2eme séance Le psy et Jeanne Dupin

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(Entre Jeanne)

Le psy : (Lui tendant la main) Bonjour mademoiselle.

Jeanne : (Elle fouille dans son sac, sort un dictaphone et se met à bailler) Tenez docteur, tout ce que j’ai à vous dire aujourd’hui, je l’ai enregistré là-dessus. Pendant que vous l’écouterez, je vais m’allonger sur le divan et piquer un petit somme d’une heure. Je suis morte de fatigue.

Le psy : Dans ce cas, reportons la séance.

Jeanne : Non, vous devez écouter ce que j’ai enregistré.

Le psy : Mademoiselle, vous savez que ce n’est pas comme ça que se déroulent les séances.

Jeanne : (Baillant) Aujourd’hui c’est exceptionnel, docteur. Je suis morte de fatigue. Tout ce qui est enregistré là-dedans, c’est mot pour mot ce que je vous aurais dit, si je n’étais pas si fatiguée.

Le psy : Même si c’est du mot pour mot, ce n’est pas vous que j’entendrai.

Jeanne : C’est moi qui ai parlé là-dedans. C’est ma voix.

Le psy : Je l’avais compris. Je parlais de votre voix, sortie de votre bouche, dans cette pièce, pas de cet appareil. (Pause) Vous iriez voir une pièce de théâtre dans laquelle les comédiens, au lieu de réciter leurs rôles, se contentaient de passer l’enregistrement de la pièce ?

Jeanne : (Baillant) Mais c’est exceptionnel. (Pleurnichant presque) En sortant de chez vous, je dois marcher cinq cent mètres pour arriver à la station de métro ; j’ai trois changements ; puis encore six cent mètres et sept étages à monter – car l’ascenseur est en panne – pour être enfin chez moi. Je n’y arriverai pas si je ne me repose pas une petite heure. Soyez clément. Je vous la paierai quand même cette séance. (Le psy va pour dire quelque chose) Merci, merci. (Elle s’allonge sur le divan et s’endort)

Le psy : (Après un instant) Elle s’est endormie pour de bon. (Silence. Il regarde le dictaphone qui est tombé par terre. Il le ramasse) Écoutons.

(Il le met en marche)

Voix de Jeanne : (Elle parlera très bas, comme quelqu’un qui n’a pas envie d’être entendu. Sa voix sera recouverte par les bruits classiques des toilettes de bar : robinets qu’on ouvre, bruit d’essuie-main électrique, chasse d’eau, voix de fond etc.) Vous savez ce qu’elle m’a reproché aujourd’hui ?... (On entend frapper à la porte. Levant le ton) Occupé !... (Elle baisse le ton) Je vous disais, Savez-vous ce qu’elle m’a reproché aujourd’hui ?... De me tourner les pouces ! J’ai eu un… (Ici le son est inaudible, car on entend le bruit d’une chasse d’eau dans les toilettes voisines). À croire qu’ils voulaient tous venir à ma caisse. Je n’ai même pas eu le temps de… (On entend frapper à la porte. Levant le ton) Occupé ! bien ranger les billets et les pièces… Et elle a osé me dire que je me suis tourné les pouces ?... Elle me… (Le mot est inaudible car on entend le bruit d’un essuie mains électrique) … mais elle peut se mettre le doigt dans l’œil : jamais je ne… (Mot inaudible, nouveau bruit de chasse d’eau) … avec elle. Je… (On entend un bruite de chute) Oh crotte !... Pardon, mon dictaphone m’a glissé des… (On entend frapper à la porte. Levant le ton) Occupé ! (On entend un son de voix provenant de l’extérieur) J’ai pris une consommation ma… (On n’entend plus rien)

(Le psy ouvre le capot, s’aperçoit que le bande est fini, il retourne la mini cassette)

Voix de Jeanne : (On entend d’abord le bruit d’une porte qui s’ouvre. Ton brusque) Tu as vu l’heure ?... D’où tu viens ?

Voix de femme : J’ai… J’ai fini tard.

Voix de Jeanne : (Même ton) Mon œil ! Menteuse ! J’ai appelé à ton boulot. On m’a dit que tu étais partie à l’heure habituelle.

Voix de femme : Tu m’espionnes maintenant ?

Voix de Jeanne : (Idem) Ce n’est pas mon genre. Mais depuis quelque temps, je sens que tu me caches quelque chose. Alors, dis-moi d’où tu viens !

Voix de femme : (Embarrassée) J… J’avais un truc à faire.

Voix de Jeanne : (Idem) Avec qui ? Avec cette truie de Margot ?

Voix de femme : Mais non, qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?

Voix de Jeanne : (Idem. Plus énervée) Ne me mens pas, s’il te plaît ! Ne me mens pas ! Je peux tout supporter sauf le mensonge. (Pause) Pour la troisième fois, d’où tu viens ?

Voix de femme : (Après un silence. Ton affirmé) Oui, j’étais avec Margot. Là ! Ça te va ?... Mais pas pour ce que tu crois et… Pourquoi ton dictaphone est en marche ! Tu veux faire quoi avec l’enregistrement ?... Me faire chanter ? (On n’entend plus rien)

(Le psy fait avancer la bande, puis l’arrête)

Voix de Jeanne : (Sur fond de la « Marche funèbre » de Chopin) Voici mon testament… (Blanc) Ma petite sœur chérie, je te lègue mes fringues, mes chaussures, mes bouquins, mes meubles ; bref, tout ce qui était à moi, sera à toi. Pour l’appartement, tu peux reprendre le bail à ton nom et… (On entend la sonnerie d’un portable. Elle aura un ton de voix de femme amoureuse) Mon amour !... Non, non, c’est moi qui ai été une conne, à te soupçonner… Que je t’ai manquée ?... Tu ne peux pas savoir comme tu m’as manquée aussi… Oui ! Oui ! Quelle importance qu’il soit deux heures du mat’. Je t’attends… Je t’aime aussi, ma chatoune !... (On l’entend couper la conversation) Ma sœur chérie, il faudra que tu attendes encore un bail avant d’hériter. Je ne veux plus mourir !! (On n’entend plus rien)

(Le psy fait encore avancer la bande, l’’arrête, écoute. Blanc. Il l’a fait avancer encore, écoute, rien. Il secoue Jeanne – qui s’est endormie – délicatement)

Jeanne : (Voix endormie) Hein ?... Quoi ?... Ah, c’est vous docteur… Alors ?

Le psy : Je n’ai pas compris grand-chose, puis ça s’est arrêté brusquement. (Pause) Par contre, les reste des enregistrements, m’a paru plus intéressant. Qui est Chatoune, votre nouvelle compagne ?... Et Margot ?

Jeanne : (Brusque) Quoi ?... (Elle lui reprend le dictaphone) Vous avez écouté le reste de la bande ?

Le psy : (Surpris) Oui ?

Jeanne : (Idem) Et de quel droit, je vous prie ?

Le psy : (Embarrassé) En tant que thérapeute, je me suis dit que…

Jeanne : (Le coupant) Vous êtes mon thérapeute pour écouter de que je vous dis, pas ce qu’il vous plaît d’entendre. J’ai pris soin de mettre la bande, là où vous deviez écouter. Rien de plus.

Le psy : Sauf qu’elle s’est arrêtée en cours de phrase. Vous disiez que vous aviez pris une consommation, et puis plus rien.

Jeanne : J’ai cru que le bande continuait à défiler.

Le psy : Et moi j’ai cru que je devais la retourner.

Jeanne : Admettons. Mais quand vous avez entendu les enregistrements qui vous ne regardaient pas, vous auriez dû cesser d’écouter. (Elle se lève) Votre indiscrétion est inadmissible ! Je mets un terme à notre thérapie !

(Elle sort. Le psy reste un instant interdit)

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