Épiphanie

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Dans un coin reculé, loin des sentiers battus et de la vie en maison, une petite source se tarissait doucement. Autour de ce cadre paisible, deux jeunes s’occupaient, chacun à sa manière, tentant de combler l’ennui qui accompagne parfois l’oisiveté.

André était assis sur un vieux tronc d’arbre, le dos légèrement courbé, son téléphone posé à côté de lui. Dans ses mains, un petit carnet à la couverture usée et un crayon à papier. Ses doigts, maladroits mais appliqués, griffonnaient des mots, des phrases courtes, presque hésitantes. Une sorte de dialogue intérieur consigné sur papier.

Non loin de lui, Neveen, assise dans l’herbe, jouait avec une poupée en bois qu’elle habillait soigneusement avec tout ce qu’elle pouvait trouver dans la nature : des brins d’herbe, des bouts de tissu et même une plume blanche tombée d’un oiseau. Elle semblait absorbée, concentrée, mais un éclat de curiosité l’amena à jeter un coup d’œil en direction d’André.

Elle se leva doucement, sa robe légère froissée par les mouvements, et s’approcha de lui avec l’innocence d’un enfant.

— Que fais-tu, André ? demanda-t-elle en penchant légèrement la tête.

Le jeune homme, pris de court, esquissa un sourire gêné. Il hésita un instant, lançant des regards furtifs entre elle et son carnet, avant de céder.

— Eh bien…, répondit-il en ouvrant un peu plus ses pages pour lui montrer. Ce sont des idées que j’ai pour m’améliorer en cuisine. Je simule des recettes et des étapes, j’essaie de me rappeler quoi faire.

La jeune femme écarquilla les yeux, visiblement surprise.

— Tu sais cuisiner, toi ?

— Ou-oui ! balbutia-t-il, en grattant nerveusement l’arrière de sa tête. Depuis assez longtemps. C’est un peu une obsession pour moi.

Elle sourit largement, amusée par sa maladresse, et fit pivoter sa poupée entre ses mains.

— Moi, c’est ça que j’aime faire. Elle leva l’objet devant lui, fière. Regarde, c’est Ousha, mon jouet préféré.

Elle tendit délicatement la poupée vers lui, ses doigts fins laissant entrevoir une familiarité presque maternelle envers son œuvre.

André attrapa la poupée avec précaution, comme s’il manipulait un trésor. Elle était plus détaillée qu’il ne l’aurait imaginé, bien plus qu’un simple jouet. Les cheveux enflammés de fil rouge, le corset finement ajusté, les froufrous en tissu délicatement cousus… Chaque détail semblait avoir été travaillé avec un soin minutieux. Le pantalon noir, en contraste, apportait une touche d’audace.

Le visage inexpressif de la poupée, pourtant, brillait d’une manière étrange, comme si la vie elle-même s’y cachait.

— Incroyable…, murmura-t-il, incapable de détourner les yeux.

Il était frappé par la finesse et l’imagination débordante qui émanaient de cette création. Quelque chose dans cette poupée racontait une histoire qu’il n’aurait su exprimer en mots.

Neveen, de son côté, observait sa réaction avec un mélange d’appréhension et de fierté. Pour la première fois, elle semblait légèrement gênée, ses joues prenant une teinte rosée qu’elle tenta de cacher en passant ses cheveux derrière son oreille.

Une goutte de sueur, témoin de l’été brûlant, glissa lentement le long de sa tempe avant de disparaître dans le col de sa robe. Son compagnon, malgré lui, ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle resplendissait sous cette lumière naturelle.

— Tu as un vrai talent, Neveen.

Elle baissa les yeux, un sourire timide éclairant son visage.

— Tu crois ? Toi aussi, tu es doué, tu sais. Tu devrais écrire des recettes pour moi un jour.

— Je n’ai encore jamais cuisiné pour quelqu’un en dehors de ma famille.

Ce dernier baissa les yeux sur son carnet, ses mots à peine audibles, comme s’il redoutait de trop en dire.

Neveen, toujours curieuse, se rapprocha légèrement de lui. Elle tendit la main pour reprendre sa poupée, ses doigts frôlant les siens dans un geste si léger qu’il en fut presque ébranlé. Ce contact ne sembla pas troubler la jeune fille, mais André, lui, sentit son cœur bondir brièvement dans sa poitrine.

Elle serra tendrement Ousha contre elle avant de plonger son regard pétillant dans celui du jeune garçon.

— Alors, j’aime beaucoup le poulet frit, surtout le poulet frit, commença-t-elle avec enthousiasme, et des gâteaux, plein de gâteaux ! ajouta-t-elle.

Elle écartait les mains comme pour montrer l’étendue de son amour pour les douceurs.

Un sourire espiègle se dessina sur ses lèvres alors qu’elle poursuivit.

— Parfois, j’aime aussi les tartes aux fruits. Et puis… le ragoût de maman. Mais seulement quand elle oublie de cuisiner à temps. Hihihi !

Elle éclata d’un rire doux, posant sa main devant sa bouche comme si elle voulait retenir son amusement.

Ce rire cristallin résonna dans l’esprit d’André. Il leva timidement les yeux vers elle, et, sans qu’il ne comprenne pourquoi, une lueur différente s’alluma en lui. Peut-être était-ce la chaleur de son rire ou la simplicité de ses mots, mais il sentit soudain un désir : celui d’être utile, de faire plaisir, de briller, même un instant, aux yeux de cette fille si libre.

— Tu parles…, murmura-t-il dans un souffle presque imperceptible, baissant à nouveau la tête vers son carnet.

— Hum ?

Neveen pencha légèrement la tête, intriguée. Elle s’approcha un peu plus, tapotant doucement l’épaule d’André de son coude libre. Ses yeux parcoururent son visage, cherchant à comprendre ce qui pouvait le tourmenter.

— Tout va bien, André ?

André releva lentement les yeux vers elle, hésitant. Les mots se bousculaient dans sa tête, mais aucune phrase ne semblait assez juste. .

Neveen, elle, lui adressa un sourire doux et rassurant, patient, comme si elle voulait lui dire : "Prends ton temps."

Malgré tout André se laissa aller, frustré et usé par cette pression invisible qui lui pesait sur les épaules. Un râle profondément étouffé s’échappa de ses lèvres alors qu’il brisait, sans même y penser, le masque de perfection qu’il s’était efforcé d’entretenir. Il envoya son carnet au loin d’un geste rageur, le laissant s’écraser dans l’herbe avant de passer ses mains nerveusement dans ses cheveux courts, s’appuyant lourdement contre le tronc d’un arbre.

— J'en peux plus de ne jamais savoir quoi faire de mon temps libre, dit-il d’une voix basse, presque à se confier à l’air frais qui passait à travers les feuilles, Sans me mettre à penser à tout ça… Tout le temps, paraître, paraître et paraître, Il ferma les yeux, soupirant, Je suis fatigué de ne plus m'écouter exister.

Il regarda un moment les feuilles qui bougeaient doucement au rythme du vent, la lumière dorée du soleil se faufilant entre les branches. Les chants des oiseaux, apaisants, l’entouraient, presque comme une réponse, un écho à sa détresse. Puis, il tourna légèrement la tête vers Neveen.

Elle ne disait rien, mais ses yeux, pleins de compréhension, croisaient les siens. Elle approcha, attrapa sa main avec une douceur surprenante, comme une main qui, sans pression, savait exactement comment l’aider à se relever.

Sans un mot de plus, elle se baissa, ôtant ses baskets avec une aisance enfantine et délicate, avant de poser ses pieds nus dans l’herbe fraîche. Elle tira doucement André, l’invitant l'envoûtant à la suivre.

Il se leva d’abord, hésitant, mais elle le guida sans effort vers le petit ruisseau qui serpentait à travers la verdure. L’eau murmurait doucement sur les pierres, prête à les engloutir. Le soleil frappait de ses rayons dorés, réchauffant la peau et la scène en elle-même. Neveen souleva sa robe légèrement, trempant les pieds dans l’eau fraîche, et André se hâta de retirer ses chaussettes pour éviter de les mouiller. Mais, en dépit de sa précipitation, il n’eut pas le temps : l’eau s’invita, l’emportant un instant. Il se retrouva les pieds dans l’eau douce, éclatant de rire en voyant les chaussettes, déjà gorgées d’eau, flotter à côté de lui.

Neveen éclata de rire, sa voix cristalline s’élevant au-dessus du doux clapotis du ruisseau. Les éclats de leur rire se mêlaient à l’air pur de la forêt, résonnant comme une musique légère et insouciante.

André, les yeux fermés un instant, se laissa glisser à moitié dans l’eau, allongeant son dos contre la surface fraîche. Un choc, un moment d’immobilité, avant que l’onde du corps de Neveen ne vienne le rejoindre.

Elle s’assit près de lui, ses pieds reposant dans l’eau tandis que le reste de son corps semblait flotter, presque suspendu, au-dessus de lui. La lumière du soleil filtrait encore plus intensément, embrassant la peau bronzée de Neveen, créant autour d’elle une aura lumineuse, une sorte de halo naturel. Le soleil se jouait de ses cheveux, les faisant briller comme des fils d’or et d’ambre. Chaque mouvement qu’elle faisait, chaque geste, était un éclat de lumière dans l’eau tranquille.

André, les yeux levés vers elle, ne put s’empêcher de la regarder. Elle semblait briller d’une lueur qu’il n’avait jamais remarquée auparavant. L’eau qui glissait sur ses jambes n’était qu’une extension de cette lumière douce, qui la rendait presque irréelle. Il ne la regardait pas, il la sentait, il la vivait à travers cet instant suspendu dans le temps.

Il se redressa légèrement, et, sans un mot, il ferma les yeux, laissant le soleil caresser son visage et sa peau, tout comme il l’avait vu le faire avec elle. L’instant était pur, sans faux-semblant. Il était là, avec elle, dans cette chaleur commune, cet instant partagé. Il se laissa aller à ce sentiment de paix, comme si, pour une fois, il n’avait plus besoin de se forcer à exister.

Sa compagne, toujours au-dessus de lui, ne disait rien non plus. Mais dans ses yeux brillait quelque chose d’indicible. Un monde tout entier se cachait derrière son regard, celui de la liberté qu’elle vivait, de cette énergie qu’elle dégageait sans effort. Et lui, à cet instant précis, se sentit emporté par elle, emporté par la chaleur du soleil et de l’eau, comme s’ils étaient seuls au monde.

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