23. Full house

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Maeva

J’observe le résultat final et souris comme une gamine au matin de Noël. Du moins, comme mes enfants à cette période. On ne peut pas dire que mes frères et sœurs et moi étions réellement aux anges, à Noël. La pièce de vie est décorée de dizaines de ballons représentant des dinosaures, et la terrasse ressemble à un semblant de forêt amazonienne avec des têtes de diplodocus qui en sortent ainsi qu’un T-rex de bonne taille.

J’ai toujours adoré décorer à outrance pour l’anniversaire des enfants, et Allan aime ça aussi, ce qui fait qu’on se laisse embarquer dans le truc à deux sans se rendre compte qu’on en fait trop. Cette année, c’est la première fois qu’on ne prend pas une soirée à deux à fureter sur Internet pour commander le nécessaire… Cette fois, chacun a mis de côté des produits, et nous avons simplement validé ça rapidement au petit déjeuner.

Dieu merci, il fait beau, et toute la famille est réunie sur la terrasse alors qu’Allan sert l’apéritif. Mika et Nora passent de bras en bras et ont été émerveillés par l’ambiance pour leur troisième anniversaire. Autant dire qu’ils sont excités comme des puces, tout comme mes neveux et nièces. La maison vit comme jamais et nous sommes bien content de voir que le soleil est de la partie aujourd’hui, parce qu’entre mes trois soeurs, toutes mariées, et leurs sept enfants, ainsi que mes deux frères, dont l’un est marié et a quatre mômes, il aurait fallu repousser les murs de la maison pour accueillir tout le monde. Parfois, je me dis que c’est une bonne chose qu’Allan soit fils unique.

Je sors sur la terrasse et dépose les petits fours apéritifs sur le buffet, suivie d’Albane qui fait de même. Ça court partout autour de nous et je suis plutôt soulagée de voir ma mère assise.

— Besoin d’aide ? demandé-je à ma moitié, plutôt distante ces derniers jours.

Nous avons convenu, d’un commun accord, de faire comme si de rien n’était devant nos familles. Si mes frères et sœurs ne remarqueraient sans doute rien, nous sommes persuadés que nos parents, eux, sentiraient qu’il y a un couac. Je n’ai personnellement pas l’impression de jouer la comédie lorsque je passe ma main dans son dos. A vrai dire, cette pseudo guerre froide m’épuise et mon mari me manque. Je galère déjà suffisamment au boulot, j’aimerais que tout roule à la maison.

— Non, ça va, c’est juste qu’il y a beaucoup de monde ! Tu as vraiment une grande famille !

— Tu dis ça tous les ans, ris-je. Est-ce que tu vas t’y faire, un jour ?

— Quand nous serons en maison de retraite et qu’on n’aura plus de dents, peut-être.

— Vois le côté positif, il y a des dizaines de paires d’yeux pour surveiller les jumeaux, c’est le repos du guerrier pour toi, pour ça au moins.

— Avec tous ces enfants qui courent partout, c’est encore pire ! Je vais finir par avoir des cheveux blancs avant quarante ans, moi !

— Je suis sûre que ça t’irait à merveille, mon George Clooney à moi, chuchoté-je à son oreille avant de poser mes lèvres au coin des siennes.

— What else ? me répond-il en souriant.

Je glousse comme une ado et me surprends moi-même. Je n’ai pourtant pas encore bu un verre.

— Désolée, je n’arrive pas à la cheville de Madame Clooney, grimacé-je en servant plusieurs jus de fruits pour les enfants. Et quand je vois ton père, je me dis que tu vas bien vieillir, des fois ça me fait flipper.

— Quand je vois ta mère, moi aussi, ça me fait flipper, rétorque-t-il en riant franchement et en s’éloignant pour éviter de se prendre une petite tape de ma part.

Il a de la chance qu’on ne soit pas seuls, ou plutôt qu’il y ait des enfants. Ma mère a toujours été une jolie femme. Mon père l’appelait sa fleur, et la fleur a fané en perdant sa moitié. Elle a pris un sacré coup de vieux et parfois je me demande si elle n’attend pas tranquillement la fin pour le retrouver. Ça me brise le cœur de la voir si éteinte.

Plutôt que de dresser une longue table pour presque trente personnes, nous avons opté pour plusieurs endroits où se poser pour le repas, debouts ou assis. On ne fait jamais de chichis sur le menu, et cette organisation permet à tout le monde de se balader de groupes en groupes. L’inconvénient, c’est que si Allan et moi faisons un nombre incalculable d’allers-retours en cuisine, nous n’avons pas deux places à table pour nous retrouver de temps à autre. J’évite de m’incruster quand il discute avec Jérôme, tout simplement parce qu’il ne m’apprécie pas vraiment, et que c’est souvent réciproque. D’un commun accord implicite, nous nous supportons pour ne pas mettre Allan dans une position compliquée, mais ça en reste là. J’évite aussi Maxence, l’aîné de la famille, parce que je sais très bien que nous allons parler de son boulot et du mien, que ça va prendre des heures et finir par agacer tout le monde. Vu l’ambiance à la maison, je crois que ça gonflera Allan au bout de cinq minutes.

Lui et moi ne faisons que nous croiser, ce qui n’arrive même plus quand je me retrouve bloquée sur une chaise avec Nora endormie dans les bras. Mika tient le choc de son côté, mais il chouine un peu trop souvent pour tenir sur la longueur. Si nos deux petits monstres sont débordant d’énergie, les batteries sont vides après le déjeuner et doivent être rechargées car elles se consomment à vitesse grand V.

Je souris en voyant Mylène, de deux ans mon aînée, s’installer à côté de moi. Enceinte jusqu’au cou, elle est superbe, quand moi je ressemblais à une baleine échouée.

— Si tu fatigues, tu peux monter te reposer dans notre chambre, tu sais ?

— C’est une super fête d’anniversaire, soeurette, mais toute la famille ensemble, c’est fatiguant, en effet. Je crois que ça va aller. Et toi, tu survis ? Ton mari a l’air épuisé, lui aussi. Vous devriez peut-être envisager de recruter une nounou, non ?

— Il a commencé à cuisiner hier tout en s’occupant des jumeaux… Et on a fait les gâteaux ensemble hier soir, on s’est couchés tard. On fera une journée farniente demain, ça ira mieux après. Comment se passe ta fin de grossesse ? Désolée de ne pas t’avoir appelée ces derniers temps, c’est la folie au boulot.

— Vous avez dû vous coucher vraiment tard, ou alors vous avez fait des folies toute la nuit car toi aussi, tu as l’air épuisée. Tout va bien pour moi, le bébé fait la rumba dans mon ventre et je peux t’assurer que ce sera un garçon, même si on a voulu garder la surprise. Ce n’est pas possible qu’une petite fille soit aussi embêtante !

— Tu déconnes ? ris-je. Albane était une vraie tornade avant même de naître. Ça ne veut rien dire, à mon avis ! Quant aux folies… on va dire que c’est plutôt le calme plat, en ce moment. Entre mon boulot et les jumeaux qui ne manquent pas de faire tourner leur père en bourrique…

— Ah je connais ça. Pendant un temps, c’est une période de vaches maigres à supporter. Mais tu verras, quand ça va repartir, ça sera sur les chapeaux de roue ! Regarde-moi, on en est même arrivés à en refaire un !

— Hum… C’est différent, cette fois. C’est déjà arrivé, évidemment. Après la naissance des jumeaux, ma libido était au point mort, ça a duré un moment. Et puis… oui, il y a eu d’autres creux, évidemment. Mais… Allan me reproche de trop bosser, et j’ai l’impression qu’il s’éloigne.

— Il faut que tu le ramènes dans tes filets, tu sais, ce n’est pas si compliqué. Quelques caresses, des baisers bien comme il faut et tu fais l’effort de moins bosser. Il ne faut pas le laisser s’éloigner, ce type, c’est la perle rare !

— Je sais, mais une perle rare avec un caractère de cochon… Et j’aimerais bien moins bosser, sauf que je ne peux pas en ce moment. Enfin bref, je fais de mon mieux, vu les circonstances…

— Si tu fais tout ce que tu peux, il va comprendre, c’est sûr, tente-t-elle de me rassurer.

J’ai un doute, mais j’aimerais bien que ce soit le cas.

Le reste de l’après-midi est du même acabit. Une fois Nora réveillée, nous servons les desserts, un gâteau aux trois chocolats, un layer cake vanille fraise, et les jumeaux ouvrent leurs cadeaux. Tout le monde finit dans la piscine ou presque, Allan gérant les petits pendant que je range avec Maxence qui déteste l’eau. Nous reprenons l’apéritif à dix-neuf heures et mangeons les restes sans même avoir faim. L’ambiance est agréable, familiale et joviale, ça fait un bien fou, mais j’avoue que je soupire de soulagement quand la dernière voiture sort de la cour sous les coups de vingt-trois heures. Mika et Nora sont endormis dans le canapé, la salle de jeux a déménagé dans le salon vu les jouets qui traînent partout, la cuisine est sens dessus dessous.

— Heureusement qu’on ne fait ça que quatre fois par an, dis-je en bâillant lourdement.

— C’est vrai, mais ça fait de bons souvenirs aussi. On rangera tout demain, non ?

— T’es sûr ? Pas que j’ai la motivation, mais voir tout ce bazar demain matin risque de nous miner d’entrée.

— Je ferai tout avant que tu ne te lèves, petite marmotte. Là, ce soir, je veux aller au lit.

— Non, non, attends-moi, tu ne vas pas tout faire tout seul. Allons nous coucher, oui.

Nous récupérons les petits sur le canapé et les montons aussi délicatement que possible. Ils sont tellement fatigués que les mettre en pyjama ne les réveille absolument pas, et j’ai envie de dire que c’est tant mieux, parce que ça aurait été une vraie galère de les rendormir. Allan et moi passons en même temps embrasser Albane et je ne manque pas le petit sourire qu’elle affiche lorsqu’elle se retrouve entre nous deux, chatouillée et couverte de bisous.

Allan file prendre une douche rapide pendant que je me démaquille et me brosse les dents. Je prends sa suite sous le jet d’eau et plonge finalement sous les draps avec un plaisir non dissimulé.

— C’était une belle journée, souris-je en me calant contre mon mari.

— Tu sais comment elle pourrait se terminer de manière encore plus belle ? me demande-t-il en frottant son érection contre mes fesses.

Merde… Même nos envies ne sont plus en symbiose. Je suis juste crevée, complètement K.O et je ne rêve que de dormir, moi. Et où est-ce qu’il trouve encore l’énergie d’avoir envie d’un câlin ?

— On peut en reparler demain matin, plutôt ? Le premier qui ouvre les yeux réveille l’autre ? J’ai plus un poil d’énergie, Chéri…

— Comme tu veux, maugrée-t-il en m’enserrant néanmoins dans ses grands bras. Bonne nuit, alors.

— Je t’aime, Allan.

Je me retourne juste suffisamment pour pouvoir l’embrasser et me love davantage contre lui. A défaut de passer beaucoup de temps ensemble aujourd’hui, peut-être qu’on a légèrement enterré la hache de guerre… Et moi, je le repousse ce soir, quelle gourde je fais ! Surtout que ça fait un moment que lui et moi n’avons pas fricoté comme il se doit. Est-ce que je devrais faire un effort ? Est-ce qu’on doit faire l’amour en faisant des efforts ? Bon Dieu, je réfléchis bien trop pour quelqu’un de crevé.

Quand j’ai enfin décidé d’agir et que je me retourne, Allan s’est endormi… Sa respiration est calme et il m’enserre contre lui dans son sommeil. C’est un raté, mais je peux au moins m’endormir contre lui, chose qui est plutôt rare en ce moment, même si nous avons tendance à nous réveiller beaucoup plus proches qu’au coucher. Tant pis, le réveil sera sympa, lui, si mon petit mari ne me fait pas payer mon refus du soir…

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