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Dans un pays marqué par ses traditions, la couronne scintillante de la reine n’était plus qu’un symbole creux d’une nation en mutation. Ce territoire autrefois fier, imprégné de légendes et de valeurs séculaires, avait changé le jour où un étrange engin s’écrasa sur la terre des Graham. Ce domaine, imposant et chargé d’histoires, était demeuré vide depuis des années, laissé à l’abandon par une lignée ancienne et repliée sur elle-même. Mais ce jour-là, un fragment venu des étoiles bouleversa cet équilibre fragile.

L’engin, étrange et massif, avait atterri dans la pénombre d’une aube brumeuse, au milieu des vastes terres des Graham. Non loin de là, une modeste ferme appartenant à la famille Richter, pieuse et discrète, fut témoin de l’événement. Un père aux mains calleuses, une mère au sourire empreint de tendresse, une fille aînée à la vivacité d'esprit, et un jeune garçon curieux formaient cette cellule paisible. Pourtant, leur proximité avec cet événement extraordinaire allait sceller leur destin.

L’armée ne tarda pas à arriver, suivie de près par les scientifiques et les hommes en costumes sombres, porteurs d’autorité et d’intentions obscures. La ferme Richter fut encerclée, ses habitants interrogés sans ménagement. Leur maison, leurs souvenirs, et même leur foi furent réduits à des cendres sous prétexte d’un danger national. Officiellement, ils avaient disparu, emportés par une « opération de sécurité ». Officieusement, leur sort devint une rumeur : certains parlaient de massacres, d’autres de disparitions orchestrées, mais le résultat était le même.

Ce mystérieux artefact spatial, source de fascination et de convoitise, devint l’arme silencieuse d’un changement insidieux. Les Graham, dont le nom était jusque-là tombé dans l’oubli, revinrent sur le devant de la scène. La haute société s’en empara, proclamant que cette technologie, encore indéchiffrable, était la clef d’un avenir radieux. En réalité, ce trésor inestimable était utilisé pour renforcer leur contrôle social et intensifier l’exploitation des classes laborieuses.

Le peuple, d’abord émerveillé par les promesses de progrès et d’abondance, se heurta vite à une vérité plus sombre. L’économie bascula, les inégalités s’exacerbèrent, et la colère enfla. La famille, autrefois louée comme visionnaire, devint une figures de haine, accusée d’avoir vendu l’avenir du pays pour leur propre gloire. Leur domaine, jadis sacré, était maintenant vu comme une cage dorée renfermant les secrets d’une oppression moderne.

Dans les rues encombrées de Vyatle, la capitale, les murmures de révolte devenaient des cris. Sous les monuments majestueux, dans les sous-sols humides et les ruelles crasseuses, s’organisait une résistance. Des ouvriers aux étudiants, des anciens soldats aux érudits désabusés, tous se rassemblaient dans l’ombre. Leur colère était dirigée contre l’élite, mais surtout contre ce nom, Graham, qui symbolisait à leurs yeux la trahison ultime.

Au cœur de ce mouvement se dressait une figure énigmatique, un leader aux discours enflammés et au regard acéré. Ses intentions n’étaient pas aussi nobles qu’il voulait le faire croire : il se nourrissait de haine et de vengeance, exploitant la douleur de ses partisans pour avancer ses propres ambitions.

Ainsi, sous l’apparente stabilité de cette nation couronnée, grondait une tempête. Le pays semblait suspendu au bord d’un gouffre, chaque étincelle menaçant de transformer le mécontentement latent en un brasier incontrôlable. Et au centre de ce chaos, l’engin extraterrestre demeurait, silencieux et immobile, gardant ses secrets comme un témoin impartial du désordre qu’il avait déclenché.

Ainsi, les souterrains résonnaient d’une agitation palpable. L’amphithéâtre, autrefois silencieux et majestueux, était désormais le théâtre de murmures furieux et de discussions enflammées. Des centaines, peut-être des milliers de personnes s'y étaient entassées, chaque visage marqué par l’épuisement et la colère. Le mouvement, uni par un but commun, semblait se fissurer, et la tension n’avait jamais été aussi lourde.

Sur l’estrade, Thomas, jeune homme à la silhouette élancée mais aux épaules alourdies par la responsabilité, tentait désespérément de maintenir l’ordre. La tâche était titanesque. Les rumeurs enflaient : le boss, leur phare dans l’obscurité, n’était plus. Certains disaient qu’il avait fui, d’autres qu’il avait été capturé ou même tué.

—Il est parti, c’est évident ! hurla un homme du fond de la salle, le poing levé.

—Paul doit prendre la relève ! renchérit une femme

Ceci provoqua des acclamations dans son coin du public.

Thomas, ajustant nerveusement ses lunettes, s’efforça de calmer les voix.

—Écoutez-moi ! Rien n’est clair dans cette histoire. Jusqu’à preuve du contraire, notre leader est toujours des nôtres. Nous devons...

Mais il n’eut pas le temps de terminer. Les cris s’intensifièrent, et une vague de désordre envahit l’assemblée.

Assis en bordure de l’estrade, un vieil homme observait la scène avec un sourire cynique. Ses longs cheveux gris, presque blancs, encadraient un visage buriné par les années et les regrets. Entre ses mains, un fusil à pompe qu’il nettoyait méticuleusement. Il leva les yeux vers le jeune homme, dont l’énergie commençait à vaciller.

— Tu perds ton temps, gamin.

—Pas maintenant, Emmerich, grogna Thomas, agacé.

Mais le vieillard ne se laissa pas démonter.

— Je te l’avais dit. Ces gens-là, ils suivent le vent. Leur leader disparaît, et tout part en vrille. Alors pourquoi tu restes ? Avec ta jeunesse, tu pourrais être ailleurs. Trouve-toi un coin tranquille, quelques petites poulettes sympa, et laisse tout ça derrière toi. »

Thomas le fusilla du regard, mais n’eut pas la force de répondre. Il regarda l’horloge au mur. Une heure qu’il attendait un signe, un mot, quelque chose. Rien.

L'ancien soldat, amusé par le silence, reprit :

—Paul va finir par prendre les rênes. Et ce sera pareil qu’avant. Des grands discours, un peu de chaos, et puis ça retombera. Toi, tu seras encore là, à attendre l’impossible.

Le garçon, la mâchoire crispée, serra les poings.

—Non. Je vais le chercher.

Le vieux éclata d’un rire rauque.

—Toi, le trouver ? Ah ! T’as pas plus de chances de le retrouver que moi de devenir roi de ce putain de pays !

Ce dernier ne répondit pas. Il se leva brusquement, ajusta ses lunettes et jeta un dernier regard à la salle en désordre. Chaque cri, chaque geste amplifiait sa détermination.

—Reste là à radoter, viel homme. Moi, je vais faire ce que je dois.

Il gravit les marches menant à la sortie, ses pas frappaient la pierre froide. Derrière lui, les échos de l’amphithéâtre s’éloignaient peu à peu. Emmerich secoua la tête, un sourire mi-amusé, mi-mélancolique accroché à ses lèvres.

—Bonne chance gamin ! Mais qu'est-ce qu'il est con ! Pense un peu à ta gueule !

Mais celui-ci n’écoutait plus. Pour lui, ce n’était pas une question de chance. C’était une question de conviction, et il était prêt à tout pour les défendre.

Le responsable s’élança dans le dédale de couloirs, ses pas résonnant comme une cadence militaire sur le sol glacé. Le tunnel qu’il empruntait, immaculé et baigné d’une lumière froide, paraissait sans fin. L’air y était si sec et si métallique qu’il en avait la gorge irritée, mais il ne ralentissait pas. Chaque mètre parcouru amplifiait son angoisse. Il consultait nerveusement son communicateur, espérant une réponse, un message, une trace. Mais rien. Toujours rien.

Il avait des idées, bien sûr. Quelques endroits où il pourrait chercher à la surface. Mais il savait aussi que le temps lui manquait. La salle grouillait d’impatience, et si les esprits s’échauffaient davantage, le fragile équilibre qu’il avait maintenu jusque-là s’effondrerait. L’occasion de les réunir autour d’un objectif commun s’évanouirait, et avec elle, toute chance de continuer leur lutte.

Alors qu’il tournait brusquement à un carrefour du tunnel, prêt à changer de trajectoire, il s’arrêta net. Une silhouette se dessinait devant lui, si calme qu’elle paraissait presque irréelle.

C’était un homme, grand, bien plus imposant que Thomas. Ses épaules larges semblaient presque toucher les parois du couloir, et ses pas, mesurés et lourds, résonnaient avec une puissance maîtrisée. Ses cheveux blonds, attachés en une discrète queue de cheval, contrastaient avec son teint pâle, marqué par des cicatrices profondes qui zébraient la partie droite de son visage. Mais en une fraction de seconde, il ajusta un masque qui couvrait précisément cette moitié balafrée, ne laissant visible que son profil gauche étonnamment intact, presque noble.

Thomas, surpris, sentit un frisson parcourir son échine. L’homme dégageait une autorité naturelle, une présence écrasante qui aspirait toute l’attention. Ses yeux gris, froids et perçants, semblaient sonder chaque pensée du jeune homme. Et pourtant, son mouvement était calculé, presque élégant, comme s’il dansait avec la lumière blafarde du tunnel.

D’un geste fluide, il tira légèrement sur ses gants noirs, ajustant leur position sur ses mains robustes, avant de s’immobiliser à quelques mètres de son camarade. Il portait un jeans d’un bleu si sombre qu’il semblait presque noir, assorti à une veste de costume parfaitement taillée. Sous celle-ci, un maillot étrange arborait un dessin de tasse de thé et une bouteille d’eau ornée du drapeau de la nation rouge de sang et bleu océan ajoutait une note énigmatique à sa tenue autrement sobre.

Dans sa main droite, il tenait une valise d’apparence compacte mais visiblement lourde. Pourtant, il la portait sur son épaule avec une aisance qui trahissait sa force physique.

—Bonsoir, Thomas, sa voix, grave et mesurée, vibrer dans le tunnel, Tout va bien ?

Chaque mot était pesé, chaque intonation soigneusement placée, comme s’il savait déjà tout des tourments du jeune homme.

Ce dernier se raidit. Il connaissait cet homme, ou plutôt, il connaissait sa réputation. Il était une énigme, un être dont on murmurait le nom dans les couloirs sombres. Pourtant, en cet instant, Thomas était cloué sur place, partagé entre méfiance et curiosité.

Les yeux de l’homme, malgré leur froideur apparente, brillaient d’une intensité étrange, presque provocatrice. Il attendait une réponse, mais son sourire en coin semblait indiquer qu’il connaissait déjà la suite.

Le silence du tunnel s’épaissit, tandis que Thomas s'efforçait de garder son calme, mais le contraste entre son anxiété maladroite et l'assurance désinvolte du chef ne faisait qu’accentuer son malaise. Le maître avançait d’un pas mesuré, presque nonchalant, tenant sa fameuse valise d’une main tandis qu’il fouillait dans une poche intérieure de sa veste de l’autre.

—Boss ! Content que vous soyez enfin là…

—André ! l’interrompit celui-ci, avec un large sourire presque carnassier.

—Oui ! c’est ça, André. Tout le monde est là et vous attends. hein !

Il s’arrêta un instant, se tournant vers Thomas avec un regard joueur.

—Ça fait longtemps mon gaillard, tu grandis encore, à ce train là, tu vas pouvoir porter l'étendard de la cause au palais. Tu veux des bonbons ?

Thomas cligna des yeux, déconcerté. « Un bonbon ? » répéta-t-il comme s’il n’avait pas bien entendu.

André éclata de rire, un son rauque qui semblait remplir tout l’espace du tunnel.

—Oui, un bonbon ! Voyons, mon pote, peut-être même que ma valise en est pleine ! Comment on appele ceci chez nous confiserie, une grignotine, “un sweets” ? Tiens, prends-en un, régale-toi. On ne devrait pas laisser la révolution commencer le ventre vide, hé hé !

Il ouvrit sa valise avec un geste théâtral, révélant un assortiment improbable de bonbons multicolores, de chocolat dans des emballages lumineux, des petites friandises inconnus mais d'autant plus alléchantes, tous, soigneusement alignés comme des pierres précieuses. Thomas, hésitant, tendit la main pour en prendre un. Le goût sucré explosa dans sa bouche, et un sourire involontaire lui échappa.

—C’est délicieux… Vous en trouvez où, des comme ça ? demanda-t-il, l’air impressionné.

—Nulle part, mon gars. T'as perdu la tête ! Encore heureux vu que je suis le seul fournisseur. André cligna de l’œil, laissant son ami bouche bée.

Ils reprirent leur marche, Thomas légèrement en retrait, savourant son bonbon tout en essayant de suivre le rythme imposé par l’homme. Loin d’être intimidé, André semblait s’amuser de la situation.

Ainsi, Thomas s’était toujours tenu droit, avec une certaine dignité qui imposait le respect. On le reconnaissait à sa prestance et à ce charisme tranquille qui apaisait les esprits. Mais face à André, il semblait presque insignifiant. Le paront n’avait pas besoin de gestes grandiloquents ni de discours enflammés pour capter l’attention : il était une force brute, un aimant autour duquel gravitait chaque regard, chaque souffle de la pièce.

Lorsqu'il entra dans la salle, le chaos s’arrêta net. Ses pas, lourds et mesurés, résonnaient dans l’amphithéâtre comme des coups de marteau. La valise qu’il portait à bout de bras semblait peser autant que le silence qu’il imposait. Les membres de l’assemblée, pourtant hargneux et impatients une seconde auparavant, se figeaient comme s’ils redoutaient qu’un seul mot ou mouvement attire son attention.

Il ne salua personne, ne chercha pas à justifier son retard. André n’en avait pas besoin. Sa présence seule suffisait à renverser la dynamique de la salle. Son visage, marqué par une balafre qui dessinait un arc cruel sur son joue droite, était à moitié dissimulé par ce masque noir avec motif argenté. Son œil visible, d’un gris presque métallique, balayait la foule d’un regard à la fois analytique et méprisant.

Le vieux Emmerich, assis en retrait, esquissa un sourire édenté en le voyant. Il murmurait à ceux autour de lui.

—Regardez-moi ça, le lascar est de retour.

André monta sur l’estrade avec une aisance presque dérangeante. Son allure imposante, accentuée par son manteau sombre et sa silhouette élancée, ne nécessitait ni micro ni artifice pour capter l’attention. Il leva une main, agitant ses doigts comme pour capturer l’énergie de la pièce. Puis, soudain, il éclata de son rire si particulier : un son brisé, mi-humain, mi-mécanique, qui résonnait comme un écho grinçant entre les murs.

Les membres de l’assemblée s’agitaient, se demandaient ce qui allait suivre. La figure de proue ne marchait pas pour calmer son propre stress non, chaque mouvement semblait calculé pour maintenir la tension. Et pourtant, il s’arrêta, droit et immobile, scrutant chaque visage avec une intensité presque dévorante.

—Alors, je vous ai manqué ?

Un silence pesant répondit. Personne n’osait parler. Lentement, il fouilla dans son sac, les yeux de la foule rivés sur ses mains. D’un geste théâtral, il en sortit… des bonbons. Et, dans un geste aussi inattendu que grandiose, il lança une poignée de bonbons au-dessus de la foule. Les sucreries virevoltèrent dans l’air, retombant comme une pluie colorée sur une assemblée figée entre stupeur et hilarité.

La tension se brisa en éclats de rires et d’exclamations. Certains se battaient pour attraper les friandises, d’autres les ramassaient à leurs pieds comme s’ils venaient de recevoir une bénédiction. Le responsable, quant à lui, se tenait immobile, un sourire narquois sur les lèvres, observant son œuvre.

Puis, quelque part dans l’obscurité, une voix tonna.

—Va te faire foutre, André !

Le murmure se transforma en grondement, mais André, imperturbable, pivota lentement, cherchant l’insolent parmi la foule. Lorsqu’il trouva sa cible, il pointa un doigt accusateur, un sourire étrange étirant les traits de la partie visible de son visage.

—Toi. Oui, toi, Jacquet Seasman Cooper.

Il prit une pause, savourant le malaise palpable qui s’installait.

—Ashbasham, le 14 février. Tu brûleras l’immeuble entier.

Un rire glaçant s’échappa de sa gorge, mais il n’avait rien d’humain. Il résonnait comme un cri étouffé, amplifié par l’acoustique oppressante de la salle. La foule, d’abord confuse, explosa en cris, en chants. Les partisans les plus fervents frappaient des poings contre les murs, scandant des slogans en l’honneur de leur maître.

Jacquet, lui, vacillait. Le sol semblait se dérober sous ses pieds. Les visages autour de lui se tordaient en une masse indistincte, leurs hurlements devenant une cacophonie insupportable. Chaque mot, chaque signe tracé dans l’air était une condamnation.

André, immobile, observait la scène avec une satisfaction glaciale. Il avait orchestré cette frénésie sans lever le moindre doigt, sans surréagir. C’était là son pouvoir : faire plier une foule à sa volonté par sa seule présence, transformer le doute en dévotion fanatique.

Voilà le genre d’homme qu’était André : un démiurge noir, qui imposait le chaos avec la précision d’un chirurgien.

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