Chapitre 1 - Daniel Lockham
Une nouvelle journée commençait dans le petit hôpital de banlieue où Daniel Lockham travaillait. Encore une journée où il allait courir partout, s'évertuant corps et âme à sauver des vies. Du moins, c'était son but même s'il ne l'atteignait pas souvent depuis quelques mois. Il ne s'expliquait pas encore la chose mais depuis peu, il voyait un nombre phénoménal de patients atterrir dans son service, tous plongés dans un coma profond et inexplicable. Ils allaient bien et un beau jour, sans raison, on les retrouvait effondrés là où ils étaient, partis eux seuls savaient où. Très généralement, Daniel employait tous les moyens à sa disposition pour tenter de comprendre quel mal les affectait, sans succès une fois de plus. Tous les examens médicaux imaginables, toutes les analyses -aussi coûteuses fussent-elles. Tout. Il avait vraiment tout essayé, au grand dam de ses collègues qui constataient tout simplement une absence d'activité cérébrale. La faute à pas de chance. Un accident, une coïncidence. Rien de plus. Toutes les explications vaseuses étaient bonnes à prendre. Mais pas pour lui.
Profondément convaincu qu'une nouvelle sorte de virus traînait en ville, Daniel s'était promis de mettre le doigt sur cette anomalie qui faisait tomber comme des mouches des personnes de tous les milieux sociaux. Autant dire que personne n'était immunisé... Il ne s'agissait donc pas d'un problème restreint à une seule zone de la ville mais bien d'un problème à grande échelle. Et tout le monde riait quand il parlait de son hypothèse folle. Pire que la théorie du complot, selon certains de ses proches. Il avait vraiment besoin de prendre des vacances, selon d'autres. Il passait sans doute trop de temps à regarder ou lire des histoires fantasmées. La fatigue accumulée au long de ses multiples gardes aurait-elle eu raison de sa santé mentale ? Tout le monde y allait de son petit sarcasme. Mais il n'en démordait pas. Il était convaincu qu'un grave danger planait sur la ville... Il ignorait comment, mais il trouverait un moyen de prouver ses dires.
Il en avait vu défiler du beau monde depuis le début de cette incroyable coïncidence ! Hommes d'affaires, jeunes voyous, lycéennes populaires en quête de gloire, un large panel d'individus que rien ne reliait. Tous les âges, tous les sexes, différentes nationalités. C'était à n'y rien comprendre. Aucun d'entre eux ne présentait les signes d'un quelconque AVC ou autre traumatisme qui aurait pu expliquer ce type de dommage. En sept ans de carrière, il n'avait jamais vu ça. Il restait au chevet de ses patients, des heures durant, cherchant désespérément un moyen de les réveiller ou de prouver qu'ils n'étaient pas totalement perdus. Pour tout le monde, ils étaient un combat perdu d'avance. Mais pas pour lui. Il fallait bien que quelqu'un se batte bec et ongles pour sauver leur vie quand eux-mêmes étaient privés de leur voix pour le faire. Il se mettait à leur place...
Il se voyait allongé dans un lit d'hôpital, dans cet univers aseptisé et dénué de chaleur, de contact. Oublié de tous, abandonné sur son lit de fortune, il serait contraint d'assister à cette vie qui continuait sans lui. Simple spectateur. Luttant contre son propre corps, ce traître, devenu sa prison. Il verrait la tristesse sur le visage de ses proches, leur détresse, reflet de la sienne. Il s'imaginait parfaitement engagé dans une lutte féroce avec ses membres, tentant par tous les moyens d'adresser ne serait-ce que le plus infime signe à quelqu'un. Essayer de montrer qu'il était encore là. Qu'il n'était pas parti. Que tout espoir n'était pas perdu, qu'il comprenait. Qu'il entendait tout, aussi. Qu'il savait parfaitement comment cela finirait s'il ne parvenait pas à prouver sa lucidité. Débranché. Tué. Il ne voyait pas pire destin pour quelqu'un. Se voir mourir et ne rien pouvoir faire. Être juste paralysé, bouillonnant de peur et de rage, obligé d'attendre patiemment que la faucheuse vienne récupérer son dû. C'est ainsi qu'il voyait les choses... Pour lui comme pour ces malheureux.
Il voulait se battre. Pas pour lui, pour eux. Il savait qu'au fond de leur repli se cachait une explication rationnelle. On ne pouvait pas partir comme cela, sans signe avant-coureur, du jour au lendemain. Laisser sa vie en suspens sans même pouvoir espérer régler ses dernières affaires avant le grand départ. Il s'en voulait terriblement. Quoi qu'il entreprenne, rien ne tirait ces malheureux de leur triste état. Il en venait à rejoindre à contre cœur l'avis de ses confrères : ils étaient perdus. Des cas désespérés. Daniel déplorait cette flamme qui s'éteignait doucement, cette envie de combattre. Il avait tenu bon si longtemps... Il ne pouvait pas abandonner aussi facilement !
Enfilant sa blouse, Daniel vérifia une dernière fois son téléphone avant de prendre son service. Aucun message. Aucun appel manqué. Parfait ! Il coupa les ondes pour ne pas utiliser inutilement sa batterie et rangea le précieux outil de communication dans la poche arrière de son jean. En tant que médecin, il avait le droit de le garder avec lui durant ses heures de travail. Personne n'était à l’abri d'un appel urgent. Dans son cas, une vie pouvait être en jeu. Il ne pouvait se permettre de laisser son mobile dans son vestiaire, condamnant au passage un innocent. Hannah l'avait suffisamment rappelé à l'ordre à ce sujet. Elle parlait en connaissance de cause ! Leur consœur Aby Liman avait désespérément tenté de le joindre le mois dernier au sujet d'un patient difficile, sans résultat. Daniel avait oublié son téléphone dans sa voiture, n'y prêtant pas plus attention que cela. Il n'aimait pas la technologie... Cette technologie qui sur-connectait les gens tout en les éloignant un peu plus chaque jour. Celle-là même qui était trop intrusive, trop dangereuse. Une belle ironie quand on le voyait utiliser toutes ces machines pour soigner ses patients. Mais celles-là, ils les aimaient. Elles n'existaient que pour faire le bien.
Refermant son casier derrière lui, il remonta une dernière fois ses lunettes sur son nez et partit en quête de ses dossiers du jour. Il devait commencer sa journée par un tour de ses patients endormis, comme tous les matins. Cela lui prendrait une bonne heure, voire deux. Ils étaient si nombreux... Comment onze personnes pouvaient tomber dans le coma la même semaine ? Et ce n'était pas les seules ! Les semaines passées, il y en avait eux d'autres, remplacées par de nouvelles encore. Un cycle sans fin. Toujours la même rengaine. Ils arrivaient en pleine confusion. Personne ne savait pourquoi ni comment. Tout allait bien hormis leur endormissement et l'absence d'activité cérébrale. Tout allait bien dans le reste de leur corps. Puis les jours passaient et tout s'accélérait. Défaillance respiratoire et les autres organes suivaient tour à tour. A la fin, ils n'étaient plus qu'une vieille voiture accidentée dont les pièces détachées ne valaient rien. Il n'y avait plus qu'à couper définitivement le moteur. Exit ces vies fauchées avant l'heure...
Un moment que Daniel redoutait. Chaque matin en se levant, il priait en son for intérieur pour ne pas débrancher quelqu'un dès le début de la journée. Une fois les papiers signés par la famille, on ne pouvait pas aller à leur encontre. Leur signature faisait office de loi. Il ne pouvait s'y opposer, il n'avait rien de concret pour aller dans son sens. Pas le moindre signe de rémission ou de réaction. Ils n'étaient plus que des coquilles vides. Même eux avaient abandonné le combat... Lâches qu'ils étaient. Ils n'accordaient aucune valeur à leur existence. Qui pourrait leur en donner, dans ce cas ? Personne n'avait la force de se battre... Cette ambiance pesante anéantissait ce gentil docteur un peu plus chaque semaine, rongeant son optimisme et son envie d'aider ses patients. Inutile. Il se sentait impuissant. Cette situation infernale lui rongeait l'âme, son moral et sa joie de vivre. Il ne se sentait pas l'envie de prendre du bon temps quand autant de personnes mourraient chaque mois dans son service. Responsable. Fautif.
- Daniel ! l’interpella Hannah, à bout de souffle. Je te cherchais !
- Oui ? Il s'est passé quelque chose ? s'inquiéta Daniel qui pressentait assez facilement les drames dans son environnement professionnel.
- Le patient, celui de la chambre 304...
- Il s'est réveillé ? tenta Daniel avec peu d'espoir.
- Non... Mais... Il faut que tu viennes voir..., le pressa Hannah qui était plus que mal à l'aise.
Ressentant sa détresse, il posa sa main sur l'épaule de sa supérieure pour lui témoigner qu'il était là, quoi qu'il arrive. Elle avait l'air dépassée par la situation, profondément choquée. Il ne l'avait jamais vue dans cet état. Jusqu'à maintenant, elle avait toujours gardé son calme, qu'importait la situation et la gravité des faits. Il repensa au fameux patient de la chambre concernée. Un homme d'affaires important, qui dirigeait une compagnie d'assurance ou une banque, il ne se souvenait plus vraiment. Quelqu'un d'assez "classieux", comme disaient les plus modestes d'entre eux. Un homme à qui tout souriait dans la vie, jusqu'à ce que son associé le retrouve inconscient dans son bureau. Personne n'avait compris. Sa pauvre femme venait lui rendre visite tous les jours, serrant doucement sa main dans la sienne sans quitter son chevet. Elle priait pour son retour. Elle avait l'air de l'aimer sincèrement, ce qui avait surpris le personnel.
Beaucoup plus jeune que lui, elle avait réellement l'air d'une jeune godiche qui profitait d'un homme influent et riche pour obtenir tout ce qu'elle voulait. Une croqueuse de diamant. Une petite poule qui aimait se faire entretenir. Étonnamment, elle restait à ses côtés dans cette terrible épreuve. Toujours vêtue comme une dame qui se respecte, elle prenait soin de soigner les apparences pour avoir au moins quelque chose à quoi se raccrocher. Son homme devait pouvoir compter sur elle dans toutes les circonstances. Elle semblait minuscule, dans sa chambre d'hôpital et pourtant, elle avait un mental d'acier. Elle était forte comme la plus dure des roches et savait défendre ses intérêts. Ou ceux de son époux.
- Madame Hill est ici ? s'enquit Daniel auprès d'Hannah.
- Non... Nous ne l'avons pas encore... Enfin, tu verras ! C'est à n'y rien comprendre ! avoua Hannah visiblement exténuée.
Totalement perdu, Daniel se laissa guider dans le dédale des couloirs jusqu'à la chambre tant redoutée. Qu'avait-il bien pu arriver à cet homme pour que sa supérieure perde tous ses moyens comme une adolescente fautive qui découvrait qu'elle était enceinte d'un joueur de l'équipe sportive du lycée ? A n'y rien comprendre, vraiment. Il ne voyait pas d'autre façon d'exprimer son incompréhension. La tête vide, il se laissait emmener là où elle daignait l'amener, sans poser davantage de questions. Ce n'était qu'une question de minutes. Il saurait de quoi il retournait, après tout.
- Je vous en prie, murmura Hannah en lui ouvrant la porte.
Il la gratifia d'un léger hochement de tête et pénétra dans la pièce interdite. Dès qu'il eut franchi le seuil, il comprit que quelque chose clochait. L'ambiance était pesante. Les rideaux tirés empêchaient la lumière d'entrer à son aise dans la chambre, cachant le lit dans une semi-obscurité propice aux spéculations. Deux confrères discutaient au fond de la pièce, fortement animés par on ne sait quel débat. Il ne leur prêta pas plus d'attention et se focalisa sur le lit de Monsieur Hill. Il s'occupait de cet homme depuis suffisamment longtemps pour savoir que sa femme laissait toujours une tige de lavande à proximité de son oreiller. Une odeur rassurante censée l'apaiser et lui rappeler ses souvenirs heureux d'enfance, en compagnie de ses grands-parents. Cette fragrance embaumait la pièce à chacune de ses visites d'habitude, si forte qu'elle lui faisait tourner la tête au bout de quelques minutes seulement. Et il ne sentait absolument rien aujourd'hui. Étrange.
Attendant l'approbation de sa consœur, il contourna le paravent gris qui séparait le lit vide de celui de son patient. Les chambres doubles n'étaient pas toujours doublement occupées. Elles se remplissaient cependant à une vitesse folle depuis ce pic alarmant. Il grimaça. De là où il était, il voyait très clairement la forme des pieds de Dalton sous le drap immaculé. Il était donc bien là, allongé. Endormi ? Réveillé ? Il priait si fort pour qu'il revienne parmi eux et lui explique la moindre anomalie dans son train de vie... Quelque chose lui échappait forcément ! Ils devaient être liés les uns aux autres. Il n'envisageait vraiment pas la chose autrement.
Faisant un dernier pas en avant, il se figea en découvrant son patient mutilé. Le drap était imprégné de sang au niveau de son torse, ses bras arborant de longues traces de griffures encore sanguinolentes. Comment cela avait-il pu lui arriver ici, dans l'enceinte sécurisée de l'hôpital ? La bouche grande ouverte, il se tourna vers Hannah mais se mura dans ses pensées. Non. Quelque chose clochait vraiment. Aucun animal n'était toléré dans le centre. Il imaginait mal une femme aux ongles acérés venir lui taillader les bras pour le plaisir de charcuter un homme incapable de se défendre. Et puis les caméras de surveillance l'auraient trahie... Il réfléchit. Posant négligemment sa main sur le corps froid de son ancien patient, il réalisa pleinement ce que cela signifiait. Une fois de plus, il avait perdu l'un de ses protégés. Il enrageait...
- Comment est-ce possible ? finit-il par souffler tout haut.
- C'est ce que nous aimerions comprendre. C'est la première fois que l'un de nos endormis présente de tels symptômes.
- Symptômes ? Ce sont des traces de ... Non ! Des preuves d'une maltraitance extérieure ! Quelqu'un ici fait du mal à nos patients quand nous avons le dos tourné, s'énerva Daniel. Qui était de garde, cette nuit ?
- Je... Je suis arrivée il y a une petite heure. Jackson était là. C'est lui qui m'a prévenue...
- Je veux lui parler ! s'emporta le médecin, anéanti.
- Cette chasse aux sorcières ne changera rien à son état, Daniel. Il est parti... Il est enfin en paix...
- A quel prix... Combien a-t-il pu souffrir avant de rendre son dernier soupir, je vous le demande. Ce n'est pas normal de retrouver un patient dans un état aussi déplorable. Pourquoi cela ne vous inquiète pas plus ? Vous savez quelque chose ? l'accusa Daniel.
- Non... Mais je pense à la réputation de notre centre hospitalier... Il faut étouffer l'affaire. Pensez à nos bourses de recherches ! Que ferions-nous si nous perdions nos accréditations et...
- Vous me dégoûtez...
Daniel donna un coup de pied dans le tabouret le plus proche et le rapprocha du lit occupé. Il resterait ici le temps nécessaire. Il voulait trouver le moindre élément suspect, qui ferait office d'indice pour débusquer le coupable. Aucun homme ne partait dans ces conditions, de nos jours. Être plongé dans le coma, mourir au beau milieu de la nuit, sans témoin, couvert de traces aussi... nettes et profondes ? S'il n'y avait que ses bras...
Focalisant son attention sur l'énorme tâche carmin, Daniel ravala sa salive. La plaie devait être vraiment moche pour qu'il ait autant saigné. Pinçant du bout des doigts le coin du linceul de fortune de ce malheureux, il leva les yeux au ciel une dernière fois tout en priant mentalement. Il s'attendait à voir quelque chose d'horrible, il ne pouvait le nier, mais il n'était définitivement pas prêt pour ce qu'il allait voir. Tirant d'un coup sec, comme pour arracher ce pansement de mensonges, il réprima son envie de vomir. Être médecin ne le préservait pas des réactions humaines face à pareilles situations. Personne n'était prêt pour cela...
Un trou béant offrait une vue plongeante sur l'intimité profonde du malheureux, comme s'il avait été évidé telle une citrouille à Halloween. Les quelques organes qui subsistaient n'étaient plus qu'une vague bouillie rougeoyante. Il aurait tout aussi bien pu avoir été bouffé par n'importe quelle bête sauvage, trop affamée pour faire des manières. Pour tailler délicatement la chair. Il remonta la couverture et focalisa son attention sur ses bras. Quel genre d'animal pouvait pratiquer des incisions de ce genre ? Un chat pouvait effectivement griffer, mais pas dans ces proportions ! Comment diable un animal plus gros serait entré dans cette aile sans se faire repérer ? Il devait jeter un œil aux caméras de surveillance. Elles seules sauraient établir la vérité.
Résolu à démasquer le coupable, il quitta la dépouille en marmonnant de vagues excuses. Que cet homme eût été un beau salaud ou un saint n'y changeait rien. Selon Daniel, tout le monde méritait le même respect, la même justice. Il devait bien ça à sa pauvre épouse, elle qui venait chaque jour à son chevet. Il repensa à la belle Maria. Comment allait-elle réagir en découvrant que son mari l'avait quittée durant la nuit ? Hannah lui laisserait-elle au moins voir la dépouille pour lui faire des adieux convenables ? Comment aurait-elle pu cacher les blessures de ce corps sans vie ? Même un bon thanatopracteur aurait du mal à dissimuler pareilles marques sous du maquillage... Pouvait-il seulement trahir son équipe en dévoilant la vérité à cette veuve sûrement éplorée ? Il ne voulait pas l'alarmer avant d'avoir des éléments concrets à lui présenter...
Décidé, il se dirigea vers l'aile des agents de sécurité pour réclamer les vidéos de la zone concernée. Il pourrait bien y déceler quelque chose de compromettant et faire tomber le coupable. Il y avait forcément un fautif dans l'histoire ! Mais ces marques le terrorisaient au delà de ce qu'il voulait bien admettre. Il refusait de voir là la preuve qu'un animal féroce, tel un lion, avait pu se faufiler dans un centre muni d'une sécurité renforcée. Mais la sécurité existait-elle vraiment de nos jours ? Il commençait à ne plus y croire... Partout, tout le temps, nous risquions notre peau. Il était vain de croire qu'on pouvait être totalement protégé quelque part. Il y aurait toujours une faille dans le système pour venir à bout des plus calfeutrés d'entre nous. Même un bunker n'y aurait rien changé...
- Docteur Lockham ? Je suis désolé mais... Les bandes de cette nuit ont disparu... Il ne reste que celles de ce matin, à partir de six heures. Vous les voulez tout de même ? proposa le gardien.
- Oui... C'est toujours mieux que rien, merci !
Étrange. Bizarre. Plus le temps passait dans ce centre de banlieue et plus il était persuadé que des choses interdites se déroulaient dans le dos de tout le monde. Daniel consulta sa montre. Avec toute cette histoire, il avait déjà perdu une heure. Ses visites auprès des endormis pouvaient bien attendre encore un peu... Il s'installa derrière un poste, enfila un casque et passa en avance rapide la bande. Les minutes défilèrent, lentement. Il ne voyait qu'un ballet habituel d'infirmiers et de personnel d'entretien qui se croisaient ça et là. Jackson passa près de la chambre de monsieur Hill, s'arrêta plusieurs minutes puis passa son chemin. Il n'était même pas entré dan la pièce. Il était resté là, quelques minutes, à fixer la porte sans réagir. Curieuse attitude. Il se promit d'aller questionner le concerné une fois sa séance de visionnage terminée. Pensant être arrivé au bout, Daniel allait éteindre le magnéto quand il réalisa qu'une ombre sortait de la chambre en question. Il ne reconnut pas le visage de cette personne mais elle portait bel et bien une blouse bleue. Une infirmière ! De longs cheveux roux ondulaient dans son dos, nullement attachés alors que le règlement l'y obligeait désormais. Une forte tête ou alors... Un intrus au sein de leurs rangs.
Scandalisé, il éjecta la cassette et partit en trombe pour retrouver Hannah au plus vite. Elle devait voir ça sans plus tarder ! Si cette personne traînait encore dans les parages, ils auraient d'autres victimes à déplorer incessamment sous peu. À bout de souffle, il reprit sa course, bifurqua plusieurs fois et revint sur ses pas. À cette heure-ci, elle devait être dans son bureau ! Bousculant quelques collègues au passage, qui le traitaient de fou, il parvint rapidement devant la porte tant recherchée. Devait-il prendre la peine de toquer ? L'heure était grave. Il se contre-fichait de la déranger en plein rendez-vous... Des vies étaient en jeu ! Il avait des preuves. Il n'était pas fou ! Ils pourraient enfin le croire !
Ouvrant la porte à la volée, il bondit dans la pièce et claqua la VHS sur le beau bureau en bois patiné de sa consœur. Les yeux ronds, elle eut un mouvement de recul. Elle était bien seule dans la pièce, parfait. Il n'avait pas à se retenir, pas à se cacher. Désignant sa preuve, il lui fit le récit de sa découverte et l'intima de sortir les fiches des employés. Ils devaient vérifier les photos dans le cahier du personnel, et vite. Faisant preuve d'un sang froid extraordinaire, elle tenta de le calmer et lui proposa de s'asseoir une minute pour en parler. Il devait au moins prendre le temps de reprendre son souffle. Il ne lui serait d'aucune aide s'il ne revenait pas à la raison tout de suite. Ça l'énervait. Il était le plus sensé de tous les gugusses qui travaillaient ici ! Il avait envie de hurler sa fureur à qui voulait bien l'écouter.
Sentant une légère pression dans sa nuque, il porta machinalement sa main sur sa peau. Relevant la tête, il croisa le regard d'une sublime femme rousse aux yeux noisette. Elle souriait. Dans sa main droite, elle tenait fermement une seringue usagée. Une seringue qu'elle venait d'utiliser. Horreur. Il se releva d'un bond, envoyant valser son fauteuil à l'autre bout de la pièce. Que lui avait-elle injecté ? Qui était-elle ? Elles étaient complices ? Tout le monde était de mèche, dans son dos, et le faisait tourner en bourrique depuis des mois ! La lèvre tremblante, il marmonna quelques paroles incompréhensibles, même pour lui. Le monde tournait autour de lui. Les couleurs se mélangeaient. Les sons, les odeurs, les textures. Plus rien n'avait de sens. La tête lourde, il heurta le sol et perdit connaissance alors qu'il cherchait désespérément à prononcer des menaces envers ses bourreaux. Il n'en resterait pas là... Il se battrait jusqu'au bout !
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