Aïeux

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Il existe mille et une raisons pouvant amener un homme à rencontrer Manea ou à se retrouver dans une cellule de prison hautement sécurisée. Parmi elles, perdre son chemin au fin fond de la ville en fait partie.

Au-delà des limites connues, là où le béton de la cité cédait place à une nature presque sauvage, il y avait un chemin qui serpentait au milieu d'une verdure soigneusement entretenue. De part et d'autre, des haies impeccables bordaient une route de terre battue, encadrée par des arbres imposants. Au loin, on devinait une vaste ferme à l'architecture robuste et ancienne, ses murs de pierre flanqués de volets bleus délavés. Autour, un champ s'étendait à perte de vue, où chaque brin d'herbe semblait avoir été brossé par le vent et chaque arbre entretenu par des mains invisibles.

Le jeune homme marchait, ses pas étouffés par un tapis de mousse douce qui bordait un sentier en terre battue. À perte de vue, des maisons au charme rustique, mais impeccablement entretenues, se dressaient telles des reliques intemporelles. Leurs murs étaient faits de pierre blanche, et leurs toits d’ardoise sombre brillaient faiblement sous les rayons d’un soleil déclinant. De larges baies vitrées offraient des aperçus de foyers chaleureux : des rideaux en lin léger, des bibliothèques pleines de livres anciens, et parfois, l’éclat fugace d’un feu de cheminée.

Les odeurs aussi contribuaient à l’enchantement. Une brise fraîche, légèrement boisée, portait des effluves de pain tout juste sorti du four, de soupe mijotée, et de fleurs sauvages. Tout semblait inviter à ralentir, à respirer, à s’imprégner de cette tranquillité presque irréelle. Pourtant, au milieu de cette beauté, un détail frappait : l'absence de toute vie humaine visible. Pas de rires d'enfants qui jouent dans le parc, pas de moteurs qui ronronnent, pas même l’écho d’une conversation sur le chemin. Seules les feuilles des arbres et les chants d’oiseaux troublaient ce silence presque parfait.

Le jeune homme, qui n'était pas encore André, avançait avec une fascination naïve. Son téléphone, tenu dans une main, affichait désespérément l’absence de réseau. Il essayait de capter un signal, tournant sur lui-même, sans remarquer que ses pas l’entraînaient toujours plus profondément dans cet endroit isolé.

Et puis vint l’instant étrange, presque surréaliste.

Alors qu’il avançait, fasciné, un bruit discret l’interrompit. Un murmure liquide, doux et presque caché par le bruissement des feuilles. Il tourna la tête vers une clairière bordée d’arbustes et vit une silhouette accroupie, presque dissimulée par les hautes herbes et les fleurs sauvages.

C’était une jeune femme. Elle était assise sur ses talons, concentrée sur ce qu’elle faisait, manifestement, elle urinait. Sa robe blanche mi-longue était soigneusement relevée, révélant des jambes fines et une posture à la fois naturelle et pleine d’assurance. Dissimulée partiellement par les hautes herbes et les marguerites sauvages, sa peau noir resplendissait.

Le jeune homme, pris au dépourvu, s’arrêta net. Pris de court, celui-ci rougit violemment, mais il ne pouvait détourner les yeux. La scène avait quelque chose d’intime, mais aussi d’étrangement naturel. La femme, consciente de sa présence, leva les yeux, et loin de s’offusquer, elle esquissa un sourire charmant, comme si cette rencontre n’avait rien d’anormal.

— Bonjour ! dit-elle simplement, d’une voix claire et mélodieuse.

Avant qu’il ne puisse répondre, elle se redressa avec une aisance gracieuse et partit en courant. Ses longs cheveux noirs, presque bleu nuit sous le soleil, flottaient derrière elle comme une cascade. Mais alors qu’elle s’éloignait, une chose inattendue se produisit : un petit morceau de tissu rose glissa de sa jambe lors de son premier pas précipité.

La culotte tomba doucement dans l’herbe, à quelques mètres du jeune homme. Il la regarda, figé, partagé entre la gêne et une curiosité qu’il n’aurait jamais osé avouer.

La jeune femme ne s’en rendit pas compte, ou peut-être l’ignora-t-elle volontairement. Elle courut en direction de la grande ferme située un peu plus loin, ses pieds effleurant le sol avec une légèreté presque irréelle. Son rire cristallin résonnait encore dans l’air lorsqu’elle disparut derrière les portes en bois massif de l’entrée principale.

Le jeune homme baissa les yeux vers la culotte, puis vers la ferme. Ce qu’il avait ressenti à cet instant précis, il aurait été incapable de le nommer. Une gêne, oui, mais aussi une étrange fascination. Cet endroit, cette femme, tout semblait à la fois anodin et hors du commun. L'herbe paraissait plus verte, les fleurs plus colorées, et même le ciel d’un bleu plus profond.

Il murmura pour lui-même, ses pensées encore troublées par la scène

— Où suis-je tombé, au juste ?

Le vent, chargé d’odeurs de foin et de fleurs sauvages, souffla doucement en guise de réponse. À l’horizon, la maison se dressait majestueusement, entourée de champs, comme si elle était le centre d’un monde auquel il ne comprenait pas encore appartenir.

De là, le dilemme était réel. L'aventurier hésitait entre l'idée de ne rien faire ou de rapporter à cette jeune femme le vêtement oublié. Une goutte de sueur traça son chemin sur son front, trahissant son malaise. Finalement, il se résolut à ramasser la petite culotte rose pâle, faisant de son mieux pour ne pas s’attarder sur le geste. Il serra le tissu entre deux doigts, comme s’il tenait un objet brûlant, et, prenant une grande inspiration, se dirigea vers la ferme avec hâte.

La bâtisse, robuste et imposante, semblait presque vivante, entourée par l’agitation calme de la campagne. Des fleurs sauvages tapissaient les bordures, et un chat gris somnolait sur le rebord d’une fenêtre poussiéreuse. Le garçon s’arrêta devant la porte d’entrée, incertain. Frapper ou attendre ? Les deux options semblaient également inconfortables.

Il jeta un coup d’œil à travers la fenêtre. Rien. Pas un mouvement. L’intérieur, à peine visible, paraissait chaleureux, avec des rideaux fleuris et un grand fauteuil près de ce qui semblait être un âtre. N’ayant toujours pas trouvé le courage de toquer, il fit le tour de la maison.

C’est alors qu’il la vit.

Elle était là, dans l’arrière-cour, sous un grand chêne qui semblait protéger le jardin du soleil brûlant de midi. Elle dansait. Non, elle tourbillonnait, légère et insouciante, les bras étendus comme pour embrasser le vent. Ses pieds nus effleuraient l’herbe, et sa robe blanche suivait ses mouvements avec une grâce aérienne, dévoilant par moments ses cuisses bronzées. Elle riait, fredonnant une mélodie que seule elle connaissait.

André resta figé, partagé entre gêne et fascination. Chaque tour qu’elle effectuait semblait renforcer cette impression d’être face à une force de la nature, quelque chose de brut, d’indomptable. Elle manqua même de l'atteindre sans faire attention à lui durant ses rotations.

Pourtant il assembla tout son courage, et s’avança.

— Euh… Excusez-moi ! lança-t-il, d’une voix mal assurée.

Elle s’arrêta net, pivotant pour lui faire face. Ses yeux noirs brillèrent d’un éclat espiègle. L'odeur qui émanait d'elle demeurait délicate et envoûtante, comme un souffle léger venu d'un jardin au crépuscule. Un parfum floral sucré, empreint d'une douceur raffinée, mêlant des notes de miel subtil à une fraîcheur naturelle.

— Oh ! Tu m’as suivi ! Youpi ! Tu veux jouer à cache-cache avec moi ? s’exclama-t-elle, le visage illuminé par un sourire.

André, gêné, détourna légèrement le regard tout en tendant maladroitement la culotte vers elle.

— Hum… Je crois que c’est à vous. Vous l’avez… laissée tomber.

Elle baissa les yeux vers l’objet tendu, avant de porter une main à son entrejambe d’un geste inconscient, réalisant sans la moindre honte qu’elle était sans sous-vêtement. Un éclat de rire joyeux s’échappa de ses lèvres.

Le pauvre, toujours aussi mal à l’aise, n’osait pas croiser le regard de la jeune femme. Pourtant, quand elle tendit la main pour récupérer son bien, il eut le malheur de lever les yeux brièvement. Elle s'était penchée légèrement en avant, et la lumière du soleil glissant sur elle révéla des détails qu’il n’aurait jamais voulu voir.

Ses joues s’enflammèrent instantanément. Devant lui se dévoilait une peau parfaite, un triangle soigneusement entretenu juste visible sous le tissu léger de sa robe. Par réflexe, il détourna brusquement la tête, comme s’il avait été pris en faute, son cœur battant à tout rompre.

— Oh, mais oui ! C’est à moi ça ! répondit-elle, en prenant la culotte sans aucune gêne.

Elle se gratta distraitement l'entrecuisse, visiblement gênée par la chaleur accablante, elle se vantait même, la raison pour laquelle les yeux d'André voyageaient autant. Or, la fournaise de l'été et l'heure brûlante de midi semblaient vraiment avoir raison d’elle. Le curieux, à deux doigts de fondre de honte, sentit son esprit vaciller sous cette nonchalance désarmante.

Elle la prit, mais au lieu de l’enfiler immédiatement, elle éclata de rire.

— Merci ! C'est de cela que parlait autant mère. C'est vrai que j'en ai rarement à mettre certaines fois. Tu peux la garder, car c’est toi qui l’a trouvée. J’en ai pas trop besoin !

L'heureux élu écarquilla les yeux, horrifié par cette suggestion.

— Hein ? Non, non, vous devriez… vraiment la garder. C’est important.

Elle le dévisagea avec une moue amusée.

— Tu dois être tellement pas drôle comme garçon, toi.

Alors qu’il s’autorisait à espérer un moment de répit, elle fit un geste inattendu. Elle plaça l’objet dans sa main, mais dans son mouvement, le tissu de sa robe se détacha légèrement, révélant encore plus de sa magnifique silhouette. André, rouge jusqu’aux oreilles, détourna à nouveau le regard avec une telle brusquerie qu’il faillit trébucher.

Il voulait fuir, s’échapper de cet étrange moment qui le mettait si mal à l’aise. Mais quelque chose le retenait. Peut-être son naturel ? Son côté sauvage ? Cette liberté qui émanait d’elle et qu’il ne comprenait pas, mais qu’il trouvait fascinante ?

Elle se remit à sautiller légèrement, ses cheveux volant autour d’elle sous l'effet du vent. Elle avait fini de se rhabiller. André avait quant à lui donner dos à cette scène qu'il souhaitait tant bien que mal ne pas assister et pourquoi pas faire demi-tour et rentrer chez lui.

— Alors, c’est quoi ton nom ? demanda-t-elle brusquement, rompant le silence.

— Mon nom ? répéta-t-il, pris de court.

— Oui ! Ton nom, toi !

— Al… André. Enfin, Andraexel. Et… toi ?

— Neveen ! J’ai 19 ans. »

— Quoi ? Mais… mais c'est beaucoup plus âgé que moi ! » s’exclama-t-il, incrédule.

Elle éclata de rire à nouveau, ses longues mèches de cheveux noirs dansant autour de son visage. Elle ne paraissait pas faire son âge. Malgré ses courbes généreuses et sa prestance presque adulte, il y avait en elle quelque chose de juvénile, de presque enfantin. André, quant à lui, ne savait plus quoi penser.

Avant qu’il ne puisse réfléchir davantage, elle attrapa sa main avec une énergie débordante.

— Allez, viens ! Jouons ensemble avant que papa ne rentre.

— Attends… Quoi ? balbutia le petit prince, pris de panique.

Elle ne lui laissa pas le temps de protester davantage. D’une poigne ferme, elle l’entraîna à travers l’arrière-cour, en direction du bosquet qui bordait la propriété.

Le vent dansait avec eux, soulevant par moments les pans de sa robe blanche, tandis que son rire résonnait comme une mélodie dans le calme de la nature.

Et André, malgré son trouble et ses hésitations, se laissa entraîner, comme si quelque chose d’invisible le liait désormais à cette jeune femme imprévisible et à ce lieu hors du temps.

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