01. Loin des yeux, près du cœur

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Maeva

Quelques mois plus tôt

Sourires, courbettes, verres qui tintent les uns contre les autres, félicitations… Je profite d’un instant solitaire pour faire un tour sur moi-même et observer ce qui m’entoure. Troisième boutique en cours d’inauguration à la Capitale, j’ai l’impression de planer. Dire que j’ai commencé à fabriquer des savons maison, du gel douche et autres cosmétiques, dans la minuscule cuisine de notre premier appartement. Que les copines en ont profité, en parlant à leurs propres connaissances, jusqu’à ce que Gaëlle, ma meilleure amie, me suggère d’en faire un vrai business. Tout est parti de cette idée… et tout s’est emballé quand nous avons aménagé le garage de ses parents pour respecter les mesures d’hygiène. Avec, en écharpe sur mon dos, Albane, aujourd'hui jeune ado, bébé à l’époque et qui me rappelle que je prends de l’âge, j’ai passé des journées à monter cette société de mes petites mains, établissant un Business plan avec mon amie, créant les produits, les emballant. J’en ai fait, des trajets jusqu’à La Poste pour envoyer les colis, au point de devoir embaucher. Ainsi est née la marque Belle Breizh, qui commercialise des produits de beauté bios depuis plus de onze ans maintenant. Encore un compte qui me rappelle que mes trente-cinq ans ont bien pointé le bout de leur nez il y a quelques semaines, alors qu’Albane vient d'en prendre treize. C’est fou comme la vie file…

— Encore perdue dans tes pensées ?

Gaëlle cogne sa coupe de Champagne contre la mienne et, me connaissant aussi bien que mon propre mari, me sourit en reprenant.

— Le garage ou le vieux magasin tout pourri qu’Allan a remis à neuf en sacrifiant ses soirées et ses jours de congés pendant un mois ?

— Le garage, mais mon mari torse nu et bardé de peinture était la prochaine étape, je crois, ris-je. Je sais que tous ces trucs le barbent, mais j’aimerais qu’il soit là… Dire qu’à notre première inauguration, il n’y avait que nos parents, les tiens, Albane qui courait partout et mes trois frangines… alors qu’aujourd’hui c’était blindé.

— Tu m’étonnes, depuis ton passage au 20h, c’est la folie. Tout le monde veut tes produits ! Et s’afficher avec toi, c’est le must du must en ce moment. Tu es trop hype !

— Hum… Je savais bien que si tu étais à mes côtés, ça ne pouvait être qu’intéressé ! Où est passé Yoann, au fait ? Il devait me ramener mon téléphone y a au moins dix minutes, tu parles d’un assistant efficace…

— Je suis là, Cheffe ! souffle ce dernier qui essaie de reprendre son souffle. Vous l’aviez laissé dans la voiture et j’ai dû courir pour ne pas trop vous faire attendre.

— Je retire ce que j’ai dit alors. Merci.

Je récupère mon mobile et grimace en constatant que la DRH du secteur fabrication a tenté de me joindre une demi-douzaine de fois. Ça ne s’arrête jamais, c’est fou. J’ai d’ailleurs à peine le temps de profiter de l’image de mon aînée avec les jumeaux dans les bras à la maternité en fond d’écran qu’un nouvel appel s’affiche.

— Prends deux minutes pour te remettre de ta course et appelle Sandrine Arnoult au pôle fabrication pour savoir ce qu’elle veut. Il faut encore que je voie le responsable du magasin et on va finir par manquer notre train si je traîne.

Si j’ai pris un assistant, c’est justement pour éviter ces appels incessants, entre autres choses. Yoann est jeune, bourré de motivation, c’est parfait. Il est toujours dans la phase de séduction de la patronne, il ne compte pas ses heures et c’est même moi qui dois le mettre dehors certains soirs. Il n’est là que depuis un mois, encore en rodage, mais il est mon premier choix purement égoïste depuis des années. J’ai toujours privilégié les embauches de personnel pour améliorer les conditions de travail de mes salariés en renforçant les équipes, mais il est temps que je me ménage un peu. Et quand j’aurai enfin appris à déléguer et faire confiance, je pourrai davantage lâcher prise. Gaëlle ne bosse avec moi qu’à mi-temps depuis qu’elle a accouché de sa fille, et je me sens parfois dépassée, même s’il est hors de question que quiconque s’en rende compte au bureau.

Un peu plus d’une heure plus tard, c’est in extremis que nous montons dans le dernier TGV qui va nous ramener à Saint Malo en passant par Rennes. Comme si prendre un train à presque vingt heures signifiait qu’on n’est pas pressé et donc qu’un direct n’est pas utile.

Après cette longue journée, c’est avec plaisir que je m’installe confortablement dans mon siège. Je laisse Gaëlle et Yoann papoter ensemble et envoie un message à Allan pour lui dire que je suis dans le train et que j’attends son appel. Je vais encore manquer un coucher, il va vraiment falloir que je fasse en sorte de rentrer plus tôt dans les prochaines semaines, mais vu la charge de travail qui arrive, ça va être un casse-tête monumental.

J’ai à peine le temps de sortir mon ordinateur pour prendre un peu d’avance que mon téléphone vibre sur la petite table, et je découvre les jumeaux, confortablement installés dans notre lit, doudou à la main. Allan semble aussi fatigué qu’eux, et je n’ai pas l’air en meilleur état si j’en crois ma caméra.

— Coucou mes bébés, souris-je alors que des “Maman” se font entendre dans mes écouteurs. Salut, Chéri. Tout va bien ?

— Allez, Mika et Nora, faites signe à Maman ! Regardez là, répond mon mari qui cherche à canaliser les deux petits. Moi, ça va, Chérie. Tout s’est bien passé ?

— Oui, ça a été, pas de catastrophe ou de gros pépin. Albane n’est pas avec vous ? lui demandé-je alors que Gaëlle passe la tête dans le champ de la caméra pour faire coucou.

— Je vais aller la chercher après, elle est retournée dans sa chambre, les histoires pour les petits, ça l’ennuie. Bonsoir Gaëlle ! Je te laisse avec les deux petits le temps de faire venir notre princesse ado.

— Allan, attends ! Ça a donné quoi son contrôle d’anglais ? Elle stressait, ce matin. Non, c’était pas l’anglais… Français ? Je ne sais plus, grimacé-je, ce qui fait rire la petite tête rousse de Nora.

— C’était bien le français, oui. Elle s’est inquiétée pour rien, toutes les questions portaient sur des choses qu’elle avait apprises. Elle dit qu’elle a su tout faire.

— Super. Faudra que tu me redonnes la date de la réunion parents-profs, je pensais l’avoir notée dans mon agenda, mais faut croire que non, je ne l’ai vue nulle part.

— Je vais l’envoyer à ton assistant, il la notera pour toi, d’accord ?

— Contrairement à ce que laisse penser ma dernière phrase, je sais encore me servir de mon agenda électronique, ris-je. Sauf si tu me distrais pendant que j’enregistre une réunion, évidemment.

— Eh bien, prépare-toi à être distraite ce soir quand tu rentres, ton défi sera d’enregistrer le rendez-vous alors que je m’occupe de toi. D’accord ?

— J’ai hâte de voir ça, soufflé-je, un sourire se dessinant sur mes lèvres.

Un regard en direction de Gaëlle et Yoann qui ne suivent apparemment pas mon échange et qui, de toute façon, n’ont que mes mots, me rassure un peu, parce que mon ton mielleux ne m’a pas échappé. Ni le sourire d’Allan et son clin d'œil qui me promettent un retour à la maison fort agréable.

Les jumeaux choisissent ce moment pour se rappeler à nous et chouinent pour me voir. Evidemment, ils font totalement leur vie, blablatent entre eux sans que je comprenne la moitié de leurs babillages, laisse tomber le téléphone de leur père sur le lit, si bien que j’ai l’occasion de constater qu’il y a une tâche au plafond pendant que je m’escrime à leur dire de reprendre le téléphone. La bouille de Mika apparaît finalement au-dessus du mobile et je glousse quand un filet de bave coule du coin de sa bouche pour venir s’échouer dessus. Je ris de plus belle lorsque la voix d’Albane, dégoûtée alors qu’elle récupère le téléphone, se fait entendre.

— C’était il y a une éternité, mais toi aussi tu bavais comme ça, ma Belle, souris-je.

— Non, j’étais pas un bébé dégoûtant comme ça, moi. Tu vas bien, Maman ? Tu viens me faire un bisou quand tu rentres, hein ?

— Promis, j’espère juste que je pourrai atteindre ton lit sans manquer de me casser la figure. Ça va, je suis un peu crevée, mais la journée a été bonne. Et toi, ma Puce ?

— J’ai réussi mon contrôle, j’étais trop contente. Et puis, il y a Emilie qui m’a invitée à son anniversaire. Je pourrai y aller, hein ? Papa a dit qu’il fallait voir avec toi car tu seras là, ce weekend et que tu voudras peut-être que je reste pour me voir plus… mais moi, j’ai vraiment envie d’aller à son anniversaire. Dis, Maman, je peux ?

— C’est quand ? L’après-midi ? Le soir ? J’en rediscuterai avec Papa et on verra ça demain soir ensemble, OK ?

— C’est dans l’après-midi, oui. Je t’aime, Maman, à demain ! Et n’oublie pas le bisou ce soir !

— Rends-moi service, fais un bisou aux jumeaux de ma part, et à Papa aussi. On se voit au petit déjeuner demain, sauf si tu traînes trop au lit ! Je t’aime aussi, mon grand bébé, bonne nuit.

Albane lève les yeux au ciel mais s’exécute, comme à chaque fois que je le lui demande. C’est un peu devenu un rituel du soir, et ce constat a un petit côté amer. Ma fille qui fait le bisou du soir à ma place, ça n’a rien de normal, n’est-ce pas ? Surtout si ça se produit suffisamment souvent pour qu’on parle de rituel. Le pire, c’est qu’en rentrant, la première chose que je vais faire après avoir embrassé Allan, c’est monter faire de même avec les enfants. Et ça n’a pas la même saveur de le faire alors qu’ils sont tous les trois endormis, même si j’ai tout le loisir de les observer et de me repaître de leur odeur.

— Je vais vous laisser, soupiré-je quand Allan récupère le téléphone. Les petits sont K.O… Mon train arrive à 22 h 35… Ne m’attends pas si tu es trop crevé, d’accord ?

— Je t’ai promis une petite distraction, tu ne vas pas m’en priver, quand même !

— Je dis ça pour toi, tu fais comme tu veux, mais je ne voudrais pas t’épuiser non plus. J’ai hâte d’être à la maison.

— A tout à l’heure, Chérie, je t’aime !

— Je t’aime aussi. Bisous mes petits bébé, faites de beaux rêves !

J’envoie des bisous à mon téléphone et souris en les voyant faire de même jusqu’à ce qu’Allan raccroche. Ne me reste plus qu’à cravacher niveau boulot les prochains jours pour être tranquille ce weekend, prier pour qu’aucun imprévu ne me tombe dessus, et pouvoir profiter de ma famille pendant deux jours complets. J’essaie d’y croire, mais j’ai appris à mes dépens que ça restait plutôt utopique, comme idée…

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