26. Le sang de la colère

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Allan

Je tourne et me retourne dans notre grand lit, incapable de me rendormir malgré l’heure encore matinale. Je n’en reviens toujours pas que Maeva ait décidé d’aller dormir dans le canapé de son bureau. C’est la première fois depuis que nous sommes mariés qu’on passe ainsi la nuit loin l’un de l’autre alors que nous dormons dans la même maison. J’ai failli plusieurs fois aller la chercher, j’ai même voulu aller m’excuser mais à chaque fois, quelque chose m’a retenu. Un peu de fierté ? Le sentiment de ne pas avoir tout à fait tort ? L’idée que pour une fois, je n’allais pas m’écraser devant elle ? Ou alors, tout simplement une incapacité à faire le premier pas suite à cette dispute ? Je ne sais pas trop. Ce que je sais, c’est que ce matin, je m’en veux de la situation dans laquelle nous nous retrouvons et je suis décidé à y mettre fin.

Je me lève et descends les escaliers avec la ferme intention de la confronter mais je suis surpris de découvrir la porte de son bureau ouverte et la couverture aux pieds du canapé. Je fais le tour du reste de la maison mais ne la trouve nulle part. Par contre, il manque une paire de chaussures dans l’armoire et je ne vois pas les clés de sa voiture sur le cléfier. Elle est déjà partie alors qu’il n’est pas même pas sept heures et sans me dire quoi que ce soit. Moi qui étais venu avec l’intention de m’excuser et de me rabibocher avec elle, j’avoue que ce que je vois comme une fuite m’exaspère encore plus. Ce n’est pas en s’échappant ainsi que l’on va résoudre nos difficultés.

Je retourne un peu dans mon lit en attendant qu’il soit l’heure d’aller réveiller les enfants et essaie de me rassurer sur l’état de mon couple avec Maeva. C’est juste une crise, non ? Une simple dispute… Pourquoi ai-je l’impression que la situation est plus critique qu’il n’y paraît ? Je me demande si tous les couples vivent ce genre de situation ou bien si c’est juste nous qui ne savons pas gérer nos émotions et nos frustrations. Enfin, juste moi. Je crois que je suis vraiment à bout par rapport à toutes les absences de ma femme. Et ce matin ne fait pas exception. Je me demande ce qu’elle est allée faire au travail aussi tôt que ça. Enfin, si elle est allée bosser. Peut-être qu’elle est partie voir son… Non, je ne veux pas penser à ça.

Mon réveil sonne et j’avoue que je suis soulagé d’avoir une excuse pour me lever et penser à autre chose qu’à me regarder le nombril. Je file saluer Albane qui me répond à peine avant d’aller dans la chambre des jumeaux pour les réveiller. Ils sont trop mignons et je passe quelques secondes à admirer comme ils sont beaux. L’amour que je ressens pour eux est fort et pur, d’une intensité telle que j’ai l’impression d’avoir un cœur gros et gonflé comme une baudruche. Quoi que cela veuille dire, qui sait encore, de nos jours, ce que c’est qu’une baudruche ?

Je suis en bas, en train de préparer le petit déjeuner des deux monstres quand j’entends la voix d’Albane m’appeler depuis la salle de bain. Je soupire et repose la boîte de chocolat en poudre que j’avais en mains pour voir ce qu’elle veut.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ma Puce. Il n’y a plus de papier ? demandé-je en sortant déjà deux rouleaux de la réserve.

— Non, je… Maman est déjà partie au boulot ? Je crois que… Je crois que j’ai mes règles, Papa.

— Et alors ? Tu as besoin de ta mère pour ça ? Ne me dis pas que c’est la première fois ? m’étranglé-je presque, m’en voulant un peu de ne pas être plus au courant de ces détails de la vie de ma fille. Maman est partie depuis un moment, oui.

— J’ai pas envie de parler de ça avec mon père, marmonne-t-elle. Trop la honte ! Je fais quoi ? Je veux dire… Maman, elle range où ses… trucs ?

— Ce n’est pas la honte, tu sais… C’est juste normal… Je… je vais l’appeler, je ne sais pas où sont ses trucs, comme tu dis. Tu patientes ? J’arrive.

Franchement, elle a un peu raison. Quand on est une ado et qu’on a une mère, c’est avec elle qu’on veut évoquer ces questions, pas avec son père. Parce que je serais bien en peine de lui dire dans quel sens on met le tampon ou ce qu’on fait avec sa serviette hygiénique. Je connais la théorie, un peu comme tout le monde, mais de là à être prêt à expliquer la pratique, j’avoue que mon expérience est pour le moins limitée.

Je compose le numéro de Maeva en me disant qu’elle va prendre ça pour un aveu de faiblesse, une incapacité à me passer d’elle. Cela va trop lui faire plaisir, mais je ravale ma fierté et pense à notre fille qui a besoin d’elle. J’écoute les sonneries de son téléphone retentir dans mes oreilles, mais elle ne répond pas et je me retrouve sur sa boîte vocale.

— Bonjour Chérie. Tu peux me rappeler rapidement, s’il te plaît ? C’est urgent, j’ai besoin de te parler.

Je raccroche et m’en veux de ne pas avoir dit que ça concernait Albane. Vu le contexte, elle va penser que je veux juste parler de ce qu’il s’est passé et risque de ne pas me rappeler tout de suite. J’hésite à la rappeler mais me dis que quelle que soit la raison, si je lui demande de me rappeler, elle devrait le faire.

— Albane, ta mère ne répond pas. Je peux entrer dans la salle de bain et chercher où ta mère met tous ses trucs, comme tu les appelles ? Tu veux les tampons, non ?

— Hein ? Mais t’es fou, je vais pas mettre un tampon, je sais même pas comment… Enfin, non, pas de tampon ! Mais tu peux entrer… J’ai déjà un peu cherché, j’ai pas trouvé.

— Comment ça, tu n’as rien trouvé ? Tu as regardé dans l’armoire en dessous du lavabo ? Je crois que c’est là qu’elle met tout…

— Oui, j’ai regardé, mais je crois qu’elle a dit qu’elle voulait arrêter toutes ces “conneries bourrées de trucs dégueulasses”, tu te rappelles ?

Je frappe par réflexe avant d’entrer et trouve Albane assise sur les toilettes, au bord des larmes, et je lui adresse un sourire un peu gêné avant de regarder à l’endroit où j’ai déjà surpris Maeva trafiquer quand elle a ses règles. Tout ce que je trouve, c’est un truc en plastique dans un bol et je me rappelle en effet que ma femme est passée aux cups menstruelles. Me voilà bien avec ça.

— Ça se partage, des cups, tu crois ? Je pense qu’il faut mettre ce truc dans…

Purée, comment on parle de tout ça à sa fille ? Je peux employer quels termes, moi ? Et pourquoi Maeva ne me rappelle pas ?

— Dans ton vagin et t’assurer que ça ne coule pas. Facile, non ? ajouté-je en tendant le bol en plastique avec la cup de sa mère.

— Mais, je… je peux pas faire ça, Papa, me répond-elle en rougissant furieusement. C’est vraiment trop la honte de parler de ça avec toi… T’es un homme, c’est trop bizarre !

— Eh bien, on fait comment, alors ? Ta mère n’est pas là et il n’y a que moi. Tu crois qu’il y a des tutos sur Internet et qu’on peut s’en sortir avec ça ?

J’imagine déjà les vidéos qui vont ressortir quand je vais taper les mots dans la barre de recherche et je grimace.

— Peut-être… mais je veux pas mettre ça dans mon… vagin.

— Attends, j’ai une idée, soupiré-je en regardant mon téléphone. Je vais appeler à l’accueil de Belle Breizh. Si elle est sur place, je devrais arriver jusqu’à elle.

Je compose le numéro et la standardiste qui prend mon appel accepte de me transférer à son bureau où, malgré l’heure toujours très matinale, son assistant me répond.

— Yoann ? C’est Allan. Maeva est là ? Il faut que je lui parle, c’est urgent.

— Bonjour, Allan. Maeva est là, oui, mais elle a demandé à ne pas être dérangée, je suis désolé. Je peux prendre un message ?

— Et je dis quoi à sa fille qui a besoin d’elle ? Que j’ai laissé un message ? Non mais, putain, j’insiste, il faut que je lui parle ! Dites-lui de répondre à son téléphone ou ça va barder !

— Oh… C’est pour votre fille ? Très bien, je vous la passe, ne quittez pas.

Purée… Elle me filtre, là ? C’est pas possible, je rêve ! Non mais, j’en reviens pas. Non seulement elle fait un scandale devant les enfants hier, elle fait chambre à part, mais en plus, elle évite de me parler ? Je suis dans une rage folle, mais je me contiens car l’urgence est ailleurs.

— Maeva ? Tu es là ? crié-je presque dans le téléphone, impatient de mettre fin à cette situation ubuesque.

— Je suis là. Qu’est-ce qui se passe ? Les filles vont bien ?

— Albane a ses règles, rétorqué-je abruptement. Et moi, je ne suis qu’un mec qui n’y connait rien, il n’y a pas un tampon dans cette maison et je n’ai aucune idée de ce que je dois faire. Et comme tu ne réponds pas à ton téléphone parce que tu boudes, ça fait une plombe que ça dure alors que tout aurait pu être si simple si tu étais partie à une heure normale plutôt que de fuir au boulot. Je peux te passer ta fille pour que tu gères la situation avec elle ?

— Bien sûr, passe-la-moi. Et va voir dans mon bureau, dans le placard de gauche, il y a des échantillons de serviettes réutilisables, me répond-elle calmement.

J’ai presque envie de lui répondre d’aller voir elle-même dans son placard mais me retiens et me contente de passer mon téléphone à Albane qui le prend avec un soulagement apparent qui ne fait que renforcer mon énervement et mon sentiment de ne pas être à la hauteur de la situation. Je file en vitesse dans son bureau et trouve effectivement les serviettes dont elle m’a parlé. A mon retour dans la salle de bain, ma fille a l’air apaisée et sourit même quand je lui tends le paquet de serviettes.

— Tu as encore besoin de moi ou tu gères avec ta mère ? lui demandé-je en cherchant à garder mon calme.

— C’est bon, merci, Papa. T’as assuré !

— Merci, ma Puce. Quand tu as fini, ramène-moi mon téléphone, je vais aller voir si les petits monstres ont survécu à tout cet événement sans tout casser dans la salle de jeux. Et dépêche-toi, sinon tu vas finir par être en retard à l’école, d’accord ?

— Promis ! Quand je vais dire à mes copines que j’ai dû parler de mes règles avec toi, elles vont se foutre de moi, rit-elle.

Je lève les yeux au ciel et me dis que c’est bien qu’il y ait des personnes qui s’amusent de cette situation, parce que clairement, moi, je n’ai pas trouvé ça drôle. Moi qui m’étais levé avec l’envie de renouer le lien avec Maeva, je suis clairement loin d’être dans le même état d’esprit, maintenant. Là, j’ai juste envie de lui crier dessus, heureusement qu’elle est au boulot. Non seulement, elle a préféré aller au bureau retrouver son satané assistant qui doit l’aider dans beaucoup plus que son travail, mais en plus, elle me snobe et m’ignore, me traitant comme un gamin gâté et mal élevé. C’est terrible, ce manque de respect, je le vis comme une vraie trahison. Et ça, ça me fait encore plus mal que notre dispute d’hier.

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