12. La Bérézina à la maison

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Allan

Quelle journée ! J’ai l’impression qu’elle n’en finit pas et que les heures s’écoulent avec une lenteur particulièrement désagréable. Depuis le réveil, j’ai un mal de tête lancinant qui ne me lâche pas, malgré les médicaments que j’ai pris et qui me permettent de fonctionner avec les enfants. J’ai beau leur dire que Papa est fatigué, qu’il a besoin de calme et de repos, ils ne me laissent pas une seconde tranquille.

— Papa ! J’ai soif ! me lance Nora depuis l’autre bout du salon.

J’ai envie de lui répondre de se débrouiller, d’aller se chercher un verre. J’en suis même presque au point de lui dire d’aller dans la salle de bain et de mettre sa tête sous le robinet de la baignoire, mais je sais que ce n’est pas de leur faute. Je soupire et me lève pour aller chercher un de ces verres faits spécialement pour les enfants, avec des anses de chaque côté et un bouchon qui leur permet de boire sans en mettre partout. Je remercie silencieusement tous ces ingénieurs et inventeurs qui ont créé tous ces objets du quotidien pour nous faciliter la vie et donne le verre à ma fille qui le prend sans un merci. D’habitude, je me bats pour qu’ils apprennent un peu la politesse, mais là, je me contente de soupirer et de retourner dans mon fauteuil où je m’affale lamentablement.

— Papa, moi aussi, je veux “nadine” !

Oh non, voilà l’autre qui s’y met aussi ! Il n’aurait pas pu demander son verre de grenadine avant ? Il le fait exprès, c’est pas possible autrement. Je prends sur moi pour ne pas m’énerver et me relève avec difficulté afin de répondre à sa demande. Un jour normal, j’aurais tout de suite pensé que si l’un veut quelque chose, l’autre en voudra aussi, mais là, j’ai du mal à enchaîner deux pensées cohérentes à la suite.

Je me demande si je couve quelque chose. Si c’était le COVID, je crois que j’aurais d’autres symptômes, non ? C’est peut-être tout simplement parce que depuis que je me suis disputé avec Maeva, je ne dors pas bien. Je n’arrête pas de me réveiller, de repenser à ce qu’il s’est passé. J’ai toujours l’impression que c’est moi qui suis dans mon droit, que j’ai raison d’être en colère, mais elle est aussi têtue que moi et ne veut pas faire le premier pas. Sauf la nuit, quand je me réveille et que je la trouve dans mes bras. Ou quand je la sens qui se colle dans mon dos quand elle pense que je me suis endormi. On est bêtes quand même de ne pas essayer de se rabibocher après une dispute qui est, somme toute, insignifiante.

— Papa, j’ai un accident… m’interrompt Mika.

Oh non, pas maintenant ! Pas aujourd’hui ! Ça fait une semaine qu’il n’y a rien eu ! Il le fait exprès ou quoi ?

— Mais Mika ! Pourquoi tu n’as rien dit ? Pourquoi tu n’es pas allé aux toilettes ? m’exclamé-je en me relevant rapidement pour aller constater l’étendue des dégâts.

Mon fils voit tout de suite que je suis énervé et il se met à pleurer, les bras le long du corps alors qu’une petite flaque se dessine à ses pieds. En plus, on dirait que ça fait trois jours qu’il se retient ! Là, il abuse, clairement. Et sa sœur, par solidarité sûrement, constatant que son frère est en larmes, se joint à lui.

— Ah non, Nora ! Toi, tu n’as pas de raison de pleurer, m’emporté-je contre elle. Arrête ça tout de suite !

Je file chercher une serpillière dans la cuisine et reviens alors que Mika s’est assis… dans son pipi. Il veut ma mort ou quoi ?

— Mika, mais lève-toi ! Tu ne vois pas où tu es en train de t’asseoir ?

Il lève ses petits bras vers moi pour que je le prenne, ce que je fais sans réfléchir, mais je le regrette immédiatement vu l’odeur qui assaille mes narines et me donne un haut-le-cœur. Je lui enlève son pantalon d’une main malhabile et le repose le plus loin possible de la petite mare d’urine quand j’entends la porte s’ouvrir.

— Ne bouge pas, Mika ! lui lancé-je, véhément. Je ne veux pas du pipi partout ! Ne va pas voir Maman !

Maeva débarque dans la pièce, toute fraîche, comme si elle ne venait pas de passer la journée à gérer cinquante problèmes tous plus importants que les miens. Moi, je ne suis qu’un homme au foyer qui n’arrive même pas à gérer un accident de son fils. Pathétique.

— Bonsoir tout le monde ! Eh bien, c’est quoi, le problème ? Un bébé les fesses à l’air, l’autre qui chouine, et un papa qui s’énerve… Tu vas bien, Chéri ? Tu as une petite mine.

— Non, je ne vais pas bien. Il y a du pipi partout, ils n’arrêtent pas de pleurer et j’ai un mal de tête terrible. Et toi, ça va, Chérie ? demandé-je sarcastiquement.

— Eh bien, il faut croire que j’allais un peu trop bien pour mériter un retour calme, sourit-elle en prenant Nora dans ses bras pour la calmer. OK, je vais aller leur donner le bain, du coup, ça te va ?

— Si tu veux, oui. Commence par Mika, il en a partout sur les jambes, lui conseillé-je en me mettant à éponger le sol, avec une impression que mes tempes vont exploser.

— Allan ? Tu ne veux pas aller te reposer un peu ? me demande-t-elle en posant sa main sur mon front comme si j’étais un enfant. Et donne-moi ton tee-shirt, tu ne sens pas la rose, mon Cœur. Peut-être que tu devrais prendre une douche avant que je baigne les petits.

— Non, il faut s’occuper de Mika d’abord. C’est lui qui est couvert de pipi. Et j’aimerais bien aller me reposer, mais il y a encore la vaisselle à faire, le repas à préparer… Je ne sais pas comment je vais réussir à tout faire, me lamenté-je, presque au bord des larmes tellement je ne suis pas en forme.

— Tu ne vas rien faire du tout si ce n’est aller te doucher et te coucher, oui, soupire-t-elle en attrapant la main de Mika alors qu’il allait s’asseoir sur le tapis du salon. Je me dépêche de les baigner et tu montes. La vaisselle peut attendre et je préparerai le repas après.

Je devrais la remercier pour tout ce qu’elle me propose mais tout ce que je ressens, c’est un grand sentiment d’échec. Comment fait-elle pour rester zen comme ça alors que tout se ligue contre nous ?

— Mais non, Chérie, tu as déjà passé toute la journée à travailler, toi. Tu ne vas pas en plus t’occuper de la maison, soupiré-je sans toutefois bouger de ma place pour l’aider alors qu’elle range déjà quelques jouets. Si je ne suis même pas capable de participer à la maison, je ne sers pas à grand-chose.

— Arrête ça, c’est bon. On est une équipe, non ? Si l’un des joueurs est blessé, l’autre peut bien assurer. Je suis sérieuse, Allan. Pose-toi en attendant que la salle de bain soit libre, et respire un coup. Tu as géré toute la journée, toi aussi, tu as fait ton boulot.

Je me laisse faire alors qu’elle a reposé Nora au sol et qu’elle s’approche de moi pour m’enlever mon tee-shirt. Les deux enfants semblent magiquement calmés et attendent qu’elle revienne s’occuper d’eux, enfin en silence. Je sens ses doigts le long de mes flancs lorsqu’elle me retire mon haut et elle me fait un petit bisou tout en me repoussant gentiment vers mon fauteuil. Sa main effleure ma barbe et elle me sourit tendrement. Je la vois ensuite entraîner les deux tornades vers la salle de bain et l’entends chanter des comptines tout en leur faisant prendre leur bain. Comment parvient-elle à faire tout ça après une journée stressante comme elle en a tous les jours ? Et pourquoi suis-je si apathique ? Je suis incapable de bouger de là où je suis assis. Du coin de l'œil, je vois la vaisselle de ce midi que je n’ai pas mise au lave-vaisselle, je ne sais pas ce qu’on va manger ce soir et j’ai l’impression que je ne suis bon à rien. Et toujours ce mal de tête qui ne passe pas.

Quand elle revient, les jumeaux dans les bras, elle les installe devant la télé où elle leur met un dessin animé. Je ne sais pas ce qu’elle leur chuchote, mais tous les deux sourient et restent tranquillement sur le canapé. Elle s’approche ensuite de moi et je remarque qu’elle a même pris le temps de se changer et d’enfiler des vêtements plus confortables.

— Désolé, Chérie. Je ne sais pas ce que j’ai. J’ai un mal de tête terrible et… c’était juste trop, tout ça, indiqué-je en montrant la pièce et son désordre.

— Hé, c’est rien. On s’en fout du bazar, du repas qui aura du retard ou de poser les gosses devant la télé pour avoir un peu la paix. Tu fais ce que tu peux, Allan, tu n’es pas une machine non plus, souffle-t-elle en me massant la nuque et les épaules. Je t’ai fait couler un bain. Tu as pris un cachet ? J’ai de l’huile essentielle de menthe dans mon sac à main, masse-toi les tempes avec, ça devrait aider. Et je t’interdis de redescendre après le bain, mon petit mari. Repos, ce soir.

— Mais…, commencé-je à protester avant qu’elle ne m’empêche de continuer en m’embrassant.

— Je t’aime, même quand tu ne m’écoutes pas, sourit-elle contre ma bouche. File, je t’apporterai une assiette quand j’aurai trouvé quoi préparer. Albane a fini ses devoirs, elle va me filer un coup de main. Il faut bien qu’il y ait un avantage à avoir une ado à la maison, non ?

Je n’ai même plus la force de protester et je me lève avec son aide puis me dirige comme un zombie vers la salle de bain où effectivement l’eau chaude remplit déjà la baignoire. Je m’en veux d’abandonner ainsi Maeva et de la laisser tout gérer, mais je n’ai plus la force de m’opposer à quoi que ce soit. Je me glisse dans le bain et ferme les yeux pour pouvoir me reposer un peu. Je ne m’en rends pas compte mais je m’endors et c’est la main de mon épouse sur ma joue qui me réveille.

— Oh, désolé… Il est quelle heure ? Tu as besoin d’aide ?

— Arrête de t’excuser, Allan. Tout va bien. Comment tu te sens ?

— Ça va, je n’ai plus mal à la tête, on dirait… Tu… Ça va avec les enfants ?

— T’occupe. Je te jure qu’ils ne sont pas malheureux. L’eau est tiède, tu devrais sortir avant d’avoir froid. Je t’ai monté à manger et un comprimé, l’huile essentielle et une tablette de chocolat.

— Tu sais que tu es la femme parfaite ? avoué-je en me relevant. Merci, Chérie et désolé de t’abandonner comme ça, ce soir.

Je l’admire à cet instant. Elle est tellement capable de tout faire, entre un boulot stressant et prenant et un mari incapable d’assumer ses tâches pourtant si simples. Je suis aussi un peu jaloux de cette capacité qu’elle a à penser à tout, à réussir dans tout ce qu’elle fait. Moi, ce soir, je suis juste bon à aller me coucher tellement je ne suis pas dans mon assiette et une nouvelle fois, je me trouve pathétique. Parfois, je me demande même ce qu’elle peut me trouver. Elle est si belle, si intelligente, si pleine de force et de caractère, elle pourrait avoir n’importe quel mec sur Terre.

— Je suis loin d’être parfaite. Et si tu t’excuses encore une fois, je pense que je vais me fâcher, Chéri. Je sais ce que c’est de s’occuper d’un enfant alors que tu as l’impression que ton cerveau va exploser, c’est tout. Je suis contente d’être rentrée tôt, ce soir, mais tu aurais dû m’appeler…

Oui, j’aurais dû, mais je n’ai pas osé la déranger alors qu’elle a un métier tellement plus important que ce que je peux faire à la maison. Je lui souris et la serre contre moi, une fois séché. Je profite de cet instant de tendresse avant de l’embrasser et c’est elle qui met fin à notre étreinte pour me pousser vers notre chambre où je m’effondre dans notre lit. Je ne l’entends même pas refermer la porte que je m’endors déjà en me disant que finalement, j’ai vraiment de la chance de l’avoir dans ma vie.

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