43. Une mèche de jalousie

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Maeva

J’envoie un message à Allan en me dirigeant vers ma voiture. J’ai presque envie de crier sur tous les toits que j’ai enfin réussi à finir le boulot à dix-sept heures pile, mais je pourrais me porter la poisse puisque je n’ai pas encore quitté le parking. D’ici à ce que Gaëlle ou Yoann se mettent à courir derrière ma voiture… Oui, je crois que ça pourrait se produire. Enfin, surtout ma meilleure amie, puisque Yoann est toujours aussi impliqué et prend des initiatives, qui prennent du retard puisque Gaëlle veut absolument tout valider. Je ne sais pas ce qui s’est passé pendant mes vacances entre eux deux, mais il faut croire qu’elle est finalement moins en confiance qu’elle ne l’était au départ en ce qui le concerne. Pour autant, elle m’a dit que tout s’était globalement bien passé, et Yoann n’est pas plus bavard à ce sujet, donc j’imagine que rien de tragique ne s’est produit. Si seulement ils avaient pu profiter de mon absence pour découper MacMillan en morceau et l’enterrer à plusieurs endroits différents aux alentours, ça m’aurait au moins servi à quelque chose.

Pas de mail, pas d’appel ou de SMS lorsque j’arrive devant l’immeuble où vit la meilleure amie d’Albane avec son père. Ni de mes collaborateurs, ni de mon mari. Tant pis pour lui, j’espère qu’il ne fera pas un aller-retour pour rien, mais il n’a qu’à consulter son téléphone. J’appelle ma fille pour l’informer que je suis en bas, l’entends bougonner avant qu’elle ne me raccroche au nez. Je n’ai rien contre la gamine, mais son père… Il est du genre gros lourd, tripoteur et grossier avec les femmes, et je suis apparemment l’une de ses cibles. Ça me donne envie de le castrer, ou de lui couper la langue, en vérité. Et à cette réflexion, j’en viens à me demander ce que j’ai, aujourd’hui, avec l’idée de découper des gens. Toujours est-il qu’Allan et moi avons averti Albane qu’au moindre écart de la part du Papa, elle devait nous appeler, mais elle nous a assurés qu’il passait son temps au salon, devant la télévision, ou sur son ordinateur à jouer au poker.

— Tu t’es bien amusée, ma Puce ? lui demandé-je lorsqu’elle s’installe sur le siège passager en soupirant.

— Oui, c’était cool. Mais pourquoi c’est toi qui viens me chercher ? Papa a dit qu’il passerait me prendre.

— J’ai fini le travail tôt, aujourd’hui, alors autant en profiter, non ?

— Trop bien. On se fait une soirée entre filles ? Ou tu veux en profiter avec Papa, en fait, non ?

— Je te propose qu’on se fasse un après-midi toutes les deux, la semaine prochaine, si tu veux, mais j’ai fini tard ces derniers jours et j’ai envie de profiter de vous quatre, ce soir. Ça te va ?

— Ça me va, oui, on pourra aller faire un peu de shopping ?

— Oui, on va voir ce qu’on peut te trouver pour la rentrée, et puis… je crois qu’un petit tour chez le coiffeur nous ferait du bien à toutes les deux, souris-je en lui tendant mon téléphone. Tu veux bien aller sur mon agenda et bloquer l’après-midi de mardi ? Ou non, mardi je dois voir un investisseur, je crois. Jeudi, je n’ai pas de rendez-vous prévu et si je ne veux pas que ça change, mieux vaut noter que je ne suis pas dispo. Ça te va, jeudi ?

— Oui, bien sûr ! Je pourrai me faire des mèches de couleur ? me répond-elle toute excitée.

— Oulah… Je vais en parler avec ton père, d’abord. Pas envie qu’il me fasse dormir sur le canapé parce qu’il est contrarié que son petit bébé ait coloré ses cheveux, ris-je.

— J’espère qu’il dira oui, alors.

— Qui sait, peut-être que c’est moi qui vais dire non et ton père qui finira sur le canapé !

— C’est quand même mieux quand vous ne vous disputez pas…

— Oui, je suis d’accord avec toi, soufflé-je en me garant devant la maison. La voiture n’est pas là… Tu sais ce qu’il avait prévu de faire avec les jumeaux, cet après-midi ?

— Ils sont partis à la plage, je crois. J’ai pas vraiment fait gaffe, désolée.

— Ah… D’accord.

Je suis un peu perplexe, pour le coup. Je sais qu’Allan n’aime pas vraiment aller seul à la plage avec eux. D’un autre côté, il y a le club d’activités pour les enfants, s’il est allé à Rochebonne, ça les aura occupés pendant que lui…

Oui, bon, OK, j’ai forcément la vision de Barbie et lui sur cette putain de plage qui me vient en tête… Je devrais lui faire confiance, après tout, ça va mieux, tous les deux. Finie la diète du sexe, finies les disputes, Allan fait des efforts pour ne pas passer son temps à critiquer mon boulot, il est même plus compréhensif. Il m’a défendue face à son père l’autre jour, et ça fait longtemps qu’il ne l’avait pas fait concernant Belle Breizh… Et moi, je rentre plus tôt autant que possible, je ne réponds pas au téléphone les weekends où je ne suis pas d’astreinte, j’évite de consulter mes mails quand il se lève tôt et prend son petit déjeuner avec moi. Il n’y a que les soirs où il s’enferme dans sa pièce que je me permets de bosser pour récupérer mon retard ou prendre de l’avance et rentrer plus tôt le lendemain si c’est possible. Bref, tout n’est pas parfait, mais ça va mieux, globalement. Oui, mon couple va mieux que mon entreprise, en ce moment.

J’appelle Allan en entrant dans la maison et tombe sur sa messagerie une fois, puis deux, alors je lâche l’affaire en allant me changer. Albane s’est installée devant la télévision lorsque je redescends, en short léger et débardeur. Je suis ravie de quitter mon tailleur, ce soir, j’ai l’impression de suffoquer quand je suis dedans. Entre la chaleur et le poids de la boîte, le rôle de PDG m’épuise depuis notre retour de vacances. Trop de soucis, trop d’incertitudes… La banque nous suit encore, Dieu merci, mais renflouer les caisses devient urgent.

Je suis en train de ranger les jouets qui traînent au salon lorsque mon téléphone sonne dans la cuisine. Je décroche rapidement en constatant que c’est enfin Allan qui montre signe de vie.

— Je commençais à m’inquiéter, soufflé-je en allant m’asseoir sur la terrasse.

Et à me faire des films, surtout…

— Oui, désolé, j’avais laissé mon téléphone dans mon sac. Tout va bien ? J’ai vu que tu m’avais appelé plein de fois. Il y a eu un souci avec Albane ? J’ai lu ton message où tu disais l’avoir récupérée.

— Non, non, je voulais juste savoir où tu étais, pour qu’éventuellement on vous rejoigne ou au moins savoir à quelle heure tu comptes rentrer pour préparer le dîner, c’est tout.

— Tu es déjà à la maison ? On va rentrer, alors. Nous, on est à Rochebonne, on s’est bien amusés.

— Oui, nous sommes rentrées. Je ne savais pas que tu comptais aller à la plage, aujourd’hui…

— J’ai eu l’idée dans la voiture en emmenant Albane. Et les enfants ont adoré ! Le club, c’est vraiment bien pour eux.

— Tu ne t’es pas trop ennuyé pendant qu’ils étaient avec les animateurs ?

Oui, je deviens fourbe. Mon Dieu que je déteste douter…

— Non, non, tu sais que je peux me perdre des heures à regarder les vagues.

Tant mieux pour lui s’il a ce temps… Mince, je deviens méchante. Stop, Maeva, ça suffit.

— Bien… Je te laisse remballer les affaires pour rentrer, alors. On vous attend, Chéri.

— On fait au plus vite. Je t’aime, mon Amour.

Est-ce qu’il a senti que je n’étais pas bien ? C’est possible, Allan fait davantage attention à moi, depuis notre retour d’Irlande. Bon, il a toujours été attentif dans le quotidien, mais c’est comme s’il cherchait à mieux comprendre mes états d’esprit, chaque jour. L’autre soir, je suis rentrée psychologiquement épuisée, à deux doigts de craquer, et en sortant les jumeaux du bain, il m’a dit que l’eau coulait pour moi, qu’il gérait avec les enfants. Il m’a même monté un verre de vin et j’ai eu droit à un massage une fois au lit… ce qui m’a d’autant plus donné envie de pleurer, j’en conviens. Je suis une épouse terrible depuis notre retour d’Irlande. Comme toujours, je fais au mieux, mais les galères s’accumulent toujours plus pour l’entreprise, alors mon idée des horaires de bureau classiques est déjà passée à la trappe. Et lui se montre patient avec moi. Pour combien de temps ? Telle est la question.

— Je t’aime aussi, mon petit mari. A tout à l’heure. Et si tu as besoin d’un moyen de pression pour les jumeaux, dis-leur que j’ai ramené des pâtisseries de la boulangerie et que s’ils ne sont pas sages, on mangera leurs éclairs au chocolat, ris-je.

— J’espère qu’ils ne seront pas sages, alors ! rit-il en retour.

— Moi en tout cas, je peux t’assurer que je ne serai pas une religieuse abstinente, ce soir, même si je compte bien dévorer la mienne !

— Je pourrais en avoir un gros morceau de ta religieuse ?

— Ça dépend… À quoi j’ai droit, en échange ?

— Un Breton au chocolat, un peu dur à certains endroits, mais tendre et amoureux, répond-il sur le même ton badin que moi.

Un frisson me traverse et ça n’a rien à voir avec la petite brise qui ramène mes cheveux sur mon visage. Non, rien du tout.

— Très tentant. Dépêche-toi de rentrer, je crois que j’ai besoin d’un avant-goût, soufflé-je avant de rire. Et il faut qu’on arrive à punir les enfants pour qu’ils soient au lit encore plus tôt, ce soir.

— Pas très sérieux, ça, pour une religieuse ! se moque-t-il. A tout de suite, Chérie.

Je glousse et raccroche pour lui permettre de rentrer au plus vite. Honnêtement, même si l’idée est tentante, les enfants se couchent déjà tôt. Et aucun risque qu’Allan consacre sa soirée à la cornemuse après cette petite séance de chauffe par téléphone. A moins bien sûr qu’on en arrive à se disputer d’ici là… Espérons qu’Albane ne parle pas de son envie de mèches colorées aujourd’hui ! Et de mon côté, il faut que j’arrive à mettre de côté la peur qui me tenaille… Allan ne me parlerait pas comme ça s’il avait passé l’après-midi avec sa maîtresse, n’est-ce pas ? J’ai envie de croire que non et que je me fais des films…

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