28. Des roues de secours bien tentantes
Allan
— Réfléchis à ce que je t’ai dit, Allan. Parfois, quand le ver est dans le fruit, il faut jeter le fruit. Ou couper la tige qui le retient pour préserver l’arbre. Surtout qu’il y a une pomme bien juteuse qui t’attend, mon vieux.
J’ai envie de l’envoyer balader mais je me retiens car il vient quand même de passer une heure à m’écouter me plaindre sur mon sentiment d’abandon par ma femme, sur le fait qu’on n’a plus rien à se dire, qu’on fait presque chambre à part, qu’on vit en tant que colocataires, que je suis bien tenté par une aventure, voire plus, avec la jolie Tiffany. Et son conseil est sans appel, il me l’a dit et redit : il faut que je divorce et vite, avant de finir moi aussi sur le carreau, écrasé par tout ce qui nous arrive. Ses arguments sont implacables et petit à petit, ils trottent dans ma tête et se font un chemin jusqu’à ma conscience pour me dire que c’est peut-être ce qu’il y a de mieux pour nous.
— Je vais réfléchir, oui, je te l’ai promis. Tu sais bien que réfléchir, ça me connait. C’était quand même moi le cerveau de notre duo !
— Sauf que tu arrêtes de réfléchir avec le cerveau qui nous était utile en enquête, quand il s’agit de ton dragon.
— Ce n’est pas un dragon, voyons ! Ce n’est pas parce que tu aimes tes femmes soumises et en cuisine que toutes celles qui bossent sont à conspuer.
— Oh, c’est pas la question, tu sais bien qu’à une époque lointaine, Maeva me plaisait un peu trop, grimace-t-il. Et puis j’ai ouvert les yeux, c’est juste une castratrice, regarde-toi…
— N’importe quoi, je peux t’assurer que j’ai tout ce qu’il faut où il faut. Bref, il faut que j’y aille. Merci de m’avoir écouté, mon Ami. A bientôt. Tu n’oublies pas de m’envoyer le dossier pour que je puisse t’aider dans ton enquête, hein ?
— Tu oublies le jour où elle t’a suggéré la vasectomie pour éviter une nouvelle grossesse, Allan, ricane-t-il. Réfléchis bien à tout ça, et n’hésite pas, si tu as encore besoin d’une épaule sur laquelle pleurnicher. Et compte sur moi pour les dossiers. A bientôt !
Je sors et reprends ma route pour aller récupérer les enfants chez la nourrice. Madeleine, l’assistante maternelle, me retient alors que je me prépare à partir avec les enfants.
— Oui, il y a un souci avec les enfants ? lui demandé-je alors qu’elle rougit jusqu’en haut de ses oreilles.
— Mika m’a dit que… Enfin, disons que j’ai cru comprendre que votre femme était peu présente à la maison, en ce moment. Sans faire de déduction foireuse et en tout bien, tout honneur, si vous voulez vous changer les idées et aller boire un verre, un de ces quatre, vous savez où me trouver, me lance-t-elle, un sourire gêné aux lèvres qui contredit totalement son regard franc et décidé.
— Merci, c’est gentil, j’y penserai.
Et j’y pense déjà, en fait. Depuis que mon ami m’a mis son idée de divorce dans la tête, je réfléchis à ce que ça pourrait être une vie sans Maeva. Et je me dis que je pourrais avoir la liberté de profiter de la vie, découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux corps… Et c’est un peu excitant, je trouve.
En rentrant à la maison, je mets les jumeaux à table et les occupe en leur donnant à manger tandis que je surfe sur mon téléphone pour trouver quelles sont les procédures pour divorcer. Cela n’a pas l’air si compliqué que ça en fait, si les deux parties sont d’accord. Et je me demande ce que Maeva pense de tout ça. Peut-être que comme moi, elle hésite ? Sur l’article que je lis, je vois la possibilité de prendre un rendez-vous en ligne avec un avocat près de chez moi. Je me dis que ça ne coûte rien d’essayer et envoie un mail. J’aurai au moins des conseils adaptés à ma situation. Je soupire en réalisant ce que je viens de faire. Cela va vraiment si mal que ça entre nous ? Je me dis que ce n’est pas le moment de me perdre dans mes conjectures.
— Les enfants, ça vous dit si on va chez Boubou après la sieste ? Maman ne va pas rentrer tôt, on a le temps d’aller en profiter. Mais ça veut dire d’aller dormir tranquillement avant. Vous en pensez quoi ?
— D’accord, Papa ! clament-ils à l’unisson en se dirigeant vers les escaliers.
Au moins, avec cette promesse, je sais que je vais être un peu tranquille jusqu’à leur réveil. Je profite de leur sieste pour continuer à me renseigner sur le divorce. Je me dis que même si elle me verse une allocation pour continuer à m’occuper des enfants, je pourrais reprendre mon travail. Et tout mettre en œuvre pour résoudre cette histoire qui mine mon ancien collègue car il n’arrive pas à la résoudre. A deux, c’est sûr, on avait toujours de bons résultats.
Lorsque nous arrivons chez Boubou, j’ai la bonne surprise de voir que la voiture de Tiffany est sur le parking. La couleur orangée de son break ne laisse que peu de doutes et je me dis que c’était vraiment une bonne idée de venir ici. Je paye les entrées et nous nous retrouvons dans le grand hall bruyant où tous les enfants de la ville semblent s’être rassemblés. Le brouhaha ambiant est toujours aussi fort et heureusement qu’il y a la perspective d’échanger avec la jolie blonde, sinon je serais à deux doigts de faire demi-tour et rentrer à la maison.
Depuis ce baiser que nous avons échangé, j’avoue que je n’ai pas fait de démarche particulière pour la retrouver. J’hésite vraiment sur la marche à suivre. Est-ce que je cède à ses avances ? Est-ce que je continue à résister ? En fait, je ne sais pas trop. Je crois que la vraie question, c’est : est-ce que j’ai envie de rester avec Maeva ? Et là, je n’ai pas de réponse claire. Et je n’ai pas envie de penser à cela. J’essaie juste de la trouver dans la foule en la cherchant désespérément des yeux.
— Quelle surprise de vous voir ici, tous les trois ! me surprend une voix dans mon dos alors qu’une main se pose sur mon épaule.
Je sursaute et me retourne alors que nos enfants se sont déjà retrouvés. Elle laisse sa main sur mon épaule et me sourit, véritablement étonnée de me voir ici.
— Je savais que l’endroit était bien fréquenté, j’en ai la confirmation aujourd’hui. Tu vas bien ?
— Très bien, oui. Et toi ? me demande-t-elle en rougissant.
J’hésite sur la conduite à tenir car nous n’avons pas échangé sur ce baiser qu’elle m’a donné et auquel je pense encore. Je me dis que, vu le contexte, ça peut m’aider à réfléchir sur ma situation avec Maeva de ne pas la repousser plus que je ne l’ai déjà fait. Et ça laisse l’option ouverte.
— Très bien, même si je t’ai trop peu vue ces derniers temps. On s’était pourtant quittés plein de promesses !
Je sais que j’enjolive un peu les choses, mais j’espère que ça va la détendre un peu et lui faire comprendre que je ne lui en veux pas.
— Pour être honnête, après l’autre jour, je n’ai pas osé te recontacter… et comme tu ne le faisais pas de ton côté, j’ai surtout pensé que tu m’évitais.
— Quelle idée ! Je ne peux pas fuir une femme juste pour un baiser, ce serait un peu bête non ?
Même si c’est clairement ce que j’ai fait. Et que je ne sais toujours pas si c’est une bonne idée de faire comme si ce n’était qu’un simple petit baiser.
— Peut-être, mais je me suis jetée sur un homme marié, on ne peut pas dire que je sois une personne très fréquentable, grimace-t-elle en détournant le regard.
— C’est vrai, mais bon, il ne s’est pas beaucoup défendu, l’homme marié. Ne prends pas tout sur ton dos, voyons. Et puis, ce n’était qu’un baiser, rien de répréhensible…
— Pour beaucoup de femmes, c’est déjà considéré comme une tromperie, souffle-t-elle. Et j’imagine que tu ne lui as pas dit ce qui s’était passé ?
— C’est vrai, tu as raison, avoué-je en faisant mine de me concentrer sur les enfants. Et non, je ne lui en ai pas parlé. On ne parle pas de grand-chose en ce moment, tu sais ? Elle bosse tout le temps et je passe ma vie seul. Pas facile, tout ça.
— Ça ne s’est pas arrangé entre vous, alors… Je suis désolée pour toi, sincèrement. Mais même si tout roulait, je doute que tu l’aurais fait, parce qu’au fond, tu sais que nous n’aurions pas dû. Aussi agréable ait été ce moment, d’ailleurs, soupire-t-elle.
— En réalité, je suis d’accord avec toi. On n’aurait pas dû, mais ça s’est passé et j’ai du mal à le regretter. Il faut… Ce serait bien que je clarifie ma situation de mon côté, je pense.
— Tu songes vraiment à une séparation ? C’est si mal embarqué que ça ?
— Je ne sais pas, j’ai pris un rendez-vous avec un avocat pour réfléchir à la question, en effet. Disons que ce baiser m’a fait réfléchir.
— Eh bien, murmure-t-elle, étonnée, avant de me sourire. Je pourrais être patiente, si… Enfin, si tu envisages une suite à ce baiser.
— J’envisage, oui. Mais il faut que je parle à ma femme avant d’aller plus loin. Sinon, ce ne serait pas correct.
— Nous sommes d’accord sur ce point, même si l’envie de reprendre où nous nous sommes arrêtés est bien présente.
Elle continue de m’allumer, c’est fou. Et pourquoi ça m’excite tant ? Elle est mignonne, c’est vrai, mais je ne peux pas dire que je sois amoureux d’elle. J’aimerais peut-être juste la baiser un coup. Je suis presque sûr que si je lui proposais, elle ne dirait pas non et je me demande ce qui me retient. Je n’ai pas le temps de poursuivre cette pensée qu’elle appelle ses enfants pour repartir.
— Déjà ? Mais, je viens d’arriver ! lui reproché-je, surpris.
— Tu es une pâtisserie bien trop tentante et je ne veux pas être le genre de femme qui profite d’un homme déjà pris, même si son mariage bat de l’aile. Il vaut mieux qu’on rentre avant que mon impulsivité ne fasse taire ma raison. N’hésite pas à m’envoyer un message ou à m’appeler, si tu as besoin de discuter, et… tiens-moi au courant, Allan.
— D’accord, Tiffany. Je n’y manquerai pas. J’ai peut-être bien envie de découvrir ton impulsivité, moi.
— Ne me tente pas trop, rit-elle avant de déposer un baiser sur ma joue.
Heureusement qu’elle part parce que ses petites phrases m’ont vraiment bien excité. Je ne sais pas si c’est l’interdit qui me plaît comme ça ou l’attrait de la nouveauté, mais je suis bien à l’étroit dans mon pantalon et c’est avec de vrais regrets que je la regarde s’éloigner avec ses enfants. Je dois réfréner mon envie de la suivre et de provoquer son impulsivité, et je me dis qu’il est vraiment grand temps d’avoir une conversation avec Maeva. Et tant pis si ça explose, j’ai des options qui ont l’air prêtes à me recueillir si besoin.
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