Chapitre 24 - Sous les étoiles
*Mattheus*
— Matt ! Ça me fait plaisir de te voir.
Alice sauta dans mes bras à la minute où elle m’aperçut. Elle m’entourait avec une force surprenante, comme si elle voulait s’imprégner de mon odeur. Je lui rendis son étreinte en grimaçant. Mon corps me faisait encore terriblement souffrir, mais je ne souhaitais pas rompre cet échange. À la place, je posai mon menton sur le sommet de son crâne, humant l’effluve de son shampoing aux notes d’agrumes.
Qu’est-ce que c’était bon, de la voir en vie !
Plus tôt dans la journée, je m’étais mis en tête de trouver des réponses auprès de mes professeurs. Manque de chance, je n’en avais croisé aucun. Seule Madame Brindillovan traînait encore dans les locaux. Elle m’avait indiqué que je trouverais Monsieur Dutronc au comptoir du bar « Le Repère », dans lequel il se délectait d’un Perrier menthe.
Notre échange fut un échec. Non seulement il m’avait écarté d’un geste m’envoyant paître. Mais la seule chose quelque peu utile qu’il avait laissée glisser était qu’il connaissait mon père. Cela ne m’avançait pas, comme je l’avais déjà déduit.
Quand j’avais reçu le message d’Alice, je n’avais pas hésité à la rejoindre, persuadé que je ne trouverais aucune réponse auprès de lui.
— Viens entre.
Elle s’écarta, dégageant le passage pour me laisser entrer. Sa chambre me paraissait désormais familière. Je posai ma veste sur le dossier de sa chaise de bureau, comme si c’était sa place habituelle. Puis, je m’installai sur son lit. En me voyant faire, elle m’annonça :
— On reste pas, je prends juste un pull, ma veste et je t’emmène quelque part.
Phrase énigmatique, qui éveillait mon intérêt. Comme annoncé, elle s’habilla. Un sourire se dessina sur mes lèvres, l’observant se mouvoir ainsi. Ses gestes étaient pleins d’entrain, comme ce fut le cas avant notre escapade. Sa légèreté donnait l’impression qu’aucun mauvais évènement n’était survenu, ce qui était étonnant.
Une fois son pull bleu et sa veste marron sur le dos, elle me fit signe de la suivre. Je m’exécutai sans discuter. Elle passa son bras sous le mien, semblant presque sautiller sur place. Son humeur joyeuse était entraînante, je me laissai emporter par son énergie. J’eus l’impression que mes muscles se détendirent.
Nous empruntâmes les escaliers qui descendaient en ville. Face à nous, le message publicitaire des produits d’immortalité s’animait.
— Qu’est-ce que j’aimerais le casser, ce truc, grogna Alice.
— Je comprends.
— Regarde-la avec son faux sourire et ses produits à la noix ! Immortalité mon cul. Enfin…
Ne sachant quoi répliquer, je passai un bras autour de ses épaules. Alice me lança un regard en coin, puis son sourire s’élargit timidement.
— Désolée, je devrais pas m’emporter… Mais ça me gonfle de voir leur mensonge sous mon nez.
Je tournai le visage vers elle. Ses yeux se perdirent quelques instants dans le vide, avant qu’elle ne reprenne :
— Tu savais qu’ils donnent leur médicament aux cancéreux ? On pourrait croire que ça les sauve. Eh bien non ! OK, ils restent en vie, mais avec leur cancer. Leur douleur reste la même. Et ils sont censés vivre avec ça toute leur vie ? Bref, désolée, ça me dégoûte.
Je me demandais si la colère qui se dégageait de ses propos était vraiment dirigée vers les médicaments ou bien la frustration de l’échec de ses recherches.
— Moi aussi, répondis-je simplement.
J’étais sincère. Ça me dégoûtait. Mais que pouvais-je y faire pour le moment ?
Une fois en bas des marches, Alice attrapa ma main pour me tirer à sa suite. Nous nous engagions directement dans la ruelle gauche, celle qui regroupait toute la partie culturelle de la ville. Une rangée de bâtiments, colorée et animée, s’ouvrait sur une place pavée. En son centre, un gros bâtiment s’élevait fièrement, « Astrodome planétarium » écrit en grosses lettres blanches.
Alice se tourna vers moi, tout sourire, avant de prendre une nouvelle fois ma main, pour me presser. Les portes automatiques s’ouvrirent sur notre passage. L’entrée, entièrement peinte de bleu, nous accueillit par un rideau de chaleur. Au plafond, une auréole boréale traçait notre chemin.
Au bout, se trouvait une femme, chignon relevé et lunettes noires à monture épaisse, bouquinant.
— Bonsoir, j’ai réservé « La petite étoile », dit Alice à la femme.
Cette dernière releva les yeux avec mollesse. Sans un mot, elle sortit un badge d’un tiroir, qu’elle tendit à Alice.
— Viens ! s’écria-t-elle, toute excitée.
Le couloir que nous empruntions était décoré par une peinture stellaire. À l’instar de mon école, elles étaient statiques. Notre chemin était ponctué par le système solaire. Alice me fit un signe de la main, m’invitant dans un couloir plus étroit. Au bout, une porte noire s’ouvrit au passage du badge.
La pièce était sombre, le noir absolu. Alice appuya sur un interrupteur qui émit le bruit d’une VMC. Des milliers d’étoiles s’allumèrent dans un faux ciel en dôme. Elles se mouvaient comme si nous navigions dans l’espace.
Au centre se trouvait une tablette tactile, nous permettant de nous promener dans la galaxie. À travers les années, les scientifiques avaient découvert d’autres systèmes solaires, ouvrant les portes à l’immensité de l’univers.
Mes yeux brillaient avec passion, impressionné par ce tableau de nuit. Depuis toujours, j’admirais la beauté de la galaxie, et tous les mystères qu’elle recelait.
— Le soir où on a été au resto, tu m’as dit qu’avant, on pouvait les voir. T’avais l’air triste, alors j’me suis dit que ça te ferait plaisir. Ici, ils ont reproduit tout l’univers tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Je devais l’avouer, j’étais touché. C’était une belle attention de sa part. Pourtant, c’était moi qui aurais dû lui remonter le moral, après ce qu’elle avait subi. Doublement, si on comptait l’échec de sa découverte.
— Merci beaucoup, c’est… Adorable, murmurais-je, voulant conserver le calme du lieu.
J’avançai vers la tablette et parcourus l’espace. Toutes ces étoiles, ces constellations, ces planètes, ces nébuleuses… C’était si beau. J’en avais le souffle coupé. C’était la deuxième fois que je me baladais dans l’univers. Plus jeune, mon père m’avait téléporté sur d’autres planètes. Le fait d’être immortel était commode. Toutefois, on ne pouvait pas respirer. Au bout d’un moment, le voyage devenait désagréable.
Alice vint se positionner à côté de moi, son bras frôlant le mien. Je lui jetais un coup d’œil discret. Son regard était sur la tablette, observant ce que je faisais.
— Ça va ? finis-je par lui demander.
— Oui super. Pourquoi ?
— Je pensais que tu serais encore… Sonnée par notre dernière sortie, lui confiais-je.
Je laissai la tablette de côté et me tournai vers elle, afin de l’observer dans les yeux.
— Pourquoi je serais sonnée ? s’étonna-t-elle.
Je plissais les yeux.
— Tu es tombée dans les pommes…
— Non, c’est toi qui t’es senti mal.
Le visage d’Alice était déformé par l’incompréhension. Je me remémorais notre soirée. Les images de la R.D.Â., le laser dans l’œil d’Alice, sa chute, me revenaient comme un cauchemar sans fin. J’eus l’impression de sentir de nouveau son corps tremblant entre mes bras. Certes, je m’étais senti mal, mais simplement parce que j’avais peur pour elle.
— Je t’ai porté jusqu’à ta chambre, Alice, tu te rappelles pas ?
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— Après notre enquête, tu es…
Je me tus quand je vis l’expression qu’Alice me fit. Peut-être que le choc de la soirée avait effacé ses souvenirs ? Une lueur passa dans ses yeux, comme si le puzzle se reconstituait. Ses sourcils étaient légèrement froncés.
— Je m’en rappelle pas… Enfin, pas tout à fait. Tout me paraît embrumé.
— De quoi tu te souviens ?
— Juste des types déguisés en Robocop… Et seulement le vide… Un noir complet…
— Je vois.
— Mais ce noir complet… C’est une espèce de brume noire. Je sais pas comment t’expliquer ça. C’est comme si j’avais été dans une sorte de brouillard, ou de fumée noire.
Je pris le temps de la réflexion, ne sachant pas ce que ça pouvait être. Surtout, je ne m'expliquais toujours pas comment Alice avait pu réussir le passage du scan.
Avec délicatesse, je relevais son visage. Elle me laissa faire. Je plongeais mon regard dans le sien, essayant d’apercevoir le fameux voile, au fond de ses pupilles.
Gênée, Alice se détourna pour se concentrer sur la tablette, parcourant l’espace à son tour.
— Je vais bien Matt. T’as pas besoin de t’inquiéter. Mais merci de le faire.
Malgré la pénombre, je pouvais apercevoir le rouge de ses joues. Je ne pus m’empêcher de sourire.
— Tu étais déjà venu ici ? demandai-je pour changer de sujet.
— Oui. Je suis fan d’astronomie. Quand j’étais enfant, j’y passais presque tous mes week-ends. Je connais bien cet endroit ainsi que le directeur, c’est pour ça que j’ai pu réserver cette partie pour une heure. Je voulais te remonter le moral sans savoir que j’en aurais autant besoin également.
Un soupir s’échappa d’entre ses lèvres.
— Mon enquête patine, je n’arrive à rien. On s’est fait choper comme des bleus. J’étais persuadée que je pourrais enfin découvrir la vérité. Mais non.
— On trouvera un moyen, Alice.
— On ? Répéta-t-elle, relevant le visage vers moi.
Un sourire timide s’était tracé sur sa bouche, les yeux emplis d’espoir.
— Ça te surprend tant que ça ?
Elle haussa les épaules.
— Je pensais que tu voulais pas t’en mêler.
— Ça t’a donné cette impression quand je suis venue avec toi dans ton idée folle ? me moquais-je.
Elle me poussa gentiment, le sourire aux lèvres. Puis, son regard se tourna vers les étoiles.
— On a jamais parlé de tes études chez les bourgos… fit Alice, perdue dans la contemplation des étoiles.
Je ne répondis rien. Surprise par mon silence, Alice se tourna vers moi, les yeux remplis d’attente.
— Et ? finis-je par dire.
— Qu’est-ce que tu fais là-bas ? Chez les bourgos, j’veux dire. C’est marrant parce que plus je te connais, plus je me dis que t’as pas leur mentalité.
— J’étudie, répondis-je en haussant les épaules.
Alice fit une moue amusée, relâchant la pression dans ses épaules.
— Oui d’accord, mais tu étudies quoi ? Tu sais que moi, j'étudie la psychologie. Sauf que moi, je sais pas ce que toi, tu étudies.
— Et pourquoi ça t’intéresse maintenant ?
— Parce que j’ai envie de te connaître. Qu’est-ce qui t’intéresse ? Te motive ? Te passionne ?
— Rien que ça, ris-je.
— Allez ! S’écria-t-elle en me donnant un léger coup avec son bras droit, pour me pousser à parler.
Que pouvais-je lui raconter ? Ce n’était pas une question à laquelle j’avais réfléchi. Ce qui était certain, c’est que je ne pouvais pas lui dire la vraie raison de ma présence dans cette université. Qu’est-ce qu’un « bourgos » étudie ? Je n’en ai pas la moindre idée. Bien que j’eusse déjà imaginé ce qu’une vie humaine aurait pu donner, je n’avais jamais réfléchi aux études que j’aurais pu faire. La Mort était mon domaine depuis toujours. Et, quelque part, nous faisions aussi de la psychologie.
Je ris intérieurement. Que répondre ? Qu’est-ce qui se rapprocherait le plus de ce que je fais ?
— La… Science ?
Elle esquissa de nouveau un sourire amusé.
— C’est une question ?
— Non non… J’étudie la science.
— Mais c’est vaste ça ! La chimie ? La biologie ? L’astronomie ? Bref, y’a plein de domaines en science !
— Je fais de… L'analyse… Comportementale.
— Ah, tu veux devenir criminologue, c'est ça ? Je savais pas que ça se faisait ici. Après, c'est pas illogique, puisque tu bosserais avec moi !
— Comment ça ?
— Je veux devenir psychologue. Les criminologues travaillent avec nous pour étudier les comportements et les profils. Tu savais pas ?
— Si, j’avais pas fait le lien, c’est tout.
— Ça te plaît ? demanda-t-elle.
— Oui.
— J’sais pas, tu parais hésitant.
Je détournais le regard, ne souhaitant pas poursuivre cet échange. À la place, je concentrais mon attention sur les étoiles. Je sentais le regard d’Alice glisser sur moi. Malgré tout, je restai silencieux. Si nous poursuivions, je devrai mentir. Dans la mesure du possible, je souhaitai être honnête avec elle. Sincère. Bien que je susse que ce n’était pas entièrement possible. Un morceau de moi devrait toujours être cachée. Mais tout le monde avait un jardin secret, n’est-ce pas ?
Comme elle continuait de m’observer, je lançai spontanément :
— C’est vraiment étrange ce que nous procurent les étoiles.
— Hein ?
— La première fois qu’on les voit, on est fasciné par ce spectacle. On a les yeux qui brillent, on se sent heureux. C’est un spectacle si beau. On est ému, on les regarde le plus possible pour les garder en mémoire. On se rend pas compte de la chance qu’on a de pouvoir les contempler. C’est quand elles disparaissent, qu’on sait qu’on ne les verra plus jamais, qu’on se rend compte que ça nous manque.
Elle m’écoutait attentivement, ses sourcils légèrement froncés pour marquer sa confusion.
— De les revoir une seconde fois… C’est comme une étincelle qui jaillit dans notre cœur. On a le souffle coupé. On se dit que c’est pas possible de voir un si beau spectacle. La nature est tellement bien faite, tellement précieuse. On se rend encore plus compte de ça. Je me sens… Heureux, de les voir.
En me tournant vers elle, j’aperçus le reflet des étoiles dans ses yeux. Sa bouche s’était légèrement ouverte, toujours confuse. Sa chaleur, son odeur… Ce tableau était parfait. Ces moments passés avec elle étaient merveilleux.
— Je pense que tu es une étoile Alice. Parce que tu me fais le même effet qu’une seconde nuit étoilée.
Les yeux d’Alice formèrent des soucoupes. Son corps s'était figé. Son regard brillait. Elle mordilla sa joue intérieure, comme elle le faisait quand elle réfléchissait. Puis elle réduisit la distance entre nous. Sa vapeur parfumée tournait autour de moi, chatouillant mes narines. J’eus envie d’être encore plus proche d’elle. De la prendre dans mes bras, de caresser son cou, son dos. Tout ce qu’elle m’évoquait était tendre.
D’un geste presque timide, je glissai mes doigts sur ses joues. Sa peau était douce, comme je l’avais imaginé. Ses yeux étaient tellement attirants que je m’y perdis. Je dégageais une mèche de cheveux rebelle.
Alice caressa mon cou, puis descendit sa main pour venir la poser contre mon torse. Cette proximité me fit frissonner. Le temps s’était suspendu, perdu dans la contemplation l’un de l’autre. Plus rien n’existait à part nous.
Du bout du pouce, je survolai sa lèvre inférieure. Son regard était brûlant, interdit. Nos respirations étaient courtes, tous les deux avides de l’autre. Dans le creux de mon ventre naquit un besoin de sentir sa bouche contre la mienne. Comme si, sans cela, je ne serais pas entier. Pourtant, une part de moi doutait encore. Est-ce que c’était une bonne chose ? N’étais-je pas égoïste ? Si je la laissais m’aimer, elle souffrirait énormément, entre la perte de ses amis et de ma disparition…
Mon corps avança doucement, se collant contre le sien. Je crois qu’à ce moment, je ne maîtrisais plus rien. Mes sens étaient guidés par mon cœur, non plus par mon cerveau. Ma tête était proche de la sienne, je sentais son souffle contre ma peau.
Quand nos bouches allaient presque se trouver, la porte s’ouvrit avec fracas. Dans la surprise, je relâchai mon étreinte. La lumière éclata avec violence. Je protégeai mes yeux avec ma main — main qui était contre la peau d’Alice quelques secondes auparavant.
— Oh ! Je savais pas que la salle était encore occupée, nous dit une femme avec entrain.
Sur le seuil se trouvaient dix paires d’yeux, nous détaillant avec amusement. Alice bafouilla des excuses avant de courir vers la sortie. J’eus besoin d’un instant avant de réaliser qu’elle avait quitté la pièce, encore prisonnier de notre bulle. Saluant le groupe, je m’élançai à sa suite. Je l’aperçus au loin, rendant le badge à l'accueil.
Une fois dehors, Alice posa ses mains sur ses genoux, se recroquevillant sur elle-même.
— Ça va ? lui demandais-je, inquiet.
— Oui, répondit-elle dans un souffle.
Alors que je m’avançai vers elle, posant une main délicate sur son dos, elle se dégagea avec surprise, prenant la direction du retour. Je ne comprenais pas sa réaction, et la suivis en silence.
Si personne ne nous avait interrompus, nos bouches auraient fusionné, nos âmes se seraient embrasées. Mais, il n’en fut rien. Le moment était passé, Alice devait l’avoir senti.
Ma raison reprit le dessus. Maintenant, je me demandai si ce n’était pas mieux comme ça. Car, au fond de moi, je savais que, si je cédais, il n’y aurait pas de marche-arrière possible. Plus jamais je n’aurai envie de quitter la chaleur de ses bras, la douceur de sa peau. Mon âme s'entâcherait à l’infini, changeant de couleur à chaque instant.
Nous montions les marches en silence. Son regard était fuyant. Seul son souffle épuisé rompait l’instant.
Une fois en haut, nous nous dirigeâmes dans le hall, où les affiches de l’anniversaire de Melvin nous accueillirent. Alice s’arrêta, le feu aux joues, avant de se tourner vers moi. Ses yeux glissaient sur moi, avant de se poser sur les miens. Elle se mordit la lèvre, soucieuse. Puis, elle se racla la gorge, avant de me demander d’une voix étouffée :
— On y va ensemble ?
Nos regards ne se quittaient plus, hypnotisés. Puis, je finis par hocher la tête, lui répondant d’une voix douce et grave :
— Oui. Je viendrai te chercher. Ça te va ?
Elle hocha lentement la tête.
Puis, au moment de se quitter, je me rappelai avoir laissé ma veste dans la chambre d’Alice. Mes clefs au fond des poches. Je lui proposai de l’accompagner, ce à quoi elle répondit par un sourire timide.
Dans sa chambre, elle s’agitait, comme pour s’occuper les mains et l’esprit. Je balayai la pièce, avant que mon regard ne soit attiré par le cadre photo, posé sur sa table de chevet. En m’approchant, je détaillai le cliché, déjà vu lorsque j’étais venue chercher des affaires pour Alice, après son agression.
Cette fois-ci, quelque chose attira mon attention. Au départ, je ne compris pas pourquoi. Puis, j’observai la mère d’Alice, tout sourire, avec l’instinct de l’avoir déjà rencontrée. Seulement, mon cerveau était trop ramolli, je n’arrivais pas à remettre le doigt sur mes souvenirs.
Tout en réfléchissant, j’attrapai ma veste, la posant sur mon bras. Je fus incapable de détourner les yeux, avide de trouver mes réponses. Puis, je levai la tête vers Alice, qui m’observait faire en silence.
— Comment s’appelait ta mère, déjà ?
Elle pencha la tête de côté.
— Chrystellia. Mais, elle n’aimait pas son prénom entier. Tout le monde l’appelait Chrys, elle écrivait toujours son prénom avec…
Alice n’eut pas le temps de terminer sa phrase que je laissai échapper le cadre. Il explosa sur le sol ferme, éparpillant une centaine de morceaux de verre.
Chrys. Chrys. Chrys.
Son prénom fit écho dans mon cerveau comme un mauvais souvenir, un goût amer sur le bout de la langue. Ainsi, c’était elle. L’âme que mon professeur m’avait donnée. C’était la mère d’Alice. Sa mère. Son âme.
Mon cerveau me faisait maintenant souffrir, ces mots tournant en boucle en moi comme une chanson insupportable. Ma vue se troubla, mes membres tremblaient. Manquant de tomber, je me retenais sur le bureau, entendant la voix d’Alice se perdre comme un écho au milieu des montagnes. Lointain, vibrant.
— Matt, qu’est-ce que tu… Parvins-je à entendre.
Mon souffle se coupait par intermittence, mes poumons ne voulaient plus fonctionner correctement.
La sonnerie de mon Platphone me sortit de ma léthargie. Je secouais la tête, essayant de retrouver une contenance. Alice ne bougeait plus, comme figée. Je fis quelques pas, récupérant mon Platphone entre les mains.
« Viens vite, c’est urgent !!! » — Mirabella.
Je rangeai rapidement mon appareil dans la poche, avant de tituber vers la sortie. Je marmonnais des excuses, probablement inaudible, avant de fuir comme un voleur. Le son de ses pas résonnait derrière moi, avant de s’interrompre. Je ne me retournai pas, m’éloignant le plus vite possible.
Comment avais-je fait pour passer à côté de ce détail ? Pourquoi Monsieur Rhânlam m’avait donné cette âme ? Savait-il que nous avions été interpellé par la R.D.Â. ? « Spécialement pour toi… » me revenaient ses paroles. Un flot continu de questions se bousculait en moi. Bientôt, j’aurai ma session avec mon professeur. Nous pourrions enfin avoir la conversation que j’attendais, et les réponses que j’espérais.
Je montais les marches quatre à quatre, me pressant de rejoindre Mirabella. Lorsque j’eus scanné la porte, elle s’ouvrit sur une scène des plus surprenantes.
Des Renifleurs avait envahi l’espace. Identifiables facilement grâce au pin’s représentant un nez doré accroché à leur poitrine, qu’ils portaient quand ils étaient en mission. Ils avaient plusieurs rôles au sein du Grand Conseil et dans notre monde. En plus de diriger la R.D.Â., ils étaient également enquêteurs des crimes non prémédités par le Grand Conseil. C’était ironique : Ils aidaient autant à résoudre un meurtre qu’à le commettre.
J’allais avancer, puis m’arrêtai net. Pendant un instant, je me demandai s’ils étaient présents pour moi. Est-ce que c’était vraiment Mirabella qui m’avait envoyé ce message ? En fouillant la pièce du regard, je ne la vis nulle part. Un peu plus loin, Melvin discutait avec un Renifleur, qui lui tapota l’épaule, l’air de le connaître. Comme par hasard.
Dans ses mains, j’aperçus le Platphone de Mirabella — c’était le seul à ma connaissance qui portait un petit bracelet de fleur. Je fis un pas en arrière. M’avait-il envoyé le message ? Pour me piéger ?
Je reculai encore, finissant ma course contre la porte, qui émit un gros bruit de fracas. Tous les regards se tournèrent vers moi. Le silence me mit mal à l’aise, pendant un instant, le temps sembla comme figé.
Quand Melvin m’aperçut, son front se plissa. Son regard était grave, de mauvais augure. Pour une fois, l’amusement et la moquerie avaient déserté son visage. Puis, il avança lentement vers moi, dégageant le passage.
C’est là que je le vis dépasser d’entre la foule… Le cadavre.
Annotations