10. La folle inquiétude de l’ex-flic
Allan
A côté de Jérôme, je reste silencieux mais j’observe la maison qui vient d’être cambriolée tandis qu’il pose des questions au couple de jeunes qui a découvert la scène à son retour de vacances. C’est du boulot de professionnel, en tout cas. Pas besoin de faire une grande enquête pour comprendre que le voleur n’en est pas à son coup d’essai. La police scientifique est en train d’essayer de relever des traces mais je suis convaincu qu’ils ne trouveront rien. Les deux jeunes sont en train d’expliquer que juste avant de partir, la semaine dernière, ils ont fait une fête avec tous leurs amis. Si trace il y a, ce sera difficile de la différencier d’une marque laissée par n’importe lequel des invités.
— Il n’y a pas de trace d’effraction ? finis-je par demander alors que mon ancien collègue semble avoir fait le tour de ses questions.
— Non, aucune. Notre porte était fermée à clé lorsque nous sommes rentrés, et aucune fenêtre n’était ouverte ou cassée.
— Je peux faire un tour ?
Je ne me suis pas présenté parce que je sais que je n’ai aucune légitimité à être sur place, mais j’espère que mon air sévère et ma prestance suffisent à ce qu’ils me prennent pour un flic en civil. Ce que je suis un peu aujourd’hui, je trouve.
— Bien sûr, allez-y…
Je parcours les lieux et me rends compte que si tous les endroits où il pouvait y avoir quelque chose de valeur ont été visités, la chambre n’a elle pas fait l’objet de la même attention. Je découvre dans la table de nuit quelques bijoux et me demande pourquoi le voleur n’est pas intervenu dans cette pièce. A-t-il été dérangé dans sa fouille méthodique avant d’arriver ici ? Je suis rejoint par Jérôme alors que je sors de cette chambre.
— Tu as noté que le voleur n’était pas venu ici ? Vous êtes arrivés rapidement sur place ? Le couple l’a dérangé, tu crois ?
— Possible, parce que d’ordinaire, la chambre est visitée pour les bijoux.
— Un voisin nous a appelés pour nous dire qu’il avait vu la lumière extérieure de l’entrée s’allumer alors qu’il savait que nous étions absents, donc nous sommes rentrés.
— Dis à tes gars de venir fouiller ici, alors, il y a plus de chances qu’ils trouvent quelque chose qu’au salon. Et sûrement qu’à part les deux tourtereaux, la chambre n’a pas fait l’objet d’une fête folle il y a quelques jours.
— Tu crois qu’il aura eu le temps de commencer à fouiller sans aller jusqu’à la table de chevet ?
— Yes, les vêtements de la penderie ont été fouillés, ils ne sont pas tous pliés de la même façon. Il y a des chances qu’il n’ait pas effacé toutes ses traces ici.
Je souris alors qu’il demande à la police scientifique de venir faire son travail dans la chambre et nous ressortons une fois qu’il s’est assuré que tout était en ordre.
— Ça fait du bien de retrouver un peu le terrain, souris-je. J’avoue que tout ça me manque un peu.
— Tu m’étonnes. Quoique tu dois avoir de sacrées enquêtes à faire à la maison. Qui entre les deux petites têtes a bien pu écrire sur le mur ? Avoue que tu mènes l’enquête comme si elle était officielle.
— J’avoue, ris-je. Ça te dit d’aller prendre un verre ou tu n’as pas le temps ?
— Allez, je te suis, ça fait un bail.
— Attends, j’appelle Maeva pour la prévenir et savoir si elle survit sans moi.
— Elle t’appelle tous les jours pour savoir si tu survis, elle ?
— Non, mais justement, elle n’a pas l’habitude d’être seule avec les petits monstres, ris-je en m’éloignant un peu de lui pour appeler mon épouse.
Je laisse sonner son téléphone mais personne ne répond. J’essaie le fixe à la maison, mais pareil, je n’ai pas de retour. Je réessaie d’appeler sur son portable professionnel et mon appel est directement orienté sur son répondeur. Normal si elle est à la maison.
— C’est bizarre, elle ne me répond pas, dis-je à Jérôme qui s’est approché de moi. Je me demande si tout va bien.
— Tu veux qu’on passe par chez toi ? Elle est peut-être juste overbookée, tes gosses sont des… tornades, quand même !
— Non, ça fait un peu too much de débarquer dans la voiture avec les gyrophares, soupiré-je. Je vais réessayer sur son portable perso et lui laisser un message.
Je compose à nouveau le numéro et suis soulagé de voir qu’elle répond enfin.
— Coucou Chérie ! Tout va bien ? Je commençais à m’inquiéter.
— Bonjour, excusez-moi, je… je suis l’assistant de votre femme, elle…
— Quoi ? Yoann ? Mais que se passe-t-il ? Vous faites quoi chez nous ? Tout le monde va bien ? m’inquiété-je immédiatement.
— Disons qu’on a eu une urgence au bureau, elle est en rendez-vous actuellement.
— Elle est au bureau ? C’est quoi, cette urgence ? Et mes enfants, ils sont où ? Elle ne les a pas laissés à la maison, quand même ?
— Bien sûr que non ! Ils sont avec moi pendant qu’elle reçoit l’investisseur qui ne voulait pas décaler le rendez-vous…
— Ah oui, je vois, donc elle préfère encore une fois l’argent à nos enfants… J’arrive.
Je ne lui laisse pas le temps de répondre et je raccroche avant de me tourner vers Jérôme qui n’a rien manqué de mes échanges.
— Arrête de faire ce petit sourire et allume les gyrophares. Direction le siège de Belle Breizh. J’ai mes enfants à récupérer des mains de cet assistant qui ne doit avoir aucune idée de ce qu’il faut faire. Je te jure, ne te marie jamais, c’est juste le meilleur moyen d’avoir des cheveux blancs. Ou de ne plus en avoir du tout ! ajouté-je en jetant un œil à son crâne qui commence déjà à se dégarnir.
— C’est parti, Partenaire. Accroche ta ceinture !
Je retrouve là-aussi le plaisir d’avaler les kilomètres à une folle allure, tout le monde s’écartant sur notre passage. Ce n’est pas très légal de faire ça, mais je m’en moque. Je suis en colère et j’ai horreur que mes enfants soient confiés à quelqu’un que je ne connais pas. J’ai un peu l’impression qu’il faut que je vienne à leur secours au plus vite, de peur qu’il ne leur arrive quelque chose avec ce petit jeune qui n’est clairement pas formé pour faire du babysitting.
Lorsque je débarque à l’accueil de l’entreprise de ma femme, je fonce directement vers le bureau de Maeva sans prendre la peine de m’annoncer. Dans mon dos, je constate que Jérôme s’arrête auprès de la secrétaire alors que je pousse la porte et tombe sur mes deux enfants en train de manger des biscuits et Yohann qui leur sert du jus de fruit.
— Coucou les enfants, c’est moi. Tout va bien ? Et vous, dites à ma femme que je suis là et que je l’attends. Et surtout dites-lui que je m’en fous de son rendez-vous et que si elle n’arrive pas tout de suite, je débarque où qu’elle soit. D’accord ?
— Bien, Monsieur… Espérons que Monsieur MacMillan soit compréhensif, soupire-t-il en sortant du bureau.
— Je m’en fous de MacMillan ! crié-je à son intention alors qu’il disparaît au loin.
Je ne peux m’empêcher de vérifier que les enfants vont bien et je suis vite rassuré de voir qu’il ne leur manque aucune partie de leur corps, qu’ils ont l’air en forme et pas du tout traumatisés. Peut-être que je me suis emporté pour rien, mais en même temps, j’en veux toujours à Maeva de ne pas avoir réussi à s’occuper d’eux une journée entière sans devoir les emmener à son travail.
Lorsqu’elle arrive dans son bureau, je la sens agacée et surprise de me voir débarquer ainsi. Je n’attends pas qu’elle lance les hostilités et l’entraîne à ma suite, hors de portée des enfants qui restent sous la surveillance de Yoann.
— Tu peux m’expliquer pourquoi les enfants sont là, sous la surveillance d’un gamin qui n’a jamais dû faire de babysitting de sa vie ?
— Bien sûr. Figure-toi que je n'ai pas vraiment eu le choix parce que le type dont tu te fous est mon potentiel investisseur principal pour ouvrir la boîte à l'Europe, qu'on avait rendez-vous aujourd'hui et qu'il y a eu un couac dans l'envoi des mails. Maintenant, tu peux m'expliquer pourquoi tu débarques ici comme une furie sur le point de tout faire péter ? Tu crois que je confierais nos enfants à n'importe qui ? Je suis installée à deux portes de mon bureau !
— C’est fou que tu préfères toujours ton boulot et ta satanée boite à nos enfants et à notre vie de famille. Je ne t’ai pas demandé grand-chose, pourtant. Juste une journée et même ça, ce n’est pas possible ?
— Ma satanée boîte ? Arrête ça tout de suite, Allan, sinon on va se dire des choses cruelles et je refuse de tomber là-dedans ! J'ai fait tout ce que j'ai pu pour décaler ce rendez-vous, tu crois quoi ? Que ça me faisait plaisir d'embarquer les petits ici ? Que je ne m'en veux pas d'être en train de bosser plutôt que de passer un moment avec eux ? Je te l'ai déjà dit, je fais ce que je peux, bon sang ! Je ne suis pas encore en capacité de me dédoubler !
— Ecoute, je me suis un peu emporté, je suis désolé. Mais la prochaine fois que tu dois retourner travailler alors que tu es avec les enfants, appelle-moi et je reviendrai à la maison pour m’en occuper. C’est un peu ma mission, dans notre couple, dis-je plus amèrement que je ne l’aurais souhaité. Je vais les ramener à la maison et toi, si tu peux, ne rentre pas trop tard. Tu es sur une journée de repos, quand même.
— Je voulais juste te laisser ta journée, Allan… J'ai bien compris qu'en ce moment tu regrettes notre décision et j'en suis désolée. Mais je te signale que ma foutue boîte te permet d'avoir ta vue sur mer et de vivre plutôt confortablement, et que je ne me tue pas égoïstement à la tâche, soupire-t-elle, visiblement vexée. En fait, je crois que tu oublies que c'est du travail pour moi aussi, et que je ne pars pas en journée off quand je vais bosser. Mais passons, puisque je ne suis semble-t-il pas apte à décider pour nos enfants, je vais finir mon rendez-vous. N'oublie pas de passer récupérer Albane au collège, Papa Parfait.
Je n’en reviens pas qu’elle se retrouve encore en position de me critiquer ou de me faire des reproches sans en avoir l’air, mais elle a cette capacité à remporter toutes nos discussions. Je comprends qu’elle ait du succès à son travail vu sa force de persuasion et sa vivacité d’esprit. Je ne suis pas en mesure de m’opposer à elle et c’est plein de doutes sur ce que j’ai fait, plein de culpabilité aussi, que je repars avec les jumeaux, la laissant travailler pour ces objectifs qui lui semblent si importants. Est-ce que j’ai vraiment sur-réagi ? Sûrement. Pourtant, j’ai raison de ne pas être content qu’elle ne sache même pas prendre une journée de repos en famille, non ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Je suis totalement perdu sur ce que je dois accepter ou pas. Ce que je sais, en tout cas, c’est que si Yoann n’avait pas été là, elle aurait trouvé une solution pour pouvoir aller à ce rendez-vous. N’importe quelle solution aurait fait l’affaire, on dirait. Et ça, ce n’est tout simplement pas acceptable.
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