30. Dalida, ses paroles et le révolté

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Allan

J’essaie d’assimiler tout ce qu’elle vient de me dire. Cela faisait si longtemps qu’elle n'avait pas parlé de notre couple avec une telle force et un tel engouement que j’en ai perdu l’habitude. Je m’attends à ce qu’elle enchaîne avec tout un laïus sur Belle Breizh, mais il n’en est rien. On dirait qu’elle attend une réponse de ma part mais là, j’avoue que je suis encore plus perdu qu’au départ. Si elle m’aime vraiment tant, pourquoi ne fait-elle pas plus d’efforts pour nous ? Est-ce que c’est juste un discours de façade pour préserver les apparences ?

— Ce qui compte le plus, c’est vraiment moi ? demandé-je en essayant d’imprimer ses mots dans mon petit cerveau tout embrumé.

— Bien sûr ! Je sais que ça a été compliqué avec l’entreprise, mais j’ai toujours répondu présente quand c’était nécessaire. Quand tu as été malade, par exemple, il y a quelque temps… Tu es mon essentiel, Allan, ma moitié, mon âme sœur. J’en étais déjà persuadée quand j’ai accepté ta demande en mariage, rien n’a changé, et à moins que tu m’assures les yeux dans les yeux que tu ne m’aimes plus et que c’est fini pour toi, je ne renoncerai pas.

— Je ne peux pas te dire ça, ce ne serait pas vrai… mais là, j'ai l'impression de disparaître petit à petit. Pour exister, j'en viens à essayer de me projeter dans une vie sans toi et ça me fait encore plus mal parce que toi aussi, tu es mon âme sœur…

A nouveau, je n'arrive pas à retenir un sanglot et je m'en veux d'apparaître si faible devant elle.

— Alors on va trouver des solutions, Chéri. Je… je te promets que je vais lâcher du lest au boulot, à vrai dire, je travaille Gaëlle au corps depuis quelque temps pour que Yoann grimpe les échelons. Et puis, on va consulter un conseiller conjugal si tu veux. S’octroyer un soir par semaine rien qu’à nous pour ne plus être juste des parents et nous retrouver. Partir en vacances en famille. Je ne baisserai pas les bras, Allan, je te jure. Je ne veux pas que tu sois malheureux.

En parlant, elle a attrapé mes mains et m'a entraîné sur le canapé où elle s'assoit à mes côtés. Je me laisse faire, un peu hébété face à son énergie et sa volonté sans faille. J'ai l'impression de n'être qu'un fétu de paille qui se plie au vent de sa volonté.

— Tu crois vraiment que c'est tout ce qu’il y a à faire ?

— Je t’aime, tu m’aimes. On a toujours les bases… Peut-être qu’on a seulement un peu oublié qu’il était important d’accorder de l’attention à l’autre, que le quotidien nous bouffe et nous a aveuglés… Ça a toujours été fort entre nous, je suis sûre que redresser la barre est possible, il faut juste y croire.

Là dessus, elle n'a pas tort. Maeva est la seule femme pour qui j'éprouve de tels sentiments. C'est aussi la seule qui est capable d'illuminer ma vie… mais à force de l'illuminer, n'est-elle pas en train de m’aveugler ?

— Je ne sais pas si c'est possible, Maeva… Tu vois dans quel état je suis ? A pleurer et me lamenter… Je suis loin du flic fort et viril que tu as épousé…

— Tu te trompes, souffle-t-elle en s’installant à califourchon sur mes cuisses avant de déposer un chaste baiser sur mes lèvres. On a tous des coups de mou, c’est… normal. Et puis, c’est aussi normal de ne plus être tout à fait comme quand on s’est rencontrés. On a tous les deux grandi, mûri… Ça ne change absolument rien à mes sentiments pour toi, j’ai toujours aimé ton côté sensible, moi. Et ça n’enlève rien à ton côté fort et viril.

J'essaie de réfléchir à ce qu'elle est en train de me dire mais j'ai vraiment du mal à me concentrer. Entre tous ses mots, sa proximité physique et émotionnelle qui m'a tant manqué ces derniers temps. Je crois comprendre qu'elle veut continuer avec moi malgré ma faiblesse et la bêtise que j'ai faite de consulter un avocat. Je pense aussi qu'elle est en train de promettre que tout va changer et qu'elle va arrêter de compromettre sa vie de famille pour son boulot… mais, comme le dit la chanson, ce ne sont que des paroles, toujours des mots, rien que des mots…

— J'ai envie de te croire, Chérie, indiqué-je en employant volontairement ce terme affectueux pour lui montrer que je fais un pas vers elle, mais je crois que j’ai besoin de plus que de promesses…

— Alors accorde-nous du temps. N’abandonne pas aussi facilement, Allan.

— C'est à toi de nous accorder du temps, m’emporté-je. Prenons deux semaines de vacances tous ensemble pour nous retrouver. Un mois, même ! Allons en Irlande avec les enfants et re-découvrons tous ces paysages qui nous avaient tant enchantés pendant notre voyage de noces ! Albane n'a plus cours à la fin de la semaine, c'est le moment ! Montre-moi que pour une fois, nous sommes plus importants que Belle Breizh.

— Je… je ne peux pas, Allan. Je veux dire, ajoute-t-elle précipitamment en plaquant sa main sur ma bouche, je ne peux pas sans m’organiser un minimum avant, d’accord ? Ça ne veut pas dire que je ne vais pas le faire, juste que je dois aller au bureau pour passer le relais et annuler mes rendez-vous ou voir avec Gaëlle pour les décaler sur son planning.

— Et si tu étais malade, ils se débrouilleraient, non ? Pourquoi ton travail passe-t-il toujours avant tout ? Et tu as besoin de combien de temps pour t'organiser ? Il y a toujours un truc qui arrive et qui t'oblige à ne pas être disponible pour nous…

Je m'en veux un peu d'être aussi virulent mais j'ai le sentiment qu'elle essaie d'endormir ma révolte… et je ne suis pas sûr du tout de trouver en moi la force de réagir à nouveau à l'avenir. C'est maintenant qu'il faut que je sois fort.

— Bon sang, Allan… Je sais que j’ai ma part de responsabilité dans cette situation, mais est-ce que tu pourrais, rien qu’une fois, essayer de te mettre à ma place aussi ? s’agace Maeva en quittant mes genoux. Je ne te demande pas la mer à boire, juste quelques jours pour m’organiser !

— Tu ne peux pas tout organiser en un jour ? J’ai l’impression que tu essaies toujours de négocier pour passer plus de temps au boulot et moins avec nous, même quand je te dis que je n’en peux plus… Un jour et après, tu coupes totalement et on essaie de se retrouver à deux, à cinq, en famille, mais sans Belle Breizh entre nous, d’accord ?

— T’es terrible, Allan. Je te demande de te mettre à ma place et t’assure que je vais prendre des vacances, mais ça ne te suffit pas. Qu’est-ce que j’attendais en même temps, puisque pour toi je fais des balades, soupire-t-elle. Tu devrais peut-être prendre ma place dans la société pendant quelques jours, histoire de voir que tout bousculer va être une vraie galère. Ne te plains pas si je suis partie avant que tu te lèves et que je rentre tard demain.

— Parce que ça sera différent de d’habitude, peut-être ? Désolé si je ne sais plus me mettre à ta place, mais là, je n’en peux plus. Dans notre vie, ton boulot prend trop de place, c’est tout ce que j’ai à en dire.

— J’ai bien compris, oui. Mon boulot, ma faute. J’ai hâte que tu reprennes le boulot, tiens, je vais bien me marrer quand ce sera mon tour de me plaindre que tu rentres tard, tu verras ce que ça fait de se prendre des reproches constamment, marmonne-t-elle en se levant pour rejoindre la cuisine.

J’hésite un instant en me demandant ce que je dois faire. Faut-il que je la suive et continue cette dispute stérile ? Ou alors, je reste ici, je la laisse se calmer un peu avant de reprendre les hostilités ? Pourquoi est-ce que les réactions humaines ne viennent pas avec un mode d’emploi ? Et comment en est-on arrivés là ? Nous nous aimons, c’est évident, alors pourquoi aucun de nous deux ne parvient à faire un pas vers l’autre ? Bon, c’est vrai qu’elle a promis qu’elle allait essayer de passer plus de temps à la maison, c’est déjà un pas, mais ça ne suffit pas. Je n’arrive pas à me contenter de ses paroles aujourd’hui et il faut qu’on crève cet abcès qui nous sépare de plus en plus. Je me lève pour la retrouver en cuisine et j’ai l’impression qu’elle essuie une larme quand je la rejoins. De la voir ainsi bouleversée, mon cœur se serre et j’ai presque envie de faire marche arrière, de revenir à quelques heures en arrière pour éviter qu’une telle scène ne se produise, mais c’est la vraie vie, pas un roman de science fiction. Impossible de remonter le temps et il faut assumer les conséquences de ses actes.

— Je ne te fais pas des reproches constamment, Maeva. Juste sur ce travail qui te bouffe. Qui nous dévore. Rappelle-moi la dernière fois où tu as passé une journée entière avec tes enfants en ne pensant qu’à eux ? Ou que tous les deux on a juste fait un truc qui nous plait ? Je crois, enfin j’espère que tous les deux, nous avons le même objectif, la même envie, celle de vivre tout ce que l’on a à vivre en famille. Par contre, je pense qu’on n’a pas la même notion du travail. Pour moi, c’est un moyen de vivre mieux et d’en faire profiter notre famille. Pour toi, j’ai parfois l’impression que ton travail, c’est ta vraie famille. Et ça, ça me tue à petits feux. Je me trompe peut-être ? demandé-je en espérant qu’elle nie ce que je viens d’affirmer.

— Bien sûr que tu te trompes ! Tu n’imagines même pas le nombre de fois où je suis au boulot et où je me dis que je préférerais être à la maison avec vous… Mais je ne suis plus seule dans cette entreprise, du moins il ne s’agit plus simplement de Gaëlle et moi qui, si nous nous plantons, pouvons retomber sur nos pattes parce que nos hommes travaillent. J’ai des dizaines d’employés qui dépendent de moi, de nous et de nos décisions. Tu crois que s’implanter en Europe était mon rêve ? Bien sûr que non ! Mais c’est la réalité du boulot, parce que la concurrence est mondiale et qu’on peut se faire bouffer et tout perdre. Je n’ai pas Eva Longoria comme égérie, ou je ne sais quelle star pour faire vendre mes produits… Mais bon, pour ce que ça t’intéresse, de toute façon…

— Ecoute, Maeva. Ce soir, on n’arrive à rien, on ne fait que se disputer. Tu as sûrement raison sur beaucoup de points, je l’admets volontiers, mais le cœur du problème, c’est qu’on ne se voit plus, qu’on n’est pas en phase sur ton travail. Et que moi, je me sens inutile, un poids que tu dois traîner. J’ai sûrement tort de croire ça, mais c’est ce que je ressens. Je… je vais aller me coucher, ça vaudra mieux. Et on en reparle à froid, quand on ne sera plus autant dans l’émotion dans laquelle je nous ai plongés.

— Oui, ça vaut peut-être mieux comme ça… Je crois qu’on a tous les deux besoin de réfléchir à ce qu’il s’est dit ce soir. Je vais… je vais dormir dans mon bureau et te laisser de l’espace afin de ne pas t’empêcher de dormir pendant que l’insomnie va me pourrir ma nuit.

Je ne relève pas sa dernière phrase pour ne pas relancer notre dispute, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Je ne sais pas si moi, je vais dormir. Ce que je sais par contre, c’est que j’ai lancé le pavé dans la mare et qu’on est en train d’en subir toutes les éclaboussures. L’onde de choc est énorme et j’ignore quelles en seront les conséquences. La seule chose dont je suis sûr, c’est que j’ai bien fait de parler et de ne pas garder tout ce que j’avais pour moi. J’ai porté un coup violent à notre couple, j’en suis conscient, mais j’espère que c’était ce qu’il fallait pour le redresser et l’empêcher de s’effondrer et non le coup final qui va y mettre fin. J’aime Maeva, malgré tout ce qu’elle a pu dire, malgré son travail qui l’éloigne de nous. Est-ce que cet amour est encore suffisant pour que l’on continue à se voir en couple ?

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