Chapitre 15 - La pause
— Nous avons décidé de vous accorder une semaine de coupure, pour la mort de votre camarade, annonça Madame Brindillovan d’une voix posée. Le Grand Conseil a décidé de vous en faire grâce. Aujourd’hui sera donc le dernier entraînement avant cette pause méritée. Je vais passer dans les rangs pour vérifier votre progression. À ce stade de l’année, vous devriez réussir à faire disparaître au moins la moitié de votre corps. Avant de commencer, reprenons les exercices de respiration.
Drôle de coïncidence, cette coupure tombait en même temps que la fête de Noël chez les humains. Sachant que Vilenia était morte depuis plusieurs semaines, et qu’ils nous accordaient cette pause seulement maintenant.
Enfin, ce n’était probablement que ça : une drôle de coïncidence.
Madame Brindillovan exécutait ses gestes fluides habituels, comme une danse majestueuse. Sans y réfléchir, je suivais ses mouvements, hésitants et rigides. Bien que je sus qu’elle viendrait contrôler mon niveau plus que médiocre, mon esprit était ailleurs.
Après la lourde révélation d’Alice, j’étais passé la voir après sa fameuse rencontre avec les Anges Noirs. Comme une confiance s’était installée entre nous, elle m’avait confié qu’il s’agissait d’un groupe secret. Seulement, ça, j’en avais déjà connaissance. D’une oreille attentive, j’avais écouté sa journée, qui était une manifestation pour le droit des femmes. Puis, elle m’avait avoué qu’ils recevaient parfois des ordres et que les choses tournaient dans un sens moins pacifique.
Les humains semblaient être utilisés pour perpétrer des actes contre le gouvernement en place, qui semblait être en lien avec le Grand Conseil. Pour le moment, je n’arrivais pas à en saisir la connexion, mais c’était déjà un début.
— Si tu veux, je peux te les faire rencontrer, m’avait-elle dit.
De ce que j’avais compris, il s’agissait surtout du groupe côté humain. Je n’étais pas bien sûr que cela m’avancerait à quelque chose. Alors, je lui avais répondu que je la tiendrais au courant. Si je n’avais pas d’autres pistes, peut-être que celle-ci me mènerait quelque part.
Autre chose me tracassait. Alice avait attendu que je revienne vers elle concernant les recherches sur sa mère. Comme je ne l’avais pas fait, elle avait décidé de se remettre en course, à mon plus grand regret. Comment j’allais faire pour l’en empêcher, tout en poursuivant mes propres recherches ?
La professeure me tira de mes réflexions, me demandant de lui montrer mes progrès. Sur mon cou, son souffle chaud me fit frissonner, m’imposant sa présence étouffante. Elle me contourna, son regard acéré se posant sur le mien, comme une lame prête à s’abattre.
Sans tarder, je me lançai. Je fermai les yeux, cherchant à retrouver un semblant de calme, une part de maîtrise sur ce tourbillon intérieur. Tu peux le faire, tu peux le faire… Je me répétai ces mots comme une incantation.
Autour de moi, je pouvais entendre ses pas. Ils résonnaient lourdement sur le sol, accentuant la pression. Ce que je ressentais était un malaise insupportable, un poids écrasant. Chaque seconde semblait me rappeler que j'étais un imposteur, une fraude qui n’appartenait pas à cet endroit. Qui ne méritait pas sa place.
Arrête de réfléchir, ordonnai-je à mon esprit.
Je me concentrai sur un point, immobile, une aspiration, un vide, cherchant à me fondre dans l’air autour de moi. Peut-être que cette simple envie de disparaître suffirait… Je tentais de retenir mon souffle, d’amener mes mouvements dans l'harmonie qu’on m’avait apprise. Mais au bout de quelques minutes, l’évidence me frappait : rien ne se passait.
Je n’étais qu’un raté.
— Qu’est-ce qui se passe Mattheus ?
J’ouvris les yeux. Le regard de Madame Brindillovan se posa sur moi, et je vis la pitié qui y brillait, claire comme de l’acier. Chaque fibre de mon être brûlait de rage et d’humiliation. Je voulais la secouer, lui faire disparaître ce regard. Mais je n'avais pas la force. Peut-être que je me mettais trop de pression, peut-être que je me détestais trop. Après tout, je n’étais qu’un être ordinaire, en pleine phase d’apprentissage. Pourquoi me juger si durement ?
— J’arrive pas à trouver une raison de disparaître, de le vouloir vraiment… balbutiai-je, la voix brisée par l'échec.
— Tu dois bien avoir une envie de disparaître, ne serait-ce que pour exercer ton métier, non ? Dit-elle avec sagesse. Si c’est ce que tu désires profondément, ton corps suivra. C’est une question de ressenti. Je sais que ce n’est pas facile pour ton espèce, mais je crois en toi.
Elle posa une main douce sur mon cœur, comme une caresse froide. Un sourire compatissant, mais qui, sous ses airs bienveillants, me transperça comme une épée. Elle me donna quelques secondes de plus de son regard, avant de se détourner pour aller voir un autre élève. Je laissai échapper un soupir, réalisant que j’avais retenu ma respiration tout ce temps.
Quand la cloche retentit, nous libérant enfin de cette tension, je me précipitai hors de la salle. Je m’appuyais contre le mur, essayant de retrouver une contenance. Mirabella et Célestin sortaient ensemble de la salle et discutaient. Derrière eux, j’aperçus Melvin, dont le regard vint se poser sur moi.
Je détournais la tête, reportant mon attention auprès de mes amis.
— Alors, vous avez des projets pour cette fameuse pause ? demanda Célestin.
— Mes parents m’ont déjà envoyé un message pour me dire qu’ils viendraient me chercher, grogna Mirabella, les sourcils froncés.
Je lui lançais un regard compatissant avant de me tourner vers Célestin.
— Rien, j’imagine, lui répondis-je.
— Hors de question ! Tu viens chez nous, me dit-il avec assurance.
Je levai les sourcils, surpris.
— Tu veux vraiment m’obliger à sortir de ma zone de confort et à socialiser, alors que tu sais que j’aime pas ça ? répondis-je faussement blasé.
— Oh oui ! Tu as intérêt à ramener tes fesses chez nous, sinon je vais débarquer chez toi, frapper à ta porte jusqu’à ce que t’aies envie d’absorber ta propre âme. C’est clair ?
— Bon, OK, je craque sous la menace.
Je levais les mains en l’air.
— Trop mignon ! Tout ça pour présenter ton nouveau chéri à tes parents, se moqua Mirabella.
— Ah, la jalousie, ça te va pas trop, chère amie, répondit Célestin avec un sourire espiègle. Et l’invitation vaut aussi pour toi, si tu veux fuir tes parents.
— C’est gentil, mais je sais d’avance que je vais devoir les affronter.
Mirabella soupira.
— Profitez bien pour moi, d’accord ?
**
De la neige était tombée quand Célestin et moi arrivions chez ses parents. Ils nous attendaient devant leur maison pavillonnaire. Cette vision aurait pu être sortie tout droit d’un film. Entre la neige, l’odeur des repas de Noël, les parents de Célestin qui portaient un pull moche…
Mon ami était tout sourire, heureux de faire une escale chez lui. Ses parents n’habitaient pas si loin que ça, puisque nous n’avions fait qu’une heure de route. On avait pris un Viub.
Leur ville avait l'air plutôt agréable. Il n'y avait pas de grandes tours qui obstruaient la vue du ciel. Autour, la végétation était plutôt maigre, mais bon, c'était toujours mieux que rien. Les maisons du coin avaient toutes un petit jardin, juste assez grand pour y mettre une table et des chaises.
— Mon roudoudou ! s'écria la mère de Célestin en se précipitant pour lui faire un câlin, que son fils reçut avec les bras grands ouverts.
J’étouffais un rire.
— Bonjour Mattheus, dit le père de Célestin en me tendant la main. J'espère que le voyage s'est bien passé.
Je hochai la tête en signe d'approbation et saluai aussi la mère de Célestin. Pendant qu'on rentrait nos valises à l'intérieur, elle commença à raconter à son fils ce qu'ils avaient préparé pour le dîner et combien elle était ravie que la famille se retrouve pour Noël, comme au bon vieux temps. Cole n'était pas encore arrivé, mais son père suivait le trajet du Viub sur son téléphone et le GPS annonçait qu'il n'était plus très loin.
L'entrée était un petit sas étroit. C'était à peine suffisant pour nous quatre, mais ça allait. La mère de Célestin, Cristal, déposa nos manteaux dans l'espace prévu à cet effet. En face de nous, un escalier menait à l'étage. Célestin me fit signe de le suivre.
L'étage, tout comme l'entrée, était assez petit. Il y avait trois portes. Célestin m'indiqua celle de droite comme étant sa chambre. À gauche, c'était celle de son frère, et en face, se trouvaient la salle de bain et les toilettes.
Il ouvrit la porte de sa chambre et se jeta sur son lit.
— Qu'est-ce que tu m'as manqué, toi !
Je ne pus m'empêcher de rire.
— Ah, mon roudoudou avait besoin de son lit douillet ?
Célestin fit une grimace.
— T'as pas vu comment les matelas de l'université sont fins ? Même le sol est plus confortable.
— J'ai pas fait gaffe.
Je jetai un coup d'œil à sa chambre. Elle était simple, comme celle de l'université, sauf qu'il y avait des posters de boys bands accrochés aux murs.
— Sérieusement ? ris-je en pointant les affiches du doigt.
— Bah quoi ? Ils sont sexy, non ?
Sa remarque me fit éclater de rire.
— Arrête un peu de te moquer, sinon je t'amène pas de matelas !
— T'inquiète, je dormirai contre mon roudoudou.
Le Cupidon éclata de rire. J’observais la photo sur le bureau de Célestin. Elle le représentait, entourée de sa famille. Ils portaient tous des chapeaux noirs avec des oreilles rondes.
Soudain, on entendit du bruit dans le couloir, et Célestin se redressa.
— Ça doit être Cole !
En sortant dans le couloir, on croisa immédiatement son frère. Ils se saluèrent chaleureusement avant qu'on ne descende ensemble au salon. La pièce était plutôt grande par rapport au reste de la maison.
Tout était décoré pour Noël : un sapin, des guirlandes, des boules de neige, des anges... Un feu brûlait dans la cheminée, apportant une chaleur bienvenue. La table au centre de la pièce était déjà dressée, prête à accueillir un repas savoureux.
— Chaud devant !
Le père de Célestin, Charme, entra avec un plat en argent, portant des maniques, surmonté d'une « non-dinde ». Les humains avaient réussi à recréer la forme et le goût de la viande animale, même pour les fêtes. Une délicieuse odeur salée envahit mes narines, et mon ventre gronda, comme s'il m'invitait à mordre à pleines dents dans ce festin.
Une fois tout le monde installé autour de la table, nos verres remplis de champagne, Cristal se lança dans la découpe de la non-dinde. Entre éclats de rire, Célestin et Cole se disputaient les cuisses de la « non-dinde » avec une guerre de fourchettes. Leurs parents les taquinaient, et l'atmosphère était légère et joyeuse.
Je les observais en silence, pensant à ce que ma vie aurait été si j'avais grandi dans une famille comme celle-ci, entouré de rire et de bienveillance. Est-ce que je serais différent aujourd'hui ? Mais je n'eus pas le temps de m'égarer dans mes pensées, car Cole venait de poser une question.
— Dis-moi, Matt, t’as croisé notre futur Père Noël ?
— Quoi ?! m'étouffai-je avec ma gorgée de champagne.
— Oui, c’est Barbas, tu l'as pas encore vu ?
Je jetai un regard interrogatif à Célestin, mais il était occupé à se régaler de sa non-dinde.
— Euh... non...
— Donc t’as pas récupéré ton cadeau de Noël ?
Le silence s’installa autour de la table, et je sentis tous les regards converger sur moi.
— T’as dit Barbas ? lançai-je, les sourcils froncés. C’est une muse.
— Non, pas du tout ! Ria Cole. C’est un Père Noël.
— Mais ça n’existe pas ! m'exclamai-je, choqué.
— Qui distribue les cadeaux, à ton avis ?
Cole me regardait comme si j’étais un idiot.
— Les parents ?
— T’as tout faux, c’est bien le Père Noël.
Le silence se fit lourd. Je déglutis, un peu perdu.
— Vraiment ? finis-je par lâcher, sans grande conviction.
Puis, Cole éclata de rire, suivi par ses parents. Célestin lui donna une tape sur la tête en prenant ma défense.
— Ne l’écoute pas, il aime bien inventer des trucs. Il a toujours fait ça, expliqua Célestin.
— Mais il aurait pu exister. Pourquoi ils n’ont pas fait un Père Noël dans notre monde, alors qu’ils nous ont fait, nous ? demanda Cole.
— Parce que tu crois vraiment que c’est le Grand Conseil qui nous a créés ? se moqua Célestin. Revois tes cours d’histoire de la vie.
— C’était une façon de parler.
Cole leva les yeux au ciel avant de se tourner à nouveau vers moi, n’en ayant visiblement pas fini de poser des questions.
— C’est qui, tes parents binômes ?
— J’en connais qu’un, il s’appelle Maurelius.
— Mauritus ? répéta-t-il.
— Maurelius, idiot ! s’écria Célestin en lui ébouriffant les cheveux.
Cole demanda à ses parents s’ils connaissaient mon père. Ils secouèrent la tête. Je haussai les sourcils. C’était la première fois que quelqu’un me disait ne pas connaître mon père. Après tout, ceux qui le connaissaient faisaient partie de La Mort ou du Grand Conseil. Et comme les parents de Célestin et de Cole ne faisaient partie ni de l’un ni de l’autre… Peut-être que cela expliquait qu’ils ne le connaissent pas.
C’était étrange, mais aussi agréable de passer un moment sans être interrogé sur mon père. Et d’avoir quelqu’un qui s'intéresse à moi, tout simplement. Cole continuait de me poser de diverses questions, manifestement curieux de ce nouveau membre à leur table. Et, pour être honnête, c’était agréable.
Le repas était un véritable délice. Je n'avais jamais mangé autant de ma vie. Du plat au dessert, tout avait été préparé avec soin, si bien que je me demandais si les parents des Cupidons avaient encore du goût malgré leur prise de fonction. Ou si c’était simplement inné.
Après avoir débarrassé la table, j'aidai Célestin à installer le matelas. Nous préparions le lit, et une fois que j'eus fait ma toilette, je me posai tranquillement dans la chambre de Célestin en attendant qu’il termine. En sortant mon Platphone, je remarquai un message en absence.
“Joyeux Noël, le grognon ! Profite bien. Je crois que le Père Noël t’a apporté un petit quelque chose par erreur chez moi. Je te le donnerai à la rentrée. Bisouuuuus”
Le message était accompagné d'un selfie en famille. Alice souriait devant l’objectif, avec Sophie derrière elle. Trois autres personnes, plus âgées, se tenaient à côté d’elles. Alice portait un pull rouge et vert, un peu kitsch, avec un serre-tête à fausses cornes de cerf. Sophie était en pull rose et chapeau de Père Noël. Elles avaient l'air de bien s'amuser.
“Joyeux Noël à toi aussi, la sauvage. On se retrouve vite. Bise.”
Je souris en observant la photo.
— Qui est l’heureuse élue ? demanda Célestin en entrant dans la chambre, vêtu de son pyjama gris.
— Tu sais bien qu’il n’y a que toi dans mon cœur, répliquai-je en le taquinant.
— À d'autres. Mon petit doigt me dit que c’est Alice qui t’a écrit.
Je fis une grimace.
— J’en étais sûr ! rigola Célestin en s'asseyant sur son lit.
— Et ton resto avec Sophie, on en parle ? Non parce que tu ne nous en as pas dit grand-chose.
— Eh… C’était cool.
— Elle te plaît pas ?
— Non. Je ne sors pas avec des femmes.
— Qu’est-ce que tu vas faire pour Sophie ?
— Bah… elle est sympa, comme amie. Mais je peux pas vraiment profiter de notre amitié.
— Parce qu’elle t’aimera, quoi qu’il arrive ? demandais-je.
— Oui, ça. Mais surtout parce que je sais qu’elle va mourir. Donc… c’est pas pareil, je sais pas.
— J’aurais rien dû dire…
— Non t’inquiète, c’est cool. Ça fait partie de toi après tout. J’accepte La Mort en toi.
Je lui fis un sourire.
— Merci pour l’invitation, lui fis-je. Ça me touche beaucoup d’être là, avec vous. Et puis, ça me permet de voir ton univers, mon roudoudou.
— Ça va me suivre toute l’année, ça, je sens.
— Oh, compte là-dessus !
Célestin posa sa tête sur le bord de son lit, pour me faire face.
— Et cette Alice, alors ?
— Quoi Alice ?
— Bah… Elle te plaît, non ?
— Je l’aime bien, répondis-je en haussant les épaules.
— Je voulais dire… Elle te plaît romantiquement parlant ?
Je fronçais les sourcils. À vrai dire, je n’en avais aucune idée. Je n’avais jamais été avec qui que ce soit. Et surtout, je n’avais jamais rien ressenti de toute ma vie alors… J'ignorais vraiment ce qu’on devait éprouver.
Je me contentais de hausser les épaules.
— Tu as eu des relations, avant de venir ici ? lui demandais-je.
Célestin se pinça les lèvres.
— Oui mais…
Il laissa sa phrase en suspens avant de reprendre.
— Comme je ne peux pas tomber amoureux, je sais pas… J’ai l’impression qu’il manque toujours un truc, tu vois ? Oui j’ai eu des relations, certaines étaient même vraiment cool. Seulement, je n’arrivais pas à me retrouver là-dedans. Comme si je ne pouvais pas être… Totalement moi.
Ça faisait écho en moi. Finalement, sans émotion, est-ce que j’étais complètement moi-même ? Et pourrais-je réellement l’être avec quelqu’un ?
— Je comprends.
— Depuis tout ça, j’esquive les relations. Cole me tanne pour que je m’y remette, mais… Pour le moment, ça me rend plus triste qu’autre chose, me confia-t-il.
— Tu penses y renoncer toute ta vie, du coup ?
— J’en ai aucune idée. Peut-être pas. Je n’ai pas envie d’être éternellement seul, même si notre boulot nous y pousse un peu…
— Cole te pousse peut-être pour éviter ça, non ?
Célestin haussait les épaules.
— Je sais que c’est bienveillant de sa part. Je sais pas comment il fait lui, pour passer outre ce manque de sentiment. Après tout, c’est ce qui avait bousillé sa relation avec Nybélia. Et pourtant, il continue.
— Il essaie sûrement de garder espoir. Si je peux changer cette partie-là en moi, vous le pouvez peut-être, tu ne penses pas ?
Célestin haussa les épaules avant de prendre son oreiller entre ses bras.
— Tu te rappelles de Fay ? Il continue de m’écrire et…
Mon ami, d’un geste las, haussait une nouvelle fois les épaules, accompagné d’un soupir lourd. Je me redressai, cherchant à lui transmettre toute mon attention. Mais Célestin, d’un simple mouvement de bras, écartait la conversation, la chassant comme une brume fugace.
Je sortis une nouvelle fois mon Platphone pour regarder la photo que m’avait envoyée Alice. Est-ce que les humains avaient autant de mal que nous pour les relations ? Ou bien était-ce plus simple ?
Soudain, Célestin m’arracha mon Platphone des mains et se mit debout sur son lit.
— Je comprends que tu craques, elle est sexy ta petite Alice ! Rigola-t-il.
Je me levais d’un bond en essayant de récupérer mon téléphone. Célestin le tira en arrière et me poussa avec son bras. Je contrattaquais en lui chatouillant les aisselles, ce qui lui fit plier le bras. Non sans mal, je finis par enfin récupérer mon Platphone, sous l’hilarité de Célestin. Mon rire se mêlait au sien, et on se laissait de nouveau tomber dans notre lit dans la bonne humeur.
— Je pourrais jamais être moi-même, lui confiais-je quand on retrouva notre souffle. À quoi bon entamer une relation avec qui que ce soit ?
— Parce que ça peut tout de même être beau ?
Je poussais un soupir. Heidi, comme d’autres âmes depuis, m’avait fait vivre des moments d’amour. C’était ça que je voulais, le véritable amour. Celui qui pouvait exploser notre cœur. Seulement, je n’étais pas sûr de pouvoir le trouver un jour.
Je m’endormis avec ces pensées. Charme vint nous réveiller pour prendre le petit déjeuner.
— Vous auriez pu être discret, lança Cole à Célestin.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— J’ai entendu vos ébats toute la n...
Célestin lui donna une tape sur le sommet du crâne pour le faire taire, avant que leurs parents n’entrent dans la pièce. Je ne pus m’empêcher de lâcher un rire. Cole adorait faire des plaisanteries en tout genre. C’était agréable, de pouvoir rire. D’entendre toute cette joie. C'était vraiment un plaisir d’être venu.
Pendant le petit-déjeuner, Célestin en profita pour me montrer leur album photo de famille, me racontant des anecdotes sur leur enfance. J’en apprenais un peu plus sur mon ami, et sur le climat de sa vie passée ici.
Il me raconta la fois où Cole, dans un élan de plaisanterie, l’avait fait tomber dans les escaliers. Célestin s’était tordu le cou, et il a fallu que ses parents le remettent en place. Même si nous ne pouvions pas mourir, certains accidents étaient parfois douloureux. Il me tendit la photo de lui, avec le cou déboîté. Je fis une grimace en observant le cliché.
En tournant une des pages, il s’arrêta avec un sourire aux lèvres et un regard animé, en montrant l’album à Cole.
— Tu te rappelles de ça ? lui fit Célestin, en riant à moitié.
— Oh purée !
— Qu’est-ce que c’est ? demandais-je, intrigué.
Célestin tourna l’album vers moi et je découvris une espèce de carte avec des dessins dessus.
Enfants, ils avaient inventé une chasse au trésor dans le jardin. En creusant pour cacher le coffre, Célestin a percé un tuyau, provoquant une inondation. L’aventure a tourné au chaos, mais resta un souvenir drôle.
Célestin et Cole se lancèrent un regard rempli de complicité, et je ressentis un grand vide en moi. Comme ç'aurait été agréable de grandir dans ces conditions...
Les deux frères me montrèrent d’autres photos, me racontèrent d’autres aventures. Je les écoutais avec attention, le cœur rempli de joie.
**
Un après-midi, Cristal et Charme nous proposèrent de les accompagner en ville pour leur travail, histoire de prendre l’air et de découvrir un peu les alentours. Comme nous n’avions rien de prévu, on accepta.
On se prépara à la hâte. J’ai mis un jean et un sweat, tandis que Célestin optait pour un pantalon beige et un pull rouge.
Une fois prêts, nous sommes partis en direction du centre-ville. Apparemment, ils habitaient juste à côté. Nos empreintes s’enfonçaient dans la neige encore présente, ajoutant un soupçon féerique à la balade.
Arrivés à un croisement, les parents des Cupidons nous dirent qu’on allait se séparer en deux groupes. Cole me prit sous son aile, sans me laisser vraiment le choix. Célestin me lança un regard, un peu moqueur, comme pour me dire « bonne chance ». Cristal nous guida à travers quelques ruelles, et au passage, Cole essaya de me faire tomber dans la neige. C’était presque réussi, mais j’avais réussi à m’accrocher à un câble pour me rattraper.
Pour me venger, je lui lançai une boule de neige dans la nuque. Il me regarda, amusé, et nous continuâmes à marcher. Finalement, Cristal s’arrêta près d’une femme qui commandait à son robot domestique de déneiger son allée. Un peu plus loin, un homme fumait un cigarillo.
Cole me murmura la procédure : invisibilité, influence, et observation. Cristal s’approcha de la femme et fit quelques gestes avec les doigts, comme si elle écartait l’air. Une sorte de vapeur blanche s’échappa de la femme et se dirigea vers l’homme en bas de la rue.
Après avoir fini ses gestes avec la femme, elle les répéta pour l’homme. La même vapeur sortit de lui, et les deux vapeurs se rapprochèrent, dansant presque ensemble. Je les observai en silence, impressionné par la beauté de la scène. Les vapeurs s’enroulaient et semblaient chercher à fusionner. Comme une danse harmonieuse.
— Tu le vois pas, mais là leurs hormones dansent. On doit attendre quelques minutes avant de voir si notre influence a fonctionné, m’expliqua Cole.
Je le regardai, un peu sceptique. Je me demandais si c’était une blague de plus de sa part. Mais je ne dis rien et continuai d’observer les ondulations.
— C’est bon, annonça Cristal. On peut rejoindre Célestin et Charme.
Une fois retrouvés, Célestin me raconta ce que j’avais manqué avec son Gardien. Il avait l’air vraiment épanoui. Son travail le passionnait, et je le voyais dans ses yeux qui brillaient comme des flammes. C’était pareil pour Cole, il en parlait avec la même intensité. Je les écoutais attentivement, heureux de pouvoir leur accorder toute mon attention. En les voyant s'animer comme ça, je me demandais si j’étais aussi enthousiaste à propos de mon destin. Est-ce que, moi aussi, j’en parlais avec autant de passion ?
Ne vous méprenez pas, j’adorais mon rôle. L’idée d’aider les âmes, de les soulager, ça me plaisait énormément. Mais, parfois, je me demandais… Si j’avais eu le choix, aurais-je pris le même chemin ?
Peut-être que ces doutes venaient de ma défaillance.
Une boule de neige s’écrasa sur ma joue, répandant sa fraîcheur sur mon visage. C’était Célestin, qui riait déjà en préparant un autre projectile.
— Sir Célestin, je vous déclare la guerre ! lançai-je, me baissant pour ramasser de la neige et me préparer à riposter.
Les parents de Célestin et de Cole se joignirent à la bataille, et bientôt, c’était la guerre générale. Après quelques échanges de boules de neige, je me baissai pour en préparer d’autres et me lançai à la poursuite de Célestin, qui hurlait de rire.
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