Chapitre 11

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Gandolfo Ghiotto sort de l’appartement de sa fille après le déjeuner. Pour une fois, ses petits-enfants, Livia et Alceo, ne se sont pas chamaillés. Un sourire aux lèvres, Le vieil homme songe à ce que cache cette soudaine accalmie dans leurs relations. Dès la vaisselle rangée, ils sont partis retrouver leurs amis, il les reverra le lendemain pour un nouveau repas.

Sous le soleil de cette belle journée, la neige a fondu, ne laissant que des flaques d’eau, des tas boueux, mais surtout une odeur particulière, différente de celle de la pluie. Une odeur de propre, comme si la ville avait été nettoyée par la couche blanche.

***

Les trois enfants patientent sur le campo de la Celestia, ils observent le vieil homme depuis le coin d’un mur. Sous les conseils d’Agostino, ils ont conçu une procédure de surveillance, en se postant à un endroit où ils seraient invisibles.

Gandolfo marche d’un pas de flâneur. L’homme sourit, heureux de profiter du soleil.

Plus loin derrière lui, Livia, Agostino et Silvio se mettent en marche, la filature commence. Oh, ils connaissent le trajet du grand-père de Livia, mais l’idée de le suivre en secret est beaucoup plus amusante. Lorsque Gandolfo ouvre sa maison, ils se précipitent vers lui.

— Bonjour, Silvio, bonjour, Agostino, rebonjour, Livia. Que faites-vous donc ici ?

Pris au dépourvu, les trois amis restent muets.

— Ne restez pas là avec vos airs ahuris, reprend Gandolfo.

Il rentre dans le couloir et laisse la porte grande ouverte.

Plus familière des lieux que les deux garçons, Livia le poursuit dans sa cuisine. Il s’affaire déjà à préparer du café.

— Asseyez-vous donc ! dit-il, un peu agacé par la timidité de ses jeunes invités.

La cafetière émet des ploc ploc et la pièce commence à se remplir de l’odeur du café. Les trois enfants attendent timidement le vieil homme.

— Alors, que me vaut cette mystérieuse visite ?

Agostino jette un regard en coin vers Silvio. Après tout, l’idée vient de lui, à lui de prendre la parole.

Silvio, intimidé, regarde Livia, il ne souhaite pas manquer de courage devant elle, alors, il se lance.

— Monsieur Giotto ?

— Oui, Silvio ?

— Connaissez-vous Madame Sgarlatta ?

— Je connais un peu toutes les vieilles personnes du quartier.

— Que savez-vous de sa sœur ?

Le visage de Monsieur Ghiotto se voile, son regard s’égare dans le vide, juste au-dessus du garçon. Pendant une longue minute, il semble plongé dans une grande incertitude, puis il secoue la tête comme si ce mouvement pouvait la faire revenir à l’instant présent. Il se tourne vers Livia et prend une profonde inspiration.

— Livia, tu te souviens, hier, je t’ais raconté l’histoire de la Befana.

— Oui, convient la fillette, et je me souviens aussi que tu en as profité pour ne pas me parler de madame Sgarlatta.

— D’accord, jeune fille, je vais répondre à vos questions sur madame Sgarlatta et sur sa sœur, reprend son grand-père en souriant à pleine dent.

Le vieil homme prend une grande inspiration, semble chercher dans sa mémoire.

— J’ai toujours connu Madame Sgarlatta, reprend-il. Je ne sais pas si c’est un effet de ma mémoire, mais je l’ai toujours vue comme la vieille dame aimable qui balaye devant sa maison étroite. Quand j’avais votre âge, on était persuadé que c’était une sorcière. On venait l’espionner avec mes copains, on racontait déjà des tas de choses à son sujet.

— Ce n’est pas possible, déclara alors Agostino avec agacement. Si vous la connaissiez déjà vieille quand vous aviez neuf ans, alors elle doit avoir plus de cent ans.

— Et même bien plus que ça, mon garçon. Ma grand-mère m’a raconté un jour que madame Sgarlatta l’avait aidé lors de la naissance de mon père. On lui prête des talents de guérisseuse, des talents pour prédire les malheurs et les bonnes choses.

— Mais alors, qui est-ce ?

— Quand j’étais petit, les adultes qui nous surprenaient alors que nous observions la vieille dame nous disaient souvent qu’il ne faut pas fâcher la Befana, sous peine de voir ses chaussettes remplies de charbon, à l’Épiphanie.

— N’importe quoi, se révolte Agostino.

— Vous essayez de nous faire croire que Madame Sgarlatta est la Befana ? Interroge Silvio. Que sa disparition veut juste dire qu’elle est partie en tournée pour distribuer des bonbons aux enfants sages et du charbon aux méchants ?

— Madame Sgarlatta a disparu ?

— Oui, nous la suivions, comme tu le faisais à notre âge, explique Livia. On était dans une ruelle et d’un coup, elle n’y était plus.

Monsieur Ghiotto écoute sa petite fille avec attention, son visage semble soudain bouleversé par la nouvelle.

— Dans quelle rue a-t-elle disparu ? demande-t-il avec empressement.

— Dans le Ramo Dei Re Magi, déclare Agostino en lisant un petit carnet à spirales qu’il vient de sortir de sa poche.

Gandolfo se lève et passe dans une autre pièce. Il en revient quelques instants plus tard avec un vieux plan de la ville qu’il déplie sur la table.

— C’est un très vieux plan, s’émerveille Silvio en regardant l’écriture ancienne et les gravures représentant les principaux monuments de la ville.

— Oui, ce sont les seuls sur lesquels on trouve toutes les rues, les nouveaux ne valent rien, précise Monsieur Ghiotto.

Les enfants le regardent alors qu’il cherche à repérer le Ramo Dei Re Magi. Ses yeux se plissent et son doigt parcourt le tracé des rues de la ville. Soudain il relève la tête.

— C’est ici, n’est-ce pas ? finit-il par demander en pointant le doigt sur un minuscule nom.

— Oui, affirment en chœur les trois enfants.

— Vous vouliez m’interroger sur la sœur de Madame Sgarlatta. Pourquoi ?

— La voisine de madame Sgarlatta ne l’a pas vue depuis hier, elle pense qu’elle est allée voir sa sœur qui vit Calle Del Strigone, lit Agostino sur son carnet.

Gandolfo observe à nouveau le plan, trouve ce qu’il cherche et lève les yeux vers ses invités.

— Vous connaissez tous trois l’histoire de la Befana.

Le vieil homme regarde les enfants qui opinent en signe d’acquiescement.

— Saviez-vous que la Befana avait une sœur ?

— Oui, tu me l’as dit hier, ronchonne Livia.

— Mais tes amis n’étaient pas là.

Gandolfo se relève en emportant sa tasse et la remplit de café. Ceci fait, il se rassied devant les trois compagnons.

— On connaît tous l’histoire de la vieille dame qui distribue des cadeaux en tentant de rejoindre les rois mages, mais on ignore que la Befana avait une sœur qu’elle chérissait. Sa sœur était veuve lorsque la Befana est partie sur les routes et les deux femmes partageaient le même foyer. Abandonnée par son unique famille, la grande sœur fut désespérée, elle conçut une grande rancune envers sa cadette.

Le vieil homme s’interrompt un instant pour boire une gorgée de café. À travers la fumée qui s’échappe de sa tasse, il regarde les yeux des enfants, ronds comme des billes, pleins d’impatience. Il repose enfin le récipient dans sa soucoupe.

— Après son voyage, la Befana revint auprès de sa sœur et elles vécurent heureuses. Chaque année lorsque la bienheureuse sorcière enfourchait son balai pour dispenser ses cadeaux, le cœur de sa sœur s’animait de ressentiment et de méchanceté. Elle devenait chaque année plus puissante et maléfique, plus jalouse et méchante…

— Êtes-vous en train de nous dire que Madame Sgarlatta est la Befana et qu’elle a disparu à cause de sa méchante sœur ? demande Silvio, incrédule.

— Je me souviens bien de la maison de sa sœur. Je ne suis plus passé par la Calle Del Strigone depuis des années. Mais le Ramo Dei Re Magi donne juste à l’arrière de la maison de cette dame. Ici, déclare Gandolfo en pointant son doigt sur la carte.

Les trois enfants regardent le plan et constatent que le grand-père de Livia ne se trompe pas sur ce point.

— Nous sommes allés dans la Calle del Strigone, il n’y a que des ruines là-bas, personne n’y vit, réagit Agostino en lisant les notes de son carnet.

— Comment y êtes-vous allés ? Si je n’avais pas trouvé le Ramo Dei Re Magi sur le plan, je ne l’aurais pas vue.

— C’est votre chat, le gros chat roux qui nous a montré le chemin, dit Silvio.

Gandolfo se lève à nouveau, surpris. Une ombre de désespoir assombrit son visage et c’est d’une voix triste qu’il reprend.

— Je crains que la sœur de la Befana ait fini par devenir trop jalouse. Elle a dû enlever Madame Sgarlatta.

— Que peut-on faire ? implore Livia.

— Cette histoire nous dépasse tous les quatre. Même mes amis chats ne seront pas d’un très grand secours… L’Épiphanie est après-demain, nous n’avons pas beaucoup de temps pour agir. Il nous faut appeler les forces de la magie de Noël.

— Mais, Noël est passé, riposte Agostino qui s’efforce de ne pas croire aux paroles du vieil homme.

— Noël ne prend réellement fin que lorsque la Befana a distribué ses bonbons, la magie persiste jusqu’à cette date.

— Comment fait-on pour appeler les forces de la magie de Noël ? demande Silvio.

— Je vais vous expliquer. Ce soir, avant de vous coucher, vous prenez une feuille de papier et vous écrivez une belle lettre au Père Noël. Vous le prierez de retrouver la Befana, il ne pourra pas ignorer l’appel de trois enfants.

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