37. La marche des chafouins

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Maeva

J’ai gardé de bons souvenirs de notre voyage de noces ici. Allan et moi étions jeunes, adorions découvrir de nouveaux paysages et décider au dernier moment de ce que nous allions faire une fois sortis du lit. Je me rappelle les randonnées, main dans la main, les sprints pour rentrer au plus vite sous une pluie battante, nos corps trempés qui se réchauffaient sous la douche. J’ai encore en tête le bruit des gouttes d’eau qui frappaient cette grande fenêtre qui donnait sur une vallée verdoyante et où les moutons se promenaient en cherchant les rayons du soleil. Oui, y a pas à dire, ces dix jours de lune de miel ont été géniaux, entre étreintes torrides sous les draps, émerveillement face aux paysages de cartes postales, et soirées dans les restaurants et pubs à découvrir les spécialités locales.

C’est tout de suite moins vendeur de rêve quand tu te promènes avec trois enfants qui détestent être sous la pluie. Albane et son parapluie vache qui passe son temps à grommeler qu’elle serait mieux à la maison, au bord de la piscine, Nora qui veut sauter dans toutes les flaques de boue, manquant de me faire chuter à chaque fois qu’elle tire mon bras comme une petite fille dotée de la force d’Hulk, et Mika qui est en train d’épuiser Allan, réclamant les bras depuis ce matin, bougon et peu bavard. Oh, on a vraiment l’air de touristes sur ce sentier qui grimpe lentement entre les arbres. La vue sur le lac qu’il promet nous a décidés à partir en randonnée, surtout que ce n’est pas très loin du petit logis où nous résidons, mais nos K-way tout froissés me rappellent qu’on a beau se plaindre de la pluie en Bretagne, nous sommes plutôt bien lotis, finalement.

Nora a réussi son entreprise de bain de boue… Elle en a jusque sur la joue, et mon jean en est également bardé. Je devrais peut-être songer à l’embaucher dès qu’elle sera en âge, pour proposer ce genre de soins dans nos futurs salons, je suis certaine qu’elle adorerait passer ses journées les mains dans la boue.

— Tu veux qu’on échange un peu, Allan ?

Mon mari commence à peiner, il faut dire que ça fait une heure qu’il tente de faire marcher Mika pour se retrouver à l’avoir dans les bras à chaque fois qu’il le repose, chouinement et larmes de crocodile en prime. Je sens qu’il s’impatiente, et je ne dis pas non à lui refourguer l’obsédée de la gadoue, histoire de ne pas être la seule à ne plus ressembler à rien. Entre la pluie qui s’est mise à tomber il y a vingt minutes et les jets de terre, je dois faire à moitié peur.

— Je veux bien, oui, il est impossible à gérer, là, s’énerve-t-il en le reposant à terre pour que je puisse m’en saisir.

Nora attrape la main de son père dès qu’il la lui tend, et je hisse un Mika déjà en train de chouiner sur ma hanche. Mon petit koala niche son nez dans mon cou et je rajuste sa capuche en soupirant. Il commence à peser son poids, je ne suis pas sûre de pouvoir tenir aussi longtemps que la montagne qui me sert de mari. Et je commence à regretter que nous ayons laissé tétines et doudous dans la chambre, parce que si Mika se calme un peu, il continue à marmonner, se plaint dès que je le change de hanche ou que je le secoue un peu trop.

— On est encore loin, tu crois ? questionné-je Allan en essayant de trouver une meilleure position pour Mika.

— Non, je dirais dix minutes si on avance à un rythme normal… Mais là, vu qu’on traîne, on en a encore pour une demi-heure au moins.

Monsieur est contrarié, mais Mika dans les bras ou pas, ça ne changerait pas grand-chose sur le timing de la balade. Ils ont trois ans et des petites jambes qui fatiguent plus vite que nous. Enfin, peut-être que leurs gambettes tiendraient mieux la cadence que mon dos, pour le coup.

Je finis par allonger Mika entre mes bras, comme quand il était bébé, son ventre contre le mien, et rabats davantage sa capuche sur son visage pour que la bruine qui tombe à présent ne lui tombe pas dans les yeux, et m’arrête une seconde en constatant que ces derniers sont brillants alors qu’il peine à les laisser ouverts. J’ai les lèvres fraîches, mais le trouve chaud lorsque je les pose sur son front, et ses petites joues rosies ne sont peut-être pas dûes qu’à l’humidité qui a fait chuter les températures, finalement.

— J’ai besoin d’une pause, Allan, l’interpellé-je. Et je crois que Mika est en train de tomber malade.

— Comment ça, malade ? Tu ne crois pas que c’est juste parce qu’il est paresseux et n’a pas envie de marcher qu’il chouine comme ça ?

— Je ne sais pas… Il est sans doute fatigué par le voyage, OK, mais y a pas que ça…

— De toute façon, on y est presque. Il ne va pas nous gâcher la fin de notre petit tour, quand même.

Je plonge mon regard dans celui de mon mari et me demande ce qui peut bien lui arriver, à cet instant. Cette façon de réagir ne lui correspond pas, et sa petite réflexion m’agace.

— Tu plaisantes, j’espère. Il pleut, il caille, s’il est malade… c’est au chaud et au sec qu’il doit être.

— Tu crois qu’il est malade ? Ce n’est pas parce que d’habitude, tu n’es pas avec eux qu’il faut sur-réagir quand tu passes du temps en famille.

Et c’est reparti… Ca faisait longtemps, tiens, que je ne m’étais pas pris une réflexion de ce genre. Quelques heures ? Oui, ça doit être ça, j’ai arrêté d’y faire attention sous peine de passer mon temps en colère ou à faire la tête.

— Et ce n’est pas parce que tu as l’habitude qu’il ait la flemme de marcher quand tu te balades avec eux que tu dois t’arrêter à cette impression, cinglé-je en le fusillant du regard. Je te dis qu’il n’est pas en forme, regarde-le, bon sang !

Il soupire et s’approche de nous, pas du tout convaincu, mais passe sa main sur le front de Mika avant d’étouffer un juron.

— Ouais, mince. Il couve quelque chose là… Et même si le crachin s’est arrêté, pas sûr que ça soit l’idéal de le laisser se prendre l’humidité davantage…

Eh bien, Monsieur têtu baisse les armes… Hallelujah.

— On devrait redescendre… On pourra revenir demain s’il fait meilleur temps, et on prendra l’écharpe de portage au besoin, ce sera plus confortable pour lui.

— C’est dommage, on y est presque, se résigne finalement Allan. Tu veux que je le reprenne s’il est trop lourd ?

— Non, ça va pour l’instant, je vais continuer à sur-réagir et à jouer la maman parfaite pour le moment, marmonné-je en rajustant délicatement ma prise sur le corps détendu de mon fils qui somnole. J’espère qu’il n’a pas trop froid. Merde, pourquoi on n’a pas vu plus tôt qu’il n’était pas en forme ?

— Tu n’as pas besoin de me faire d’autres reproches, grommelle Allan, incapable de se décider à bouger.

— C’est toi qui as attaqué, Chéri. La prochaine fois, tu tourneras sept fois la langue dans ta bouche avant de me cracher ton venin. C’est toi qui as les pulls supplémentaires dans ton sac ou moi ?

— C’est moi, bien sûr, grogne-t-il en déposant son sac entre nous pour en sortir le vêtement chaud de notre fils.

Malgré son humeur de chien, il enlève le K-way de Mika avec délicatesse et lui enfile la couche supplémentaire avant de remettre le manteau, et dépose un baiser sur le front de notre fils qui baragouine des mots incompréhensibles en hoquetant, à demi-éveillé.

— On y va ? Ça ne sert à rien de rester plantés là… On va tous choper la mort si ça continue. Albane ? Demi-tour, ma grande, on rentre à l’hôtel.

— Oh, c’est pas cool, ça ! On ne peut pas finir la marche maintenant qu’on est si proches du but ? Moi, je veux la photo comme Nolwenn, au bord du lac, les cheveux qui flottent. Ça ferait trop cool sur Insta. On y va vite et on rentre après, non ?

— Albane, ta mère a raison, il faut qu’on rentre, ton frère est malade.

— Mais Papa ! C’est pas juste ! Pourquoi c’est toujours pour les jumeaux qu’on doit se sacrifier ? Je demande pas grand-chose… pleurniche-t-elle en faisant ses yeux de merlan frit à son père qui ne sait pas y résister.

Je n’ai vraiment pas hâte que les jumeaux soient adolescents… S’ils nous sortent ce genre de phrases constamment en nous accusant de privilégier l’autre, je ne donne pas cher de ma peau. J’ai une petite pensée pour ma mère qui a élevé six gosses… Mon Dieu, mais comment a-t-elle survécu à nos caractères forts ?

— Ce n’était pas une proposition négociable, Albane. Aux dernières nouvelles, c’est ton père et moi qui décidons. On essaiera de revenir avant de partir et tu auras ta photo, soupiré-je.

— Mais on ne va pas refaire deux heures de marche pour la photo ! Papa… s’il te plaît… on peut continuer ?

— Albane, dit-il d’une toute petite voix… Chérie, tu rentres avec Mika et je ramène les filles dès qu’on a vu le lac ? me propose-t-il doucement.

— Comme tu veux… Glisse la clé de la chambre dans ma poche, s’il te plaît. Et arrête de lui manger dans la main, parce qu’à ce rythme-là, elle aura le scooter qu’elle demande le jour de ses quatorze ans…

— C’est juste une photo… me répond-il en obtempérant pour la clé. On fait vite et on vous rattrape. Allez, Nora, viens. On va aller voir le lac. Albane, tu as intérêt à m’aider avec ta sœur.

Elle est loin, la lune de miel… Je n’ai même pas droit à un baiser avant qu’il ne s’éloigne avec les filles, reprenant son ascension alors que j’ai déjà mal aux bras. Et si la descente est plus rapide que la montée, la pluie a rendu le chemin plus piégeux. D’ici à ce que je me retrouve les quatre fers en l’air, ça clôturerait cette petite randonnée d’une manière peu agréable. Et avoir un enfant malade en vacances risque de compliquer les choses, surtout si on se chamaille constamment pour savoir qui a tort ou a raison.

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