22. Une amie qui lui veut du bien

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Allan

Est-ce que c’est une bonne idée ? Clairement, non. Est-ce que je vais quand même me rendre chez elle ? Il semblerait que oui. Enfin, pour ça, il faut que je démarre la voiture, mais j’hésite encore un peu. Je suis toujours garé devant chez la nourrice où je viens de déposer les enfants pour la matinée, ce qui fait que je suis libre comme l’air. Cet après-midi, il faudra que je conduise Albane à une visite de contrôle à l’hôpital pour savoir si elle peut enlever son attelle. C’est incroyable à quelle allure elle a récupéré, mais en tout juste trois semaines, c’est comme si rien ne lui était arrivé. Elle s’est en tout cas rétabli beaucoup plus vite que mon entente avec Maeva. Nous avons pu parler de ce qui lui arrivait en ce moment au boulot, bien sûr, et je comprends tout à fait que ça soit important, qu’elle ait plein de choses à gérer, mais j’ai vraiment été déçu qu’elle ne vienne pas m’aider pour l’hospitalisation de notre fille. Si ça avait été beaucoup plus grave, j’aurais été seul à gérer et ça, ça me reste toujours en travers de la gorge.

Depuis cet événement, nous continuons à vivre ensemble, à fonctionner dans les apparences tel un couple normal, mais avec son souci de harcèlement au boulot, elle enchaîne les heures et les journées à rallonge et rentre complètement crevée. Nous mangeons, échangeons des banalités mais je ne retrouve pas ce qui fait notre complicité habituelle. Je crois que c’est ça qui m’a poussé à recontacter Tiffany et à lui proposer d’aller prendre un verre. J’ai besoin de reprendre un peu confiance en moi car ma femme s’occupe de choses tellement importantes que ma vie et mon quotidien doivent lui appaître comme très insignifiants. Au moins, avec Tiffany, nous sommes sur un pied d’égalité. Et je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’invite chez elle. C’est là où j’ai commencé à me demander si c’était une bonne idée, mais j’ai finalement accepté. On ne fait rien de mal à se voir ainsi, même si ce n’est pas en public. Enfin, c’est le mensonge dont j’essaie de me convaincre car si c’était vraiment si innocent que ça, j’en aurais parlé avec Maeva…

Je démarre, décidé à juste aller faire mes courses mais mon cerveau, ce traître, me conduit dans la rue où habite Tiffany. Je me gare devant chez elle et suis à nouveau pris d’une vive hésitation. Je n’ai pas le temps de redémarrer que déjà elle ouvre la porte de chez elle et me sourit. Elle est habillée d’une robe légère et a noué ses cheveux dans un joli chignon qui met bien en valeur ses pommettes et son visage finement dessiné. Je sors de ma voiture et ferme ma portière, bien décidé à ne faire qu’un court passage, juste pour être poli.

— Bonjour Tiffany. C’est une bien jolie maison que tu as là.

Elle est dans le style des habitations du coin, toute en pierres de la région, avec de jolis volets bleus et surtout une bonne odeur de chocolat qui s’échappe de sa cuisine.

— Merci ! J’ai gardé la maison que nous avions achetée avec mon ex-mari, j’en suis tombée amoureuse à la seconde où je l’ai vue. La maison, pas le mari, hein ? rit-elle avant de grimacer. Ça aurait peut-être dû m’interpeller, d’ailleurs, qu’il m’énerve plutôt qu’autre chose, au début… Bref ! Entre, je t’en prie.

Je m’avance pour pénétrer chez elle mais elle reste sur le pas de la porte et ne s’écarte qu’après avoir déposé une bise bien appuyée sur ma joue. Je la suis dans un petit couloir où elle me dit d’accrocher ma veste pour me mettre à l’aise et me fait signe de l’accompagner dans son salon où je m’installe sur le canapé. Elle prend le fauteuil en face de moi après m’avoir ramené un morceau de gâteau au chocolat et un jus de fruit. Tiffany croise ses jambes, peut-être pour que je puisse les admirer autant que je le souhaite ou bien est-ce seulement un geste automatique.

— Il ne fallait pas te déranger autant pour moi, tu sais ? Un simple biscuit aurait suffi. Et puis, je ne veux pas non plus devenir obèse.

— Ce n’est pas un morceau de gâteau qui va changer grand-chose. Et entre nous, je crois qu’il est impossible de grossir quand on passe ses journées à courir après des jumeaux, pouffe-t-elle. Comment tu vas ? Tu as une petite mine, si je peux me permettre…

Une petite mine ? Mince, je pensais que j’arrivais à donner le change, mais elle a raison. Je dors mal en ce moment et les enfants sont toujours aussi fatigants.

— On va dire que ça va. Je ne suis pas du genre à me plaindre, tu sais ? Mais les jumeaux sont tellement plein d’énergie, j’ai du accompagner Albane partout avec son entorse et ma femme a des soucis dans son entreprise, alors elle fait des horaires de dingue et on ne se voit pas beaucoup. Bref, je suis un peu fatigué.

— Je vois… Tu en as gros sur la patate, là… On aurait dû aller dans le café de l’autre jour et faire une balade sur la plage, il n’y a rien de mieux pour apaiser les maux.

— C’est vrai qu’on a de la chance d’habiter dans le plus beau coin du monde. Toi aussi, quand tu as le temps, tu fais des promenades en bord de mer ? Moi, j’adore ça. Et j’ai aussi la chance d’avoir une maison avec vue sur l’océan. Cela apaise.

— Veinard ! Je suis jalouse. J’aurais aimé aussi, mais on n’avait pas le budget, soupire-t-elle. Ça va mieux avec ta femme ? La dernière fois, tu me disais que c’était… tendu.

— Ça l’est toujours. Nous… Disons que nous avons des problèmes de communication et qu’en plus, comme elle est toujours fatiguée, on fait plus de la colocation qu’autre chose en ce moment.

Mais pourquoi je vais lui raconter tout ça ? Franchement, ce n’est pas le bon plan de me livrer sur mes problèmes de couple et pourtant, ça sort naturellement. Peut-être parce que nous partageons le même quotidien, rythmé par les activités et les repas des enfants, seul face à eux.

— Ah oui, je vois… Ça a été le début de la fin pour Sébastien et moi, cette étape. Si tu veux que votre couple tienne le choc, il va falloir réagir et vite. Sinon… Enfin, je ne sais pas comment tu vois les choses, dans mon cas, le divorce a été salvateur plus qu’autre chose. Quand on se bat seul pour son couple, on s’épuise, tu sais ?

— Tu as eu l’impression d’être la seule à faire des efforts ? C’est étrange parce que je ne crois pas que ce soit le cas pour nous. Maeva a l’air de tenir à notre couple, même si elle n’y met pas l’énergie qu’elle devrait. Son boulot et son entreprise passent avant tout, j’ai le sentiment que tout le reste est secondaire.

— Et ça ne te dérange pas de passer au second plan alors que tu as sacrifié ta carrière pour la sienne ? me demande-t-elle doucement.

Je réfléchis un instant et me dis qu’elle a raison. Si je n’avais pas tout mis de côté pour qu’elle puisse continuer à assurer la direction de sa boîte, sûrement que je serais moins amer.

— Si, bien sûr, soupiré-je. Mais entre une carrière de petit enquêteur et le développement d’une entreprise qui brasse maintenant des millions, le choix était vite fait, non ? Et puis, c’est aussi un vrai luxe de pouvoir passer tout ce temps avec ses enfants, de les voir grandir, d’assister à tous leurs développements…

— C’est vrai, mais ça n’excuse pas d’être laissé de côté pour autant. Ton travail était important pour toi. Je veux dire, ce n’est pas le genre de métiers qu’on choisit par défaut… Loin de moi l’idée de critiquer ta femme, mais elle ne semble pas avoir conscience de ce qu’elle rate.

— Comment ça, de ce qu’elle rate ? On vit ensemble, elle a tout ce qu’il faut, non ?

— Si vous vivez en colocation, elle doit manquer plein de choses… Et puis, je ne conçois pas qu’on puisse privilégier son travail à son couple et ses enfants, surtout pour un homme comme toi qui a tout lâché pour élever les petits… Je… Enfin, je ne veux pas accentuer ta rancoeur envers ta femme, je te donne juste mon point de vue. Et je pense que tu mérites mieux que des retours tardifs de ton épouse, que des messages et des appels sans réponse… Sans parler du reste, j’imagine qu’au niveau intime ça ne doit pas non plus être la joie.

C’est clair que ça fait un moment qu’on ne s’est pas retrouvés pour plus que quelques baisers rapidement échangés mais je ne vais pas étaler ma vie sexuelle devant elle.

— Je ne sais pas si je mérite mieux, c’est juste la vie et mon quotidien. Sûrement que je suis aussi responsable qu’elle de l’endroit où nous sommes arrivés. Peut-être même plus, non ? Elle n’a pas le temps de s’occuper de tout ça, c’est à moi de faire les efforts, vu que je ne travaille pas. Mais je t’embête avec tout ça alors que tu as sûrement mieux à faire.

— Soutenir un ami, c’est important, non ? me demande-t-elle en venant s’asseoir à mes côtés pour prendre mes mains dans les siennes. Tu es aux petits soins pour elle et les enfants, de ce que tu me dis, alors je crois que les efforts sont faits de ton côté, non ? Peut-être… Je ne sais pas, peut-être qu’elle dit la vérité et fait vraiment son maximum au travail pour se décharger et rentrer tôt… Est-ce que… est-ce que tu as déjà envisagé que peut-être elle ne soit pas tant que ça au travail ?

— Tu crois qu’elle serait capable de me tromper ? m’exclamé-je, surpris de cette idée que je trouve d’emblée farfelue.

Maeva est folle amoureuse de moi, jamais elle ne me tromperait ! Enfin, c’est vrai que ça fait plusieurs jours qu’elle ne fait même plus l’effort de tenter quoi que ce soit avec moi. Et si Tiffany disait vrai ? Et si non seulement elle m’utilisait comme nounou de luxe mais en plus me trompait ? Ce serait terrible…

— Je ne sais pas, Allan, je ne la connais pas. J’imagine mal qu’on puisse vouloir te tromper, mais… on n’est pas dans la tête des gens, me répond-elle, gênée, alors que je me rends compte que ses pouces caressent mes poignets avec délicatesse.

Je reporte mon attention sur elle et suis surpris de voir avec quelle intensité elle m’observe. Pendant un instant, je me laisse aller à rêver de ce que pourrait être la vie avec une femme comme elle, tendre et douce, contrairement à Maeva qui peut se montrer si fière et déterminée. Peut-être que nous avons fait une erreur et que nous sommes trop différents pour terminer nos jours ensemble ? Et si c’était une femme qui ressemblait à Tiffany qui pourrait me rendre heureux ? Je n’ai pas le temps de prolonger cette réflexion que je sens ses lèvres se poser sur les miennes. Un peu déconnecté de la réalité, je ne bouge d’abord pas mais réponds de manière quasi mécanique à ce baiser que la jolie blonde est en train de me donner. Quand je réalise ce que je suis en train de faire, je la repousse et me relève vivement.

— Désolé, Tiffany… Je ne crois pas que ce soit la meilleure chose à faire maintenant. Je… je ne suis pas comme ça, je suis quelqu’un de fidèle et qui a des valeurs. Je… je vais y aller. Merci de ton écoute active, ça m’a fait du bien.

Est-ce vraiment son attention ou alors est-ce ce baiser qui m’a fait du bien ? Je ne sais pas et je n’ai pas envie de creuser la question ce matin. Je suis assez perturbé comme ça par ce qu’il vient de se passer.

— Je suis désolée, Allan, je ne sais pas ce qui m’a pris. S’il te plaît, oublie ce qui vient de se passer, je… j’ai eu un moment d’égarement. Je crois que ta peine me parlait un peu trop, je… Ton amitié compte beaucoup pour moi, je ne veux pas avoir gâché ça.

— Ne t’inquiète pas, comme tu dis, c’était un moment d’égarement. C’est déjà oublié, indiqué-je même si la réalité est toute autre. Merci pour ton amitié. A bientôt, on reste en contact.

Je serre ses mains dans les miennes avant de récupérer ma veste et de filer aussi rapidement que possible. C’est un peu une fuite précipitée mais les sensations et les émotions se bousculent trop dans ma tête pour que je puisse me concentrer et garder mon calme. J’ai l’impression de m’être souillé et d’avoir trompé Maeva avec ce simple baiser que je n’ai pas sollicité et je sais que je vais devoir affronter ces prochains jours ce sentiment de culpabilité grandissant. Quel con je suis. Je suis en train de tout gâcher.

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