38. Pas de vie sans toi

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Allan

La porte de notre Bed and Breakfast s’ouvre et je suis content de voir revenir Maeva avec Mika dans les bras. Je me précipite pour aller lui donner un coup de main et constate qu’elle a un petit sac de la pharmacie dans les bras aussi.

— Il est donc bien malade ? Que t’a dit le médecin ? Attends, laisse-moi prendre Mika le temps que tu te débarrasses de ton manteau. Heureusement qu’il ne pleut plus.

J’en fais peut-être un peu trop mais je m’en veux de ne pas avoir vu qu’il était malade. Je m’en veux aussi de ne pas avoir rebroussé chemin plus vite ou d’avoir cédé à Albane pour finir la promenade afin qu’elle ait sa photo. C’est vrai que c’était joli et ma fille aînée était contente, mais j’aurais sûrement dû rester avec Maeva et rentrer immédiatement. En tout cas, quand nous sommes arrivés à notre domicile irlandais et que j’ai compris que l’état de notre fils ne s’était pas amélioré, j’ai tout de suite suggéré à ma femme de l’emmener chez le médecin du village pour avoir un diagnostic. Je voulais y aller mais Maeva a souhaité le faire elle-même et cela lui a pris un peu plus de deux heures. La pauvre.

— Il a une angine. Je ne comprends pas pourquoi il ne nous a pas dit qu'il avait mal à la gorge, soupire-t-elle en le déposant délicatement dans mes bras.

— Peut-être qu’il n’a pas mal ? Ça arrive avec les angines… On n’appelle pas ça des angines blanches ? Enfin, je ne sais pas, je n’y connais rien. Il y avait tant de monde que ça chez le médecin que tu ne rentres que maintenant ?

— Oui, il avait du retard dans ses rendez-vous et la secrétaire n'avait pas de créneau libre, elle m'a dit d'attendre pour passer entre deux patients. Et le pharmacien avait un accent à couper au couteau, je ne pigeais rien à ce qu'il m'expliquait.

— Tu es sûre que tu as tout compris, là ? Tu veux que je retourne le voir ?

J’ai profité de notre échange pour retirer le manteau de Mika et le déposer dans son lit. Sa sœur vient tout de suite s’installer à ses côtés et le prend dans ses petits bras. Ils sont trop mignons et j’espère que l’angine n’est pas contagieuse, sinon, demain, ce sera deux enfants malades que nous aurons.

— Il a tout écrit sur une feuille, ça devrait le faire. Elle est dans le sachet, si tu veux vérifier.

— Je vais aller voir. Je t’ai laissé une assiette pour le dîner. Je te la fais réchauffer ? Mika, je crois qu’il va dormir, lui, il a l’air complètement out. J’espère que les médicaments vont vite faire effet, sinon, demain, on est bons pour passer la journée à la maison.

J’ai envie d’être aux petits soins pour ma famille et je fais tout ce qu’il faut pour que Maeva sente que je m’en veux et que je cherche à me faire pardonner mon attitude de tout à l’heure, pendant la marche.

— L'un de nous restera là… Enfin, on verra, mais on ne va pas priver les filles de balades pour veiller à deux sur Mika. Je veux bien manger oui, merci. Le déjeuner commence à être loin.

— On pourra peut-être se trouver un truc sympa à faire en voiture ou pas loin d’ici. On va réfléchir. Installe-toi, je te ramène ton dîner. C’est tout simple, mais c’est bon, promis. J’ai fait des pâtes et des épinards à la crème. Les filles ont adoré.

— Oui, on verra ça demain. Alors, la vue sur le lac était jolie ?

Je récupère l’ordonnance avant de sortir l’assiette du frigo que je mets au micro-ondes.

— Oui, je te montrerai les photos. A moins que tu n’aies déjà regardé la page de ta fille. Elle est à jour, elle, souris-je. Elle est partie se prendre un bain, là.

— Non, Gaëlle a essayé de m’appeler ce matin, alors j’ai éteint mon téléphone, grimace Maeva. Nora n’a pas été trop difficile, sans son frère, au fait ?

— Comme d’habitude, mais on était deux grands pour une petite, on a gagné, souris-je en lui tendant son assiette et en m’installant en face d’elle. Bon appétit.

— Merci. Espérons que Mika ne se réveille pas dans la nuit parce qu’il aura l’estomac vide… Je lui ai donné son goûter pendant qu’on attendait le doc, mais il était K.O, il n’est pas resté éveillé très longtemps. Et le traitement du soir aussi est donné, le pharmacien était gentil malgré son charabia bizarre. Ça m'a rappelé le vieux serveur qui s’était occupé de nous le dernier soir, tu te souviens ?

— Oui, je me souviens, dis-je en souriant. Tu ne comprenais rien et il n’arrêtait pas de me dire que tu étais trop mignonne et que j’étais le veinard de la soirée. En tout cas, tu as géré, là. Il avait raison ce vieux serveur, je suis un veinard de t’avoir à mes côtés et… désolé pour tout à l’heure, je n’ai pas assuré.

Elle ne me répond pas tout de suite et mange ses pâtes dans un silence que je n’ose pas briser. Je me demande ce qu’elle est en train de penser et m’inquiète sur sa réaction, alors je finis par reprendre.

— Je ne me reconnais pas, en ce moment. C’est un peu comme si… un rien m’énervait. Je suis vraiment désolé, je ne suis même pas capable d’assurer mon rôle de père au foyer.

— Est-ce que tu es si malheureux que ça, avec nous ? Enfin… avec moi ? Parce qu’effectivement, ce n’est pas toi. Et je suis désolée si c’est ma faute, Allan.

— Je ne suis pas malheureux, j’ai de la chance d’avoir une belle famille. Je crois que le problème, ce n’est pas toi, c’est moi. Enfin, ça doit être un peu nous aussi, le problème. J’ai l’impression qu’on s’éloigne l’un de l’autre et que je ne serai jamais à la hauteur à la fois de ce que tu fais et de ce que tu attends de moi. C’est sûrement dans ma tête, mais ça me mine… C’est un peu comme si je faisais tout ce que je pouvais pour te faire partir avant que tu ne réalises que je ne te mérite pas…

— Comment est-ce que cette idée a bien pu naître dans ta tête ? Pourquoi est-ce qu’être ensemble devrait être une question de mérite ? Est-ce que… est-ce que j’ai eu des paroles rabaissantes envers toi ? Parce que si c’est le cas, je te jure que ce n’était absolument pas volontaire, Chéri. J’ai toujours admiré ton implication dans ton boulot, et encore plus le fait que tu mettes ta carrière de côté pour élever nos enfants, je t’assure ! Jamais il ne m’est venu à l’esprit que j’étais mieux que toi, bien au contraire, surtout ces derniers mois…

Je réfléchis un instant à ce qu’elle vient de me dire et me demande si elle cherche juste à me rassurer ou si elle pense vraiment ce qu’elle dit.

— Je ne crois pas que ça vienne de toi. Enfin, pas de tes paroles. Je… Si tu veux tout savoir, le fait que tu passes autant de temps au boulot, je me dis que c’est parce que tu ne veux pas être avec moi. C’est bête, hein ? dis-je en tentant de sourire.

— Je confirme que c’est très bête, oui. Le problème n’a jamais été toi, Allan, mais la charge de travail que je n’avais pas anticipée, le congé de Gaëlle que je n’avais pas vu venir, et la trouille qui me ronge chaque jour de tout faire foirer et de laisser tous mes employés dans la galère, de nous foutre aussi dans la merde financièrement. Rien n’a changé pour moi en ce qui te concerne. Je… Bon sang, si tu savais comme j’ai hâte de rentrer le soir, comme c’est vous qui me motivez à passer des heures et des heures le nez dans des dossiers ou à parlementer avec des requins qui se croient supérieurs… Le meilleur moment de ma journée reste toujours celui où je me blottis contre toi dans notre lit.

— Sauf quand je boude, souris-je. Comment tu fais pour nous supporter, moi et mes états d’âme ? Je n’en reviens pas que j’en sois arrivé à te présenter les documents de divorce. En fait, tu ne les as pas regardés, mais… c’était juste une information générale donnée par l’avocat. Je n’avais rien fait de particulier, en réalité.

— Je ne pouvais pas les regarder. Le peu que j’ai vu a suffi à me sonner. Et… c’était sans doute un mal pour un bien, au final, puisqu’on en est là, ce soir.

— J’ai au moins réussi à te faire prendre des vacances ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour que tu te reposes un peu, dis donc, souris-je, un peu plus détendu qu’au début de la conversation. Je… je suis désolé pour tout ça, je te le redis, mais je le pense vraiment. C’est juste que je n’arrive plus à continuer comme si de rien n’était. Tu crois que tu pourrais travailler moins ou ce n’est vraiment pas possible ? Dis-le s’il faut que je patiente encore, je ferai l’effort.

— Je… je ne peux rien te garantir à cent pour cent, pour le moment. On a proposé un poste à Yoann et je pense qu’il va assurer, mais je n’en serai certaine qu’après ces quinze jours d’essai. S’il gère, ce sera un temps plein supplémentaire qui me permettra de moins travailler et on pourra envisager que tu reprennes toi aussi le boulot. On trouvera bien comment s’organiser, maintenant que les jumeaux vont aller à l’école. Je voudrais… j’ai besoin, de mon côté, que tu te calmes sur les reproches, Allan. Je sais que je bosse trop, je sais que je suis loin d’être parfaite et que je peux m’améliorer sur bien des points, mais ta colère envers mon boulot devient étouffante…

— Etouffante ? A ce point-là ? m’étonné-je. Je crois que je suis jaloux de ton travail… et en ce qui concerne le mien, je ne suis pas sûr que je veuille reprendre le travail de policier. Ce n’est pas compatible avec une vie de famille. Et c’est le plus important, non ? Enfin, ne prends pas ça pour une critique, c’est ce que je pense pour moi, pas forcément pour toi, ajouté-je rapidement pour ne pas l’étouffer davantage.

— Ce n’est pas parce que je travaille beaucoup que la vie de famille ne reste pas le plus important pour moi, Allan, soupire-t-elle. Je suis là dès que je peux, je n’ai pas hésité une seconde à tout bousculer dans mon planning quand tu as été malade, j’ai pris mon après-midi pour fêter l’anniversaire de mariage de tes parents, je… je sais que je devrais être là tous les soirs, plus tôt, et j’essaie vraiment, je te le jure. Mais d’un autre côté, rien ne te satisfait jamais, la preuve, tu es encore en train de me reprocher de privilégier mon boulot à notre famille. Sans parler de ta petite réflexion de cet après-midi quand je t’ai dit que je pensais Mika malade. En fait, je comprends que tu ne te sentes pas à la hauteur, mais depuis quelque temps, tu me rabaisses et me renvoies tout ce que tu considères comme une faute en pleine face. Depuis combien de temps tu ne t’es pas intéressé à mon travail, Allan ? Tu ne m’as même pas demandé comment je m’en sortais avec cette accusation de harcèlement sexuel. En fait… je veux bien entendre que tu en as marre de mon boulot, mais je ne suis pas mon boulot, je suis ta femme et je morfle tous les jours pour maintenir mon entreprise à flot. Sauf que tu ne le vois pas, tout ce que tu vois, c’est que je rentre tard, sans même remarquer à quel point je suis fatiguée, parfois abattue, découragée. Moi aussi, je peux te faire des reproches concernant ces derniers mois, mais je n’ai jamais envisagé le divorce pour autant.

Je réfléchis à ce qu’elle est en train de me renvoyer et ça me fait mal. En fait, c’est elle qui aurait eu toutes les raisons de me jeter. Je n’ai vraiment pas été à la hauteur, mais elle n’a rien dit. Elle s’est même battue pour que je ne fasse pas de connerie. Comment lui renvoyer tout ce que je ressens en ce moment ? Je ne sais pas, mais il faut que j’essaie.

— Je comprends tes reproches, Maeva, et je les accepte. Je n’ai même pas d’excuse ou d’explication à te donner, à part que je t’aime et que tu me manques. Et… je vais faire des efforts à l’avenir. Pour te soutenir. Et arrêter les reproches inutiles. Tu n’aurais pas besoin d’un garde du corps, au travail ? Enfin, à temps partiel, j’ai des gamins, moi ! ris-je. Mais bon, au moins, avec un tel travail, je te verrais plus souvent. Je suis pathétique si je te dis que j’ai autant besoin de toi que ton boulot ?

— J’ai peur de ne plus être très efficace au boulot si tu deviens mon garde du corps, pouffe Maeva en se levant pour venir s’installer sur mes genoux. J’ai besoin de toi aussi, Allan. J’ai conscience qu’on est dans une période difficile de notre couple, mais je sais qu’on va y arriver… Si tu m’aimes encore, si… si tu y crois encore un minimum, il faut qu’on se batte pour nous. Parce que je ne vois pas ma vie sans ce “nous”, moi.

— Moi non plus, je ne vois pas la vie sans toi, soufflé-je avant de l’embrasser.

Ce baiser scelle un pacte silencieux entre nous. J’aurais bien aimé continuer à échanger avec elle, mais c’est le moment que choisit Nora pour se pointer, avec sa grande sœur sur les talons. C’est l’heure de les mettre au lit et nous échangeons un regard complice avec Maeva avant de nous lever pour nous occuper de notre progéniture. Je suis content d’avoir eu cette discussion, d’avoir entendu ses reproches, de m’être excusé. Nos problèmes ne sont pas réglés, loin de là. A la fin des vacances, elle va reprendre son rythme dantesque et je vais toujours être seul, c’est évident. Mais maintenant que les choses sont dites, ça devrait être plus facile à vivre, non ? Suis-je fou de rester optimiste ?

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