17. L’argent ne fait pas le bonheur de tous
Maeva
Je soupire en signant un énième document du parapheur que m’a apporté Yoann ce matin. Si je n’étais pas enfermée dans ce bureau depuis huit heures ce matin, je pourrais avoir l’impression d’être une star de cinéma qui signe des autographes à ses fans… sauf que la pièce est silencieuse, que personne ne crie mon nom, et que le tapis sous mes pieds est de couleur corail et non pas rouge. Ma vie est beaucoup moins glorieuse que ça, j’en conviens. De la paperasse, des rendez-vous comptables, des visios avec des équipes aux quatre coins de la France, des réunions barbantes avec des mecs qui se pensent supérieurs parce qu’ils ont une paire de couilles… J’en passe et des meilleurs. Heureusement que j’adore ce que je fais, parce que c’est un coup à taper une déprime profonde, sinon.
Je sursaute lorsque deux coups sont frappés à la porte et souris à mon assistant qui, lui, semble un peu mal à l’aise.
— Promis, j’ai presque fini les autographes, tu vas pouvoir tout envoyer en début d’après-midi.
— Je suis désolé de vous déranger, Maeva, mais il y a quelqu’un pour vous…
Je souris en imaginant Allan débarquer avec une demi-heure d’avance parce qu’il aura préparé les jumeaux tôt pour être sûr de ne pas être en retard, mais la tête de Yoann ne semble pas annoncer cette jolie surprise. Et je déteste les imprévus, sauf s’il s’agit de mon mari.
— Qui donc ? Je n’ai pas de rendez-vous prévu, à moins qu’on ait oublié d’en noter un.
— Non, c’est Monsieur MacMillan, il dit qu’il veut parler avec vous de ses investissements. Tout de suite.
Je souffle et me masse les tempes un instant. Il commence à me gonfler, lui. Depuis l’arrivée mouvementée d’Allan au bureau qui a mis un stop à nos négociations, il m’a quasiment blacklistée, sa secrétaire le disant toujours occupé, qu’il me rappellerait. Il me prend pour une vraie girouette, c’est pas possible.
— Très bien… Fais-le patienter, dis-lui que j’arrive. Il peut bien attendre quelques minutes. Si tu sens qu’il commence à bouillonner, envoie-moi un message.
Yoann acquiesce et sort de la pièce. Je jette un coup d'œil à l’heure et finis de signer mes papiers avant de remettre mes peep toes aussi rouges que le chemisier que je porte sous ma veste noire. Je lisse ma jupe, souffle un coup et sors de mon bureau, un sourire plaqué sur le visage.
— Monsieur MacMillan, ravie de vous voir ! lancé-je en lui tendant la main.
— Le plaisir est pour moi, ma Chère. Ravi que vous puissiez me recevoir ce matin. J’ai réfléchi et de mon côté, j’ai des propositions à vous faire car on devrait pouvoir financer le projet que vous m’avez présenté.
— Voilà une excellente nouvelle, lui dis-je en lui faisant signe d’entrer dans mon bureau. Yoann, apporte-nous du café, s’il te plaît.
Mon assistant acquiesce, MacMillan s’exécute de son côté et ses yeux font le tour de la pièce avec attention, passant de mon bureau, Dieu merci en ordre, aux quelques photos de famille encadrées sur le meuble de rangement. Il s’installe finalement sur le canapé, presque comme s’il était chez lui, puisqu’il garde malgré tout cette posture droite de mâle alpha prêt à conquérir le monde.
Je fais un détour par mon bureau et sens son regard peser dans mon dos. Lorsque je me retourne, bloc notes et stylo en main, je constate qu’il s’est bien rincé l’oeil sur mon derrière et ses yeux parcourent le côté face sans aucune retenue, s’arrêtant évidemment sur ma poitrine, me faisant regretter de ne pas avoir boutonné plus haut mon chemisier.
J’hésite à m’installer sur le fauteuil qui accompagne le canapé, mais m’installe finalement à ses côtés, à distance raisonnable, tandis que Yoann dépose un plateau sur la table basse en verre. Je ne joue même pas de mes charmes en croisant les jambes de telle sorte à me tourner vers mon interlocuteur, mais constate que son regard se porte dessus et qu’il s’assied plus confortablement.
— J’ai bien cru que vous ne reviendriez pas vers moi, Monsieur MacMillan. Je suis pourtant persuadée que ces salons de beauté feront un carton. Nos produits de massage, entre autres, sont un véritable succès depuis que nous les avons mis sur le marché.
— Disons que j’ai réfléchi, et que j’ai peut-être enterré trop vite les chances de succès que votre belle petite entreprise a ainsi que son potentiel. Et puis, votre compagnie me manquait, ajoute-t-il en continuant à m’observer de son regard prédateur.
— Je suis ravie que vous ayez déterré les chances de succès de mon entreprise qui est loin de devoir subir un enterrement, souris-je en nous servant du café. Avez-vous pris le temps d’étudier notre plan financier prévisionnel ?
— J’ai regardé, en effet. Je ne suis pas du genre à mettre mon argent dans des projets que je n’ai pas étudiés. Il y a plusieurs points qui me semblent à développer, cependant. Il y a une bonne base, mais vous ne connaissez pas du tout la situation des pays où vous voulez vous développer, si ?
— Nous avons fait des études de marché dans les villes où nous souhaitons nous implanter, je n’ai pas encore eu le temps d’ajouter tout cela au dossier. Ma collaboratrice vient d’avoir un enfant, les journées ne comptent plus assez d’heures pour compenser le mi-temps qu’elle a pour le moment lâché. Mais je peux demander à mon assistant de vous faire parvenir les études dans la journée, lui dis-je en jetant un coup d'œil discret à ma montre.
Il faut que j’abrège au plus vite, pour une fois que mon programme du déjeuner est de retrouver Allan et les jumeaux… Il ne manquerait plus qu’il déboule dans le bureau pour dire qu’il s’en fout de MacMillan et je perdrais sans doute définitivement cet investisseur…
— Ah, je n’ai pas eu le dossier complet ? C’est embêtant, ça. Vous pensez que vous pouvez me faire une petite présentation de ces études ? Je suis intéressé afin de voir si vos études rejoignent les analyses faites par mes équipes.
Ben voyons. Comme si les documents envoyés dans la journée ne suffisaient pas. Evidemment, je ne laisse passer aucune émotion sur mon visage, même s’il me gonfle déjà. J’ai besoin de son fric pour mon projet… Je n’ai pas vraiment le choix, alors je récupère mon ordinateur portable dans ma sacoche et commence à lui exposer nos analyses concernant la Belgique, premier pays où nous envisageons de nous implanter. Nous sommes cependant interrompus par quelques coups donnés à la porte et la tête de Yoann passe par l’entrebâillement. Oui, je sais, mon lapin, mon mari est là… J’entends déjà les jumeaux et Mika se faufile d’ailleurs entre ses jambes pour se précipiter dans ma direction avant de chercher à grimper sur mes genoux. Je souris en l’y hissant et dépose un baiser sur son front en observant Allan entrer en grimaçant dans mon bureau, Nora dans ses bras. Mes deux mondes se culbutent de plein fouet à cet instant.
— Monsieur MacMillan, je vous présente mon époux et deux de mes trois enfants, soufflé-je tandis qu’Allan observe l’investisseur avec attention.
— Ah oui ? demande-t-il distraitement et visiblement contrarié d’être interrompu dans son échange avec moi. Enchanté, Monsieur l’époux et les enfants.
— On vous dérange ? Tu as bientôt fini, Chérie ?
Je sens venir gros comme une maison la galère, là… Je ne peux décemment pas mettre MacMillan dehors…surtout avec l’argent qu’il devrait investir pour Belle Breizh et alors que rien n’est signé. Si Allan n’avait pas débarqué dans mon bureau, j’aurais pu prétexter un autre rendez-vous pro et faire en sorte d’être libre, mais là… Mon Dieu, pourquoi ce genre d’embrouilles m’arrive si souvent ?
— Laisse-moi quelques minutes, je fixe un rendez-vous avec Monsieur MacMillan et je suis à vous, souris-je en me levant pour lui confier Mika.
— Un rendez-vous ? C’est que j’ai un conseil d’administration à la fin de la semaine, moi. Il me faut les éléments avant, sinon nous nous engagerons sur d’autres projets. On ne peut pas terminer ça aujourd’hui ? insiste l’homme d’affaires alors que mon mari lui lance un regard noir.
— Eh bien, je vous rappelle que je tente de vous avoir au téléphone depuis une dizaine de jours, Monsieur MacMillan, et que j’ai déjà des obligations, ce midi.
Je ne suis pas du style à m’écraser, surtout pas avec ce genre de type, mais la voix de Gaëlle tente de me raisonner dans ma tête, alors je m’adoucis et lui offre un sourire en poursuivant.
— Nous pouvons éventuellement déjeuner ensemble après-demain, je n’ai rien de prévu et serai toute à vous pour évoquer ces études de marché.
— Eh bien, si vous êtes disponible après-demain, reportez votre rendez-vous à cette date-là et soyez toute à moi ce midi, cela me conviendrait beaucoup mieux !
— Elle vous a dit qu’elle était occupée, ce midi, vous ne comprenez pas le français ? s’agace Allan. Enfin, c’est comme tu veux, ajoute-t-il en se tournant vers moi. Même si les enfants seraient très déçus de ne pas passer ce petit moment avec toi, je pense.
Sacré dilemme… surtout que je préférerais largement passer mon repas avec Allan et les jumeaux, même si je sais que nos deux tornades, au restaurant, c’est davantage une épreuve qu’un moment calme et serein. J’ai très envie d’envoyer chier MacMillan, parce qu’il débarque ici sans rendez-vous et se prend pour le roi du monde, mais Gaëlle va m’arracher les yeux si je fais foirer ce contrat… Déjà qu’elle est plutôt distante depuis notre petit accrochage téléphonique de l’autre jour. Merde, devoir choisir entre ma famille et Belle Breizh, là, tout de suite, me broie l’estomac. Allan va m’en vouloir à mort, c’est certain.
— On… on se fait ce restau après-demain ? lui proposé-je d’une voix plus incertaine que je l’imaginais. Je demanderai à Gaëlle de me remplacer pour la réunion en fin de matinée et on aura même le temps d’ aller au parc avec les petits…
— Ah, je vois. Oui, on fera ça, si c’est ce que tu préfères, répond-il sèchement. Monsieur MacMillan, je ne vous remercie pas. Bonne journée quand même. On y va, les enfants, conclut-il en leur prenant la main, avant de se diriger vers la sortie de mon bureau.
Je l’observe sortir du bureau, totalement inerte, et retiens un soupir avant de m’excuser une minute auprès de l’emmerdeur qui semble satisfait de mon choix. Je sors rapidement et le rattrape devant les escaliers, mes talons malmenant le sol sur mon passage.
— Allan, attends ! Je… je suis désolée, d’accord ? Ce n’est pas ce dont j’ai envie, mais je n’ai pas le choix. Je te promets de me rattraper…
— Oui, soupire-t-il, résigné. Je sais que tu es désolée. Tu veux faire un bisou aux enfants avant qu’on aille… Non, je ne vais pas tenter le restau tout seul avec les deux, on va rentrer.
Je m’exécute et couvre les joues des petits de bisous, leur promettant de rentrer tôt et de jouer avec eux après le goûter. Tant pis pour le point que Gaëlle et moi avions prévu de faire ensemble, si elle était à son poste plus souvent, je n’aurais pas besoin de perdre du temps à lui faire des comptes-rendus des dernières avancées dans l’entreprise.
Un sourire gêné à Allan, je pose malgré tout mes lèvres sur sa joue et soupire lourdement.
— Crois-moi, j’aurais préféré passer ce moment avec toi. Je t’aime.
— Moi aussi, j’aurais préféré déjeuner avec toi que te savoir avec ce type. A ce soir.
Il commence à descendre les marches avec les petits et je les observe jusqu’à ce qu’ils disparaissent de mon champ de vision. Je viens de déclencher une guerre froide dans mon foyer pour ce type, le message d’Allan est clair par l’absence de réponse à mon “je t’aime”. Si j’avais déjà du mal avec MacMillan, je le range dans la case des emmerdeurs et je compte bien lui rendre la monnaie de sa pièce dès qu’il aura signé un accord avec Belle Breizh. Je déteste qu’on me force la main et qu’on me dicte ma conduite, et je peux aussi être très rancunière. Comme mon mari, d’ailleurs… Ça promet.
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