1ere séance: Le psy et Maud Plotin
Maud est allongée sur le divan. Le psy assis sur sa chaise prend des notes)
Maud : L’autre jour j’ai failli vomir lorsque Roger m’a embrassée… Enfin quand je parle de Roger, je veux dire mon amant. Je ne l’ai pas fait exprès s’il s’appelle comme mon mari. Non, ça s’est fait comme ça. Il est venu ouvrir un compte dans ma banque… Enfin, pas la mienne, vous l’aviez compris ; celle où je travaille. (Pause) Pensez donc, si c’était la mienne, je ne serais pas allongée sur ce divan… (Elle laisse la phrase en suspens et se met se remuer dessus) De vous à moi, vous devriez changer de divan. Celui-ci est à trois quart défoncé.
Le psy : Laissez mon divan tranquille, et continuez votre récit.
Maud : De quoi je vous parlais ?... Ah oui, de Roger mon amant. Il est venu ouvrir un compte dans ma banque (Elle se donne une gifle) Non, Maud, ce n’est pas Ta Banque. Tu n’es qu’une modeste employée de Cette Banque. (Au psy) Donc, il est venu ouvrir un compte. À peine s’est-il assis en face de moi, je me suis mise à trembler, et mon cœur à battre de plus en plus vite. J’ai pensé que c’était l’amant qu’il me fallait et, deux semaines après, nous le sommes devenus dans une chambre d’hôtel et… (Elle laisse la phrase en suspens et regarde le psy) Depuis que je suis entrée, je cherchais ce qui n’allait pas… et j’ai fini par trouver.
Le psy : Trouver quoi ?
Maud : Votre cravate. Permettez-moi ma franchise, mais elle ne vous va pas du tout.
Le psy : Laissez ma cravate tranquille et continuez votre récit.
Maud : Je ne peux pas. Votre cravate m’obnubile. Elle fait tache d’huile dans ma tête. Elle grossit de plus en plus. Elle parasite mes circuits. Vous savez ce que je vois ?... Roger, mon amant, tout nu sur moi, avec cette horrible cravate, nouée autour de son sexe. (Se bouchant les yeux) Enlevez-la, je vous prie, enlevez-la.
(Le psy après une hésitation, enlève sa cravate, et la met dans sa poche)
Le psy : Voilà, c’est mieux comme ça ?
Maud : (Entrouvrant les yeux) Ah oui, beaucoup mieux. Merci.
Le psy : Bon, vous pouvez reprendre votre récit.
Maud : Je ne sais plus où j’en étais.
Le psy : Vous avez fait l’amour dans une chambre d’hôtel.
Maud : Avec qui ?
Le psy : Avec Roger, votre amant, qui porte le même prénom que votre mari.
Maud : Je ne l’ai pas fait exprès.
Le psy : Vous l’avez déjà dit.
Maud : Que pensez-vous de cette coïncidence, en tant que psy ?
Le psy : Que vous pourrez l’appeler dans vos rêves, et votre mari vous dira au réveil : « Tu as encore rêvé de moi. »
Maud : Et pourtant cela fait des années – je dirais même des lustres – que je ne rêve plus de lui. (Pause) Non, franchement il ne me fait plus rêver ; je dirais même qu’il me donne des cauchemars.
Le psy : Pourquoi restez-vous avec lui ?
Maud : Parce qu’il est riche. (Temps) Roger, lui, ne l’est pas du tout… Enfin l’autre Roger, mon amant.
Le psy : J’avais compris.
Maud : Il n’est pas riche. Je dirais même que c’est une catastrophe. Tous les deux jours je dois l’appeler pour qu’il vienne couvrir son compte. (Elle se met à rire)
Le psy : Pourquoi riez-vous ?
Maud : Je n’ose pas vous le dire.
Le psy : Vous pouvez tout me dire.
Maud : C’est que… J’ai honte de vous le dire.
Le psy : À plus forte raison, vous devez me le dire.
Maud : Qu’allez-vous penser de moi ?
Le psy : Je ne suis pas là pour penser, mais pour écouter.
Maud : (Après hésitation) Allez, je me lance. (Nouveau rire) En même temps qu’il vient couvrir son compte, il vient me couvrir. Ha ! Ha ! Mais pas dans la banque, hein ? Dans notre chambre d’hôtel.
(Maud part d’un long fou rire)
Le psy : Vous riez toujours à propos de la couverture ?
Maud : (Rigolant) Encore plus honteux.
Le psy : Alors ne vous retenez pas de me le dire. (Pause) Le cabinet d’un psy est le seul endroit où l’on, peut tout dire sans réserve, sans pudeur, sans tabou. Même dans un confessionnal il y a des choses que l’on n’ose pas dire.
Maud : Ma mère, qui était très pieuse, tenait à ce que je me confesse tous les dimanches ; mais, de vous à moi, c’est le curé qui méritait de se confesser. Il fallait voir les regards qu’il posait sur ma jeune poitrine ; surtout l’été lorsque je ne la couvrais que d’un T-shirt. Sans soutien-gorge. (Comme si le psy allait dire quelque chose) Non, je ne le faisais pas pour le provoquer, ni pour provoquer qui que ce soit. J’avais de tous petits seins. Alors, à quoi bon mettre un soutien-gorge ? (Pause) Ma mère n’en mettait jamais, elle non plus ; pourtant sa poitrine était plus grosse que la mienne. (Temps) Mais pourquoi vous ai-je parlé soutien-gorge et curé ?
Le psy : Parce que je vous ai dit que dans le cabinet d’un psy, on peut tout dire ; plus qu’on en dirait à son confesseur. Vous vous apprêtiez à me dire quelque chose de plus honteux que votre trait d’humour sur la couverture.
Maud : (Réfléchissant) Couverture… Compte… Compte débi… (Elle laisse la phrase en suspens, puis se met à rire) Ha ! Ha ! Ça me revient et… (Elle laisse la phrase en suspens et fixe le mur) Et… C’est horrible ! Pardon de vous le dire aussi crûment, mais c’est horrible
Le psy : Quoi, ce que vous vous apprêtez à me dire ?
Maud : (Indiquant une direction vers le mur du fond) Non, votre tableau, là, il n’y était pas la dernière fois.
Le psy : Non, c’est un cadeau de ma fille.
Maud : Elle s’y connaît en peinture ?
Le psy : Elle est peintre. Elle l’a peint pour moi.
Maud : (Confuse) Je… Je suis dé… désolée. (Comme pour se justifier) Après tout, c’est vous qui m’avez dit que je pouvais tout dire.
Le psy : Je ne vous reproche rien.
Maud : Avant, je n’aurais jamais faire une telle remarque. Ma réserve me l’aurait défendu.
Le psy : Cela prouve que la thérapie commence à porter ses fruits.
Maud : Oui, mais tout de même, je ne me verrais pas faire cette remarque à mon dentiste, ou à mon gynécologue. Niveau tableaux, on dirait qu’ils ont été peints par… (Elle laisse la phrase en suspens, n’osant pas dire « votre fille »)
Le psy : Qu’ils ont été peints par qui ?
Maud : (Confuse) Rien. Pardon.
Le psy : Allez, dites-le : peints par ma fille.
Maud : (Se justifiant) Écoutez, je n’aime pas trop la peinture abstraite. Je suis plutôt du genre paysages bucoliques, avec chiens qui courent dans les sous-bois. (Désignant le tableau) Ce tableau on dirait… (Elle laisse la phrase en suspens)
Le psy : On dirait ?
Maud : On dirait… (Idem)
Le psy : Allez, lancez-vous. C’est un bon exercice. L’avantage de la peinture abstraite, c’est de provoquer chez chacun une interprétation différente.
Maud : Quelle est la vôtre ?
Le psy : Ce n’est pas à moi de m’exprimer, mais à vous.
Maud : (Après un temps) On dirait Roger lorsqu’il me fait l’amour.
Le psy : Lequel ?
Maud : Mon mari, bien sûr. C’est du n’importe quoi… En plus, il ne bande pres… (Elle laisse la phrase en suspens) Euh, pardon. Il n’a presque plus d’érections.
Le psy : Mais vous avez dit : “bander’’.
Maud : Je ne sais pas ce qu’il m’a pris.
Le psy : La thérapie, madame Plotin. Lâchez-vous. (Pause) Donc, votre mari ne bande presque plus.
Maud : Non. Rien à voir avec Roger. Lui c’est du dur, du béton et… (Elle se met à rire) Ha ! Ha ! Ça y est, ça m’est revenu.
Le psy : Quoi ?
Maud : La chose honteuse que je n’osais pas vous raconter.
Le psy : Eh bien ?
Maud : (Rigolant) Ha ! Ha ! S’il remplissait son compte autant qu’il me remplit, il serait milliardaire.
Le psy : Remplir… de joie ?
Maud : Oh non, surtout pas. Il est d’un pessimisme de première. Je parlais d’autre chose. Quelque chose qui s’écoule à la fin de l’acte. Il y en a chez lui. (Pause) Remarquez, lui pessimiste, moi optimiste, on se complète. C’est vraiment lui l’homme qu’il me faut. (Pause) Mais rendez-vous compte, en plus de porter le même prénom que mon mari, savez-vous quel est son nom de famille ? (Pas de réponse) Poutin ! (Épelant) P-O-U-T-I-N. Deux lettres nous séparent : Le L et le… (Elle laisse la phrase en suspens et regarde le psy)
Le psy : Quoi, cette fois-ci ? C’est ma chemise ?... C’est ma veste ?
Maud : Votre visage. Vous ne vous êtes pas rasé ce matin ?
Le psy : Non.
Maud : Vous avez très bien fait. Ce look décontracté (Elle lève ses deux pouces), génial. Qu’en pense votre femme ?
Le psy : Désolé mais nous ne sommes pas ici pour que je vous parle de ma vie, mais pour que vous me parliez de la vôtre.
Maud : (Légère déception) Après tout ce que je vous ai raconté, vous pourriez m’en dire un peu.
Le psy : Sachez que ce n’est pas à moi que vous parlez, mais à vous-même. Je ne suis qu’un récepteur.
Maud : En somme, que je parle à un mur ou à vous-même, ça revient au même.
Le psy : Oseriez-vous dire à un mur tout ce que vous me dites ? (Il regarde sa montre) L’heure est passé, madame Plotin.
Maud : Déjà ?
Le psy : Déjà.
Maud : J’avais encore plein de chose à vous dire.
Le psy : La prochaine fois.
Maud : Quand ?
Le psy : Comme d’habitude, vous voyez cela avec ma secrétaire.
(Maud et le psy se lèvent. Il l’accompagne jusqu’à la porte)
Maud : Ne vous rasez plus, ne mettez plus de cravates. Quant au tableau… Comme il représente une valeur sentimentale, gardez-le. Par contre, changez votre divan.
(Il lui ouvre la porte)
Le psy : Au revoir madame Plotin.
(Elle sort. Il reste un instant à regarder le tableau, puis il le décroche et va le cacher dans un coin du cabinet, hors de la vue)
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