07. Loin des couches culottes

8 minutes de lecture

Maeva

Je lâche un nouveau soupir, récoltant un énième cou de coude de Yoann. Ces derniers sont de moins en moins discrets, je vais finir avec un bleu, c’est certain. Gaëlle l’a missionné pour me calmer et éviter les dérapages, sauf que je ne vois pas comment faire autrement que partir en vrille. Nous sommes dans l’industrie du make up, habitude clairement féminine, et j’ai face à moi un troupeau de mâles se pensant plus futés et intelligents que la pauvre femme que je suis. Il va vraiment falloir qu’ils arrêtent ça, sinon je ne donne pas cher de leurs testicules. Et nous devons absolument revoir nos effectifs avec Gaëlle. Il y a bien trop de testostérone dans cette pièce, ça me donne la nausée. Nous avons merdé à l’embauche, cherchant les meilleurs profils, sauf que dans la branche financière, essentiellement masculine en ce qui concerne les postes à responsabilités, il est normal que les femmes aient des CV moins fournis, puisque personne ne leur donne leur chance…

Décidée à agacer ces messieurs, je sors mon téléphone et envoie un mail à Gaëlle pour l’informer de mes dernières réflexions. J’y ajoute quelques remarques clairement misandres histoire de décharger mon agacement, et ne me gêne pas pour sourire à mes propos alors que Yoann se racle la gorge pour me ramener à la réalité. La pièce est silencieuse et, si j’en crois les regards portés sur moi, c’est à mon tour de parler. Chose que je ne fais pas immédiatement, laissant le silence se prolonger. J’adore me faire désirer, et voir poindre l’agacement sur les visages, je plaide coupable.

— Vous êtes-vous réellement intéressés aux profils de ces “influenceuses” ? Parce que vous suggérez que nous approchions des femmes pour beaucoup retouchées de partout pour qu’elles utilisent et fassent la publicité de nos produits bios et, bizarrement, je trouve que bio et chirurgie esthétique, dans la même phrase, ça ne va pas vraiment ensemble. J’entends que leurs communautés sont importantes et qu’investir dans ces partenariats nous permettrait de vendre, mais ce serait aussi ridicule que de faire des publicités pour le foie gras en faisant parler un canard qui vanterait les mérites du gavage.

— Mais, Maeva, me coupe Léonard, un homme que tous ses collègues vantent pour son intelligence, c’est notre seul moyen de nous faire de l’argent ! Ces influenceuses, on les a choisies parce qu’elles peuvent dépasser le million de vues. Tu imagines le retentissement pour notre marque si on les voit utiliser nos produits ? Je suis sûr qu’on multiplierait nos ventes par deux, au moins !

— En allant totalement à l’encontre des valeurs de la marque ? Savez-vous combien de ces influenceuses vendent des arnaques quotidiennement à leurs communautés essentiellement composées d’ados et de jeunes adultes ? De fausses sociétés, des produits achetés pas cher sur les sites chinois… Ce truc qu’on appelle le dropshipping. Sans parler de celles qui incitent les jeunes femmes à modifier leur visage et leur corps, parfois par des moyens très douteux, énoncé-je en me levant. Peut-être qu’avant de faire ce genre de propositions, vous auriez dû faire une réelle étude de terrain.

— Ouais, c’est gentil tout ça, mais on parle business, là, pas couches culottes ou maquillage, me lance Maxime, un gars dont la coupe du costume démontre qu’il est assez payé pour les missions qu’on lui a attribuées. Tout le monde sait que ces influenceuses sont la clé de notre réussite ! Pas besoin de faire une étude de terrain pour comprendre qu’en montrant leurs culs, ces femmes deviennent de vraies machines à fric !

— Et à sucer aussi, dit une petite voix dont je ne parviens pas à trouver l’origine mais qui m’irrite au plus haut point.

— Dites, je ne pense pas que nous soyons installés au bistrot du coin à jaser avec une bière à la main, messieurs. Et personne ne se plaint lorsqu’il se fait tailler une pipe, cependant, un minimum de respect pour celles qui osent prendre en bouche vos petites bites de machos serait quand même essentiel. Si ces femmes montrent leurs attributs, c’est parce que vous ne pensez qu’avec les vôtres. Vous êtes la cause de cette société où la femme doit être parfaite tout en se faisant critiquer peu importe ses choix. Trop couverte ? Prude. Robe trop courte ? Pute. Pas maquillée ? Négligée. Trop maquillée ? Pute. Belle Breizh prône le naturel, la femme qui s’assume et cherche à se plaire avant tout. La femme qui veut mettre en avant ses atouts, camoufler ce qu’elle déteste voir dans le miroir le matin, juste pour se sentir bien dans sa peau. La marque vise aussi ces femmes actives qui n’ont pas toute la journée pour se maquiller, celles qui vont bosser en face de types comme vous qui vont les juger à chaque mot, à chaque geste, chaque regard, parce que vous vous sentez supérieurs et en droit de le faire en nous prenant pour des objets. Bref, tout ça pour dire que je n’accepterai pas ce genre de remarques dans mes locaux. Sans oublier que si vous avez embarqué dans le navire sans comprendre les fondements même de nos produits, nous allons avoir un sacré problème.

— Donc, il faut qu’on change de cible, me répond Léonard. On peut rester sur les influenceuses, mais on va plutôt voir avec des Greta Thumberg que des Kim Kardashian, c’est ça ?

— Gaëlle et Yoann ont dressé une liste de femmes qui correspondent à notre public cible. Peut-être qu’elles font moins de vues, mais elles ont, elles aussi, de belles communautés qui pourront nous rapporter des clients. On ne peut pas commencer à se trahir pour faire plus de bénéfices à tout prix, ce serait contre-productif sur le long terme, terminé-je en regardant ma montre.

Allan va me tuer, vu l’heure… Fait suer, si seulement je n’avais pas pris de retard sur mes rendez-vous du jour, je serais à la maison à cette heure.

— Quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter ?

— Il y aura une étude d’impact ? me demande Benoît, un de nos plus anciens collaborateurs. Je suis curieux de voir si le retour sur investissement sera à la hauteur ou pas. Et avec ces chiffres, ta stratégie sera à confirmer ou à modifier pour des influenceuses plus trendy.

— Evidemment. Chaque commande sur le site sera référencée en fonction du code promotionnel des influenceuses, ce qui nous permettra de faire les constats adéquats. Gaëlle a dit que l’une d’elles avait déjà présenté nos produits, qu’elle utilise sans que nous l’ayons sollicitée, il y a huit jours sur son Instagram. Nous avons eu une augmentation des commandes en ligne le même jour. C’est plutôt encourageant, non ?

— Je pense que nous avons compris ton message, soupire Léonard. Chers collègues, vous avez entendu ce que Maeva a dit ? Et ce que la boss veut, Dieu le veut. Au boulot.

— Amen ! Bien, Messieurs, maintenant que les choses sont claires, la séance est levée. Il est l’heure de retrouver nos petites vies et de lâcher les conversations business pour repasser aux couches et au maquillage. Du moins, pour moi, puisque je suis apparemment bonne pour ça, au moins, terminé-je en croisant le regard de Maxime. Bonne soirée, messieurs, et n’oubliez pas qu’une femme qui vous taille une pipe a le pouvoir.

J’entends quelques “bonsoir” dans mon dos, mais j’atteins déjà le couloir, Yoann à ma suite qui me tend mes affaires. Pas le temps de repasser par mon bureau, j’ai bien fait d’anticiper les choses .

— Scanne-moi tes notes de la réunion et envoie-les-moi ce soir, s’il te plaît. J’ai arrêté d’écouter à un moment donné, ils peuvent être très barbants…

— Bien sûr, Maeva. Vous avez été formidable ! C’est incroyable comme vous leur avez rappelé qui était la cheffe !

— Je déteste qu’on me prenne de haut, c’est tout. Certains, sous prétexte qu’ils ont un service trois pièces, se pensent plus intelligents et ça a le don de m’énerver. Ne raconte pas tout à Gaëlle, c’est la plus diplomate de nous deux et elle va vouloir m’arracher les yeux si elle sait que j’ai parlé de pipes et que je l’ai jouée féministe vindicative, ris-je alors que nous traversons le parking. Bonne soirée, Yoann. Et décroche après m’avoir envoyé tes notes, tu as l’air crevé. A demain.

— Je vais finir le rapport que je vous ai promis aussi. Bonne soirée et à demain.

Je lève les yeux au ciel et souris en l’entendant. Mon assistant semble être un bourreau de travail, même maintenant qu’il a gagné ma confiance. Un bon point pour lui, j’en conviens, mais le bien-être de mes salariés m’importe et il bosse trop.

Je profite du trajet retour pour appeler Gaëlle et lui raconter grosso modo la réunion alors qu’elle semble avoir envie de tout sauf de parler boulot. J’avoue que j’abuse, il est quasiment vingt-et-une heures et elle est chez elle, mais je suis partie de chez moi avant huit heures, ce matin, et je crois que je lui en veux un peu de me lâcher comme ça depuis son accouchement.

La maison est silencieuse lorsque je passe la porte et je pousse un soupir de bien-être en enlevant mes escarpins tout en détachant mon soutien-gorge que je balance au bas des escaliers. Si je suis adepte du no bra, passer plusieurs heures en réunion avec une flopée d’hommes qui ont les yeux un peu trop baladeurs me met mal à l’aise. Bienvenue au vingt-et-unième siècle.

Je trouve mon mari dans la salle de jeux des enfants, en train de ranger un peu les dégâts causés par nos tornades.

— Salut, Homme de ma vie. Encore une journée où nous avons survécu, souris-je en lui filant un coup de main.

— Bonsoir Chérie. Tu ne devais pas rentrer tôt, ce soir ? Les enfants ont été difficiles… et très déçus de ne pas te voir.

— Tôt, non, mais je pensais pouvoir rentrer avant le coucher, soupiré-je. Mais la réunion de ce soir a commencé plus tard que prévu. J’ai fait au plus vite… Désolée.

— Tu devrais travailler moins et penser plus à nous. Je t’ai laissé une assiette au frigo, je vais aller me coucher, moi, je suis crevé. Et demain matin, je dois déposer Albane plus tôt à l’école, pour sa sortie au Palais des Beaux Arts.

— Quelle heure ? Je peux la déposer, si tu veux. Et je fais ce que je peux, Allan, mais avec un bras droit à mi-temps, c’est un peu compliqué, lui rétorqué-je un peu sèchement.

— Eh bien, c’est compliqué aussi de ne pas t’avoir à la maison, tu sais ? Pour Albane, il faut qu’elle soit au collège à sept heures trente. Tu peux t’en charger ?

— Je m’en charge, oui… Je mange en vitesse et je te rejoins au lit. Bonne nuit, Chéri…

— J’espère que ce que j’ai préparé te plaira. Bonne nuit, mon Amour. A demain.

Allan cherche à me dépasser pour sortir de la pièce mais je l’arrête pour l’embrasser. C’est furtif, bien trop à mon goût d’ailleurs, puisqu’il y met rapidement un terme et s’en va, me laissant plantée dans cette salle de jeux avec en bouche le goût amer que me laisse cette brève conversation. Je sais que je ne suis pas assez présente à la maison, mais avec le passage à mi-temps de Gaëlle, il faut tout réorganiser et ça zappe totalement le bénéfice d’avoir embauché un assistant, pour le moment.

Je passe mon dîner en solitaire, le nez dans mon ordinateur pour tenter de réorganiser mon planning, histoire de rentrer plus tôt et de montrer à mon mari que j’ai entendu sa remarque, mais ça ne va pas être si facile que ça, sur le long terme… Le succès a un prix, et je vais avoir du mal à tout combiner dans les prochaines semaines.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0