31. Objectif vacances

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Maeva

Je me glisse dans la chambre en silence et file dans le dressing pour récupérer des vêtements. J’évite le eye-contact avec le miroir, parce que vu la nuit que j’ai passée, je suis persuadée que je me ferais peur comme rarement. Allan bouge dans le lit lorsque je retraverse la pièce, mais il ne se redresse pas, ne parle pas… Soit il dort, soit il m’évite, soit il ne sait pas quoi faire, ce que je pourrais bien comprendre, puisque je suis moi-même dans cette situation. D’ailleurs, après quelques secondes d’hésitation, je m’approche finalement du lit et pose un léger baiser sur sa joue barbue avant de filer à la salle de bain. Et je grimace en sortant de la douche, à la fois parce que le peu de temps que j’ai passé dans le canapé m’a démonté le dos, mais aussi parce que j’aurais grand besoin d’un ravalement de façade.

Une fois prête, si l’on peut dire, je passe par la chambre des enfants pour les embrasser doucement, prépare mon petit mot habituel que je laisse sur la table de la salle à manger pour eux et vais récupérer mes affaires dans mon bureau. Je range la couverture au passage, pour éviter qu’Albane ne tombe dessus si elle passe par là, et file chez Belle Breizh pour la journée marathon qui m’attend.

L’avantage d’une nuit blanche ou presque, c’est que j’ai déjà pu faire une To do liste, préparer mes mails à envoyer et commencer à réfléchir à une organisation pour déplacer mes rendez-vous ou les faire assurer par Gaëlle selon ses disponibilités. Et l’avantage d’arriver si tôt, c’est qu’il n’y a pas un chat qui traîne. Malheureusement, cela a aussi l’effet de m’offrir un sas de décompression qui me fait bien trop penser à la maison, où l’atmosphère lourde et pesante m’a empêchée, même une fois enfermée seule, de relâcher la pression. Trop préoccupée par cet ultimatum que m’a lancé Allan et les conséquences pour l’entreprise, j’ai réussi à occulter les émotions qui menaçaient de prendre le pas sur le reste. Là, toute seule dans mon bureau et alors que j’ai besoin de l’aval de Gaëlle et de l’aide de Yoann pour avancer dans mon plan, je sens ma gorge se nouer et mes mains se mettre à trembler. “Divorce” vient officiellement de devenir un gros mot dans mon langage. J’aimerais dire que ça va s’arranger entre Allan et moi, mais j’ai un doute. Ou plusieurs même, le principal étant que j’ai l’impression qu’il rejette complètement la faute de notre situation sur mes épaules sans jamais se remettre, lui, en question. J’ai beau comprendre ses arguments et son positionnement par rapport à l’entreprise, je lui en veux de ne jamais chercher à se mettre à ma place. Comme je lui en veux pour son désintérêt total pour mon travail… Pourtant, je fais avec et je n’en fais pas tout un foin, surtout depuis qu’il s’en plaint fréquemment…

J’essuie mes joues et grimace de m’être laissée aller alors que des pas retentissent dans le couloir. Je plonge le nez dans un dossier en saluant ma décision de me contenter d’anti-cernes et de mascara, ce matin, ça devrait m’éviter l’effet panda. En espérant que je n’ai pas le nez rouge… Fait suer…

J’invite Yoann à entrer lorsqu’il frappe à la porte et le salue sans lever le nez des documents que j’étudie distraitement.

— Bonjour, Yoann, lancé-je avant de me racler la gorge pour éclaircir ma voix. Gaëlle est-elle arrivée ?

— Oui, à l’instant. Elle ne devrait pas tarder à nous rejoindre. Vous allez bien ? Pourquoi vous nous avez demandé de venir en urgence ? Il y a encore un souci après celui de MacMillan ?

— Pas que je sache. Je… Insomnie, autant venir bosser plutôt que de tourner en rond. Il va d’ailleurs falloir que je l’appelle, je dois décaler notre prochain rendez-vous, soupiré-je.

— Ce n’est pas possible, ça ! Déjà qu’il veut se désengager et nous couper les fonds, il faut absolument que vous le voyiez pour éviter la catastrophe !

— Alors il devra voir avec Gaëlle. Je… Tu peux nous préparer du café, s’il te plaît ? On va en discuter avec elle aussi, j’ai quelque chose à vous annoncer…

— Du café ? Une annonce ? demande-t-il, perplexe, avant de se reprendre. Oui, tout de suite, j’arrive.
Je le remercie d’un regard en lui faisant signe de disposer, et le vois s’immobiliser pour me scruter. Voilà, grillée. Alors je me dépêche de réunir les dossiers pour aller m’installer sur la table ronde dans le coin de mon bureau.

Lorsque Gaëlle débarque enfin, en retard, évidemment, Yoann et moi avons le nez sur nos ordinateurs portables et le silence règne dans la pièce.

— Merci de nous honorer de ta présence, marmonné-je avant de boire quelques gorgées de mon café.

— Oh, ça va, je suis juste cinq minutes en retard, ce n’est pas comme si je ne faisais pas mes heures. Tu es tombée du lit ou quoi ? C’est quoi ce regard fatigué ?

— A vrai dire, je suis plutôt tombée sur les papiers du divorce qu’Allan m’a gentiment tendus hier soir, lâché-je en m’adossant contre ma chaise.

— Quoi ? Il déconne ? Il s’est trouvé une autre meuf ? s’indigne ma collègue tandis que Yoann pose sur moi ses yeux étonnés.

— J’en sais trop rien, grimacé-je. Je ne crois pas, puisque j’ai réussi à le convaincre de ne pas abandonner l’affaire si facilement… De son côté, il pense que je suis mariée à mon boulot, donc, c’est moi qui ai une relation extra-conjugale, dans sa tête.

— C’est vrai que vous travaillez beaucoup en ce moment pour ne pas que l’entreprise sombre, énonce mon assistant d’une voix basse. Je ne ménage pourtant pas mes efforts pour alléger votre tâche.

— Et je ne remets absolument pas ça en question, Yoann. Effectivement, tu m’es d’une aide précieuse. Bon… pour vous la faire courte, je vais m’absenter durant deux semaines, je n’ai pas le choix… et je pense que ça me fera du bien également.

— Deux semaines ? Genre là maintenant ? Tu ne peux pas nous lâcher alors que ça tangue comme en ce moment ! s’indigne Gaëlle. On fait comment sans toi ?

— Je te laisse aller dire ça en personne à Allan. Je n’ai pas le choix, Gaëlle. J’adore notre boulot, vraiment, mais je ne sacrifierai pas mon couple pour Belle Breizh. Et Allan s’en fout totalement que ce soit la merde ici, alors, qu’est-ce que je suis censée faire, moi, hein ?

— Ton Allan me brise les ovaires, tu sais ? Il veut quoi, que tu l’attendes à la maison, le dîner prêt et la chatte offerte ou quoi ? ajoute-t-elle alors que Yoann rougit face au discours imagé de mon associée.

— Ton mi-temps me brise les ovaires aussi, tu sais ? Pas pour autant que je te dénigre. Allan voudrait simplement retrouver sa femme, parce qu’il ne faut pas se leurrer, depuis que tu as accouché, je passe ma vie ici, moi. J’ai dû gérer les premières règles de ma fille à distance pour que tu puisses changer les couches de la tienne, tu vois ? Je… je ne peux pas continuer comme ça, Allan ou pas d’ailleurs. J’ai trois enfants que je vois la plupart du temps endormis, c’est pas une vie.

— Je suis désolée, Maeva, tu as raison, j’ai un peu délaissé le boulot ces derniers temps. Il faudrait qu’on recrute, non ? ajoute-t-elle en jetant un regard discret vers Yoann.

— Effectivement, et on va le faire. Yoann, j’ai besoin que tu prépares une annonce pour un poste d’assistant de direction. Gaëlle examinera les candidatures et nous ferons les entretiens à mon retour.

— Mais je suis là, moi ! s’écrie-t-il. Tu veux me remplacer parce que je n’assure pas assez ?

— Je note le passage au tutoiement, souris-je, parfait. Tu vas effectivement être remplacé et t’installer dans le bureau à côté de celui de Gaëlle. Disons que ces quinze jours à venir seront un test pour savoir si nous te ferons passer au poste supérieur.

— Moi ? Associé ? C’est une blague ? Et désolé pour le tutoiement…

— Ben oui, toi ! Sans toi, ça fait longtemps que l’entreprise aurait coulé. Tu as du talent, ajoute mon amie qui est sur la même longueur d’onde que moi. Et tu n’as pas intérêt à dire non, je te jure, ou sinon c’est moi qui te vire avec un coup de pied au cul.

— Ah non, on le gardera quand même, tu plaisantes ? C’est un excellent assistant, on lui refilera des missions de direction en douce et au moins, on n’aura pas à l’augmenter, plaisanté-je. Alors, tu en penses quoi, Yoann ? Bien sûr, on va y aller mollo. J’ai réussi à ajouter tous mes rendez-vous essentiels sur le planning de Gaëlle en respectant ses horaires, et j’ai glissé ceux des fournisseurs, les réunions en visio avec les équipes des magasins et tout ce que tu pourras gérer sans aucun problème dans ton planning pour les quinze jours à venir. Ne reste plus qu’à convaincre MacMillan et je pourrai partir et débuter la mission de sauvetage de mon mariage.

— Ça, ça ne va pas être facile, il ne jure que par toi. S’il veut se retirer, c’est parce qu’il ne te voit pas assez. Tu imagines si tu l’abandonnes maintenant ?

— Je ne suis pas son jouet, et j’ai autre chose à faire que de lui tenir la main. Je repartirai en chasse d’un investisseur s’il se retire… Tant pis.

J’ai l’air sûre de moi mais, honnêtement, ça me fait flipper de repartir de zéro ou presque. Il faut que MacMillan soit notre portefeuille, c’est essentiel pour le bon déroulement du projet. Surtout qu’il me mange dans la main quand nous sommes ensemble… Foutu mâle qui ne pense qu’avec son service trois pièces.

— Je vais essayer de l’appeler et de gagner du temps, Maeva, mais je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver, intervient Yoann. Mais si je lui dis que je suis un futur partenaire, peut-être qu’il m’écoutera ?

— Avec tout mon respect, je crois que tu n’as pas le décolleté adéquat, ironisé-je en poussant devant chacun d’eux une pile de dossiers. Je vous laisse étudier tout ça dans la journée et si vous avez des questions, des problèmes, n’hésitez pas à venir me voir, parce qu’à partir de demain, mon téléphone sera en off et moi… je pars en guerre, je crois.

— Je suis sûr que vous… Tu y arriveras. Allan n’a aucune chance face à toi.

— Par contre, Belle Breizh sans toi, ce ne sera pas pareil. Yoann, tu as intérêt à assurer, sinon, je te jure que je te fous à mon secrétariat et que tu regretteras ce changement de poste !

— Lui colle pas la pression comme ça, ris-je. Yoann va assurer. Je ferai en sorte que les mails que je reçois soient transférés sur vos boîtes… Gaëlle, je pense qu’il faut que tu récupères mon téléphone pro pour les quinze jours, au moins… quand tu es là ? Et si vraiment y a un problème que vous ne pouvez pas régler, ce dont je doute, dites-leur que j’ai le COVID. C’est l’excuse idéale, faut bien en profiter, non ?

— On ne va pas mentir, non plus. Toi aussi, tu as le droit à des vacances. Et Allan a raison sur ce point-là, au moins, tu travailles trop.

— Amen… Allez, sortez d’ici, j’ai encore une montagne de boulot avant d’aller profiter de la pluie irlandaise. Je m’occupe de MacMillan, en espérant qu’il ne me demande pas de lui envoyer un nude pour compenser le déplacement du rendez-vous.

— Si tu lui en envoies un, mets-moi en copie, se marre Gaëlle. Je ne voudrais pas rater ça !

Je ris, un peu jaune quand même, et attends qu’ils soient sortis de mon bureau pour appeler notre investisseur. Évidemment, sa secrétaire fait durer l’attente. J’ai le temps de me resservir un café, de répondre à deux mails, de limer un de mes ongles qui croche, et je commence à piquer du nez quand enfin sa voix retentit dans le combiné. D’abord tout mielleux, il ne masque pas sa contrariété lorsque je lui demande de décaler notre rencontre, et me dit que son planning est overbooké pour le mois à venir. Personnellement, je me passerais bien de le voir avant ça, mais il tient à suivre de près l’avancée du projet et était déjà contrarié que je ne l’invite pas à se rendre à Bruxelles avec moi. Alors ça n’arrange pas vraiment mes affaires. Aucun de mes arguments n’est convaincant pour lui et il insiste tellement que je finis par capituler. Je suis trop fatiguée pour me battre indéfiniment avec lui, et je me dis que je trouverai une excuse pour quitter la maison le temps d’assurer ce rendez-vous… Il faut juste qu’on parte la deuxième semaine en Irlande et non la première… Mais ça, ça ne posera pas de problème.

J’ai l’impression d’être une cheffe d’entreprise en carton quand je me rends compte qu’un poids vient de s’enlever de mes épaules alors que les vacances se profilent à l’horizon. Oh, ça ne change pas grand-chose à la pression habituelle, puisque la menace du divorce pèse lourd, elle aussi, mais je suis contente de savoir que, pendant quinze jours, je n’aurai pas à gérer les urgences, lécher des bottes, recadrer, quémander, diriger… Il va juste falloir que j’arrive à passer outre ma rancoeur envers Allan, que je sois hermétique à ses reproches et que je trouve des idées pour arranger les choses. Ça promet d’être tout aussi peu reposant que quinze jours ici, je crois.

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