06. Conchita et le Flic

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Allan

Je m’arrête devant chez la nounou avec un grand sourire. Avec Maeva, on a décidé d’y mettre les jumeaux de temps en temps pour qu’ils se socialisent avec d’autres enfants, et j’avoue que ça fait du bien d’avoir un peu de calme et du temps où je suis seul.

— On est arrivés, les enfants ! Vous êtes prêts à voir Madeleine, ce matin ? leur lancé-je en ouvrant la porte avec un enthousiasme non feint.

Les cris de joie qui me répondent témoignent du fait qu’ils aiment bien l’assistante maternelle qui va s’occuper d’eux. Je défais leurs ceintures et les accompagne jusqu’à la porte où la jeune femme nous accueille avec le sourire. Je ne sais pas si elle est plus contente de voir les jumeaux ou moi, mais il est clair que je ne la laisse pas indifférente, ce qui est plutôt flatteur car je dois avoir près de dix ans de plus qu’elle.

— Bonjour Madeleine, je vous confie mes petits monstres !

— Bonjour, Allan. Bonjour les enfants. Comment vont-ils aujourd’hui ? Toujours aussi en forme ?

— Ah ça, c’est le moins qu’on puisse dire. Je vous souhaite bon courage pour les supporter toute la matinée ! Franchement, je ne sais pas comment vous faites, moi, je n’aurais pas ce courage.

— Que voulez-vous, il semblerait que j’aime souffrir ! Profitez bien de votre matinée, sourit-elle en me faisant un clin d'œil.

— Oh vous savez, je vais juste en profiter pour faire quelques courses… Le train-train quotidien.

— Eh bien, au moins, ce sera sans deux petits monstres aux bras tels des tentacules qui attrapent tout ce qu’ils peuvent dans les rayons pour les jeter dans le caddie. Voyez le côté positif !

— Oui, tout à fait ! Bon courage !

— Merci, Allan. A tout à l’heure. Et on ne dit jamais non à des petits présents ici, sous forme de boîtes de chocolat, par exemple… Si vous passez par ce rayon-là et que vous pensez à moi au passage…

— Je note que vous êtes gourmande, Madeleine ! Bonne matinée.

Je reprends le volant et me demande si elle est vraiment si gourmande que ça. A côté de Maeva, je la trouve très plate et ce manque de formes témoigne plutôt de quelqu’un qui fait attention à sa ligne. Je prends tout de suite la direction du supermarché et, si je suis efficace, je vais pouvoir rentrer et passer un peu de temps à travailler la cornemuse. J’ai encore besoin d’entraînement, même si je commence à bien me débrouiller.

Je suis dans le rayon des légumes frais quand mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Je jette un œil et vois que c’est Jérôme qui cherche à me joindre.

— Salut, le Flic. Tu es en planque ou quoi ? Pourquoi tu m’appelles si tôt ?

— C’est une heure normale pour quelqu’un qui bosse, Mary Poppins. Même quand on n’a pas de gosse dans les pattes. Comment tu vas ? Je m’attends toujours à ce que ce soit ton dragon qui me réponde que je dois te lâcher la grappe, rit-il.

— Mon dragon ? Tu es vache, là, ma femme est loin d’être un dragon, dis donc !

— Mouais… Bon, un dragon canon ? Mais une castratrice quand même, si tu veux mon avis. Enfin bref, tu sais ce que j’en pense…

Je sais surtout qu’il a beaucoup fantasmé sur elle mais qu’elle ne lui a jamais ouvert la porte et que c’est depuis ce temps-là qu’il se permet de la remettre ainsi en question. Et son machisme affiché n’aide vraiment pas.

— Je sais, oui. Tu m’appelles pourquoi ? Pour me reprocher de m’occuper de la maison ?

— Pour te reprocher de gâcher ton talent, peut-être… surtout vu comme je galère sans toi. Ça m'emmerde de savoir que tu te tapes le ménage, les courses, les repas… que tu passes tes journées avec des gosses à qui tu fais “areuh” alors qu’on pourrait débusquer ce connard de voleur qui m’empêche de dormir.

— Tu en es où ? Il a commis d’autres méfaits ? Tu n’as aucune piste ?

— Evidemment qu’il a recommencé, soupire-t-il. Toujours aucune trace d’effraction, aucun lien, je te jure, je suis dépité et paumé.

— Tu ne peux pas dire qu’il n’y a aucun lien. Tu le fais dans ta tête même si tu ne sais pas encore qu’il existe, il te suffit juste de mettre des mots sur cette affaire.

— Allan, le Bleu ne pige rien du tout, j’ai pas d’aide avec lui. Tous les deux, au moins, on se poussait dans la réflexion, on se complétait, on élaborait des idées farfelues pour en arriver à la vérité ! Lui, il est juste bon à me ramener le café, et encore…

— Eh bien, avec le café, ça aide à réveiller le cerveau, non ? Tu es allé faire le tour de nos indics pour avoir quelques pistes ou pas encore ? Il n’y a pas un ancien de prison qui donnerait père et mère pour ne pas y retourner malgré ses conneries ? Des infos, ça se trouve ! Surtout que ce type doit être en train de leur casser leur business à rameuter les collègues pour protéger les habitants et leurs biens.

— Je fais tout ce qu’il y a à faire. C’est de ton cerveau dont j’ai besoin, Allan. Le type est un fantôme. Personne n’a entendu parler de lui, c’est dingue.

— Tu crois que ça pourrait être un type qui vient d’ailleurs, qui est juste venu pour faire son business et qui disparaîtra une fois son appétit rassasié ?

Je souris à Madame André, une petite vieille qui fait ses courses toujours en même temps que moi, et me fais la réflexion que je dois faire attention à ce que je dis tout haut. Si on en arrive à des scènes un peu sanglantes ou effrayantes, il vaudrait mieux que je n’en parle pas devant n'importe qui. Je m’éloigne de la mamie et me dirige vers le rayon des fromages.

— Possible, en effet. Peut-être que ce n’est pas un type du coin. J’ai demandé un profil psychologique, mais on manque de moyens, ça me déprime.

— Tu crois que tu pourrais m’envoyer les éléments que tu as ? Je pourrais regarder une fois que je suis rentré des courses, en attendant l’heure d’aller chercher les enfants chez la nounou.

— Ce serait bien plus simple si tu passais à mon bureau, Super Nanny. Mais si vraiment j’ai pas le choix, soupire-t-il.

— Je ne peux pas passer au bureau, avec la route, je ne serais jamais rentré à temps pour récupérer Mika et Nora, si je venais. Et puis, tu sais qu’on est entrés dans la modernité ? Tu n’as toujours pas appris à te servir d’un ordinateur ?

— Si, mais on parle de documents confidentiels qui concernent une enquête, Conchita. Je ne suis pas censé t’envoyer tout ça, je te rappelle.

Je tique au nouveau surnom dont il vient de m’affubler. Il n’arrête pas et j’essaie de ne pas relever, mais ça m’agace qu’il me réduise à ça et je réponds un peu sèchement.

— Fais comme tu le sens, le Flic. Moi, je te proposais juste de t’aider, mais si tu ne peux pas, tant pis. Tu voulais évoquer autre chose ?

— Oui, savoir quand on se fait une soirée entre mecs. Ça fait une éternité.

Ouh la. C’est clair que ça fait un bail mais entre les enfants, les horaires impossibles de Maeva et les missions qu’il a, c’est un vrai casse-tête.

— Il faut que je voie avec Maeva et je te dis. Tu as quoi comme dispo ?

— Ça dépend… La semaine prochaine ? Celle d’après ? Ou quand les poules auront des dents ?

— Ben tu ne rends pas les choses faciles, là. Je te dis quand moi je peux alors. Tu me confirmeras si tu es dispo ou pas. Je vais devoir te laisser mon pote, j’arrive à la caisse, là.

— Bien… On se tient au courant et on se voit vraiment, pas comme la dernière fois. Bonne journée, l’ami, et je t’envoie ce que je peux pour l’enquête, là.

Je raccroche et me demande s’il va vraiment le faire ou pas. Et si on va réellement réussir à se voir. Je crois qu’il fait exprès de ne pas me faciliter les choses, tellement il est jugeant sur le choix de vie que j’ai fait. Son côté macho n’aime pas le fait que je me coltine les tâches normalement attribuées aux femmes, dans son modèle de vie. Et son côté professionnel refuse toujours d’accepter que je ne sois plus flic. Pour lui, on ne peut quitter ce métier qu’une fois en retraite ou décédé, pas comme je l’ai fait, sur un coup de tête selon lui.

Arrivé à la maison, je vois qu’il m’a envoyé un lien vers un dossier auquel je ne peux dans un premier temps pas accéder. Je me souviens qu’il faut utiliser un VPN pour y arriver. Je peste car ça fait une éternité que je ne me suis pas connecté pour accéder aux dossiers internes de la police et j’ai oublié mon identifiant. Et puis, rien ne me dit que j’ai encore les accès, même si je reste optimiste sur la question, vu l’efficacité de nos services informatiques. Je farfouille dans mes papiers et retrouve enfin mes identifiants que j’entre sur le VPN avant de réessayer de me connecter. Et bingo ! Le dossier de Jérôme apparaît à l’écran.

Je constate qu’il est toujours aussi peu méthodique et me demande comment il fait pour se retrouver dans ce désordre. Comme à l’époque où nous étions partenaires, je m’attèle à la tâche de tout classer et ranger. Pour moi, la solution viendra de cet ordre, pas de l’anarchie laissée par mon ex-collègue. Je classe par vol et indique les lieux et les dates. En faisant ça, je vois qu’il y a un schéma dans les lieux. On dirait que le voleur suit l’ordre alphabétique pour les villes où il commet ses délits. Je l’appelle immédiatement pour l’informer de ce que je viens de trouver.

— Eh, Jérôme, c’est encore moi. Tu as des moyens pour surveiller les magasins et les maisons dans une quinzaine de villes ?

— Bien sûr ! Je peux aussi demander de l’aide aux licornes et aux vampires. Sur le principe, ils n’aiment pas trop qu’on marche sur leurs plates-bandes, donc ils devraient être OK pour nous filer un coup de main. Sinon, peut-être qu’on pourrait former une brigade avec tous les rats qui grouillent dans les égouts. Peut-être même qu’il y aura les Tortues Ninja, d’ailleurs !

— Arrête tes conneries. Le prochain vol aura lieu dans une ville qui commence par un G. C’est ça, son truc, il suit l’alphabet pour choisir ses lieux de vols ! Je dois filer pour aller chercher les gamins, mais regarde le dossier, j’ai tout classé et c’est limpide maintenant !

— Bien, je vais jeter un œil alors. Content de te retrouver entre deux tâches ménagères, Collègue.

— Je fais ce que je peux. Promis, je regarde plus en détail dès que j’ai un peu de temps. Bon courage, le Flic.

— Merci, Mary Poppins. A plus tard.

Je raccroche et me prépare, un peu à contre-cœur, pour aller chercher les jumeaux. J’aimerais tellement pouvoir prendre le temps de me concentrer sur tous les documents rassemblés par Jérôme, mais je n’ai c’est pour le moment utopique. C’est frustrant, mais je n’ai pas le choix. Je ne peux pas laisser mes enfants tout ça parce que je pourrais avoir une idée qui aide mon ex-collègue. Je ne suis plus flic, toutes ces histoires ne devraient pas tant me préoccuper. Ma réalité, désormais, ce sont mes enfants, le reste est secondaire. Enfin, je crois.

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