11. Assistance sans condition
Maeva
Si d’habitude, Allan se lève lorsque je vais l’embrasser… aujourd’hui, et comme les deux jours précédents, il a déjà quitté notre lit et doit être en train de préparer le petit déjeuner. L’ambiance à la maison, depuis qu’il a déboulé comme un dingue au bureau, est plutôt fraîche, pour ne pas dire glaciale. J’aurais abandonné les jumeaux sur une aire d’autoroute qu’il ne m’en aurait pas davantage voulu, j’ai l’impression.
Je tire les rideaux et me maquille rapidement avant de farfouiller dans le dressing. J’hésite à enfiler mon tailleur pantalon noir, mais après le gris foncé d’hier, je me dis que tout le monde va me penser en deuil au bureau si je poursuis mon exposition de couleurs déprimantes. Je jette finalement mon dévolu sur mon tailleur blanc, et l’agrémente d’un chemisier corail. Il y a bien longtemps que le blanc n’est plus virginal chez moi, mais cela fait ressortir les reflets chocolat dans mes cheveux ainsi que le bronzage durement acquis dimanche dernier lors de notre sortie vélo en famille. Et aucun rapport avec le fait qu’Allan apprécie de me voir moulée dans cette jupe, juré.
J’attrape mes escarpins blancs dans le bas du placard et sors de la chambre pieds nus pour ne pas réveiller les enfants. Allan m’adresse à peine un regard lorsque j’arrive dans la cuisine, mais je ne change pas mes habitudes et passe derrière lui pour déposer un baiser sur sa nuque. Je surprends malgré tout ses yeux sur moi lorsque je me sers un café, et fais mine de rien pour ne pas sortir une remarque déplacée. Typiquement masculin ça, non ? On fait la tronche, mais on profite de la marchandise…
Je déteste cette situation. Allan et moi avons toujours été proches, plutôt tactiles, complices… Cette guerre froide me broie le cœur, sauf que lui et moi campons sur nos positions. Résultat, j’attends qu’il dorme pour me blottir contre lui, je cherche le contact malgré tout en espérant qu’il craque.
— Mon dernier rendez-vous est à seize heures, je serai rentrée pour dix-sept heures trente, ce soir. Tu veux que je passe faire des courses avant de rentrer ?
— Non, il vaut mieux que j’y aille, si tu es retenue par une nouvelle obligation, on risquerait de manquer de sel.
— Bien… Comme tu veux. Tu essaieras de retrouver ta bonne humeur dans les rayons au passage, s’il te plaît ? marmonné-je en écrivant un petit mot qu’Albane lira à voix haute devant les jumeaux pour leur souhaiter une bonne journée.
— Tu crois que ça se vend avec les carambars ? me demande-t-il sans sourire mais en me faisant une blague pour la première fois depuis deux jours.
— Je ne sais pas, les blagues carambars ne m’ont jamais mise de bonne humeur, contrairement aux tiennes. Alors ça doit être à côté du chocolat, plutôt.
— Je crois que je vais prendre triple dose de chocolat, on en a bien besoin.
— Bonne idée, il nous faudra au moins ça. Il faut que je file, soupiré-je en déposant ma tasse dans le lave-vaisselle. Dis-moi, tu te rappelles que tu m’avais dit que tu viendrais à l’ouverture du magasin de La Rochelle ?
— Oui, bien sûr, pourquoi ? Tu as déjà une date ?
— C’est dans quinze jours, je pensais te l’avoir dit mais, comme d’habitude, j’ai la mémoire qui flanche… Est-ce que… ça te dirait qu’on voie avec nos parents pour qu’ils prennent les enfants une nuit ? On pourrait rester sur place tous les deux, se trouver un petit hôtel sympa, se balader… et trouver un resto typique pour manger jusqu’à n’en plus pouvoir ?
— Pourquoi pas, oui, ça nous fera du bien d’avoir un peu de temps pour nous, même si on y va quand même pour ton boulot.
— L’inauguration est à treize heures. A seize, maximum, on peut avoir déguerpi. Tu te sens de me kidnapper ? souris-je en déposant un baiser sur sa joue.
— Il faudra bien, sinon tu risques de te retrouver en entretien avec un nouveau MacMillan pour toute la soirée.
Ne pas relever. Ne pas relever… et rester zen. Même s’il m’agace, pour le coup. Finalement, j’essaie de ne pas camper sur mes positions et lui me balance encore cette histoire.
— Tu t’occupes de trouver l’hôtel et le resto ou tu veux que je m’en charge ?
— Je m’occupe de tout. Tu verras, on sera comme des coqs en pâte.
— Bien. A ce soir, Chéri.
— A ce soir, et ne travaille pas trop, hein !
Je l’embrasse rapidement et file enchaîner les rendez-vous, pour changer. J’ai l’impression de prendre une pause lorsque je fais une petite visite surprise au magasin du centre-ville, même si je joue un peu l’inspectrice au passage. Tout est nickel, mais je n’en attendais pas moins de Solène, la directrice qui chapeaute l’organisation.
Je n’en suis pas moins déjà crevée lorsque je m’installe en face de Yoann, sur la terrasse du restaurant où nous nous retrouvons pour déjeuner. Vivement que Gaëlle revienne à temps plein, je ne vais pas tenir le choc à ce rythme… ou c’est mon mariage qui ne tiendra pas la distance. Cette pensée me fait grimacer. Je sais que c’est compliqué, en ce moment, mais l’amour est toujours présent entre nous, c’est l’essentiel, non ?
— Quoi de neuf au bureau, Yoann ? Ça a été, ce matin ?
— Oui, tout le monde a été efficace, comme d’habitude. Mais sans vous, c’est un peu triste.
— Triste ? ris-je. Je pense que les autres diraient “chill”, plus que triste, tu sais ? J’en ai déjà entendu se plaindre de mon côté pile électrique… La comptable me surnomme la tornade, mais ne le dis pas à mon mari, il serait capable de me reprocher la vivacité des jumeaux !
— Je ne dirai rien, promis. Vous savez que vous pouvez me faire confiance, me répond-il sérieusement. Et moi, quand vous n’êtes pas là, je déprime un peu, j’avoue. C’est comme si j’étais privé de ma raison d’être au boulot.
— Si tu as le temps de déprimer, c’est que tu n’as pas assez de boulot, Yoann. Fais gaffe, je pourrais t’envoyer davantage de mails, souris-je. Tu fais du bon boulot, en tout cas, tu m’es d’une aide précieuse…
— Il ne faut pas hésiter à me donner du travail. Je suis là pour ça. Et ce n’est pas grave si je suis fatigué, moi, personne ne fait attention, tandis que vous, vu que vous êtes si belle et si intelligente, tout le monde le verra si vous êtes fatiguée.
Je baisse les yeux sur le carte pour qu’il ne remarque pas la rougeur sans nul doute apparue sur mes joues. Compliment innocent ? Je suis mariée, il le sait, et puis il a dix ans de moins que moi.
— Personne ne devrait se tuer à la tâche. Et je ne peux pas te demander de faire mon travail. Il est évident que tu es compétent et que tu me sauves la mise aussi bien professionnellement que personnellement, pour le coup, et je t’en remercie. Gaëlle à mi-temps, ça aurait été ingérable sans toi.
— Je suis payé pour ça, me répond-il en souriant. Autant que je sois bon à ce que je fais !
J’acquiesce et attends que le serveur ait pris notre commande pour poursuivre.
— Tu n’es pas non plus payé pour bosser douze heures par jour. Pas de petite amie, ou de petit ami d’ailleurs, qui risque de me haïr parce que tu rentres tard ? A moins qu’il ou elle me déteste déjà, plaisanté-je.
— Non, je n’ai personne dans ma vie. Seulement vous que je suis prêt à servir vingt-quatre heures sur vingt-quatre s’il le faut. Et dans tous les domaines !
Donc, le compliment n’était pas innocent… Il est vraiment en train de flirter avec moi. Et il ne lésine pas sur les moyens, d’ailleurs. Un peu trop cash, d’ailleurs.
— Ne dis pas ça à ton supérieur, voyons ! Certains abuseraient de la situation sans éprouver une once de culpabilité.
— Oh désolé, je voulais juste dire que vous n’avez personne qui va vous haïr dans ma vie. Pour l’instant, je suis libre comme l’air. Si ça change, je vous en informerai, bien sûr.
— Profite… parce que le boulot peut être un sacré sujet de discorde à la maison, grimacé-je. Enfin, passer sa vie au boulot n’est pas non plus très sain.
— C’est compliqué pour vous en ce moment ?
— Eh bien… Tu as vu mon mari débouler au bureau l’autre jour. Ça en dit long sur l’ambiance, non ? Disons que je ne passe pas assez de temps à la maison, en ce moment. Il n’a pas tort, en soi, j’ai parfois l’impression de débarquer dans un Bed&Breakfast…
— Vous faites comme vous pouvez… Sans vous, Belle Breizh ne serait pas une entreprise aussi florissante. Il devrait comprendre ça, quand même !
— Il le comprend. Enfin, je crois… Disons qu’il ne voit pas l’intérêt de continuer à développer l’entreprise, je pense. Et il a raison, en un sens, je manque des moments importants à la maison. J’essaie d’optimiser mon temps, mais les journées ne comptent pas assez d’heures, ris-je. Bref, désolée, je ne devrais pas m’épancher comme ça, il y a pire dans la vie. J’ai un boulot que j’adore, un mari et trois enfants formidables, je ne devrais pas me plaindre.
— Et un assistant de rêve ! C’est pas rien ! répond-il en souriant.
— C’est vrai. Tu es une pièce maîtresse de l’équation, aujourd’hui. Profites-en, je ne suis pas du genre à complimenter à outrance, je dois être dans un bon jour, ris-je. Au fait, est-ce que MacMillan a enfin rappelé ?
Mieux vaut réorienter la conversation, je crois. Non pas que discuter de ma famille me pose problème, mais je dépasse clairement les limites de la relation patron/employé, là. Et aux dernières nouvelles, je n’ai pas embauché Yoann pour qu’il me serve de psy ou de conseiller conjugal. Sans compter que j’ai un peu de mal à analyser ses propos à mon égard qui, s’ils sont flatteurs et agréables à entendre, sont aussi un peu ambigus.
— Non, toujours pas. Pas sûr qu’il ait apprécié l’interruption, même si elle a été courte…
— Hum… Je crois qu’il va falloir que je joue de mes charmes, pour le coup, marmonné-je en picorant dans ma salade.
— Ça ne devrait pas être trop difficile, soupire mon assistant. Peut-être que c’est ce qu’il attend ?
— Bien possible, oui. Je vais essayer de caler un déjeuner avec lui.
Non pas que ça me réjouisse de devoir agir de la sorte, mais il va bien falloir que je récupère la boulette d’Allan. J’ai bien vu que MacMillan n’avait pas apprécié de l’entendre dire qu’on s’en fichait, de lui. Sans compter que c’est loin d’être le cas. Lui aussi est une pièce maîtresse dans mon échiquier.
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