46. Tonton conseil, Tonton bordel
Allan
En ce beau début d’après-midi, j’ai un peu l’impression d’être au Paradis. Je suis dans la piscine, avec mon meilleur ami lui aussi en maillot de bain à mes côtés, et les enfants qui jouent sous nos yeux. Nous rigolons tous ensemble et nous amusons à nous éclabousser, à nager, et passons un agréable moment. Je sais que ça ne se passe pas bien avec Maeva, mais il est drôle, il adore jouer avec les enfants et il a beaucoup d’humour.
Lorsque nous commençons à avoir un peu froid, nous sortons tous et Jérôme m’aide à essuyer les deux petits alors qu’Albane va s’installer telle une princesse sur un transat, de l’autre côté de la piscine. Je ramène une bière à mon ami et nous restons à paresser au soleil pendant que Mika et Nora s’occupent avec des petits camions qu’ils font rouler partout autour de nous.
— Dommage que tu doives aller travailler, ce soir, c’est quand même le bonheur, ici. Mais bon, Maeva ne pourra pas dire que tu t’imposes, au moins.
— Hum… Je ne sais pas comment tu tiens le coup. Bonheur ou pas, passer ton temps à la maison avec les gosses, ça doit être bien lassant. Surtout vu l’heure à laquelle rentre le Dragon, la plupart du temps.
— Bientôt, les deux monstres seront à l'école et je vais reprendre le boulot, il faut que j’en profite tant que je peux. Et pour ma femme, tu l’as bien vu, elle fait des efforts, c’est rare maintenant, les soirées où elle rentre après dix-neuf heures.
— J’ai hâte que tu reprennes du service. Avec un peu de chance, on va de nouveau pouvoir faire équipe !
— Je ne sais pas si je vais retourner dans le service actif, ce n’est quand même pas très compatible avec une vie de famille. Tu sais, depuis que j’ai arrêté, j’ai réalisé que le plus important, c’étaient ces moments du quotidien. Et avec Maeva qui bosse autant, pas sûr que ce soit compatible avec les horaires que l’on a dans la police. Je crois que j’ai envie à la fois de retrouver une activité mais qu’elle me permette de continuer à passer du temps avec mes enfants.
— Sérieux ? Tu vas encore te sacrifier pour que ta femme bosse comme elle l’entend ? Tu n’en as pas marre ?
— Tu ne comprends pas, Jérôme. Passer du temps avec eux, ce n’est pas me sacrifier, c’est une vraie chance. Il faut juste que je trouve un boulot qui soit assez adaptable… Genre, je suis mon propre chef et j’accepte les missions qui me conviennent et qui n’auront pas comme conséquences que mes gamins passent leur vie avec des inconnus.
— Si tu le dis… soupire-t-il en observant la mer au loin. Pourquoi tu ne créerais pas ta propre boîte ? Tu as plus d’un atout dans ta poche… et la possibilité de reprendre une formation, j’imagine. Détective privé ? Sécurité ? On pourrait former une bonne équipe, tous les deux, d’ailleurs, si tu as besoin d’un coup de main.
— Quoi ? Tu viendrais dans une aventure comme ça avec moi ? l’interpellé-je, surpris.
— Pourquoi pas. Peut-être pas dès le début, je n’ai pas une femme pour m’entretenir au besoin, mais quand ça décollera et que tu ne pourras plus tout assurer seul, je pourrais l’envisager.
— Détective privé, ça pourrait le faire. Tant que tu ramènes des résultats à ceux qui t’embauchent, tu n’as pas à te soucier de quand tu bosses. Mais bon, souvent, ce sont des filatures le soir et le weekend, non ? La sécurité, ça pourrait être plus intéressant, et c’est à la mode, en plus. Si je gère une équipe, je peux le faire depuis la maison…
Je suis lancé dans ma réflexion et le sourire amusé de Jérôme me fait sortir de ma rêverie.
— Quoi ? Tu penses que je déraille complètement ?
— Non, j’aime bien quand tu t’emballes comme ça. Tu as le même regard que quand tu as une idée sur une affaire, juste avant de foutre un bordel monstre sur nos bureaux pour tout reprendre à zéro.
— C’est juste que tu viens de m’ouvrir les yeux avec tes remarques à la con. Comme quand on est sur une affaire, justement. Tu sors des conneries et moi, ça fait tilt dans ma tête. Je crois que tu viens de m’ouvrir les yeux sur une possibilité pour moi qui pourrait correspondre à mes attentes. C’est cool, non ?
— Uep, je sais, je te suis indispensable, se gausse-t-il.
— Tu l’es d’autant plus, je te rappelle, que tu as promis de jouer à la nounou pendant que je vais faire les courses. Prêt à jouer à Super Nanny ?
— Ouais… Bon, on va rentrer, je préfère éviter de rester près de la piscine. T’oublie pas de me prendre des Boules Quiès, hein ? Hors de question d’entendre encore ta furie geindre comme si elle se faisait écraser la jambe par une bagnole.
— Jaloux, va. Avoue que tu aurais aimé être à ma place, petit coquin. Mais ne t’avise pas de recommencer à faire des remarques à Maeva ou à la mater, ou je t’assure que tu vas te retrouver à dormir dehors. A tout à l’heure.
— Roh, elle est toujours en train de se plaindre, marmonne-t-il en attrapant les jumeaux. A tout à l’heure !
Je souris car j’ai bien noté son petit air déçu à l’idée que c’est moi qui l’ai ainsi faite jouir et pas lui. Oui, je me comporte comme un petit coq fier de marquer son territoire, mais ça fait du bien au moral. Je file au supermarché récupérer les courses que j’ai commandées sur Internet et en profite même pour m’arrêter chez le fleuriste pour acheter un petit bouquet pour mon épouse. Cela lui fera une jolie surprise ce soir.
Lorsque je rentre à la maison, je n’ai pas ouvert la porte que j’entends déjà les cris de joie des enfants qui semblent s’amuser comme des fous. Je ne sais pas ce que Jérôme fait avec eux, mais ça a l’air de leur plaire. J’ouvre la porte et le spectacle du salon me laisse pétrifié sur place. Tout est sens dessus dessous. Les coussins sont éparpillés à travers toute la pièce, il y a des jouets partout et on a l’impression qu’un ouragan est passé dans la pièce.
— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? demandé-je à personne en particulier.
Je m’avance dans la pièce et tombe sur Albane qui semble s’abriter derrière le canapé.
— Tu peux me dire ce que vous êtes en train de faire ? Et il est où, Jérôme ? C’est quoi ce champ de bataille ?
— Bataille de coussins, tentative de cabane, touche-touche, et maintenant cache-cache. J’ai déjà mal à la tête, mais les jumeaux sont prêts à partir vivre avec tonton Jérôme quand il rentrera chez lui, je crois.
Je lève les yeux au ciel, exaspéré, avant de hausser la voix et de crier aussi fort que je le peux.
— Mayday ! Mayday ! La bataille est terminée, le drapeau blanc est levé ! C’est l’heure de tout ranger ! Jérôme ! Sors de là où tu te caches ! Après l’effort, ce n’est pas le réconfort, mais il faut tout remettre en ordre !
— Déjà ? grommelle mon ami en sortant de la salle de jeux, une couverture sur la tête. Mais on s’amuse bien, nous !
— T’es censé les garder, pas faire le gamin comme eux, soupiré-je. Tu as vu dans quel état tu as mis la maison en même pas une heure de temps ?
— Oh, ça va, quel rabat-joie. Regarde leurs têtes, ils se sont éclatés, c’est le principal.
— Ouais, eh bien maintenant, il faut tout ranger. Maeva ne va pas tarder à rentrer et je ne veux pas qu’elle voie la maison comme ça ! Ça ne serait pas respectueux pour elle.
— Sérieux ? grince-t-il. Tu t’inquiètes de ce que pourrait penser le Dragon si votre maison n’est pas au carré ? Elle te tyrannise, c’est ça ? Pu…rée, Allan, arrête deux minutes, un peu de bazar, c’est pas la fin du monde.
— Mais non, elle ne me tyrannise pas, mais comment tu veux te reposer quand c’est le désordre comme ça ! Et franchement, si on ne montre pas l’exemple aux enfants, jamais ils n’apprendront à ranger !
— On n’avait pas fini de jouer, logique que tout ne soit pas clean, soupire-t-il en commençant à ramasser le bazar avant de s’arrêter en regardant sa montre. Merde, je vais être en retard au boulot ! Je… je te jure que je range ça en rentrant demain matin, mais le Chef va me démonter si je suis à la bourre. Désolé, mon pote, il faut que je file me changer !
— Tu ne vas pas me laisser tout ça à ranger tout seul, quand même ? m’indigné-je alors qu’il est déjà en train de monter les escaliers.
— Je te l’ai dit, je suis en retard ! crie-t-il avant que sa porte ne claque.
Non mais là, il abuse vraiment. Je comprends tout à coup pourquoi Maeva le trouve insupportable. Parce qu’il l’est ! Il se comporte ici en territoire conquis et, malgré mes dernières remontrances pour lui dire de faire profil bas, il n’en fait qu’à sa tête. Un grand ado, c’est ça qu’il est.
— Albane, Mika et Nora, venez ici ! J’ai besoin d’aide. Il faut ranger tout votre désordre. Allez, au boulot, sinon ce soir, ce sera sans chocolat ! Vous êtes prévenus !
Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée de les associer mais, après ce que j’ai dit à mon ami, il faut que je montre l’exemple. Avec les deux monstres, ça va sûrement me prendre encore plus de temps, mais c’est éducatif, non ?
— Et Jérôme, il range pas ? me demande Albane lorsque les petits commencent à se lancer les coussins en riant.
— Il doit aller travailler, soupiré-je, résigné. Mais bon, c’est moi qui le remplace. Mika et Nora, votre mission, c’est de ramasser toutes les petites voitures et les mettre dans le coffre, d’accord ? Toi et moi, Albane, on s’occupe de… tout le reste. Promis, je te revaudrai ça, ma Puce.
— Très bien, soupire-t-elle, mais la prochaine fois que Jérôme veut jouer, j’irai me planquer dans ma chambre. Il abuse…
— Clairement, il abuse, oui, mais tu sais, tous les adultes ne sont pas matures dans leurs têtes. Certains sont restés de grands enfants, et c’est aussi pour ça qu’on l’aime, Jérôme.
— C’est pour ça que Maman l’aime pas trop, elle, me lance-t-elle avec un sourire en coin.
— Oui, ta mère a déjà assez de ses enfants à elle, ris-je. Pas besoin d’un grand enfant qui ne range pas ses affaires en plus.
Nous passons une bonne demi-heure à tout ranger, aidés si on peut le dire par les jumeaux alors que Jérôme a pris discrètement la poudre d’escampette, et nous accueillons avec joie Maeva qui rentre du travail, l’air aussi fatigué que d’habitude.
— Ah, voilà la plus belle !
Je l’accueille en souriant et en la serrant contre moi pour l’embrasser.
— Quel accueil, sourit-elle en caressant ma joue barbue avant d’aller saluer les enfants. Tout va bien ?
— Papa et moi, on a dû tout ranger parce que Tonton Jérôme est un grand enfant qui ne sait pas nettoyer derrière lui, lui sort Albane, toute fière d’elle.
— Pourquoi il avait mis le bazar ? Ne me dites pas qu’il a préparé le dîner de ce soir ? Il doit cuisiner aussi mal que Tonton Maxence, demande-t-elle en se tournant vers moi.
— Non, il a joué avec les enfants pendant que je faisais les courses et il a laissé la pièce dans un état pas possible. J’aurais dû prendre une photo de l’avant et de l’après, tiens. Heureusement, Albane m’a bien aidé à tout ranger.
— Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne même pas venant de lui ? soupire Maeva. C’est déjà un miracle quand il ne laisse pas traîner ses poils de barbe dans le lavabo…
— Ne parlons donc plus de lui, ce soir, il bosse et nous, on peut profiter de la maison en famille !
— Je crois que ça peut se fêter avec une soirée pizzas, non ? Le pizzaïolo ambulant est sur la place en bas de la rue. Comme ça on ne mange pas trop tard, et les jumeaux semblent fatigués de leur journée, justifie-t-elle sa proposition avant de chuchoter à mon oreille. Et moi, j’ai envie qu’on profite d’avoir notre maison à nous pour profiter dans la pièce qui nous fera envie, ce soir…
— C’est parti pour les pizzas alors ! répliqué-je en la soulevant pour l’embrasser à pleine bouche. J’ai une faim de loup !
Je la repose alors qu’elle éclate de rire et me précipite pour aller chercher les pizzas et ne pas perdre un instant. Une fois qu’on aura bien profité, il sera bien temps de lui parler de mon idée de monter ma boite de sécurité, j’espère qu’elle approuvera, mais avant ça, je me demande quelle pièce va être le témoin de nos ébats que j’espère aussi sensuels que ceux d’hier !
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