04. Le matin du Papa Poule

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Allan

— Bonne journée, ma Chérie ! Essaie de ne pas rentrer trop tard, nous avons tous envie de te voir avant d’aller nous coucher !

Maeva m’envoie un baiser de la main avant de sortir et je dois m’en contenter même si j’aurais préféré un vrai bisou et que j’apprécierais qu’elle soit plus présente à mes côtés pour s’occuper des enfants. Certes, je ne travaille plus depuis la naissance des jumeaux et j’ai fait le choix de m’occuper d’eux le temps qu’ils soient assez grands pour reprendre mon boulot de policier, mais quand même. Etre père au foyer ne veut pas dire être père célibataire, si ?

Je regarde la vieille pendule que m’a offerte mon père et qui trône à côté de la bibliothèque et constate que j’ai trois minutes avant d’aller réveiller les enfants. Quel luxe. S’il y a bien un avantage aux départs aux aurores de ma moitié, c’est celui-là : je peux bénéficier d’un peu de temps pour moi. Le calme avant la tempête. J’envoie un petit message à ma mère pour lui souhaiter une bonne journée et m’assieds dans un de nos fauteuils confortables que je rapproche de la baie vitrée. Je sais que Maeva n’aime pas que je fasse ça, mais si elle entendait mon souhait d’avoir ce fauteuil exactement là où je le positionne, tout irait mieux ! Là, je l’avance dans la journée et le remets le soir avant qu’elle rentre. J’adore tellement la vue que l’on a depuis notre maison que je pourrais passer des heures à en profiter. Enfin, ça, ce serait dans un monde idéal où je ne dois pas m’occuper des enfants de leur réveil à leur coucher. Ce qui n’est pas du tout le cas.

Je soupire, prends mon courage à deux mains et monte les escaliers pour aller réveiller Albane. J’entre dans sa chambre éclairée par des guirlandes électriques aux lumières blanches qu’elle conserve tout au long de l’année et pas seulement au moment de Noël. Je ne sais pas comment elle fait pour dormir avec cette luminosité mais ça n’a pas l’air de la déranger le moins du monde. Je m’approche doucement d’elle et m’assois sur le lit avant de lui faire un petit baiser.

— Bonjour, Petite Marmotte. Réveille-toi où je fais une séance de bisous et de chatouilles dont tu auras du mal à te remettre, dis-je dans son oreille en commençant à lui faire de petits baisers sur le visage.

Elle finit par sourire et me repousse gentiment, ce qui m’indique qu’elle est réveillée, même si elle n’a pas encore ouvert les yeux.

— Je te laisse te préparer, départ pour le collège dans trente minutes, je vais m’occuper des jumeaux. N’hésite pas à venir me donner un coup de main si tu trouves le temps.

— Rêve, marmonne-t-elle, il est trop tôt pour être couverte de bave ou finir sourde. Bon courage, Papounet.

Je souris et file dans la chambre voisine où mes deux petits chéris sont encore endormis. J’adore le rendu de leur mur qui représente un ciel étoilé avec un immense croissant de lune au milieu et quelques nuages. Le peintre qui a fait ça a utilisé de la peinture phosphorescente et on a l’impression de plonger dans l’espace à chaque fois que l’on rentre dans cette pièce. Je commence par Mika qui a besoin d’un peu plus de temps et je l’embrasse à son tour jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux avant de se détourner pour échapper à mon attention. Je fais de même avec Nora qui immédiatement se réveille. Je l’aide rapidement à s’habiller et lui indique de se rendre à la salle de bain pour se débarbouiller tandis que je m’attaque à nouveau à son frère qui semble préférer son lit à tout autre endroit au monde.

Chaque matin, c’est la même histoire et comme tous les jours, je me dis que ce serait plus facile de faire tout ça à deux parents. Là, c’est un vrai exercice d’équilibriste qui nécessite que tout aille comme sur des roulettes si on ne veut pas être en retard. Et bien entendu, ça n’est jamais le cas. Aujourd’hui, ce n’est pas Albane qui s’est rendormie mais Mika qui fait des siennes et qui a eu un accident dans son pantalon tout propre que je viens de lui mettre. J’essaie de rester patient mais ce n’est pas facile car je ne veux pas que ma fille soit en retard au collège et donc je presse les trois de se préparer en vitesse.

— Albane, tu es prête ? On y va ? crié-je depuis l’extérieur alors que j’attache les enfants dans leur siège auto.

Je ne sais pas qui a inventé ces machines de torture, mais clairement, c’est quelqu’un qui n’a jamais eu d’enfant. C’est impossible de mettre les ceintures correctement et on dirait qu’un imbécile s’est amusé à installer un système de fermeture qui ne clique qu’une fois sur dix. Ou alors, tout a été testé avec des poupées immobiles, parce que moi, clairement, je galère à bien les attacher.

— J'arrive, j'arrive ! Il va falloir que je me réveille plus tôt, j'en ai marre de courir partout le matin, se plaint mon aînée en claquant la porte de la maison.

— Tu veux que je vienne te voir plus tôt, le matin ? lui demandé-je. Ou que je demande à Maman de te réveiller avant qu’elle parte ?

— Tu crois que Maman pourrait le faire ? Au moins je la verrais le matin même quand elle part tôt…

— On lui demandera, ce soir, d’accord ? Les enfants, calmez-vous ! C’est quoi, cette idée de faire des bruits d’avion ? grimacé-je alors qu’ils s’amusent à faire vibrer leurs lèvres.

— Un truc très drôle pour te faire monter dans les tours, apparemment, se moque Albane avant de faire de même en direction des jumeaux, les faisant rire aux éclats.

Je lève les yeux au ciel et me dépêche d’arriver au collège où je laisse Albane descendre et se diriger immédiatement vers ses camarades, sans plus me jeter un seul regard. Ah l’adolescence… Je redémarre et prends la direction du centre ville de Saint Malo où j’ai prévu de passer la matinée à un café des enfants avec les jumeaux pour les occuper un peu. Mon téléphone sonne et je décroche en cliquant sur l’écran. Grâce au Bluetooth, je peux parler en conduisant, même si ce n’est pas recommandé.

— Salut, madame Doubtfire ! Comment va ?

— Oh, Jéjé ! Quelle surprise ! Tu es déjà levé ou pas encore couché ? Qu’est-ce qui te prend de m’appeler de si bon matin ?

Jérôme était mon partenaire quand je travaillais à la brigade criminelle. Lorsque j’ai démissionné, il était triste et m’en a un peu voulu, mais nous sommes finalement restés amis et nous échangeons de temps en temps. Avec mon emploi du temps, ça reste compliqué de le voir, mais nous parvenons à aller prendre des verres ensemble de temps en temps.

— Pas encore couché. Une affaire qui me prend la tête. D’ailleurs, j’aurais bien eu besoin de toi, parce que le Bleu ne fait pas l’affaire. Note que je l’appelle encore le Bleu et qu’il le restera sans doute toute sa vie.

— Ouais, jamais il ne pourra vraiment me remplacer. C’est quoi, cette affaire ? Tu crois que je peux t’aider ? commencé-je avant de lancer un regard derrière moi. Les enfants, arrêtez avec ces bruits d’avion ! Papa est au téléphone !

Ils s’arrêtent quelques instants, le temps que Jérôme réponde à ma question, et je suis soulagé de voir que j’ai quand même un peu d’autorité sur eux.

— Une histoire de vols sans effraction visible, c’est une prise de tête pas possible. Aucun lien entre les personnes volées, des quartiers différents, pas de temporalité fixe dans les passages à l’acte.

— Alors, qu'est-ce qui te fait penser qu'ils sont liés ? lui demandé-je, intrigué.

— Le procédé, enfin ! Je t’ai dit qu’il n’y avait pas de signes d’effraction ! Et tous les objets volés sont les mêmes. Je veux dire, ce sont essentiellement des bijoux et des objets de décoration qui coûtent plutôt cher. Du moins, on n’est pas sur un truc de riches, mais pas non plus sur les dernières bougies que j’ai achetées à la solderie près de chez moi pour passer l’odeur de tabac dans mon salon.

— Ah oui, commencé-je alors que les enfants recommencent leurs bruits avec les lèvres. Écoute, là, c’est compliqué de parler, mais je te rappelle dès qu’ils font la sieste, d’accord ? Enfin, si tu veux vraiment que je réfléchisse avec toi à cette histoire.

— En espérant que ça ne coïncide pas avec l’heure de ma propre sieste, Mary Poppins. J’attends ton coup de fil alors. A plus tard. Et au pire, tu sais qu’un scotch sur la bouche, ça peut être pas mal pour Dupont et Dupond !

— J’y penserai ! Et au pire, j’ai des appuis dans la police si on me colle les services sociaux sur le dos. A tout à l’heure !

— Ouais, pas sûr que ton dragon de femme apprécierait de savoir que tu malmènes vos gosses. A moins que ce soit l’idée de devoir rester à la maison pendant que tu es en cellule qui l’emmerde ! ricane-t-il avant de raccrocher.

Mon dragon de femme ? Elle n’est pas si terrible que ça, quand même. Jéjé a toujours été macho sur les bords. Enfin, plus que sur les bords, et il ne comprend pas ma décision. Pour lui, clairement, c’est Maeva qui aurait dû rester à la maison avec les enfants. Je pense qu’il me juge mais bon, comme il m’apprécie, il est passé au-dessus de ce sentiment de trahison qu’il a ressenti quand j’ai quitté la force.

Je me gare près du local associatif où se passe le café des enfants et me demande si je vais réussir à supporter l’énergie de Mika et Nora toute la journée. Ils ont bien dormi et sont en pleine forme. Peut-être qu’être avec d’autres enfants va les calmer un peu ? C’est ce que j’espère, même si je sais que ce n’est pas gagné. En tout cas, je pense que c’est important qu’ils puissent se socialiser avec d’autres enfants de leur âge avant de commencer l’école et c’est pour ça que je viens deux fois par semaine ici.

A peine entrés, ils lâchent ma main et se précipitent vers les jeux en bois avec lesquels une petite fille rousse joue déjà. Sa mère est derrière elle et me salue quand j’arrive. Nous nous croisons tous les mardis et il me semble qu’elle s’appelle Barbara.

— Bonjour, la salué-je. Nous sommes les premiers aujourd’hui ?

— Il faut croire que nous sommes les plus pressés d’avoir quelques minutes de répit, rit-elle. Ils sont vraiment mignons, vos jumeaux, ils ont une bonne bouille.

— Oui, c’est dur, le matin. Ils donnent envie de retourner se coucher. Votre fille est très mignonne aussi, comme sa maman !

— Je prends le compliment, surtout à cette heure et après une nuit quasi blanche. Merci.

Oh, elle a pris ça pour un compliment alors que je voulais juste répondre à sa politesse. J’espère qu’elle ne va pas se faire des idées.

— Elle ne dort pas, votre petite ?

— L’endormir est un cauchemar… et dès que je quitte sa chambre, elle se réveille. Si bien que j’ai fini par installer un matelas pour y dormir. Bref, autant dire que ma vie s’arrête à vingt heures, en ce moment, si je n’essaie pas de regagner le salon. Hier soir, j’en avais marre, donc je suis sortie, elle me l’a fait payer toute la nuit ou presque. Et les vôtres, ça va, le sommeil ? Vous avez l’air tout frais, je suis jalouse.

— J’ai de la chance, ils font leurs nuits. Mais ça reste fatiguant de tout gérer tout seul ou presque.

— Oh, vous aussi vous êtes parent célibataire ? me demande-t-elle avec un sourire en coin.

— Non, non, ma femme travaille beaucoup, c’est tout, m’empressé-je de répondre alors qu’elle est déjà en train de me regarder avec plus d’intérêt.

— Oh, d’accord… Mon conjoint était comme ça, je vous souhaite bon courage. J’ai tenu à peine un an, pour ma part. Avec ou sans lui, ça ne changeait strictement rien à ma vie, sauf que je me retrouvais à faire son linge en prime. Pas très épanouissant.

— Ah, la corvée de linge… Cela me donnerait presque envie d’avoir une femme de ménage juste pour ça, soupiré-je.

— Oui, ça, c’est le rêve de tout parent, je crois, rit-elle. Pour le linge et les jouets qu’ils sèment aux quatre coins de la maison ! Et éventuellement pour faire la cuisine aussi…

Je lui souris alors que d’autres mamans arrivent avec leur progéniture. Comme souvent, je suis le seul papa présent et je ne peux que remarquer les sourires entendus et les regards appuyés de ces dames quand elles me voient. Je ne sais pas si c’est ma barbe qui les charme ou ma stature qui me donne l’impression d’être un géant au milieu de toutes ces femmes plus petites que moi, mais ce qui est certain, c’est que je ne les laisse pas indifférentes. Je ne suis pas là pour draguer, mais c’est vrai que c’est plaisant de sentir leur attention. Ou comment joindre l’utile à l’agréable !

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