier que mes parents arrivaient vers dix heures. Cole et moi allons déjeuner avec eux, puis on va…
— Ouais, ouais, OK, le coupai-je en me frottant les tempes.
J’essayais tant bien que mal de me rappeler ce que j’avais fait la veille au soir. Cependant, il n’y avait rien, que le flou. Après mon cours « l’après », je n’avais que des bribes de souvenir. Comme si mon cerveau avait fondu.
Célestin attendait, les bras croisés. Sa tête bougeait d’un air de réprimande, un sourire exaspéré sur les lèvres. Même si ma motivation était proche du néant, je m’exécutai pour lui faire plaisir.
— Laisse-moi cinq minutes, je me prépare.
Sans attendre sa réponse, je claquai la porte derrière moi. J’attrapai un sweat gris et un jean, choisissant la facilité. Si bien qu’en moins de cinq minutes, j’étais prêt.
Célestin m’attendait, adossé contre le mur, toujours les bras croisés.
Nous nous mettions en route, moi, perdu dans un tourbillon de pensées. Et lui, qui consultait son Platphone, cherchant le chemin. En descendant les marches habituelles, nous croisions des enfants qui jouaient. Leurs cris exaltés me paraissaient lointains. Comme si je flottais entre deux mondes. C’était peut-être le cas.
— T’as toujours pas d’idées ?
J’eus un léger mouvement de recul, ayant, l’espace d’un instant, oublié où j’étais.
— Hein ?
— Ton costume.
Célestin me lançait un regard mi-inquiet, mi-exaspéré.
— Non, toujours pas. Je compte sur toi pour m’aider.
Nous arrivâmes devant la boutique. La façade, en brique rouge, formait un demi-cercle. Le néon jaune moutarde indiquait « Le paradis du déguisement ». Une petite clochette tinta lorsque nous poussâmes la porte. Le magasin était petit, mais débordait de costumes entassés. Le manque de lumière donnait une atmosphère presque étouffante.
J’observais les rayons, ne sachant pas par où commencer. Célestin sautillait sur place, tapotant dans ses mains.
— Et si je me déguisais en Cupidon ? Ça pourrait être drôle.
— Très original. N’oublie pas tes ailes roses à paillettes et ton arc en or.
J’eus un sourire sarcastique, tandis qu’il me fit une grimace amusée.
— C’est dans cette tenue que je compte exercer.
Un rire se coinça dans ma gorge, l’imaginant déambuler dans les rues avec ce genre de tenue.
— Dommage qu’on doive être invisible. J’imagine très bien la tête que feraient les humains en te voyant.
— Oh, on a vu pire dans le métro.
— Le métro ?
— T’as jamais pris le métro ? S’étonna-t-il.
Je haussais les épaules, secouant la tête à la négative.
— Je sais même pas ce que c’est.
Célestin haussa les sourcils.
— C’est un moyen de transport souterrain. Tu peux pas imaginer le genre de cassos qu’on y croise. Une tenue de Cupidon, ça serait sobre, à côté. Entre les ivrognes qui hurlent ou récitent des passages de la Bible, les fous qui trimballent des animaux morts… Ou les pervers, qui se frottent à toi…
— C’est vendeur, répliquai-je, le sourire aux lèvres.
— Exactement !
Célestin se tourna vers les costumes.
— Bon, on devrait s’y mettre.
Il avança dans les rayons, tirant quelques costumes avec concentration.
— Que penses-tu de… ça ?
Entre ses mains se trouvait un costume de lion, aux coutures déchirées. La crinière était faite de poils délavés.
— C’est pour libérer ton côté sauvage ? me moquais-je, avant de reprendre mon sérieux. Non, sans rire, je pense que quelqu’un est mort là-dedans.
— Tu peux sentir son âme sur le costume ? murmura Célestin en avançant le visage vers moi.
— Je sens surtout l’odeur de sueur laissée par la personne avant toi.
Célestin reposa le costume du bout des doigts, une moue dégoûtée sur le visage.
— J’ai une idée, me dit-il enjoué, et si on choisissait le costume de l’autre ?
Je réfléchis un instant, songeant à sa proposition. Comme je n’avais, de toute évidence, aucune idée pour moi-même, il serait peut-être plus simple de choisir pour lui. Il adorait tout ce qui brillait, les paillettes, le rose. Facile.
— OK, répondis-je.
Nous nous lançâmes dans cette fameuse quête. L’idée du Cupidon était tentante, mais ne me séduisait pas. Je voulais lui trouver un costume qui épouserait vraiment sa personnalité. Qui serait à son image. Quelque-chose comme…
— Un ange ! m’écriais-je, le cœur battant, comme si j’avais eu l’idée du siècle.
— Quoi ? me lança-t-il à travers le magasin.
Un silence s’ensuivit. Je farfouillais les rayons, cherchant le Graal. Au bout de plusieurs secondes, je finis par tomber sur une espèce de robe en soie blanche, fluide, dont le bas se parait de plumes pailletées. Parfait pour lui.
Dans le rayon des accessoires, je dénichai une auréole lumineuse. Et, enfin, des ailes blanches. La texture rappelait les plumes de la robe. Un ensemble qui lui irait à ravir.
Le caissier m’accueillit de son air fatigué, et me rappela que nous avions une semaine de location.
— Te retourne pas ! M’avertit Célestin dans mon dos. Attends-moi dehors !
Dehors, je pris une bouffée d’air, ressentant l’odeur de pollution dans mes narines.
— Voilà une bonne chose de faite ! S’écria Célestin en sortant à ma suite.
Il observa sa montre, et m’indiqua qu’il devait déjà me quitter.
— Tu veux que je garde nos costumes ?
— OK. Mais tu regardes pas, hein ?
— T’inquiète. On se retrouve vers dix-huit heures ?
— Vendu.
Après avoir récupéré son précieux trésor, nous nous séparâmes. Le soleil resplendissait dans le ciel, apportant la promesse d’une journée splendide. De mon côté, je pris le chemin de l’université, mes courses terminées.
En pénétrant dans le hall du campus, je croisai Mirabella accompagnée de ses parents. Lorsque son regard se posa sur moi, je perçus une lueur de panique dans ses yeux.
— Bonjour, lançai-je en les rejoignant.
La mère de Mirabella se redressa, posant une main protectrice sur l’épaule de sa fille. Ses cheveux étaient tirés en un chignon strict. Son père, qui se trouvait à quelques millimètres, était du même acabit. Mirabella me lança un sourire timide, semblant se ratatiner à leurs côtés.
— Bonjour, me lança sa mère, d’une voix grave.
— Je vous présente Mattheus, un ami.
— Ami ? répéta sa mère, lui lançant un regard plein de sous-entendus.
Leurs yeux me scrutèrent. Comme si j’étais un animal étrange. Je déglutis, me sentant pris au piège.
— Oui, répondit Mirabella.
Puis, sa mère se rapprocha de moi, m’entourant, m’observant de haut en bas. Je l’imaginais presque à soulever mes bras, pour vérifier si je n’avais pas de puces, ou un truc dans le même goût.
— Quel est le nom que t’a transmis ton Gardien, Mattheus ? demanda sa mère, la voix presque accusatrice.
— Occis.
Un frisson parcourut la mère de Mirabella. Son visage pâlit. Elle se redressa et remit son pull en place. Comme si elle était soudainement mal à l’aise.
— Le fils de Maurelius ? Oh, Grand Conseil…
— Oui, répondis-je déstabilisé.
— Enchanté, Mattheus, fils de Maurelius.
Le père de Mirabella s’avança d’un pas déterminé vers moi, me tendant sa main. Avec hésitation, je finis par l’attraper, voulant en finir au plus vite.
— C’est un honneur de rencontrer le fils du grand Maurelius.
— Quel homme ! Quelle splendeur ! S’écria sa mère.
Un son confus s’échappa de ma gorge, sans que je puisse le contrôler. Je jetais un regard vers Mirabella, qui haussa les épaules, aussi perdue que moi. C’était la première fois que j’entendais autant d’éloge sur mon père.
— Alors, Mattheus, dis-moi. Qu’est-ce que ça fait de vivre avec une légende telle que lui ? Me demanda le père de Mirabella.
— Papa… grommela cette dernière, également mal à l’aise.
— Eh bien quoi ? N’ai-je pas le droit de m’intéresser à ton ami ?
Avec énergie, son père se tourna une nouvelle fois vers moi, les yeux aussi ouverts qu’un homme en plein délire.
— Que dit-on déjà ? Les légendes voyagent toujours par trois. N’est-ce pas, Mattheus ?
— Quoi ?
Après réflexion, il me semblait avoir déjà entendu cette phrase quelque-part. Mais avec le brouillard dans lequel j’étais depuis hier, je n’arrivais pas à remettre le doigt dessus.
— Eh bien, il a sauvé le Grand Conseil ! me lança le père de Mirabella, comme si c’était l’évidence même. En 2086, quand tout a changé, il a su apporter son soutien infaillible, remettant l’ordre que tout le monde attendait. Déjà avant ça, il avait tant fait pour le Grand Conseil.
Il balaya l’air avec sa main, comme pour chasser une mouche.
— Enfin, je ne veux pas t’embêter avec ces histoires ennuyantes. Tu sais qu’il attendait depuis longtemps de pouvoir former sa relève.
Son regard pétillait d’un amour paternel. J’eus un léger mouvement de recul. Ces révélations étaient surprenantes. Mon père, sauver le Grand Conseil ? Cette idée était absurde. Celui qui n’avait cessé de les critiquer, toute mon enfance ? Impossible. Vraiment ? J’étais perdu.
La bouche de Mirabella était ouverte, tandis que son regard se perdait dans le vide. Avait-elle aussi envie de se tirer une balle, ou ce n’était que moi ?
— Bon, on va malheureusement devoir vous laisser, annonça la mère de Mirabella, mettant fin à notre supplice. Le service reprend dans… — elle observa sa montre — vingt minutes.
Elle se tourna vers moi, un sourire fou aux lèvres. C’était un truc de Maître de La Mort, de ne pas savoir sourire, visiblement.
— C’était un honneur de te rencontrer, Mattheus. Passe le bonjour à ton père. Dis-lui que… Les clefs sont dans le tiroir.
Je fronçais les sourcils.
— Hum… Oui, d’accord, je lui transmettrai le message.
Je hochais mécaniquement la tête.
Le père de Mirabella s’approcha une nouvelle fois de moi, m’attrapant la main avec énergie. Sa mère, quant à elle, m’attira contre elle, me serrant dans ses bras. Je gardais les mains en l’air, paralysé. En jetant un coup d’œil vers Mirabella, j’aperçus ses traits déformés par la surprise.
Puis, sans même saluer leur fille, ils s’évaporèrent dans un nuage de fumée sombre.
— C’était quoi, ça ? lançais-je à Mirabella, encore sous le choc.
— J’en ai aucune foutue idée…
Son regard se perdit à l’endroit d’où avaient disparu ses parents. Puis, elle secoua la tête.
— Ils sont toujours comme ça ? lui demandais-je.
— Non… Je les ai jamais vus aussi… Enthousiastes.
Nous étions côte à côte, le regard rivé au même endroit.
— Trop bizarre… lâcha Mirabella d’une voix cassée.
Ses yeux descendirent le long de mon bras, et elle me demanda ce que je tenais dans les mains. Je lui racontais rapidement ma matinée avec Célestin. Puisqu’elle me demandait l’adresse, je la lui envoyais avec mon Platphone.
— Tu vas prendre quoi ? lui demandais-je.
Elle haussait les épaules, le regard perdu dans le vide. Ses yeux fixaient un point imaginaire, comme coincé dans un autre monde.
— Tu veux que je t’accompagne ?
— C’est gentil, mais non. J’ai besoin d’être seule avant la soirée.
— Je comprends.
Mon regard se planta dans le sien, essayant de décrypter ses pensées. J’avais envie de lui demander ce qu’elle avait pensé de notre cours de la veille. Mais, elle semblait troublée. Alors, je n’osais pas la brusquer.
Un soupir s’échappa d’entre ses lèvres. Mon instinct m'incitait à la rassurer. Seulement, j'ignorais comment faire. Mon père ne m’avait jamais appris. Que devions-nous faire, dans ce genre de situation ?
D’un geste timide, je posais une main sur son épaule. Ses yeux glissèrent le long de mon bras, puis elle posa son regard océan dans le mien.
— Quand ils sont là, me confia-t-elle, j’ai l’impression qu’ils me privent de mon identité. J’ai l’impression que je dois être parfaite, un vrai modèle pour le Grand Conseil. J… J’étouffe, je te jure, j’ai cette sensation que mes poumons sont privés d’air. C’est comme… Je sais pas… Comme si je ne devais pas être moi.
— Ça a toujours été comme ça ?
— Plus ou moins.
Elle poussa un nouveau soupir. Puis, elle observa son Platphone.
— Je devrais y aller.
Je hochais la tête.
— Si tu as besoin de parler, je suis là.
— Je sais.
Elle marqua une petite pause avant de reprendre :
— Désolée, je dois te paraître froide.
— Pas plus que d’habitude.
— Non mais je veux dire… J’ai pas les idées claires.
Avec délicatesse, je serrais ma main sur son épaule, avant de relâcher mon bras.
— Je comprends.
Elle se mordilla la lèvre, hésitante.
— Non, tu comprends pas… Pendant des années, ils m’ont fait sentir que j’étais une moins que rien, une erreur. J’ai toujours eu l’impression qu’ils étaient déçus de moi. Que j’étais rien d’autre qu’une merde. Comme si je les décevais tellement que je méritais pas d’avoir ma vie… Et les voir avec toi, là…
Sa voix se brisa. Elle ferma les yeux, se pinçant le nez, comme pour contenir un flot de larmes. Ne sachant pas comment me comporter, à nouveau, je restais immobile, à l’observer.
— Je les déteste, conclut-elle, la voix presque sanglotante.
Cette fois, je m’avançai vers elle et la pris dans mes bras. D’abord, elle se tendit, rigide, comme si elle craignait de se laisser aller. Puis, je sentis ses muscles se détendre, elle me rendit mon étreinte. Comme nous faisions à peu près la même taille, elle posa sa tête contre mon épaule.
C’était étrange, de tenir quelqu'un dans ses bras de cette manière. Il y avait quelque chose de réconfortant, de chaleureux. Un partage, deux âmes qui s’emmêlent.
— Si seulement je pouvais comprendre… murmura-t-elle.
Elle se racla la gorge avant de se défaire lentement de mon étreinte. Ses yeux se posèrent sur les miens.
— Merci, Matt.
— C’est normal. Tu es mon amie.
Un sourire se dessinait sur ses lèvres, plus grand, cette fois-ci. Après avoir pris une grande inspiration et m’avoir salué, elle partit en direction du centre.
Je la regardai s’éloigner, sa démarche fluide, presque dansante, comme si chaque pas était une chorégraphie qui lui était propre. Son parfum flottait derrière elle, enveloppant tout sur son passage, capturant l’air dans une empreinte envoûtante. À la regarder ainsi, personne n’aurait deviné qu’elle était destinée à servir La Mort.
**
Mon esprit était encore tracassé. Mes nouvelles émotions semblaient s’ancrer en moi, se dévoilant peu à peu. Chaque fois que je fermais les yeux, je replongeais dans l’âme d’Heidi. Mon corps paraissait se souvenir de toutes les sensations qu’il avait connues en partageant son histoire. Le visage doux de Karl me hantait, comme la promesse d’un amour passionné.
Si je tendais l’oreille, je pouvais être quasiment certain d’entendre les fioles m’appeler, comme une drogue qui avait pris position en moi. Cela me fit penser à mon père, et à une discussion étrange que nous avions eue un jour.
— Je peux entrer ? avait demandé la voix grave de mon père à travers la porte.
— Oui.
Je m'étais redressé sur mon lit, me préparant à accueillir ce qui allait suivre. Mon père s’installa à côté de moi, l’air sérieux, comme s'il portait une lourde mission.
— Qu’est-ce qui se passe ? T’as l’air préoccupé…
Il soupira profondément.
— J’ai entendu dire que tout parent digne de ce nom doit passer par cette étape avec son enfant, alors…
— Mais Papa, tu n’es pas un père no...
— On va parler de sexe, alcool et drogue.
— Rmal…
Ma bouche s’était ouverte en grand, prête à accueillir toutes les mouches du quartier.
— Qu… Quoi ? Mais Papa, j’ai que treize ans…
— Oui, eh bien, tu es assez grand maintenant. Ça va être rapide, ne t’en fais pas. À vrai dire, tu as le droit de faire ce que tu veux concernant tous ces sujets. Tu es libre.
J’avais cligné des yeux.
— L’alcool et la drogue n’ont aucun effet sur nous. C’est comme si tu avalais de l’air. Ton corps ne l’absorbe pas, n’en tient pas compte. Tu ne pourras jamais être bourré ou bien faire une overdose.
— Oh.
— Nous ressemblons à des humains, mais notre corps est tout sauf humain. Notre système ne fonctionne pas de la même manière, et ne vieillit pas. En ce qui concerne le sexe… Pendant mes études, j’ai moi-même profité des plaisirs de la chair et je…
Sans accorder la moindre attention à ses mots, je plaquais mes mains sur mes oreilles, cherchant à fuir les confidences gênantes de mon père. Ce dernier enleva une de mes mains et poursuivit.
— Je ne t’interdis rien à ce sujet. Tu n’as pas besoin de te protéger : nous ne tombons pas malades, et par conséquent, nous ne pouvons pas transmettre de maladies. Quant à la fécondation, tu n’as pas ce pouvoir. Le Grand Conseil choisit ses élus. Mais si tu veux mon avis, je te conseille de t’abstenir de t’attacher aux humains.
Est-ce que c'était ainsi que les humains menaient leurs discussions ? Je n'en savais rien, mais je ne pouvais m'empêcher de nourrir une curiosité à ce propos.
Un souffle nostalgique m'envahit alors que je repensais à cette conversation. C’était étrange, mais je me rendais compte à quel point je connaissais si peu de choses sur lui. Il m’avait toujours été distant, mystérieux. Et pourtant, quelque part, j’aurais aimé en apprendre davantage. Sans doute était-ce l’intensité de mes émotions nouvelles qui nourrissait cette réflexion.
Un toc rapide me tira brusquement de mes pensées.
— Salut Cyl, lançai-je en ouvrant la porte.
— Comment t’as su ?
— Y’a pas dix mille personnes qui se pressent devant ma porte chaque jour. Et puis, ta manière de toquer, c’est comme si tu étais pressé.
Célestin fit une grimace amusée.
— Tiens, dis-je en lui tendant son sac qu’il saisit d’un coup, comme un gamin pressé d’ouvrir son cadeau.
Je ne pus m’empêcher de rire en le voyant s'emparer du sac. Je l’imitai et en sortis un costume noir, orné de plumes d’un bleu profond. Au fond du sac, un masque noir, lui aussi décoré de plumes.
— Tu pensais que j'allais oublier ton masque ?
Je restai bouche bée. Le costume représentait un corbeau. Jadis, les corbeaux guidaient nos pas dans la quête des âmes perdues. Leurs services étaient moins demandés à présent, mais certains Maîtres de La Mort, ainsi que le Grand Conseil, en faisaient parfois usage pour espionner les Altruistes.
— Oh, c’est génial !
Célestin, tout sourire, enfila son costume avec enthousiasme, me remerciant au passage. Nous étions ravis. Une fois prêts, nous nous examinâmes en silence, hochant la tête en signe d’approbation.
Puis, nous descendîmes rejoindre la fête.
La salle se trouvait près de l’accueil, du côté humain. L’éclat des projecteurs inondait l’espace, soulignant les traces laissées par les canapés déplacés. Des ballons qui flottaient en l’air. Les couleurs jaunes, blanches et bleues se mêlaient en un tourbillon de joie. Des guirlandes scintillantes ornaient les poteaux. Au fond, un groupe accordait ses instruments, préparant la mélodie de la soirée.
À droite, derrière le bar, Brendelia servait les invités. Elle était vêtue d’une somptueuse robe rose, ses cheveux tirés en une queue de cheval parfaite. Ses yeux brillaient sous un maquillage pailleté.
Un panneau indiquait : Buvette gratuite.
— On commence par un verre ? lança Célestin.
Je me contentais de hocher la tête en guise de réponse. À proximité, Melvin discutait activement avec une inconnue vêtue d’un costume de fée.
— Salut, lançai-je en m’approchant d’eux.
— Euh, ouais, salut, répondit-il, sur un ton un peu snob.
Le regard de Melvin s'attarda brièvement sur moi avant de se tourner à nouveau vers la fée. Je me glissai entre eux, et la fille, visiblement contrariée, tourna les talons. Melvin pencha la tête sur le côté, faisant une grimace, puis se tourna vers moi. Un instant de silence passa, puis son visage se détendit.
— Super ton costume ! Je t’avais pas reconnu, mon pote.
Il me tapa dans la main avec un sourire en coin.
— T’es censé être quoi, toi ? lui demandais-je.
Melvin portait un chapeau melon… et c’était tout.
— L’homme invisible.
— Ah… J’aurais jamais deviné…
Il me tendit une bière pendant que Célestin attendait son martini. L’alcool était permis, ce qui n'était pas réellement surprenant puisque c’était une école pour riches.
Au loin, une silhouette familière se frayait un chemin parmi la foule. C’était Mirabella, son costume de cuir noir attirant tous les regards. Des oreilles de chat sur la tête, un fouet en main, elle s’approchait de nous, un sourire carnassier aux lèvres.
— T’es déguisée en capote ? plaisantais-je.
— C’est pas une capote ! Je suis Catwoman.
— Cat quoi ?
— C’est une héroïne.
— Oh.
— Je suis un chat sexy. Miaou.
Elle secoua son fouet dans un geste théâtral. Le costume mettait en valeur sa silhouette : taille fine, hanches généreuses, un décolleté plongeant qui ne laissait personne indifférent. C'était, en effet, assez sexy.
— Et le fouet, c’est pour quoi ? demanda Célestin, intrigué.
— Pour attirer ma future proie.
— Plutôt pour la punir, ricana-t-il, son verre de martini en main. Si tu voulais vraiment l’attraper, un lasso aurait été plus approprié !
— Il y avait bien un déguisement avec un lasso, mais il était moche.
Melvin fixa Mirabella, levant les yeux au ciel.
— Bella a décidé d’être vulgaire, ce soir, commenta-t-il avec un sourire moqueur.
— Qui t’a demandé ton avis ? Et je t’ai déjà dit de pas m’appeler Bella !
— Hum. Amuse-toi bien à chasser des humains, hypocrite, répondit-il, un sourire en coin, avant de nous laisser, bousculant légèrement Mirabella au passage.
— Je vais finir par le tuer avant la fin de l’année, ce type, grogna-t-elle dans un soupir de frustration.
— Vos costumes sont au top ! S’écria Vilenia en venant vers nous, nous adressant un grand sourire.
Elle portait un chapeau de paille et une salopette, une tenue simple, mais pleine de charme. Célestin et elle se firent une rapide accolade.
— Et toi, tu es censé être... ?
— Une paysanne !
Célestin étouffa un rire amusé.
— C’est réussi, en tout cas.
Vilenia lui tapota l’épaule, avant de jeter un coup d'œil autour d'elle. La musique commença. Les convives se précipitaient sur la piste de danse, se déhanchant au rythme des premières notes.
— Vous avez vu Melvin ? Je devais lui parler de… de quelque chose, fit-elle en scrutant la foule.
— Essaie le vide-ordure, je suis sûre qu’il se trouve pas loin, noyé dans les déchets, répliqua Mirabella, accentuant sa parole de gestes, un sourire sournois aux lèvres.
Vilenia haussait les sourcils, surprise.
— Elle rigole, expliqua Célestin, jouant les médiateurs. Il est parti vers l’accueil, mais on sait pas où il est allé après.
— Merci. Je vais aller le chercher. Je reviens tout de suite.
— On danse ? proposa Célestin, commençant à se déhancher.
— Avec plaisir, répondit Mirabella, saisissant sa main avec enthousiasme.
— Matt ?
— Sans façon.
— Allez, viens, t’as pas le choix.
Sans crier gare, Célestin me saisit par la main et m’entraîna dans la danse. Mirabella, tout en grâce, se mit à se déhancher, suivie de Célestin qui semblait parfaitement à l’aise, son corps en parfaite harmonie avec la musique. Pour eux, c’était naturel, évident. Moi, je me sentais comme un poisson hors de l’eau. Mais j’essayai tout de même de me fondre dans la foule, en dansant timidement. Ce n’était clairement pas mon truc. Je fis quelques pas maladroits, trébuchai sur un lacet, et manquai de me retrouver à terre.
— Eh, doucement ! S'écria une voix.
— Encore un qui est bourré, s’écria un autre.
L’ambiance était détendue. Les gens s’amusaient, riaient, tandis que la chaleur de la fête s’intensifiait. Du coin de l'œil, je remarquai que Mirabella avait choisi un partenaire de danse. Un homme brun, barbu. Célestin, quant à lui, se trouvait au centre d’un groupe, papotant gaiement tout en dansant. Il semblait captiver son public, hypnotisant son entourage. Plusieurs yeux étaient braqués sur lui, pétillants d’amour.
Exaspéré, je cherchai une banquette libre et m’y installai, cherchant un peu de répit. Je bus ma bière d’un trait, avant de sortir mon badge, que je tripotai nerveusement entre mes doigts, scrutant la foule.
— Toi non plus, c’est pas ton truc, la danse ? fit une voix féminine en s'affalant à côté de moi sur le canapé.
— Non.
Je levai les yeux et vis une jeune femme, ses cheveux d’un joli blond cendré, tombant en vagues sur ses épaules. Elle portait un masque de renard. Sa bouche pulpeuse se dessina dans un sourire timide. Ses yeux bleu azur se posèrent sur les miens, remplis de curiosité.
— C’est vraiment pas mon truc, ce genre de soirée. Me mêler à la foule, danser… soupira-t-elle, semblant presque se confier.
— Moi non plus, grognai-je, n’ayant aucune envie de discuter avec une humaine.
Je détournais les yeux, cherchant mes amis dans la salle, sans succès.
— J’ai pourtant essayé, essayé, mais ça me plaît jamais. Je suis toujours mal à l’aise en dansant devant autant de monde. J’ai toujours l’impression qu’on me fixe, qu’on se moque de moi.
— T’as qu’à danser les yeux fermés, comme ça tu verras pas les regards des autres.
La renarde rit doucement.
— Pas mal comme conseil, ouais. Je devrais essayer, mais je ne suis pas sûre que ça règle mon problème principal : mon manque total de coordination.
— Si t’as besoin d’aide, ce n’est pas à moi qu’il faut demander.
Elle esquissa un sourire taquin.
— OK, je me le note : ne surtout pas demander au mec grognon comment apprendre à danser.
Je me tournai vers elle, plongeant mon regard dans le sien, avec un air de défi.
Elle va me lâcher, oui ?
Ses yeux, malicieux et pleins de bienveillance me fixaient sans relâche. Un parfum enivrant, une senteur douce de lavande, de vanille et de lys blanc, m'envahit. Une brume légère semblait s’échapper de son corps, m’enveloppant dans un halo subtil. Une espèce de vapeur, qui paraissait onduler autour de moi, comme la douceur d’une caresse. Ça éveillait ma curiosité.
Qui était donc cette fille ?
— En même temps, ça t’arrive souvent d’aborder des inconnus pour leur demander de t’apprendre à danser ? rétorquai-je.
— Tout le temps.
Elle sourit malicieusement.
— C’est mon secret pour réussir une fête : aller parler à la personne la plus déprimée de la soirée.
— Je te donne l’impression de déprimer ?
— On se croirait à des funérailles.
Je ne pus m’empêcher de sourire à cette remarque.
— Oh non ! Ne souris pas trop, sinon je vais devoir changer de cible.
— Ce serait dommage.
— Et comment il s’appelle, l’homme grognon ?
Je marquai une pause, hésitant. Je n’étais pas vraiment sûr de vouloir lui donner mon prénom. J’avais toujours préféré garder mes distances avec les humains, mais quelque chose en elle me donnait envie de sociabiliser. Finalement, je laissai échapper ce qui me vint à l’esprit.
— Maître Corbeau.
Oui, ce n’était pas original, mais il fallait bien répondre quelque chose.
— Et moi, je suis Maître Renard. Je voulais te rendre ton fromage, mais j’ai bien peur de l’avoir englouti.
— Quoi ?
— La fable. C’est pas à ça, que tu faisais référence ?
— Oh, si.
Sans même m’en rendre compte, je me remis à tripoter nerveusement mon badge, ce qui attira le regard de la Renarde.
— T’es dans l’aile des super riches, toi, c’est ça ? demanda-t-elle.
— L’aile... des super riches ? répétai-je, sans comprendre où elle voulait en venir.
— Bah ouais, l’aile gauche ? Avec les bourgos !
— Quoi ?
— Les bourges, quoi !
— Je sais pas ce qu’on t’a raconté, mais je n’ai rien à voir avec ça.
Un sourire en coin se dessina sur son visage. Je la fixais, intrigué, observant la lueur qui semblait onduler autour d’elle.
— Pourquoi tu me fixes comme ça ?
Elle écarquilla les yeux, l’air surprise.
— Oh merde ! J’ai quelque chose entre les dents, c’est ça ? Je savais que je n’aurais pas dû manger une salade avant de venir !
Elle se frotta énergiquement les dents.
— Non, t’as rien du tout ! répondis-je, gêné. Je suis juste… pas très doué pour… sociabiliser.
— Non, jure.
Elle rit.
— J’avais pas remarqué du tout.
La Renarde s’approcha de moi, me mettant mal à l’aise. Son parfum envoûtant me submergea à nouveau. La chaleur se fit plus intense autour de nous, mes sens étaient en éveil. Son essence couvrait toutes les autres odeurs autour de moi.
Elle se pencha légèrement en avant.
— Ça te dirait qu’on bouge de là ?
— Tu veux aller où ?
— Tu me fais confiance ?
Je la scrutai, méfiant et curieux à la fois. Elle se pencha encore un peu plus. Un collier en forme de lune en or blanc se dévoila, brillant sous les projecteurs. Lorsqu’elle releva la tête, sa bouche était entrouverte, ses lèvres esquissant un léger sourire.
Je la regardai dans les yeux, un sentiment étrange me traversa. De quoi pourrais-je avoir peur avec une humaine ? Finalement, je hochai la tête.
Elle me saisit fermement par la main. Mon badge reposait toujours dans l'autre main. Je le glissais aussitôt dans ma poche. Tandis que la musique se fanait derrière nous, nous nous engouffrions dans les couloirs. La Renarde, telle une guide, me tirait à sa suite dans l'aile gauche. L’atmosphère était étrange. Je me demandais si elle avait le droit d’être ici.
Nous marchions jusqu'à ce qu'elle s'arrête devant une porte en verre trempé, l'une de celles qui ne s'ouvrent qu'avec un badge.
— Faut que je te montre quelque chose, dit-elle, une lueur dans les yeux.
— Tu es venue là pour me tuer ? lançai-je, un sourire moqueur aux lèvres.
Elle rit, faussement coupable :
— Mince, t’as deviné mon plan diabolique.
Elle fouilla ses poches, ses gestes devenant soudainement plus nerveux.
— Merde… j’ai oublié mon badge.
— J’ai le mien, répliquai-je sans hésiter.
Elle mordilla sa lèvre, un air espiègle flottant dans ses yeux.
— Ça te gêne pas de l’utiliser ?
Sans un mot, je passai le badge devant le lecteur. Un bip sonore résonna. La porte glissa lentement, nous permettant d'entrer dans une… réserve de livres ?
Elle se précipita à l’intérieur, indifférente à mon hésitation. Je restai là, un frisson d'interdit parcourant ma nuque. Mon badge avait été scanné, montrant au Grand Conseil que je pénétrais dans cette pièce… Quoi qu’elle cache.
— Tu voulais me montrer quoi ? demandai-je en observant ses mouvements agités, attrapant des livres qu'elle feuilletait avec frénésie.
— Je te dirai quand j’aurai trouvé, répondit-elle distraitement.
Les minutes s'étiraient, et mon impatience grandissait. Je la pris par le bras pour stopper sa recherche incessante.
— Tu te foutrais pas un peu de ma gueule ?
Elle me fixa, un éclat de surprise dans son regard. Puis, d'un mouvement souple, elle s'approcha de moi, son corps effleurant le mien alors qu'elle s'emparait doucement de ma nuque. Son souffle chaud effleura ma peau. Que faisait-elle ?
— Tu t’impatientes ? murmura-t-elle, sa voix basse et suave, une promesse implicite flottant dans l’air.
Un frisson glacé m’envahit. Qu’est-ce qui lui prenait ? Son parfum emplissait la pièce, pénétrant mes narines. Je secouais la tête pour replacer mes idées. Je la repoussai brusquement, réalisant ce qu'elle tentait de me faire croire.
— Me prends pas pour un idiot. T’es pas venue ici pour ça.
Elle m’observa d’un air séducteur et se trémoussa. Je restais impassible et croisais les bras. Croyait-elle réellement que j’étais aussi stupide pour succomber à une telle mascarade ? Les yeux de la Renarde finirent par rouler et se levèrent vers le ciel.
— OK, t’as raison, je t’ai menti.
— Pourquoi tu voulais venir ici ? demandai-je, n'ayant toujours pas l'intention de céder à son jeu.
— Eh bien...
Elle se pinça la joue et lâcha un soupir, comme si le poids de ses mots avait du mal à s’échapper.
— Ma mère est morte.
— Quand ?
— Y'a douze ans. Et je pense que tout ça... C’est lié à cette école. À cette aile secrète.
— Comment ça ?
Elle baissa les yeux, sa voix tremblant légèrement.
— Elle travaillait ici, dans l’aile gauche. C'était une des professeures. C’est là qu’elle a rencontré mon père, qui, lui, travaillait dans l’aile des bourgos.
— Faut vraiment que tu arrêtes de nous appeler comme ça.
— T’as vraiment l’impression que c’est le cœur du sujet ?
Je secouai la tête.
— Excuse-moi, je t’écoute.
— Mon père a toujours fait un mystère de cette école. Il n’a jamais rien voulu me dire. Mais dans mon fort intérieur, je sais que j’ai raison. Me demande pas pourquoi. Je le sais, c’est tout. J’ai passé ma vie à travailler pour venir ici, et percer le mystère de sa mort. J’ai envie de comprendre. Le problème, c'est que mon fichu badge ne fonctionne pas de votre côté.
Elle sortit son badge de sa poche. Je levais les sourcils, surpris. Elle s’était jouée de moi depuis le début, et je n’avais rien vu venir. J’étais partagé entre la colère et l’admiration.
— Je sais que dans ton aile, il y a une pièce avec des archives… Je pensais que c’était celle-ci. C'est une pièce pleine de couleurs, de tiroirs. Ça peut paraître fou, mais… j’ai l’impression qu’on m’a effacé la mémoire.
— Effacé ta mémoire ? répondis-je, un sourcil arqué.
Non, c'était impossible. Seuls les Empathes étaient capables de manipuler les souvenirs. Leur don leur permettait justement d’effacer ce que les humains pouvaient entrevoir de notre monde. Ça leur permettait également d’alléger leur souffrance. Comme des tisseurs, ils leur construisaient des souvenirs plus doux. Seulement, les Empathes n’avaient pas le droit de supprimer ou d’ajouter des souvenirs sans l’accord du Grand Conseil.
— Tu te drogues ? demandai-je, feignant l’inquiétude.
La Renarde eut un mouvement de recul et fronça les sourcils.
— Tu me prends pas au sérieux… Je vois.
Elle passa devant moi pour quitter la pièce. Au dernier moment, je la retins par le bras.
— Attends, excuse-moi… C’est juste que ton histoire est un peu… Loufoque.
Ses yeux se posèrent sur la main qui lui tenait le bras. Je la relâchais.
— Je sais. Mais je suis pas folle mec. Y’avait des fioles avec des trucs dedans.
Dans un effort le plus total, j’essayais de ne pas réagir et de garder mon éternelle expression neutre.
La pièce dont elle parlait était “L’Âmularium”. C’est là qu’étaient stockées les âmes. Ce qu’elle cherchait sans le savoir était sûrement l’Âme de sa mère. Si elle avait ces informations, c'est qu’on avait forcément voulu lui faire oublier qu’elle était là, quelque part. Mais quand bien même elle réussissait à entrer dans l’Âmularium, elle ne pourrait jamais visionner l’Âme de sa mère. Et le destin avait voulu qu’elle demandât de l’aide à une personne qui le pouvait.
La Renarde ne se rendait pas compte qu’elle pouvait se mettre en danger à raconter son histoire à n’importe quel inconnu. Ce qui pouvait l’attendre était la mort. Le Grand Conseil ne faisait pas de cadeau à toute personne mettant leur monde en danger.
— Tu devrais pas raconter ça à tout le monde.
— C’est pas ce que je fais.
— Je suis sérieux.
— Moi aussi.
Un soupir s’échappa d’entre mes lèvres. Comment laisser cette fille circuler dans l’école sachant qu’elle pouvait se mettre en danger par sa lubie ? Mais je ne dirai rien à personne. Je la protègerai. Car c’était aussi ça notre rôle, non ?
— Que dirait ton père, s’il savait ce que tu fais ? demandais-je.
— Rien, parce que personne ne lui dira. Protecteur comme il est, il débarquerait illico.
Je laissai échapper un rire.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?
— C’est “marrant”, ça me fait penser au mien.
— Il veut te protéger de quoi ?
— Bonne question, puisque je peux pas…
— Peux pas quoi ?
— Je peux pas faire de connerie, je suis trop sérieux. Sauf quand une jeune demoiselle vient prendre mon badge et indiquer à toute l’école que je suis entré dans cette salle à…
Je jetais un coup d’œil à mon Platphone.
— 21 heures 35. Ce n’est pas du tout suspect.
La Renarde se mordilla la joue.
— Je suis désolée.
Elle me fit un grand sourire.
— Sinon, moi c’est Alice.
Je plongeais mes yeux dans les siens, réfléchissant à ce que je devais faire. Je remettais en question mon anonymat. Quelque chose en elle m’intriguait, je n’arrivais pas à comprendre quoi.
— Mattheus.
— On devrait retourner à la fête.
— Je suis d’accord.
C’est en silence qu’on regagnait la fête qui avait continué sans nous.
— Au fait, pour mon… affaire, tu gardes ça pour toi, OK ?
— À qui veux-tu que j’en parle, au juste ? répliquais-je.
— J’sais pas. Et si jamais tu trouves la pièce dont je te parle… Enfin si tu veux m’aider…
— Je peux pas Alice. C’est pas de mon ressort. Je peux pas me mettre en danger. Tu comprends, mon père…
La tristesse se lisait dans ses yeux.
— Oui, pas de problème, je comprends. J’peux te donner mon numéro, au cas où ?
Je sortis mon Platphone sans réfléchir et Alice posa le sien sur le dos de mon appareil. Une vibration annonça que les coordonnées étaient partagées.
— Matt, t’étais où ? lança la voix de Célestin.
Alice me fit un sourire timide avant de disparaître dans la foule. Je la suivis du regard, mais la perdis rapidement.
— Nulle part.
Mirabella dansait au milieu de la piste, embrassant le barbu que j’avais aperçu plus tôt dans la soirée. Au bout de quelques minutes, elle vint nous rejoindre. Elle n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que son regard se bloqua dans la foule. Célestin et moi suivîmes son regard, et tombâmes sur Vilenia et Melvin.
— Dispute de couple, vous pensez ? lâcha-t-elle, amère.
La discussion semblait animée entre les deux Maîtres de La Mort. La musique était si forte qu’on ne pouvait pas suivre ce qu’ils se disaient. Un voile d’inquiétude passa dans les yeux de Melvin, mais ça ne dura que quelques secondes. Assez longtemps pour que je le remarque. Mirabella et Célestin ne parurent pas l’avoir remarqué.
— Vous croyez qu’elle va le baffer ? Rigola Mirabella.
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