09. Jamais tranquille à la maison

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Maeva

Je dépose ma tasse de café tiède sur la table et me pose pour la première fois depuis que les jumeaux se sont réveillés ce matin. Il est dix heures et j’ai l’impression d’avoir déjà fait une journée de boulot. Si je n’ai jamais pensé qu’Allan en fait des tonnes lorsqu’il me dit qu’il est crevé après s’être occupé d’eux des heures durant, j’en prends la pleine mesure aujourd’hui où je suis seule avec eux pendant que leur père file un coup de main à son ancien coéquipier.

Je mentirais si je disais que Jérôme me manque. Honnêtement, je me demandais souvent comment Allan pouvait le supporter, au boulot. Tous les deux sont tellement différents à bien des égards… Mais le travail les a toujours rapprochés, ils se comprenaient sans se parler, se complétaient. Un vrai duo de choc, d’après leurs supérieurs. Du coup, Jérôme n’a pas vraiment apprécié que mon mari choisisse de rester à la maison à la naissance des jumeaux. En bon macho, je crois qu’il a arrêté de m’apprécier à partir de ce moment-là.

Le bruit d’un objet qui chute sur le bois de la terrasse me fait revenir à la réalité. Je me lève précipitamment en voyant les jumeaux tenter d’ouvrir le portillon qui mène à la piscine. Quelques secondes d’inattention et on pourrait frôler la catastrophe avec eux. Dieu merci, il y a une sécurité qu’ils ne peuvent pas encore atteindre, mais avec eux, tout est possible, je crois. Et donc, impossible de profiter de la vue sur l’étendue d’eau censée être apaisante, pour les parents au moins.

— Vous n’avez pas assez de place dans toute la maison, il faut forcément que vous cherchiez un nouveau terrain de jeu, hein ?

Je suis suffisamment folle pour m’être dit, ce matin, qu’une petite activité peinture serait sympa. Résultat, nous étions tous les trois dans le bain il y a moins de trente minutes. Le body painting a semblé davantage les intéresser que de préparer des œuvres d’art pour leur père et leur sœur. Ils portent bien leur surnom de “petits monstres”, tous les deux. Heureusement que j’ai eu droit à un gros câlin sur le canapé avant que nous sortions profiter du soleil.

Une fois les terreurs à nouveau installées sur la couverture avec leurs jouets, je vérifie rapidement mes mails et grimace en voyant le nom de Yoann s’afficher sur mon écran. Journée off, tu parles… J’ai voulu faire plaisir à Allan qui semblait vraiment vouloir aider Jérôme et ai donc décalé mes rendez-vous du jour pour lui permettre de le faire, sauf que décaler veut dire les replacer ailleurs et donc charger davantage d’autres journées… au risque que ça déplaise à mon petit mari.

— Il y a le feu aux bureaux ? Dans une usine ? On s’est fait cambrioler ? Kim K a parlé de nous ? Je ne vois pas d’autre raison pour lesquelles tu oserais m’appeler alors que je risque de perdre l’un de mes enfants à la seconde où je détourne les yeux, ris-je.

— On a un souci, Maeva, m'indique-t-il, tout stressé. Monsieur MacMillan, vous savez, le businessman qui a prévu de nous financer ? Eh bien, il n'a pas eu l'information que vous n'étiez pas disponible aujourd'hui. J'ai essayé avec son assistante de passer la rencontre en visio mais vous lui avez tapé dans l'œil et il ne veut vous voir qu'en personne. C'est aujourd'hui ou jamais m'a dit son assistante…

Je soupire lourdement, baisse les yeux sur mon short de pyjama et mon débardeur, les relève sur les jumeaux. L’investissement de Monsieur MacMillan dans l’entreprise est capital pour l’ouverture sur l’Europe, il a des contacts en plus d’avoir de l’argent.

— Tu crois que si je l’appelle, je peux négocier ? Un déjeuner, un dîner, n’importe quoi… enfin, pas n’importe quoi, mais un autre jour, quoi ?

— Je ne crois pas. Tout ce que j'ai réussi à négocier, c'est reporter le rendez-vous à seize heures. Je fais quoi ? Je l'annule ?

— Tu fais une sieste, parce que tu vas devoir gérer mes enfants pendant que je gère MacMillan… J’espère que tu as un don avec les gosses comme avec les tableaux Excel !

— Je dois gérer vos enfants ? Mais… je n'ai jamais fait ça, moi.

— Il faut un début à tout… Tu as quelques heures pour visionner des tutos sur comment s’occuper d’enfants de deux ans ! Seize heures… Le goûter, j’ai hâte de voir dans quel état tu vas finir, plaisanté-je. A moins que mon mari rentre tôt, ce dont je doute, te voilà nounou !

— Bien cheffe, si cela peut vous aider, je ferai mon maximum.

— Je te revaudrai ça. Tu peux me préparer le dossier pour le rendez-vous ? Je n’ai pas ce qu’il faut à la maison. Je vais essayer d’arriver un peu plus tôt pour te passer le relais tranquillement avec les petits. Ça va bien se passer, ce sont des amours, tu verras, tenté-je de le rassurer alors que Mika tire les cheveux de sa sœur à un mètre de moi. A tout à l’heure, Yoann.

— A tout à l’heure, Maeva. Je vais tout préparer.

Je le remercie une nouvelle fois et raccroche en me demandant si je dois prévenir Allan. Pour une fois que je suis à la maison, qu’il peut faire ce qu’il veut et ce qu’il a toujours aimé faire, à savoir enquêter… je ne peux pas lui demander de rentrer si tôt. Pour le coup, il peut dire ce qu’il veut de moi et mon boulot, il était pareil à l’époque, et il est capable de rentrer au beau milieu de la nuit parce qu’il n’aura pas vu l’heure…

Finalement, je vais garder ça pour moi, je lui en parlerai ce soir. Et faire manger les jumeaux un peu plus tôt, pour les coucher pour la sieste avec un peu d’avance. Oui, j’ai bon espoir que tout roule comme sur des roulettes… et je me fais des films.

Le repas se passe plutôt bien, mais les loulous n’ont pas très envie d’aller faire la sieste. Résultat, je me retrouve prise en sandwich entre les deux, dans mon lit, à tenter de les endormir, plutôt que de me préparer. Je profite qu’ils aient enfin fini par sombrer pour me maquiller après m’être échappée aussi délicatement que possible, puis je m’habille. Je prépare un sac avec des jouets, le goûter… Ce genre d’organisation ne m’avait pas vraiment manqué, je l’avoue.

Je suis déjà sur les rotules quand je débarque au bureau, Nora sur une hanche, la main de Mika dans la mienne, mes sacs sur une épaule. Les petits, plutôt bougons au réveil, sont contents du trajet en voiture où j’ai mangé de la comptine, et ils se montrent curieux en redécouvrant mon bureau. Je sors leurs jouets et range tout ce qui est accessible à leurs petites mains maladroites, notamment le bouquet de fleurs installé sur la table basse. Je connais les loustics…

Yoann débarque dans le bureau comme s’il pénétrait sur un champ de bataille, presque à reculons, mais les petits l’accueillent avec politesse et le charment de leurs sourires.

— Ça va aller ? J’ai ramené plein de jouets, ils vont avoir de quoi s’occuper. Je t’ai mis des jus de fruits et des biscuits pour le goûter, vers seize heures, seize heures trente. Si tu as un problème, tu m’appelles en salle de réunion, MacMillan ira se faire voir ou patientera.

— J’ai appelé ma sœur, elle m’a donné plein de conseils, ça devrait aller, déclare-t-il d’un ton moins assuré qu’il n’aimerait le faire croire.

— Bien sûr que ça va aller. Et n’hésite pas à m’appeler. Ou mieux, viens me voir avec les jumeaux. MacMillan a eu quatre enfants, si mes souvenirs sont bons, il doit être sensible aux petites bouilles joufflues.

— Si vous croyez que ça peut vous aider, je viendrai, oui. Je… j’espère qu’ils ne vont pas faire trop de bruit et que ça ne vous dérangera pas. Je vais faire mon maximum pour eux, de toute façon, comme je le fais pour vous.

— Je n’en doute pas, souris-je en m’agenouillant devant les jumeaux. Maman revient vite, vous êtes sages, d’accord ? Soyez gentils avec Yoann, et amusez-vous bien.

Je leur fais quelques bisous et les chatouille, juste pour le plaisir de les entendre rire, avant de récupérer le dossier que m’a préparé mon assistant. Il est déjà presque l’heure et j’essaie de mettre de côté la pointe de culpabilité qui m’assaille à l’idée d’aller assurer un rendez-vous plutôt que de m’occuper des petits. D’autant plus qu’il ne va pas falloir que je tarde pour aller récupérer Albane au collègue. Ça risque d’être la course.

Je descends à l’accueil avant même que MacMillan soit là, histoire de mettre de côté la maman au profit de la cheffe d’entreprise, et affiche mon sourire commercial lorsque le bonhomme entre dans l’entreprise. La quarantaine bien tassée, les cheveux poivre et sel, le regard franc et… séducteur, il attrape la main que je lui tends en le saluant et la garde dans la sienne un peu trop longtemps à mon goût.

— Ravie de vous revoir chez Belle Breizh, Monsieur MacMillan.

— Le plaisir est partagé, chère Maeva. Je pense que vous êtes vraiment la meilleure ambassadrice de vos produits. Vous êtes resplendissante, ma Chère.

— Vous me flattez, mais faites attention, je risque d’avoir des doutes quant à votre honnêteté, je suis passée devant un miroir il y a peu et je peux vous garantir que ma journée marathon avec mes jumeaux a laissé des séquelles, plaisanté-je en lui emboîtant le pas. Suivez-moi, allons nous installer en salle de réunion.

— Il n’y a pas plus honnête que moi quand il s’agit de vanter les charmes d’une jolie femme. Et j’admire votre modernité. C’est impressionnant d’être capable de cumuler une vie de maman et une carrière comme la vôtre. J’espère que vous ne délaissez pas non plus votre côté femme fatale, rit-il.

— Mon mari est un homme merveilleux. Sans lui, son soutien et sa dévotion à notre famille, Belle Breizh n’en serait pas là.

Je veux bien me faire dragouiller, mais je préfère autant mettre les choses au clair avec délicatesse. C’est dit, je suis mariée, je trouve mon homme merveilleux, sous-entendu : je ne suis pas intéressée. J’ai cru comprendre qu’il était séparé de son épouse, alors je préfère ne pas jouer avec le feu.

— Il a bien de la chance, j’espère qu’il s’en rend compte. Et j’espère que vous allez me démontrer que vous n’êtes pas qu’une jolie femme. Expliquez-moi ce que vous attendez de moi, je suis toute ouïe.

Nous nous installons autour de la table et je me promets de remercier Yoann qui a préparé de quoi nous hydrater. Après avoir servi deux cafés sous les yeux un peu trop attentifs de mon potentiel investisseur, je m’empresse d’entamer la conversation sur le plan professionnel. Je n’ai pas de temps à perdre et une ado à récupérer sous peu.

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