Chapitre 8 - Confession

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* Célestin *


Cole m’avait donné rendez-vous dans une ruelle sombre pour notre traditionnelle rencontre du mercredi. Je devais l’avouer, je me chiais dessus dans ce noir ambiant, vide de monde. Je plissais les yeux, cherchant à apercevoir sa silhouette dans l’obscurité. Comme d’habitude, je le suspectais de me faire tourner en bourrique.

— Putain Cole, arrête tes conneries ! T’es où, bordel ?!

— Bouh !

Je sentis des mains se poser soudainement sur mes épaules. Mon cœur rata un battement et un cri aigu s’échappa de ma gorge. Cole éclata de rire dans mon dos. Sans attendre, je lui envoyai un coup sur le bras.

— T’es au courant qu’on peut pas crever, quand même ?! Si tu voyais ta tronche, c’est collector.

Sans se faire prier, il dégaina son Platphone et tenta en vain de me prendre en photo.

— T’es chiant, putain.

— Allez, suis-moi, j’ai un truc à te montrer.

Rien que l’idée de quitter cette ruelle infernale me suffisait. Je le suivis sans discuter. À vrai dire, je n’avais aucune idée de ce qu’il voulait me montrer, mais je le suivais, espérant qu’on s’éloignerait de l’ambiance inquiétante de ce coin de la ville, étonnamment calme comparé à d’autres endroits.

Après plusieurs minutes de marche silencieuse, nous arrivâmes devant une petite porte en bois.

— Où est-ce que tu m’emmènes encore ?

— Tu verras…

Je poussai un soupir exaspéré.

— J’espère que c’est pas encore une connerie, je te préviens !

— Mais non, fais confiance à ton frère.

— Ouais bah justement, parlons-en. Après toutes ces années de farces plus farfelues les unes que les autres, tu crois que je te connais pas ?

Il me lança un sourire espiègle. Quand nous étions gamins, il adorait me mener en bateau. Petit, j’étais tellement naïf que je le suivais sans réfléchir, me faisant toujours avoir comme un bleu. Mais ma vie avec lui avait été bien plus amusante qu’ennuyante, il m’avait fait mourir de rire plus de fois que je ne pouvais compter. Ces moments avaient été une échappatoire aux règles strictes du Grand Conseil.

L’intérieur de la pièce était tout aussi sombre que la ruelle. Le silence était stressant, si bien que je commençais à me demander ce qu’il mijotait.

— Cole, peux-tu me dire ce que tu…

— Surprise ! S’écriaient plusieurs voix en chœur.

Je hurlai de plus belle alors que la lumière s’allumait, révélant une grande pièce débordant de monde. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je dus me plier en deux pour reprendre mon souffle.

— Joyeux anniv, frérot !

Cole m’attrapa dans ses bras, et cette fois, je ne protestai pas. Bien que j’aie toujours détesté fêter mon anniversaire, il fallait avouer que c’était une attention plutôt chouette de sa part. Je n’avais jamais aimé cette journée où tous ceux qui ne me prêtaient pas attention le reste de l’année, venaient me souhaiter un « bon anniversaire » qu’ils ne pensaient même pas, histoire de briller un peu. Et puis, tous ces regards braqués sur moi, à souffler des bougies pour des vœux qui ne se réaliseraient jamais… Bref, c’était pas mon truc.

Je scrutai la salle des yeux et repérai plusieurs personnes que je connaissais. Au loin, j’aperçus Mirabella et Mattheus discuter autour d’un verre. Je les rejoignais.

— Joyeux anniv Cyl ! me lancèrent-ils en chœur.

Contrairement à eux, toutes mes émotions devaient être écrites sur mon visage, ce qui ne manqua pas de les faire réagir. Je finis par leur avouer la vérité. Mattheus posa une main amicale sur mon épaule. C’était vraiment adorable de leur part d’être venus.

En posant mon regard dans celui de Mattheus, j’eus l’impression qu’une fêlure s’y était glissée. Pourtant, je n’avais pas remarqué cette brèche avant aujourd’hui. Comme si quelque chose s’était ouvert en lui, laissant aux autres la possibilité de l’apercevoir. Je voulais lui faire la remarque, quand j’aperçus mes parents derrière lui. Ils étaient en grande discussion avec les parents de Nybélia. Je leur adressai des excuses et partis les rejoindre.

—...encore un coup des Anges Noirs. Les Renifleurs sont sur le coup, je pense qu’on aura une…

Étoilé, la mère de Nybélia s’interrompit en me voyant arriver.

— Oh, mon gros doudou ! Viens là que je t’embrasse !

Oui, ça aussi, c’était une des raisons qui me faisaient détester mon anniversaire. Non mais écoutez-la, « mon gros doudou »… Comment être crédible après ça ? Je laissai échapper un soupir et ne dis rien de plus, laissant ses bras m’attraper. Ses bisous résonnaient dans la salle.

— Alors, gros doudou, content ? se moqua Cole en nous rejoignant.

Je le fusillais du regard.

— Évite d’ébruiter ce genre de chose, j’ai une réputation à tenir, grognais-je entre mes dents.

— Tout le monde t’a entendu crier comme une flipette quand la lumière s’est allumée, je crois que ta réputation est faite.

Pas faux. Je me résignai et haussai les épaules. Cole m’entraîna à sa suite, laissant nos parents derrière nous. Peut-être que je paniquais aussi à cause du fait que mes parents m'avaient toujours couvé. Je ne m’en plaignais pas, mais ce trait de caractère ne m'était pas franchement agréable. Au fond, j’aimerais être plus courageux, plus audacieux.

— Célestin ! Je te souhaite un joyeux ann…

— Oh non, pitié, je ne veux pas entendre ce mot une fois de plus !

Vilenia m’observait, incrédule.

— N’en veux pas au gros doudou, il est chafouin, fit Cole.

La brune éclata de rire face à ma tête déconfite.

— Je comprends, c’est toujours stressant d’être épié par tout le monde et d’entendre des inconnus qui se fichent de nous nous souhaiter joyeux anniversaire une fois par an.

— Merci ! M’écriai-je, soulagé. Tu vois, elle au moins, elle comprend.

Cole leva les yeux au ciel.

— Tu devrais pourtant avoir l’habitude du regard des autres, puisque tu donnais des spectacles, lâcha-t-il.

Je fronçais les sourcils. Qu’allait-il encore inventer comme connerie ?

— Des spectacles ? demanda Vilenia. Quel genre ?

— Ne l’écoute pas, il…

— Mais non, ne sois pas timide, me coupa Cole. Tu peux lui dire, non ?

Les yeux de Vilenia s’éveillaient, avides de curiosité.

— Tous les dimanches, on allait voir ses spectacles de claquette. Tu verrais l’énergie qu’il mettait dans ses mouvements de pieds.

Je crachais la gorgée de champagne que je venais de prendre. Mauvaise idée de boire quand Cole faisait ses blagues.

— Oh, c’est vrai ? Fit Vilenia, impressionné par mon faux talent.

— Bien sûr, on le surnommait « Le foudroyeur de plancher ». Je pense que tu as compris pourquoi.

— Faudrait que tu nous montres tes talents Célestin ! Ça serait vraiment super.

— Oui, Célestin, ça serait super, répéta Cole avec un grand sourire satisfait aux lèvres.

— Plutôt crever.

Vilenia semblait perdue dans cette discussion complètement farfelue.

— Il te mène en bateau, je fais pas de claquette.

Elle fit une moue déçue, comme si ce « talent » l’intriguait réellement. Un soupir m'échappa, rempli de frustration. Mes yeux balayèrent la foule, cherchant à identifier les invités que Cole avait réunis. La plupart m’étaient inconnus, sûrement des camarades de promo. Qu’est-ce qui les poussait à venir à l’anniversaire d’un parfait étranger comme moi ? La question resterait sans réponse.

Gray et Alasieus vinrent me saluer. Nous discutions un peu puis je parcourais la pièce. Plusieurs personnes me serrèrent la main. Nous échangions des banalités. C’était assez simple pour moi de fondre dans la masse. Depuis toujours, j’étais une personne sociable. Si bien que plusieurs personnes venaient me parler, plaisanter avec moi.

Dans un recoin de la pièce, un type était assis seul, un verre à la main. Ses yeux parcouraient lentement la pièce, mais quelque chose dans son regard trahissait une profonde tristesse. Ça me fit un pincement au cœur. Cole s'approcha de moi, suivant mon regard.

— Il est mignon.

— Je sais où tu veux en venir, et c’est toujours non, répondis-je sèchement.

Depuis que mon frère était redevenu célibataire, il me harcelait pour que je cherche l’amour. C’était une drôle de blague, puisque, en tant que Cupidon, nous étions condamnés à ne jamais pouvoir goûter à cet amour. Le Grand Conseil nous avait enlevé ce privilège, cette malédiction qui me rongeait petit à petit. Vous savez, cette putain de frustration qui vous dévore de l’intérieur, ce sentiment que vous êtes si près du but, mais que vous ne pourrez jamais franchir la ligne.

Quand j’étais plus jeune, j’avais eu plusieurs histoires avec des garçons. Ils étaient tous superbes, charmants, tout ce qu’on peut rêver… Mais il manquait toujours ce petit quelque chose. L’amour.

Cole, lui, avait décidé de passer outre cette règle, de tenter les relations, de se convaincre que ça pouvait suffire. Au début, ça l’avait comblé, je pense. Mais au bout d’un moment, il avait compris que ça ne lui apportait pas ce qu’il cherchait. C’est ce qui avait mis fin à sa relation avec Nybélia. Il ne pouvait pas lui offrir ce qu’elle désirait vraiment. Alors, il se cachait derrière ses blagues et son insouciance. Mais, combien de nuits l'avais-je entendu pleurer en silence dans sa chambre ?

Je ne lui avais jamais dit que je savais, que je comprenais. Ça aurait été trop difficile pour lui, et ça l'aurait brisé encore plus, comme ça me brisait, moi. Tout le monde était constamment attiré par nous, nous adulait à cause du Cupidon en nous. Comme une drôle de malédiction, qui devait probablement amuser le Grand Conseil. C'était comme si on nous plantait un couteau en plein cœur à chaque fois, encore et encore, jusqu'à ce que la douleur devienne insupportable.

Depuis deux ans, j'avais pris la résolution de ne plus rien tenter, de ne plus espérer.

— Faut bien s’amuser un peu ? Me lança-t-il gaiement. Même si on ne peut pas aimer, on peut toujours s’envoyer en l’air.

— Pourquoi faire ? Pour se réveiller chaque matin devant un visage qu’on ne pourra jamais aimer ? Très peu pour moi.

Cole me lança une moue triste, puis me tapota l’épaule comme pour me consoler.

— Ce que nous fait le Grand Conseil est vraiment inadmissible, murmura Vilenia, interrompant nos échanges. Nous devrions être libres de faire ce que l’on veut.

Je la regardai, surpris. Ce genre de parole venant d’un Altruiste était rare, surtout en public. Bon, ce n’était pas comme si nous étions totalement inconnus l’un à l’autre, mais je ne pensais pas qu’elle nous considérait aussi proches pour se confier de la sorte.

Je lui fis un signe discret de la main pour lui demander de se taire. Surtout que, derrière elle, un garçon aux yeux ambrés l’observait, le regard concentré. D’un geste rapide, je l'entraînai dans le couloir par lequel j’étais arrivé.

— T’es folle de dire ça ici, lui chuchotai-je une fois à l’écart.

— Je dis juste tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

— Ouais, enfin là, c’est pas une partie de scrabble. Tu peux pas poser des mots comme ça en pensant gagner des points Vil. C’est dangereux, tu risques gros.

Ses yeux sombres se posèrent sur moi. Pendant un instant, j’eus l’impression qu’elle allait éclater en sanglots, mais elle se contenait.

— C’est juste que je… Que j’en ai marre. De ne pas pouvoir être moi-même.

— Tu peux l’être avec moi, si tu veux. Mais devant les autres, ceux que tu ne connais pas, évite.

— Tu parles comme Melvin.

— Ouais, bah il a raison.

Je la scrutais, curieux.

— C’est pour ça que vous vous disputiez l’autre soir ?

— Plus ou moins. Quand nous étions dans notre cours « l’après », après mon visionnage, j’ai éclaté en sanglots. Je pouvais plus me contrôler. J’ai ressenti une telle vague d’émotions, je me suis sentie en vie. Mais j’étais la seule dans la salle à montrer autant de vulnérabilité. Il est venu me voir dans ma chambre après, il m’a dit de faire attention. Mais à la soirée, j’étais tellement euphorique. J’embrassais ces nouveaux sentiments… et ça ne lui a pas plu.

— Qu’est-ce qu’il a à te dire ce que tu as à faire lui ? Qu’il s’occupe de son cul.

Vilenia se retint de rire.

— Non non, c’est pas ça. Il était inquiet pour moi.

— Pourquoi ?

— Il… Je… C’est juste qu’il a peur qu’il m’arrive quelque-chose. Il a peur que la R.D. n’intervienne...

— Et toi, comment tu vois les choses ?

— Je sais pas trop. J’en ai marre de me restreindre. Je trouve que c’est injuste ce que nous fait le Grand Conseil. Et pas que pour nous, pour les humains aussi. Mais je sais que Melvin a raison. Ce n’est pas un jeu.

Je hochais la tête, la laissant poursuivre.

— Je sais bien que je dois faire attention. Mais je veux vivre, tu comprends ? Si tu pouvais aimer, si c’était là, au bout de tes doigts, qu’est-ce que tu ferais ?

Je poussais un soupir. Si j’étais dans sa situation et que j’arrivais à pouvoir être amoureux, est-ce que je continuerais à rester caché ou bien est-ce que je saisirais l’occasion ?

— J’imagine que je me laisserai emporter par l’euphorie de mes sentiments, murmurais-je, comme si je me répondais à moi-même.

— Voilà. Melvin a ses raisons de me mettre en garde, il m’a dit que… Enfin, il s’est confié à moi et j’ai bien saisi tout ça mais… J’ai plus envie de faire semblant.

— Alors ne le fais pas. Tu as raison après tout, il faut profiter de la vie. Sinon à quoi bon être de ce monde ?

— Exactement.

— En parlant de vivre… viens, retournons à la fête.

Je posais ma main fermement sur ses épaules, et la poussais à me suivre. Je remarquais qu’elle souriait, provoquant la même chose chez moi, comme un miroir.

En approchant de Cole, je le vis en pleine conversation avec le garçon que j’avais aperçu plus tôt, celui qui observait Vilenia. Il leva les yeux et m’adressa un grand sourire, son regard brillant d’une curiosité animée.

— Célestin, je te présente Fay, un camarade de promo. Il m’a dit qu’il serait…

— Combien de fois dois-je te dire que je n’ai pas envie de ça, pour que tu me laisses tranquille ? M’énervais-je.

D’un pas vif, je me faufilai à travers la foule pour m’échapper au regard perçant de Fay. Les relations, ce n’était plus pour moi. J’en avais ma claque de devoir me répéter à tout bout de champ. Comment lui faire comprendre ça ? C’était une douleur sourde, persistante.

Je. N’ai. Pas. Envie. Merde à la fin !

Au fond, je savais qu’il voulait bien faire. Mais Cole était un rêveur, un idéaliste qui pensait que tout le monde partageait ses désirs, qu’on aspirait tous aux mêmes choses.

— Ça va ?

La voix douce de Mirabella me sortit de mes pensées. Elle m’observait avec une bienveillance palpable, mais je ne la vis pas accompagnée de Mattheus.

— Que fais-tu là, toute seule ? lui demandais-je, tout en ignorant sa question.

— Oh, Matt voulait discuter avec Melvin. Autant te dire que j’avais pas envie de rester dans les parages.

Un rire léger m'échappa.

— À part moi, je ne connais personne d’aussi déterminée à fuir les relations que toi.

Mirabella haussait un sourcil, visiblement intriguée.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Je vois bien, même si tu t'efforces de jouer la carte de la liberté, que tu n’es pas prête à donner ton cœur.

Elle parut déstabilisée, un silence flottant entre nous. Sa bouche s’entrouvrit, hésitante.

— Excuse-moi, je voulais pas dire ça comme ça... sans délicatesse.

— Ne t’excuse pas, répondit-elle d’un ton léger. J’apprécie les gens francs et authentiques. Ne t’excuse jamais de dire ce que tu penses, aussi cru que ça puisse paraître.

Le silence s’étira un moment, chargé de non-dits. Je savais qu’elle cachait une douleur derrière son masque de neutralité. Depuis tout petit, j'avais ce don étrange, une empathie instinctive, une capacité à déchiffrer les fissures invisibles qui traversaient les âmes. Je voyais sa douleur, cette cassure qu’elle portait en elle, même si elle s'efforçait de la dissimuler.

— Tu arrives tout de même à profiter, même si tu n’aimes pas fêter ton… Tu sais, ce mot interdit, me fit-elle le sourire aux lèvres.

— On va dire ça, répondis-je, haussant les épaules.

Mon regard dériva à nouveau vers le garçon que m’avait présenté Cole, Fay, qui scrutait intensément Vilenia, en pleine discussion avec Melvin et Mattheus. Ses sourcils se froncèrent d’une manière qui m’inquiétait. Un frisson me parcourut sans véritable raison. Quelque chose chez ce garçon me perturbait.

Mirabella suivit mon regard, interrogative.

— C’est qui ?

— Un mec que Cole m’a présenté… Il m’intrigue un peu. Attends, je reviens.

Je laissai Mirabella sur place, déterminé à régler cette histoire avec Fay.

— Arrête de la dévisager comme ça, non ?

Fay sursauta, comme s’il ne m’avait pas vu arriver. Il tourna son regard vers moi, un léger sourire en coin.

— Célestin, c’est bien ça ?

Je hochai simplement la tête, croisant les bras sur ma poitrine, prêt à en découdre.

— Je fixais personne, j’étais juste perdu dans mes pensées. Tu serais pas jaloux, par hasard ?

Il sourit avec malice.

— Ton frère m’a dit que tu craquais secrètement pour moi depuis le début de l’année.

Putain de Cole.

— T’écoutes souvent les conneries d’un mec que tu connais à peine ?

Fay prit un air faussement déçu, comme s'il jouait à un jeu dont il connaissait toutes les règles.

— Dommage.

Il inclina la tête de côté, son regard m’observant de haut en bas, puis se posa dans le mien, perçant comme une lame.

— On aurait pu s’amuser tous les deux... Dommage que tu ne sois pas le genre de distraction que je cherche.

Le coup était direct. Brutal. Mais au moins, il n’y avait pas de fausse politesse.

Il planta son regard dans le mien. Un frisson parcourut mon corps, comme pour me prévenir du danger. Quelque chose chez ce garçon me déstabilisait, m’effrayait presque. Je décroisai les bras, instinctivement sur la défensive, prêt à fuir si cela devenait nécessaire.

— Tu devrais partir, lui lançai-je fermement. Je n’ai pas besoin d’inconnus à mon anniversaire.

— Comme si j’étais venu pour toi.

Il sourit encore, ce sourire dénué de sincérité, un sourire qui n’augurait rien de bon. D’un pas, il se rapprocha de moi. Je fis un pas en arrière, n'ayant aucune envie de réduire la distance. Son rire, silencieux, vibra dans l’air, presque menaçant.

Il me contourna tout en gardant son regard dans le mien et tels deux lions, nous tournions en rond. Il finit par quitter la pièce, me délivrant de ce poids. Un soupir s’échappa d’entre mes lèvres, libérant tout l’air de mes poumons. Ce type… il était vraiment étrange… En réalité, je n’avais aucune raison d’avoir peur de lui. Pourtant, je ne pus m’empêcher d’en avoir des sueurs froides.

Après quelques secondes de répit pour retrouver mon calme, je retournai vers Mirabella, qui était en retrait avec son verre. Je n’affichai aucune émotion, décidant de masquer ma nervosité. Mes amis ne devaient pas voir cette faille en moi. Parfois, je me méprisais pour cette fragilité qui me rongeait.

Arrête de te dénigrer.

Mattheus n'était toujours pas revenu. Cette soirée m'épuisait, mais je tenais bon, pour ma famille, pour mes amis. J'avais besoin de cette façade. La conversation avec Mirabella se poursuivit alors, comme si de rien n'était. Elle m’évoqua ses parents et leur manière de la traiter, parlant de leur visite samedi dernier.

Lorsqu'elle parlait, je devinais un vide chez elle. Un vide qu’elle semblait tout faire pour combler. Elle avait sans doute manqué d’amour. C’était probablement cela qui la rendait si réticente à l’idée d’ouvrir son cœur. Ou peut-être cachait-elle quelque chose de plus profond, que même elle n’avait pas encore su accepter.

— Tu ne leur as jamais dit ? Lui demandais-je, intrigué.

— Quoi ?

— Tout ça... Tes ressentis, tes émotions…

— Oulah, certainement pas ! Les ressentis… Pour mes parents, c’est juste du blabla, un ramassis de conneries.

Je soufflai, partagé entre frustration et compassion. La pauvre… je ne pourrais jamais supporter une telle situation.

— Tu m’as dit qu’ils étaient devenus plus stricts, tu sais pourquoi ?

Elle sembla hésiter, mais quelque chose dans ses yeux m’indiqua qu’elle allait enfin briser le silence.

— Je…. Oui.

Elle plongea son regard dans le mien, avant de finalement tourner son visage vers le sol.

— J’ai eu une… relation…

Sa voix se brisa.

— Ça s’est très mal passé… Enfin, je devrais plutôt dire que… Ça a très mal fini…

— Ah bon ? Comment ça a fini ?

Un long soupir s’échappa d’entre ses lèvres.

— Par un cœur brisé.

Ses yeux ressemblaient à un océan paisible, dissimulant derrière leur calme une tempête de tristesse, une lueur fugace qui dansait, presque imperceptible, dans le fond de ses iris. Je posai une main douce sur son épaule, un geste empreint de compassion, et je lui offris une moue remplie de compréhension. J’eus envie de la prendre dans mes bras, mais je ne savais pas si le moment était opportun.

Ensuite, elle m’expliquait qu’elle traînait souvent seule dans son quartier. Un jour, un groupe d’amis l’avait abordé, l’avait inclus dans leur groupe. Puis elle était sortie avec l’un d’eux, plusieurs fois de suite. Elle marqua une pause, plongeant son regard dans le mien.

— Et cette personne tu… tu l’as revue ?

Elle sembla hésiter, sa bouche s’ouvrant et se refermant.

— Je… C’est compliqué et je…

Ses poumons se contractèrent, elle vida son verre d’un seul trait, comme pour enfouir ses pensées au fond de ce liquide. Je sentais qu’elle s’était refermée comme une fleur sous la froideur de la nuit, que ce sujet était un fardeau trop lourd à porter pour elle à cet instant. Peut-être qu’un jour, à un autre moment, elle serait prête à en parler. Je me demandais si elle en avait déjà parlé à Mattheus. Ou si, comme lui, elle m’avait choisi moi pour se confier.

Être Cupidon, parfois, laissait penser que j’étais un expert en amour, en émotions. Une vérité partagée, certes, mais cela ne signifiait pas que je maîtrisais les méandres du cœur Altien. Toutefois, mon empathie me permettait de percevoir des choses que d’autres ne voyaient pas, de comprendre sans juger, de tendre une oreille compatissante.

Quand la soirée tira sa révérence, je restai un moment avec mes parents et Cole pour nettoyer la salle. Un soulagement me traversa lorsque l’endroit retrouva sa quiétude. Après avoir dit au revoir à mes proches, je quittai enfin les lieux, me libérant du poids de cette journée.

Dehors, la nuit demeurait aussi noire, profonde, effrayante dans son silence. Bien que rien ne m’y menaçait, je n’arrivais pas à dissiper cette angoisse qu’il s’y cachait quelque chose, un murmure de danger dissimulé sous la tranquillité. Je pressai le pas, la solitude m’envahissant.

Au détour d’une rue, je percutais quelqu’un. La silhouette sembla trébucher, mais finit par se redresser.

— Oh pardon, je vous avais pas…

La brune tourna son visage vers moi, les larmes ruisselant le long de ses joues, et je compris immédiatement que quelque chose de grave venait de se produire.

— Vil ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Sans hésiter, je tendis la main pour l’aider à se relever, une prise ferme, mais douce. Elle semblait perdue, comme si un poids invisible la paralysait.

— Ce… Ce… Il…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Elle balbutiait, ses mots se croisant et se heurtant.

​​​​— Il va venir me chercher…

Je fronçais les sourcils, ouvrant la bouche de confusion.

— Qui ?

— Il va venir me chercher…

Cette phrase tournait en boucle entre ses lèvres humides. Si bien que, pour la faire taire, je la pris dans mes bras, la serrant fort contre moi. Je sentais qu’une vague de terreur, aussi vive qu’incompréhensible, l’avait engloutie. Je ne comprenais pas ce qui la secouait à ce point.

— T’étais pas partie avec Melvin ? lui demandai-je, un peu perdu dans la confusion de ses mots.

— Il m’attendait dehors, ses yeux vides comme la mort…

Je ne comprenais plus rien, la confusion se lisant sur son visage. Alors, instinctivement, je pris son visage entre mes mains, mes doigts effleurant sa peau pour l’obliger à me regarder, à se concentrer sur moi.

— Vil, qu’est-ce qu’il se passe ?

Ses larmes coulèrent comme un torrent, et, d’un geste tendre, je balayai les traces salées de ses joues.

— Dis-moi, murmurais-je, ma voix douce, emplie de sollicitude.

Elle se mit à trembler, les mots sur le bout de ses lèvres comme un secret dangereux. Un secret qui semblait vouloir s’échapper à tout prix, même si elle hésitait.

— Il faut que… Il faut que je t’avoue quelque-chose, Cyl.

— Quoi ?

Elle se mordit la lèvre, comme si ces mots étaient trop lourds à dire.

— Il vaut peut-être mieux qu’on aille dans ta chambre… ou dans la mienne. Ce que j’ai à t’avouer est… secret. Et dangereux…

Je sentis la tension dans l’air, comme un voile d’ombre prêt à s’abattre. Ses paroles résonnaient comme un avertissement. Et tout à coup, le monde autour de nous sembla se suspendre, nous laissant seuls avec ce secret lourd à porter.

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