05. Des charmes sans efficacité
Maeva
Ce que j’apprécie particulièrement avec Yoann, c’est qu’il est toujours là quand j’arrive. Oh, pas depuis longtemps, mais il fait en sorte d’être présent pour m’accueillir au bureau, une tasse de café à la main, la mienne, celle que m’ont offerte les enfants pour mon anniversaire, avec la photo de leurs bouilles dessus. Il a aussi à la main sa tablette avec les rendez-vous du jour et le porte-documents qui me permettra de me mettre dans le bain et d’aborder la journée sereinement, avec toutes les informations nécessaires pour assurer. Est-ce que j’ai dit que ce beau blond de vingt-cinq ans était une perle ? Honte à moi si ce n’est pas le cas. Bien évidemment, je le remercie souvent, je suis polie et respectueuse, mais je me garde bien de lui dire que je me sentirais perdue sans lui, maintenant qu’il a pris ses marques.
— Bonjour, Yoann. On fait encore du zèle, à ce que je vois ? souris-je en m’emparant de mon café. Merci.
— Bonjour, Maeva. Je fais juste mon travail d’assistant. Vous allez bien ? Vous voulez une pâtisserie avec le café ?
— Non, merci, j’ai eu le temps de prendre mon petit déjeuner en consultant mes mails, ce matin. Et ça ira mieux lorsque cette histoire de mannequin indocile sera passée. Elle vient bien en fin d’après-midi avec la responsable de l’agence ? Quel est le programme du jour, d’ailleurs ? le questionné-je en m’installant derrière mon bureau.
— Oui, elle vient bien, je l’ai rappelée hier pour confirmer. Elle n’a pas l’air rassurée. Sinon, pour aujourd’hui, ce matin, il faut valider le plan d’action de la responsable comm’. Je vous ai fait une note commentée qui est dans le dossier rouge, là. Ensuite, il y a une réunion avec les équipes du magasin de Poitiers. Vous savez, c’est dans le cadre des visites des gens de terrain que vous vouliez maintenir. Après, c’est un déjeuner avec des investisseurs potentiels. Et cet après-midi, vous avez convié tous les membres du board, mais là, je n’ai rien pu préparer, vous ne m’avez pas indiqué pourquoi vous les voyiez.
— Bien, encore une journée chargée. Gaëlle et moi envisageons de nous étendre en Europe, il va falloir assurer, cet après-midi. J’ai besoin que tu prennes en notes le maximum des interventions pour pouvoir réattaquer si nous ne sommes pas assez convaincantes pour les investisseurs présents. A quelle heure est le rendez-vous avec la mannequin ? Il va falloir que je sois efficace si je veux rentrer tôt à la maison, j’imagine, soupiré-je.
— Je l’ai mis à dix-sept heures mais je peux l’avancer s’il faut. Dites-moi et je ferai tout pour satisfaire vos demandes.
— Non, ça ira. Il y en a toujours deux ou trois pour nous accaparer après avoir parlé finances, grimacé-je. Tu as réservé pour ce midi ?
— Oui, à Rennes, comme vous me l’aviez demandé. J’ai pris un restaurant assez intimiste. Cela devrait vous permettre de jouer de vos charmes, répond-il en souriant.
— Je ne joue pas de mes charmes, Yoann. Je crois en ce que je vends, c’est tout ce qu’il me faut. Et ce décolleté n’a rien à voir avec une volonté de charmer qui que ce soit. Autre chose ?
— Non, rien de mon côté Maeva, indique-t-il en rougissant. Je peux vous laisser ?
— Vas-y, oui. Et on part à onze heures pour le déjeuner. Tu n’auras qu’à partir après la réunion de cet après-midi pour compenser, je me débrouillerai avec l’ado capricieuse.
— Bien Maeva. Comme vous voudrez.
La matinée passe à une vitesse folle et j’ai à peine le temps de voir le jour. C’est Yoann qui vient frapper à ma porte à onze heures passées de quelques minutes alors que je termine ma visio avec le magasin de Poitiers. Nous perdons une heure de mon précieux temps sur la route pour rejoindre Rennes, et j’en profite pour dicter à mon assistant les comptes-rendus de ma matinée.
Les potentiels investisseurs semblent aussi intéressés par nos produits que par mon décolleté ou le menu de ce restaurant qui me coûte une blinde sans m’apporter la moindre promesse d’investissement. Je me secoue lorsque j’en viens à me dire que j’aurais peut-être dû jouer de mes charmes, finalement, comme l’a suggéré Yoann. Quelle idée, il est déjà bien difficile de se faire respecter en tant que femme dans le monde très masculin de l’entreprise, et ce même dans le cosmétique, alors passer pour une aguicheuse me ferait une mauvaise publicité plus qu’autre chose. Sans compter que Gaëlle me tuerait.
Il est un peu plus de quatorze heures quand je regagne mon bureau, et je me demande si mon permis aura survécu à ce retour sur les chapeaux de roue. J’ai peu d’espoir quant à la possibilité de faire un coucou aux jumeaux, mais j’appelle quand même Allan en visio. Il décroche, affalé sur le canapé, et me salue d’un long bâillement qui me fait sourire.
— Salut, Mari Parfait Fatigué. Les petits monstres sont à la sieste, j’imagine ?
— Oui, je viens à peine de réussir à les endormir tous les deux. Tu peux me rappeler pourquoi on a eu des jumeaux ?
— Heu… Parce que ta grand-mère avait une jumelle ? Ou que tes spermatozoïdes sont tarés ? ris-je. D'ailleurs il faut que je prenne rendez-vous chez le gynéco pour faire changer mon implant, manquerait plus que je tombe encore enceinte.
— Ah oui, ce serait bien, ça, parce que rajouter encore deux petits monstres à notre vie, ça serait juste trop crevant !
— Sans parler de l'accouchement, grimacé-je. Bref, on va éviter tout ça, sinon, il faudra qu'on investisse dans un sept places. J'appelle pour prendre rendez-vous dans l'après-midi. T'es tout beau, même fatigué, Mari Parfait… Ça me donne envie de te rejoindre dans le canapé.
— Ah, tu as envie de faire la sieste aussi ? Tu as trop mangé, ce midi ? se moque-t-il gentiment.
— Non, j'étais dans un gastro, je suis sûre qu'à l'heure du goûter, j'aurai faim, ris-je. Je pensais plus à une sieste crapuleuse qu'à une sieste tout court, en vérité. C'est ta faute aussi, ton tee-shirt est plutôt moulant, tes cheveux en pagaille me font toujours autant d'effet, sans parler de cette jolie bouche… J'aurais bien du mal à me reposer si j'étais avec toi, là.
— Je suis content de toujours te plaire, même quand je suis vidé de toute mon énergie. Ils m’ont épuisé, les deux. Et si mon tee-shirt est moulant, c’est qu’il doit être plein de bave, c’est sûr que c’est sexy !
Il a le don pour péter l'ambiance, le mari…
— Tu devrais peut-être l'enlever alors, soufflé-je. Tu sais que j'adore quand tu te déshabilles.
— Tu n’es pas au boulot, là ? Il n’y a pas ton assistant dans les parages ? Peut-être que tu devrais rentrer et venir me l’enlever toi-même, ça, ça pourrait me redonner du peps.
— Si seulement… Je suis seule dans mon bureau, porte fermée, et j'ai une demi-heure avant une grosse réunion. Oh, est-ce que je t'ai dit que je portais le petit shorty en dentelle noire que tu adores, aujourd'hui ? Et peut-être même que j'ai des porte-jarretelles. J'ai pensé à toi en les enfilant ce matin…
— Je t’attends, alors. Là, derrière l’écran, j’avoue que je ne vois pas très bien, même si je peux imaginer. Tu fais une folie et tu viens me rejoindre ?
Je soupire et referme le bouton de mon chemisier que j'avais ôté. Allan et le virtuel, ça fait dix, surtout s'il est crevé. Ça a le mérite de calmer mes envies.
— Je ne peux pas, avec Gaëlle on doit convaincre les investisseurs de l'intérêt d'un déploiement de la marque en Europe… Désolée, Chéri. Sans parler du fait que je dois voir la mannequin qui fait que j'ai reçu je ne sais combien d'appels samedi dernier et que je compte bien lui faire sa fête…
— Tu as raison, explique lui que le weekend, c’est sacré ! Tu ne rentres pas trop tard, ce soir, j’espère ?
— Elle devait être en shooting, tu sais ? Le weekend, c’est sacré seulement pour ceux qui ne sont pas censés bosser. Je pense être à la maison vers dix-huit heures trente, si elle ne me prend pas trop la tête.
— Ah oui, ce serait trop bien, on pourrait se faire un diner en famille, comme ça !
— Oui. Bon, je te laisse faire la sieste… Essaie d’avoir un regain de forme pour ce soir, d’accord ? Je sens que je vais avoir besoin d’aide pour me déshabiller et pour soulager une envie dont tu es la cause, mon beau mari.
— Promis, je serai en pleine forme, ma Chérie. A tout à l’heure !
— Hé, Allan ? Je t’aime, soufflé-je avant de lui envoyer un baiser.
— Moi aussi, je t’aime, répond-il en baillant.
J’arrête la visio avant de grimacer, et sursaute en constatant que Gaëlle a passé la tête dans l’entrebâillement de la porte.
— Rassure-moi, tu viens d’arriver ? Ou tu as été témoin du manque d’entrain de mon mari pour quoi que ce soit d’autre que la sieste ? soupiré-je.
— Ah non, je n’avais pas entendu. On dirait que ça te chagrine… Mais ça arrive, tu sais, de ne pas toujours avoir envie ?
— Hum… Samedi soir, il a préféré s’enfermer dans sa pièce pour jouer de la cornemuse plutôt que de passer la soirée avec moi. J’ai l’impression qu’il regrette son congé parental et que c’est en train de déteindre sur notre couple. Il se plaint que je bosse trop, a du mal à gérer les jumeaux…
Nous restons silencieuses lorsque Yoann entre dans le bureau et dépose deux tasses de café.
— Merci, Yoann. J’ai besoin d’encore quelques minutes avec Gaëlle, ensuite je te briefe sur le chemin pour la salle de réunion.
Il acquiesce et sort sans un mot, fermant la porte derrière lui. Assistant parfait, je vous l’ai dit !
— Bref, vivement qu’ils aillent à l’école, qu’Allan respire un peu, continué-je en me faisant un post-it pour mon rendez-vous chez le gynéco avant d’oublier. J’essaie de me décharger un peu du boulot, mais c’est pas facile.
— Il n’est pas si malheureux que ça non plus. Il ne faut pas abuser, quand même ! Tu as vu la baraque que vous avez ? S’il est fatigué, il n’a qu’à faire quelques longueurs dans la piscine !
Je hausse les épaules en ouvrant mon ordi portable pour vérifier la présentation pour la réunion de cet après-midi.
— Prête pour le show ? Oh, est-ce que tu veux être là quand je reçois la mannequin ? J’ai rendez-vous à dix-sept heures.
— Non, je vais rentrer pour m’occuper de Lison, mon petit bébé a besoin de moi.
Et les miens, de bébés, ils n’ont pas besoin de moi ? Si je faisais trente-cinq heures, comment est-ce qu’on s’en sortirait ? Bon, il vaut mieux que je mette tout ça de côté plutôt que de ruminer, Gaëlle n’y est pour rien, elle adore son boulot mais m’a toujours prévenue que sa priorité, c’était sa vie. Qu’elle me soutiendrait coûte que coûte, mais ne sacrifierait pas le reste pour autant.
— Très bien… Bon, allons-y, plus vite on s’y met, plus vite on a fini, soupiré-je en me levant.
Le nez dans le boulot, ça vaut mieux. Pas la peine de ruminer sur le fait que je n’arrive même pas à chauffer mon mari au téléphone, que je vais encore rentrer trop tard à son goût, que je risque, en prime, d’être de mauvaise humeur, et que mon premier rendez-vous de demain est à huit heures, donc que je ne verrai personne avant de partir. Mieux vaut rester focus sur l’instant présent et cette réunion capitale pour l’avenir de Belle Breizh.
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