Chapitre 7 - Soirée en ville
Quand j’arrivai dans la cour, je repérai Célestin et son frère Cole, en pleine discussion animée dans un coin.
—… t’ai déjà dit non ! tonna Célestin, visiblement agacé.
— Qu’est-ce que tu peux être coincé du… Oh, salut Matt ! Répondit Cole en m’adressant un grand sourire.
Célestin semblait bouder. Bras croisés, air fermé… Il n’était pas d’humeur à plaisanter.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demandais-je, curieux.
— C’est bientôt l’anniversaire de Monsieur le Prince — Cole accompagna ses mots d’une révérence exagérée — et il refuse que je lui paie un gigolo.
J’avalai de travers et toussai bruyamment.
— Pardon ?! M’étranglais-je.
— Ah, tu vois, dit Célestin en agitant les bras, excédé.
Cole leva les yeux au ciel. Nous n’eûmes pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que Mirabella arriva à notre hauteur. Tandis qu’elle discutait avec Cole, je l’observais en silence, soucieux de son état.
Comme moi, depuis notre cours « l’après », elle semblait être dans un autre monde. Même si elle avait eu l’occasion de décompresser pendant notre soirée déguisée, j’avais peur qu’elle soit toujours attristée par l’attitude froide de ses parents. Célestin lui fit une blague et elle rit de bon cœur. D’extérieur, elle paraissait heureuse. Mais je savais que, parfois, notre cœur se cachait derrière des faux-semblants.
Vilenia nous rejoint, accompagné de Melvin et de Timéo. Notre petit groupe discutait tranquillement, reparlant des cours que nous avions eus depuis le début de l’année. Hier, on nous avait annoncé qu’un cours particulier, « Le Grand Conseil et vous », serait dispensé une heure par semaine par Madame Brindillovan. Selon moi, ce serait comme un retour chez mon père, assommé par des phrases toutes faites des bonnes pratiques à adopter.
Alors que Timéo nous expliquait sa théorie du complot numéro trois, je sentis mon Platphone vibrer dans ma poche. Alice. Nous avions échangé pendant le weekend et durant la semaine, même si nos discussions tournaient essentiellement autour de sa mère. Bien qu’elle m’eût bernée une fois, je savais qu’elle tentait d’obtenir des informations, par ses questions détournées. Au fond de moi, je sentais une envie de l’aider, due à mes émotions qui émergeaient. Seulement, même si j’accédais à sa requête, il n’y a rien que je pourrais lui révéler.
Notre groupe se dirigea vers notre cours du jour : Histoire de la vie. C’était la première fois que nous découvrions ce professeur. En résumé, nous n’avions que peu d’intervenants, mais ça ne me dérangeait pas spécialement.
Quand nous arrivions, la salle était encore vide. J’en profitais pour demander à Mirabella si elle avait eu des nouvelles de sa « proie ». L’humain avec qui elle avait batifolé à la soirée. Elle secoua la tête pour me dire non. Tout en échangeant à ce sujet, je surprenais Melvin nous observer en plissant les yeux, avant qu’il ne détourne le regard.
Derrière lui, je remarquais une autre paire d’yeux vissée sur moi. Un garçon avec des yeux ambré, que je n’avais jamais remarqué auparavant. Était-il nouveau ? Ses lèvres s’esquissaient en un sourire étrange. De ceux qui paraissaient mystiques.
Notre échange de regard s’interrompit quand le professeur entra dans la salle en nous saluant d’une voix pressée. En l’observant plus attentivement, je constatais qu’il n’était pas normal. Sa tête était penchée de côté, comme s’il n’arrivait pas à la maintenir droite. Il était de taille moyenne, sec comme un fil. Dans un geste brusque, il vida le contenu de son sac sur la table.
— Putain de bordel de… grogna-t-il, agacé, avant de fouiller frénétiquement dans sa besace.
Ses mains tremblaient. On aurait dit qu'il n’arrivait plus à maîtriser les lois de la gravité. Finalement, après quelques efforts supplémentaires, il trouva une craie pour écrire sur le tableau. Mais, quand il se retourna, il constata qu’il s’agissait d’un tableau tactile. Ce qui valut plusieurs jurons supplémentaires.
Il se tourna vers nous, nous faisant face pour la première fois. Ses yeux étaient jaunes, serpentin. Son visage ne ressemblait pas à un humain, comme si la nature elle-même avait pris forme en lui, par de multiples éclats d’écorce sur les joues.
— Ne vous fiez pas à mon apparence. Je reviens d’entre les morts. C’est une longue histoire, dit-il sur un ton rauque et granuleux. Je suis votre professeur d’histoire de la vie, comme vous l’aurez sûrement deviné. Monsieur Dutronc.
Il commença alors le cours, nous expliquant l’histoire des Altruistes. Les premiers de notre genre à être arrivés sur cette planète étaient les Naturels, durant l’ère paléozoïque, au même titre que les reptiles. Ainsi, les Naturels furent ceux qui fondèrent le Grand Conseil de l’époque.
Lorsqu’il évoquait l’arrivée des humains, il proféra des insultes à leur encontre, leur vouant une haine évidente.
Ce cours se centra sur les Naturels et leur histoire. Ces êtres, qui cultivaient la nature, se débattaient avec l’évolution humaine et la surpopulation. Avant, ils parvenaient plus facilement à purifier l’air, l’eau. À aider les animaux à se reproduire. À régir le climat. Les humains avaient gravement compromis ce métier. Surtout lorsqu’on savait que, quand l’un de nos territoires « mourrait » nous mourrions avec lui.
Nous, Maître de La Mort, étions en voie de disparition. Mais, je constatais que nous n’étions pas les seuls.
Quand le cours se termina, je rejoignis notre groupe dans le couloir.
— Franchement, les humains sont un fléau pour la planète ! S’exclama Mirabella.
— Tu parles comme Monsieur Dutronc, répondit Vilenia en riant.
— Parce qu’il a raison, insista Mirabella.
Nous débattions du cours entre nous quand des bruits métalliques troublèrent l’ambiance. Ces pas se firent de plus en plus proches. Lorsque je me retournai, j’aperçus Madame Brindillovan accompagnée de deux R.D.Â. à ses côtés. Quand elle m’aperçut, elle se planta devant moi, statique. Ses lèvres formaient une ligne horizontale.
— Mattheus, je te laisse me suivre, me dit-elle d’un ton autoritaire.
Tous mes amis se tournèrent vers moi comme un seul homme, les yeux écarquillés. Sans vraiment savoir pourquoi, je me sentis pâlir de peur. Qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour mériter une telle escorte ?
Sans leur dire un mot, je me mis en marche, essayant de rester comme à mon habitude, du plus neutre possible. Mes émotions naissantes brûlaient dans le creux de mon thorax, prêtes à se répandre comme un poison insidieux. Ce n’était définitivement pas le moment. Dans un réflexe de protection, je serrais les dents, comme si cela créait un bouclier.
Le trajet dans les couloirs fut interminable. Tout ce que je voulais faire, était m’enfuir et me cacher sous une roche, comme un cloporte. Au lieu de quoi, mes jambes continuaient de supporter le poids de l’attente, à même titre que moi.
Une fois arrivée devant son bureau, elle me désigna une petite chaise en métal, si légère que j’eus l’impression que j’allais la casser en y prenant place. Sous mon poids, elle grinça, comme un avertissement discret. La R.D.Â. était restée à l’extérieur, me laissant seul avec Madame Brindillovan.
D'une lenteur contrôlée, elle prit place à son bureau, croisant les doigts. Son regard s’insinua en moi, comme un vent agité. De mon côté, je me tenais droit, contrôlant ma respiration pour être conforme aux attentes du Grand Conseil concernant la discipline. Mon père m’avait bien formaté, si bien qu’elle finit par plaquer son dos contre sa chaise.
— Peux-tu m’expliquer pourquoi ton badge a été scanné dans notre dépôt il y a cinq jours ? Demanda-t-elle d’un ton dur.
Bien sûr. Le badge. Je me mettais une claque mentale, ayant suivi les directives d’Alice sans me poser de questions. Comment avais-je pu être aussi bête ?
— Eh bien…
Ma phrase resta en suspens, ignorant quelle excuse trouver pour ne pas me mettre en danger, ou pire, mettre Alice en danger.
Madame Brindillovan se leva, posant ses deux mains à plat sur le bureau.
— Non seulement, tu as pénétré dans un lieu normalement réservé au personnel. Mais en plus de ça, tu y es entré avec une humaine.
Madame Brindillovan attrapa un dossier sur une pile de documents à sa droite et en ouvrit un. Ses yeux suivaient une ligne. Elle hochait la tête, l’air concentré, avant de reporter son attention sur moi.
— Alice Valmorin, née le quatre mai trois mille soixante-quatre à Vantaris. Là-dedans — elle secoua le dossier — j’ai toutes les informations la concernant. Avons-nous besoin de l’éliminer, Mattheus ? Je te le répète, qu’est-ce que vous faisiez là-bas ?
— Nous cherchions un endroit calme pour… Pour batifoler, répondis-je avec une voix sûre et distincte. Alice et moi voulions trouver un endroit isolé pour… Enfin, vous avez compris.
D’un geste sec, elle posa son dossier sur son bureau. Ses yeux pénétrèrent une nouvelle fois en moi, comme si elle essayait de trouver un mensonge caché dans mon âme.
— Sais-tu qu’il est strictement interdit d’emmener des humains dans cette partie de notre école ? Comprends-tu que je pourrais te faire arracher, ici et maintenant ?
Son ton était sec, une lueur de colère dans les yeux. Cependant, je demeurais silencieux. Je me redressais pour paraître plus imposant, arborant un air de défi dans le regard. Le feu en moi voulait protéger Alice coûte que coûte pour une raison qui m’était inconnue.
Ses traits finirent par s’adoucir, s’étirant en un sourire chaleureux.
— Mais, évidemment, je ne le ferais pas. Tu es l’un de nos éléments prometteurs, et je ne voudrais pas gâcher ton avenir. Je vais effacer l’enregistrement, et ne vais pas te dénoncer au Grand Conseil. À partir de maintenant, je ne veux plus entendre aucun écart de ta part, est-ce bien compris ?
— Oui.
Son sourire s’agrandit. Puis, elle se leva, venant poser une main sur mon épaule, me dominant de toute sa hauteur. Sa main caressa ma joue avant de soulever ma mâchoire. Son regard se planta dans le mien une nouvelle fois, plus doux à présent.
— J’ai confiance en toi, Mattheus. Ne me déçois pas. Nous t’aurons à l’œil.
Quand elle me libéra, j’eus l’impression qu’un poids tombait de mes épaules. Avec la prudence d’un chat pris au piège, je me relevai, tâchant de faire le moins de bruit possible. Madame Brindillovan me salua avant de refermer la porte derrière moi. La R.D.Â. se trouvait devant sa porte, je dus me glisser entre les deux colosses pour passer.
Ne souhaitant pas m’attarder plus que de raison dans les locaux, je courus vers la sortie, ayant besoin de sentir l’air frais sur ma peau. Une fois dehors, je me pliais en deux, vidant mes poumons. Je jetais un coup d’œil derrière moi, inquiet. Allaient-ils réellement me tenir à l’œil ? Allaient-ils me faire suivre ? Ou bien était-ce juste pour me faire peur ?
Je remontais vers ma chambre, tripotant nerveusement ma bague. En l’observant, je voyais la couleur onyx bouger de manière inhabituelle. Dans ma poche, je sentais mon Platphone vibrer. Je constatais plusieurs messages non lus, en majorité sur notre groupe d’amis.
Vilenia nous proposait de la rejoindre, elle, Melvin et Timéo, à une soirée rock en ville. Après avoir contacté Mirabella et Célestin qui semblaient partants, on se rejoignit dans le hall. Mes deux amis, le visage inquiet, me demandaient comment s’était passée mon « entrevue ». Comme je n’avais pas envie d’être entendu, je leur fis signe de me suivre.
En descendant les marches, je leur racontais en chuchotant, jetant des regards inquiets autour de moi.
— Mais qu’est-ce que tu es allé faire là-bas ? me demanda Mirabella avec un ton accusateur.
— Arrête de l’engueuler comme si c’était sa faute, me défendit Célestin.
— C’est pas ce que je dis. C’est juste que… J’ai pas envie qu’il risque sa vie pour une humaine, lâcha-t-elle avec une voix presque éteinte.
Nous ne répondions rien, perdus dans nos pensées respectives. Que pensait de tout ça ?
Ensuite, Mirabella nous emmena dans un fast-food du coin qu’elle connaissait. Cette soirée tombait à pic, j’avais vraiment besoin de décompresser. Je me laissais entraîner par mes amis, qui débattaient sur les lois du Grand Conseil.
À l'intérieur, du monde faisait déjà la queue, nous bloquant contre la porte.
— Oh Grand Conseil, ça sent trop bon ! M’écriai-je, l’estomac en feu.
— J’ai la méga dalle, répondit Célestin, dont la bave coulait presque sur la lèvre inférieure.
— Montez nous réserver une table et envoyez-moi votre choix, nous proposa Mirabella, tout en agitant son Platphone. J’ai peur qu’on n'ait pas de place, sinon.
Nous suivions ses directives et nous installa à une table à l’étage, tout au fond. Le brouhaha résonnait entre les murs. Je posais mon téléphone sur la puce présente dans la table, qui m’ouvrit une page avec le menu. N’ayant pas envie de m’attarder, je choisissais le plat suggéré. Quand Célestin m’indiqua sa sélection disproportionnée, j’envoyai le tout à Mirabella.
Comme nous étions seuls, j’avais envie de me confier à Célestin. Je le savais être une oreille attentive, et ses conseils me seraient précieux. Je lui reparlais d’Alice, et de la vapeur qui émanait d’elle — chose que je ne leur avais pas confié lors de notre marche.
— Et, ce qui est étrange, c’est que cette vapeur était accompagnée d’une odeur… Qui n’avait rien à voir avec celle de la mort, parce que là… Eh bien, ça sentait bon.
— Cette vapeur, ondulait-elle autour d’elle quand elle marchait ? Comme des vagues ?
— Oui, c’est ça.
— Eh bien ça, mon jeune ami, c’est ce qu’on appelle les phéromones ! S’écria Célestin, victorieux. Ça veut dire qu’elle t’attire… Sexuellement.
— Quoi ?!
— Eh oui, répondit-il en bougeant les sourcils, d’un air narquois.
— Mais elle ne m’attire pas du tout !
Célestin me fit une moue amusée, m’observant sans dire un mot. Il battait des paupières, la bouche pincée. Son air ne me fit pas rire du tout, je continuai de lui répondre avec sérieux :
— Sérieusement, elle est sympa, mais les humaines, c’est pas pour moi.
— Tu te défends beaucoup pour quelqu’un qui ne serait soi-disant pas attiré.
Je me penchais au-dessus de la table.
— Non, mec, je suis sérieux. Je voulais juste savoir si tu savais un truc à propos de cette vapeur. C’est la première fois que je voyais ça.
Célestin se tortilla sur sa chaise, soudain mal à l’aise. Son visage avait retrouvé son sérieux, son regard partant vers la gauche, puis de nouveau sur moi.
— Ouais, maintenant que tu le dis… T’es pas censé voir les phéromones. Moi oui, car je suis un Cupidon. On est les seuls à pouvoir le voir. C’est ce qui nous permet de déterminer l’attirance entre deux êtres. Quand elle tend vers un individu, on sait qu’on peut agir.
Je me tournais lentement vers les humains dans la pièce.
— Donc là, dans la salle, tu le vois ?
— Pas sur tout le monde, mais oui, sur quelques-uns. Toi, tu peux repérer la mort. Moi, je peux repérer l’amour.
En observant de nouveau autour de moi, j’aurais pu jurer apercevoir ces fameuses vapeurs. Mais, en clignant des yeux, tout se dissipa. D’ailleurs, ce n’était pas la seule chose que je remarquais. Toutes les personnes qui nous entouraient semblaient observer Célestin. Avec intensité. Vous voyez le genre ? Yeux doux, bouche entrouverte — à la limite de baver. Comme s’ils tombaient progressivement amoureux.
Je tripotais une nouvelle fois ma bague. Ce n’était pas agréable d’être dévisagé ainsi. Comme s’ils étaient jaloux que je sois en sa compagnie à leur place. Les onyx continuaient de se mouvoir, gardant cette allure brumeuse. C’était curieux. Jamais ma bague n’avait fait de vague, gardant le noir brut de mon âme.
Célestin observa mon bijou, puis reporta son regard sur moi.
— Je comprends pas comment tu peux la voir. J’ai jamais entendu parler de ça.
Je haussai les épaules.
— Eh beh ! C’était la cohue en bas, nous lança Mirabella en s’asseyant lourdement.
Elle posa le plateau sur la table, poussant un soupir de soulagement.
— Allez, bon app. Mangez bien, parce qu’après, on va danser, fit-elle en faisant de légers mouvements d’épaule.
Je grimaçais.
— On peut pas simplement apprécier de la bonne musique sans devoir se donner en spectacle ?
Mirabella me fit un sourire en coin.
— Fais comme tu veux. Mais pour moi, bonne musique veut dire danse, et danse veut dire “je ne rentrerai pas seule ce soir”.
Célestin étouffa un rire. Je lui lançais un regard en biais, un sourire amusé sur les lèvres.
— Ah ouais, t’as faim, me moquais-je gentiment.
— Et pas seulement de tacos triple non-viande, répliqua Célestin.
— Si vous aviez vécu avec des parents comme les miens, croyez-moi que vous auriez envie de profiter de la vie à fond.
— Tu oublies ta haine pour les humains ? lui fit Célestin avec sarcasme.
— J’ai pas de haine. Je veux juste m’amuser, sans sentiments. Est-ce que c’est trop demandé ? Me regardez pas comme ça ! On aura plus l’occasion de s’éclater quand on aura pris nos fonctions. La vie, c’est maintenant. Même si, oui, je suis pas fan des humains, ils sont pas obligés de parler. Et je vous conseille de faire pareil. Parce qu’après, on ressentira plus rien.
— Comment ça ? demandais-je, intrigué.
— Tu savais pas ? Une fois notre fonction prise, on ressent plus rien. Plus rien du tout. Ni le vent, ni le goût, ni le parfum… Rien.
— Mais c’est horrible ! M’écriai-je un peu trop fort.
— Chut ! Me lança Mirabella, lançant des regards apeurés autour de nous.
Quelques personnes nous avaient lancé un regard curieux, mais comme il n’y avait rien d’intéressant à voir, s’étaient reportées sur leurs assiettes.
— Qu’est-ce que ça fait ? C’est presque déjà le cas, là. Non ?
— Je comprends mieux pourquoi mon père me servait des plats infectes, s’il n’avait plus de goût, m’écriai-je, révolté.
— C’est ça que tu retiens ? me sermonna Célestin. Ce foutu Grand Conseil nous prive de nos sens. C’est quoi ça ? Une vie de chien ?
— Chut ! répéta Mirabella. Les murs ont des oreilles.
— De quoi te prive-t-on actuellement ? Demandais-je à Célestin, réalisant qu’on ne lui avait jamais demandé.
Pour nous, Maître de La Mort, c’étaient nos émotions. Nous ne ressentions rien de fort. Depuis ma première âme, les choses commençaient à évoluer, même si cela ne suffisait pas encore. En tout cas, ce n’était pas suffisant pour égaler Heidi.
— De… De l’amour. Je peux pas tomber amoureux. Genre, tous les humains que je croiserai dans ma vie tomberont amoureux de moi à cause de ma nature. Mais moi, je pourrais jamais connaître ça.
Me revenait en mémoire la discussion que nous avions eue en début d’année. Je comprenais mieux pourquoi, dès qu’on abordait ce sujet, il paraissait si mélancolique.
— Les salauds ! m’écriai-je, voyant le désarroi de mon ami.
— Chut !
— C’est bon, on est pas dans une bibliothèque, je peux jurer, non ? lançais-je, mi-amusé, mi-exaspéré, conscient qu’elle avait raison.
Par prudence, je jetai tout de même un regard au-dessus de mon épaule. Célestin posa une main sur la mienne, la serrant légèrement. Son regard se voulait sympathique, mais je savais ce qu’il ressentait.
— Comme l’a dit Mira, profitons de l’instant. On verra plus tard pour le reste.
Plus j’en apprenais sur le Grand Conseil, plus je les détestais. Quelque part, je comprenais les paroles négatives de mon père à leur sujet. Comment avait-on pu laisser ce système se mettre en place ? Comment en étions-nous arrivés là ?
Une fois que nous eûmes terminé nos plats, nous sortîmes, la musique vibrante guidant nos pas. Sur notre chemin, nous croisions plusieurs personnes en tenues éclatantes, impatientes de plonger dans la fête.
Sur la place de l’horloge, la foule se pressait. Ils chantaient, dansaient, riaient. Les basses martelaient mes entrailles. L’air était saturé de cette vibration joyeuse.
Nous essayions tant bien que mal de nous frayer un chemin à travers la masse de monde jusqu’au bar improvisé.
— Oh, salut les gars ! S’écria Vilenia, émergeant de la foule, suivie de Melvin et de Timéo.
Mirabella fit une grimace en apercevant Melvin, mais ne fit aucun commentaire. Notre petit groupe commanda une bière — c’était la boisson la plus rapide à servir. Vilenia me demanda comment s’était passé mon entretien avec Madame Brindillovan. Comme nous étions entourés de monde, je ne souhaitais pas développer, alors je lui répondis simplement que ce n’était rien de grave. Elle hocha la tête, avant de me faire son fameux sourire solaire. Mirabella s’approcha de nous et cria :
— Bon, et maintenant, on danse ou quoi ?
— Avec plaisir, Bella.
Sans perdre un instant, Melvin attrapa la main de Mirabella dans la sienne, la tirant à sa suite. Avec difficulté, elle se débattait, essayant de retirer sa main, en vain. Finalement, elle finit par céder et le suivre, nous jetant un regard qui se traduisait par “aidez-moi”.
— On devrait pas les laisser tous les deux, ricana Célestin. Je vais y aller.
Il s’élança dans la foule, suivi de Timéo qui semblait penser comme lui. Vilenia se tourna vers moi.
— T’as pas envie de danser, j’imagine ?
— Pas vraiment, non.
— Ça te dérange pas si j’y vais ? J’avais promis à Timéo de danser avec lui sur la prochaine musique.
Je lui fis un sourire amical.
— Ne t’en fais pas pour moi, vas-y.
Son regard fouilla le mien un instant. Je lui fis un geste de la main, l’incitant à partir les rejoindre, ce qu’elle finit par faire avec exaltation.
Je buvais tranquillement ma bière, profitant du rythme, bougeant simplement la tête. J'ignorais pourquoi je n’arrivais pas à lâcher prise, et à profiter d’une soirée entourée d’amis. Mirabella, malgré ses lacunes, y parvenait très bien. Alors que moi… J’étais là, seul.
— Tiens tiens, j’ai le chic pour attirer les déprimés.
Je tournai la tête vers la voix familière. Alice, tout sourire, me fixait avec une lueur de malice. Son énergie m’envahit comme un souffle frais, je ne pus m’empêcher de lui répondre par un sourire en retour.
À ses côtés, un brun à lunettes épaisses et une petite brune à la coupe carrée, remuaient en rythme. Leurs âmes luisaient autour de leur corps, m’indiquant qu’elles allaient bientôt quitter leurs corps. L’odeur de soufre m’emplit les narines. Je clignais des paupières, essayant de m’en dégager.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? Lui demandais-je, surpris.
— On est venus profiter de la soirée. Après tout, on est jeudi soir, c’est idéal pour s’amuser.
Au fond de moi, ça me faisait plaisir de la revoir, malgré les quelques messages échangés. Cela ne remplaçait pas une conversation en face à face.
— Une bière ? lui proposais-je.
— Avec plaisir.
Sur le chemin, elle me présenta ses amis : Sophie et Antoine. Je leur adressais un signe de tête en guise de salutation, ne souhaitant pas leur parler. Comme leurs âmes étaient omniprésentes, je préférais ne pas trop m’étendre, de peur de dire des bêtises. Pour le moment, je n'arrivais pas à maîtriser l’ivresse d’un trop-plein d’âme.
Alice se colla contre mon épaule, m’entourant de sa vapeur. Elle s’infiltra dans mes narines, prenant toute la place, supprimant le soufre présent. Et, je la remerciais silencieusement de me faire grâce d’une soirée.
— Alors, comment ça s’est passé chez les bourgos cette semaine ? demanda Alice, son sourire espiègle toujours accroché à ses lèvres.
Je ris légèrement.
— Très bien. Et toi, t’as pas usé de tes charmes pour entrer dans une autre salle ?
— Oh non, je préfère ta compagnie pour le crime.
— Dommage pour toi, je suis pas de service ce soir.
— Je vois ça. T’as retrouvé ton visage grognon. C'est comme ça que je t’ai repéré à travers la foule.
Je souris une nouvelle fois.
— T’as pas envie de danser ? lui demandai-je, d’un ton plus léger.
— Pourquoi pas.
Elle attrapa ma main et me tira sans préavis dans la foule.
— Je… Ce n’était pas une invitation, c’était juste une question, bafouillai-je, confus.
— Je sais.
Elle s’amusait de ma gêne. Nous étions maintenant au milieu de la foule. Nos corps étaient proches, sans pour autant se toucher. Il y avait une tension dans l’air, me faisant oublier mes hésitations. Peut-être que ça venait de sa vapeur, ou juste l’euphorie de la musique, mais je décidais de me laisser aller, pour une fois.
Alice m’attira vers elle, me guidant au rythme de ses pas.
— Tu vois, j’ai encore réussi !
C’était vrai. Quelque part, cette fille exerçait un pouvoir sur moi. Son odeur caressait mon nez tant elle était proche. Le temps semblait s’être arrêté. On était simplement là, à danser comme deux guignols — surtout à cause de moi, qui n’étais vraiment pas doué. Nos rires se mêlaient à la foule, comme la finition d’une douce mélodie. Grâce à elle, j’oubliais ma journée, j’oubliais tout.
Le soufre m’enveloppait également, comme un arrière-goût amer, me rappelant constamment qui j’étais. Ce que j’étais.
Au bout d’un moment, une voix nous sortit de notre euphorie.
— On va rentrer, nous.
Sophie avait posé sa main sur l’épaule d’Alice, la forçant à s'arrêter.
— Déjà ? dit Alice, déçue.
— Ouais, on est épuisés. Je tiens plus debout.
— C’est dommage, le groupe est super. Vous êtes sûrs que vous voulez pas rester un peu ?
— Désolée… On en peut plus, là.
Avant qu’Alice ait pu ajouter quoi que ce soit, mes amis arrivèrent vers nous. Dès que Sophie et Antoine aperçurent Célestin, leur regard changea. Ils semblaient totalement hypnotisés par lui, comme s’il n’y avait plus rien d'autre autour. Célestin, lui, ne les remarqua même pas. Il s’approcha de moi avec un grand sourire, suivi par Mirabella, qui fronça les sourcils.
— T’as osé aller danser sans nous ? me lança-t-elle en me pointant du doigt.
— Eh bien, apparemment. De toute façon, tu avais déjà un cavalier, non ? répliquai-je en me moquant.
— Ouais, bah j’avais rien demandé moi !
J’éclatai de rire en voyant son air indigné. Du coin de l’œil, je remarquai qu’Alice continuait de discuter avec ses amis, mais elle n’avait pas la même attitude que Sophie et Antoine envers Célestin. Pourquoi son charme ne fonctionnait pas sur elle ?
— Du coup, vous voulez vraiment partir ? demanda Alice.
— Partir ? Mais non, on reste ! s’écria Sophie.
Alice secoua la tête, un sourire en coin.
Elle suivit le regard de ses deux amis, toujours fixé sur Célestin, avant que je lui présente à mon tour mes cinq amis.
Puis, Célestin se fit entraîner dans la foule par Sophie et Antoine, prêts à en découdre. Mirabella et moi, on éclata de rire, tandis qu'il nous lançait des éclairs, voyant qu’on ne lui venait pas en aide.
— Je vais reprendre un verre, annonça Vilenia. Qui vient avec moi ?
Je me proposais, comme j’avais fini ma bière.
— Je reste sur la piste de danse, comme ça tu n’auras pas le choix de revenir, me dit Alice, malicieuse.
— Je vous accompagne, répondit Mirabella. Hors de question de danser encore avec Melvin !
Ce dernier fit sa moue taquine, puis se tourna vers Alice et lui proposa de danser. Elle saisit sa main pendant que nous quittions la piste. Timéo dansait avec une humaine, pleine d’entrain. Une fois au bar, nous attendîmes nos verres.
— Je peux te poser une question ? demanda Mirabella à Vilenia.
— Vas-y.
— Pourquoi vous vous disputiez, Melvin et toi, l’autre soir ?
Vilenia haussait les sourcils. Ses joues avaient rougi. Puis, elle fronça les sourcils.
— Pourquoi tu veux savoir ? lui demanda-t-elle.
— Par curiosité.
Vilenia haussa les épaules.
— Rien de bien important.
— Pourquoi t’es ami avec lui ? demanda-t-elle d’un ton accusateur.
Vilenia fronça les sourcils, sans répondre. Après avoir reçu sa bière, elle retourna auprès de notre groupe.
— Lâche l’affaire, lui reprochais-je. Tu l’as mise mal à l’aise, la pauvre.
Mirabella me lança un regard noir avant de disparaître dans la foule, de l'autre côté.
— Mira, attends !
— J’ai pas envie de rester avec eux. Je vais chercher Cyl.
Je poussai un soupir avant de retourner vers Alice, Melvin et Vilenia.
— Ça va ? demanda Alice, inquiète.
— Ouais.
Je ne dis rien de plus et me laissai porter par la musique, dansant avec le groupe. Mais, je n’arrivais pas à me concentrer, la fête n’était pas la même sans mes deux amis.
— Mira est fâchée ? demanda Vilenia, remarquant ma frustration. C’est à cause de ma réponse ?
— Non… Enfin, un peu. C’est pas contre toi, elle est juste… Je sais pas trop, en fait.
C’était vrai. J'ignorais ce qu’elle reprochait à Melvin. Depuis le début de l’année, elle doutait de lui, comme s’il cachait un sombre secret.
— Attends, je vais aller la chercher, proposa-t-elle.
Je lui souriais, reconnaissant. À peine quelques secondes plus tard, elle revenait avec le reste du groupe. Célestin en profita pour filer vers le bar. Sophie et Antoine semblaient enfin « revenus à eux », comme si le charme de Célestin les avait quittés. Ils prirent Alice dans leurs bras et quittèrent la soirée.
— Faites attention ! leur lança-t-elle.
Célestin arriva vers nous avec son verre.
— Pas trop long, sans nous ? Le taquinai-je.
— Non, franchement, ils étaient géniaux, je me suis bien amusé !
— Eh Alice ! lança un gars derrière eux. Qu’est-ce que tu fais là, meuf ?
Alice fit la bise aux garçons qui la rejoignaient. Elle me fit un signe de la main et les suivit au bar.
Avec Mirabella, nous dansions dans tous les sens. Célestin faisait semblant de jouer de la guitare. Derrière nous, Vilenia et Melvin faisaient une espèce de slow désarticulé. Timéo nous avait rejoints et sautillait sur place, secouant la tête avec énergie.
Au bout d’un moment, je n’arrivais plus à rester dans la fête. Alice avait un je-ne-sais-quoi qui, quand elle partait, nous laissait un vide.
J’annonçais à mes amis que je souhaitais rentrer. Comme il se faisait tard, ils proposèrent de m’accompagner. Nous discutions du groupe et de la soirée. Les rues étaient calmes. Seuls quelques hommes traînaient dehors.
— Je t’avais dit que ça marcherait !
— Allez, déshabille-la !
Des voix interrompirent notre conversation, provenant d’une ruelle étroite et mal éclairée, juste avant les escaliers qui menaient à l’université. Un cercle de garçons y était formé. Parmi eux, je reconnaissais ceux qui étaient venus saluer Alice, ils étaient une petite bande de sept ou huit.
— Soulève ça !
Les garçons riaient. En avançant, je vis que l’un d’eux avait une main dans son caleçon. Puis, je reconnus Alice entre leurs mains. Je fus aussitôt pris d’une rage inexplicable. Cette action me faisait penser à Heidi ; cependant cette fois, j’avais le pouvoir d’agir.
— Lâchez-la ! ordonnais-je.
Les garçons bougèrent à peine, comme s’ils n’avaient pas entendu mes paroles.
— Lâchez-la, répétais-je avec la rage dans la voix.
J’attrapai le garçon le plus proche et lui enfonçai mon poing dans le nez. Melvin en frappa un autre, l’attrapant par sa queue de cheval brune.
— Vous êtes sourds ? Cassez-vous ! Lança Mirabella.
Un bruit sourd se fit entendre. Le blond qui retenait Alice venait de la lâcher. Son corps inconscient s’était retrouvé au sol. Le garçon avec la main dans le caleçon finit enfin par la sortir.
— Vous avez un problème ? Cracha le blond qui avait lâché Alice.
— Non, par contre vous, vous venez de les trouver, répliqua Mirabella, prête à en découdre.
L’un des garçons essaya de l’attraper. Elle esquiva le coup. Saisit son bras. Le tordit violemment, récoltant un cri strident.
— Lâche-moi, implora-t-il.
Elle leva son bras encore plus haut dans son dos, jusqu’à ce qu’il se mette à pleurer. Elle le repoussa du pied. Il tomba au sol.
— On va vous niquer ! hurla un rouquin.
Une bagarre éclata. Nous nous jetions sur les garçons. Nos coups se portaient dans les zones sensibles, sans scrupules. Vilenia profita d’une ouverture pour se précipiter vers Alice. Après avoir vérifié son pouls, elle fronça les sourcils puis se tourna vers nous :
— Ils l’ont drogué, annonça-t-elle.
Ma rage s’amplifia. Je tapai la tête du garçon en face de moi contre un mur. Une fois que tous les garçons étaient au sol et crachaient leurs tripes, nous nous précipitâmes vers Alice. Je la soulevai d’un côté, Melvin de l’autre.
— Il faut qu’on la dépose à l’infirmerie, suggéra Célestin. Si elle a été droguée, il faut qu’on l’ausculte.
Une fois arrivés à l'université, nous nous sommes directement dirigés vers l’infirmerie des humains, juste à côté de l’accueil. Une infirmière était là, assise derrière le comptoir à moitié éclairé, plongée dans un livre. En entendant du bruit, elle leva les yeux vers nous, surprise de découvrir Alice en piteux état.
— Que s’est-il passé ?
Je lui expliquais tout le déroulement de la soirée.
— Allongez-la ici, a-t-elle dit en pointant un lit de camp à notre gauche. Vous savez qui a fait ça ?
— Alice saura.
Elle hocha la tête, prit sa tension, puis demanda :
— L’un de vous peut-il aller récupérer ses affaires ?
Je me suis immédiatement proposé.
— Les autres, je vous demande de retourner dans vos chambres, je m’occupe d’elle.
Après quelques adieux rapides, je demandais à l’infirmière où se trouvait la chambre d’Alice. Elle fouilla dans les poches de la jeune femme, lut l’étiquette sur le trousseau et me tendit ses clés.
— Chambre 64, aile B.
Sans plus attendre, je m’engouffrais dans le couloir. Au loin, j’entendais la voix de l’infirmière qui devait probablement prévenir les autorités.
Les couloirs étaient larges, peints en beige, avec des tableaux accrochés sur les murs. La lumière des plafonniers les mettait en valeur et de grandes fenêtres laissaient passer la lumière de la nuit.
Les numéros étaient dans l’ordre, l’aile B regroupait les chambres avec des numéros pairs. Si bien que je repérais rapidement celle d’Alice.
La porte s’ouvrit sur une chambre bien plus grande que la mienne, avec une vue sur les jardins. Le décor était moderne, épuré.
C’est donc ça, une chambre de riche ?
Sans perdre de temps, je me dirigeai vers l’armoire. J’en sortis un pyjama féminin : un haut noir, un bas gris à motifs, des sous-vêtements de rechange. Alors que je m’apprêtais à partir, une photo sur la commode attira mon attention. Une femme avec les mêmes traits qu’Alice, souriante, avec un homme au teint caramel et un bébé.
Je reposais la photo à sa place initiale, me dépêchant de retourner à l’infirmerie.
— Ça vous dérange si je reste un peu ? demandais-je à l’infirmière.
— Pas longtemps, d’accord ? Toi aussi, tu as besoin de te reposer.
Alice semblait calme malgré tout ce qui s’était passé. En y réfléchissant, je ne comprenais pas la cruauté humaine. Cela faisait deux fois que j’assistais à une scène de ce genre. D’abord avec Heidi, maintenant avec Alice. Quelle différence les humains faisaient-ils entre deux âmes ? Qu’est-ce qu’ils pouvaient trouver de valorisant dans ce genre d’actes ?
La main d’Alice dépassait de la couverture. Avec douceur, je la replaçais au chaud. Pendant quelques instants, je l’observai. Les yeux fermés, elle semblait paisible, comme si rien ne venait de se passer. Puis, je déposais un baiser sur son front avant de partir. En me dirigeant vers ma chambre, mes pensées restaient bloquées sur son visage. Prenant place sur mon lit, je tripotais ma bague, lui jetant un nouveau coup.
En y réfléchissant, je ne comprenais pas comment ce monde pouvait être aussi torturé, alors que tout aurait pu en être autrement. Alice revint dans ma tête, faisant écho à la souffrance d’Heidi. Je me fis la promesse secrète d’être présent pour l’aider, comme j’aurais aimé le faire pour Heidi dans la fiole.
Tandis que je pensais à cela, j’aperçus du coin de l’œil la brume se mouvoir, se débattant comme si elle essayait de se défaire d’une gêne. En observant de plus près, j’eus la stupéfaction de voir les pierres prendre une nouvelle couleur. Gris clair. Ce qui voulait dire que la couleur de mon âme avait changé. Apportant avec elle, une vague d’ennui supplémentaire.
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