47. Des histoires pas très vraies

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Maeva

Allan gare la voiture sur le bord de la route alors que les jumeaux viennent de se réveiller d’une petite sieste et chouinent pour se dégourdir les jambes. Il fait beau et terriblement chaud, aujourd’hui, et nous avons presque regretté de nous être enfoncés dans les terres bretonnes le temps d’un weekend. Heureusement, ici, sous le couvert des arbres de la forêt de Brocéliande que nous traversons en voiture après avoir profité du chemin pédestre dans la matinée, l’air est plus respirable.

Allan descend Mika de son côté alors que je m’occupe de Nora, et Albane retire ses écouteurs pour profiter du calme de la nature tandis que nous descendons une volée de marches qui nous amènent sur un petit sentier. Je souris en reconnaissant le vieil arbre couché près d’un coin de ruisseau où le soleil donne des reflets orangés à l’eau. Ces coins de balades sont moins touristiques que la partie vantée dans les guides, mais sans enfants, il y a de quoi partir pour la journée en randonnée et Allan et moi l’avons fait à plusieurs reprises, il y a bien longtemps maintenant. Lui qui adore parler de toutes ces histoires mystiques autant qu’il apprécie la nature, ces balades n’ont jamais été ennuyeuses, au contraire. Je crois que Mika sera un peu comme son père, puisqu’il n’arrête pas de parler d’Excalibur depuis que nous avons fait le tour du lac de Trémelin.

— On s’arrête là pour le goûter ?

— Oui, c’est parfait. C’est un endroit vraiment magique, n’est-ce pas ?

— On pourra mettre les pieds dans l’eau ? lui demande Nora en s’agrippant à sa jambe.

— Qu’est-ce qu’on mange ? Je peux avoir un gâteau ? geint Mika.

— Y a rien de magique, c’est une forêt, Papa, nous achève Albane.

— Wow, on se calme, les monstres, ris-je en jetant un œil à mon téléphone, qui vibre dans la poche de mon short.

Encore Gaëlle… Pour ne pas changer, puisqu’elle n’arrête pas depuis ce matin.

— Asseyez-vous. Votre père et moi, on est venus plusieurs fois ici, et à chaque fois, il passait son temps à me raconter des histoires sur cette forêt pendant qu’on se baladait. Tu as une histoire sous le coude, Chéri, pour divertir les monstres pendant le goûter ? souris-je en sortant les briques de jus et les petits gâteaux.

— Oui, bien sûr. Vous saviez qu’une fée s’était adressée à moi, ici ? C’est grâce à elle que votre maman est tombée amoureuse de moi et a accepté de m’épouser. Sinon, c’est le gros gnome vert qui aurait pu gagner, explique-t-il le plus sérieusement du monde, avec cette voix profonde et grave qu’il utilise lorsqu’il nous raconte des histoires.

Je souris en l’écoutant alors que mon regard vogue sur le visage de nos trois enfants. Evidemment, les jumeaux sont hyper attentifs et leurs bouilles expriment leur émotions selon les mots de leur père. D’ailleurs, ils grimacent en entendant parler du gnome. Albane joue l’ado désintéressée, mais j’ai repéré son sourire en coin. Autant que son regard plus franc lorsque je m’installe à côté d’Allan et me glisse sous son bras qui m’enserre alors qu’il pose ses lèvres sur ma tempe et reprend, toujours aussi sérieux.

— Alors, c’était à l’époque où j’essayais encore de séduire votre mère. Elle était magnifique dans sa jolie robe blanche de princesse et moi, j’étais déjà fou amoureux. Mais malheureusement, dès que j’essayais de me rapprocher d’elle, le méchant gnome vert surgissait entre nous. J’essayais de lui faire un bisou comme ça, continue-t-il avant de déposer ses lèvres sur les miennes, mais pas moyen de la toucher. A chaque fois, je me retrouvais à embrasser la peau visqueuse et pleine de boutons du gnome. Beurk ! fait-il en grimaçant.

Les jumeaux se joignent à lui en grimaçant également tout en émettant un “beurk” surjoué qui me fait rire et oublier que Gaëlle me harcèle encore. La vibration pourrait être agréable, mais elle a plutôt un goût amer. Elle a toujours des trucs de prévus les weekends où elle n’est pas d’astreinte et demande à ne pas être dérangée. Moi… peu importe ce que je demande, elle ne se gêne pas, ces derniers temps.

— Mon pauvre petit mari, soufflé-je. Heureusement que tu t’es bien rattrapé depuis.

— Sans la fée Morgane, je n’y serais jamais arrivé… Mais bon, je vais vous embêter avec toutes ces histoires, n’est-ce pas ?

— Tu ne vas même pas conclure ? souris-je.

— T’as utilisé l’épée d’Escabilure pour tuer le gnome, Papa ? lui demande Mika alors que nous nous retenons d’éclater de rire.

— Ah non, je ne suis pas Arthur, moi. Je te rappelle que je m’appelle Allan ! rigole-t-il en ébouriffant la tête de notre fils. Et donc, non, je n’ai pas utilisé d’épée magique. J’ai juste regardé tout autour de moi, pour trouver le moyen de me débarrasser de ce petit gnome vert si embêtant. Et là, juste entre les deux arbres là-bas, elle est apparue. La fée Morgane. Elle était très jolie, presque autant que votre Maman, et elle s’est approchée de moi en souriant. Et vous n’arriverez jamais à trouver ce qu’elle m’a dit !

— Que t’étais beau ? lui demande Nora.

— Mais non ! Elle lui a dit que Maman s’en fichait du gnome, hein Papa ? intervient Mika.

— Non, elle a dû te dire d’arrêter de rêvasser et de te bouger les fesses, se moque Albane.

— Peut-être qu’on devrait la laisser ici, la grande, non ? plaisanté-je. Elle devient un peu trop insolente à mon goût.

— Je sais pas ce que ça veut dire, insolente, mais je suis pas d’accord, moi, je veux qu’Albane revienne avec nous, boude Nora.

— Bon, elle a dit quoi, la fée, Papa ? s’impatiente notre petit garçon, la bouche pleine de son biscuit.

— Elle m’a demandé si j’étais vraiment amoureux et que si c’était le cas, elle pourrait m’aider. Je lui ai dit que votre maman était la femme de ma vie. Elle a alors prononcé quelque chose en celtique et un arc-en-ciel est sorti de ses yeux pour aller se loger juste entre les seins de votre mère. Et là, le gnome a littéralement explosé, ce qui explique tout ce vert autour de nous, et j’ai pu accéder enfin à mon Amour. J’ai posé un genou à terre et Morgane a mis une bague dans ma main. Et, vous savez quoi ? Votre mère a dit oui pour m’épouser ! Qui a dit que ce n’était pas magique, ici ?

— Albane ! crient les jumeaux en pointant leur soeur du doigt.

— Quelle famille, pouffé-je en attirant la bouche d’Allan contre la mienne.

— La meilleure des familles, non ? Moi, je te dis, c’est conteur que j’aurais dû faire, pas policier.

— Il y a bien des choses pour lesquelles tu es doué, mon petit mari, mais sérieusement, un gnome vert qui éclate pour créer la forêt ? gloussé-je. Un peu dégueu quand même…

— Oui, Papa, dégueu, renchérit Mika, tout content d’employer un gros mot.

— Tu n’as pas aimé mon histoire, Chérie ?

— Bien sûr que si, Amour. C’est une très belle histoire, souris-je avant de coller ma bouche contre son oreille pour poursuivre en chuchotant. Il manque quand même la partie où on rentre précipitamment à la chambre d’hôtes pour fêter ça tous les deux, nus et transpirants, jusqu’à épuisement.

— Si tu veux, tu peux leur raconter la suite, mais je ne suis pas sûr qu’ils comprennent tout ! rit-il avant de m’embrasser.

Oui, non, on va garder ça pour nous, ça vaut mieux. Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’il grimace contre mes lèvres et pousse un soupir en extirpant mon téléphone de la poche arrière de mon short. Evidemment, il vibre encore… et je crois que lui comme moi sommes à deux doigts de le balancer dans le ruisseau.

— Désolée… Je… Tu m’accordes quelques minutes ? Je vais la rappeler pour savoir ce qui semble si urgent que ça, et ensuite on convoquera Morgane pour qu’elle maudisse Gaëlle sur dix générations.

— Je m’occupe tout de suite de Morgane, maugrée-t-il en me laissant m’éloigner.

Je me rapproche de la route pour espérer avoir du réseau parce que, bizarrement, je peine à le trouver. Je me demande combien de fois Gaëlle a pu tomber directement sur messagerie, du coup, et à quel point elle peut me harceler.

— J’imagine que la boîte est en train de prendre feu, pour que tu m’appelles avec autant de frénésie ? lui lancé-je quand j’entends finalement sa voix.

— Tu étais où ? On a besoin de toi ! Pourquoi tu as un téléphone portable, si c’est pour ne pas répondre ?

— Je suis en weekend, pas d’astreinte, et j’aimerais profiter de ma famille sans avoir le cul qui vibre toutes les deux minutes, soupiré-je. C’est quoi, le problème ?

— Eh bien, tu n’as pas vu l’article sur la sortie du nouveau shampoing ? Le magazine qui l’a sorti dit que ce n’est pas vraiment écolo ! Tu te rends compte du scandale ? On fait quoi, là, maintenant ?

Mon cœur fait un triple axel dans ma poitrine et j’ai presque l’impression que mon estomac remonte dans ma gorge. Ça, c’est catastrophique. Oh, bon sang, mais pourquoi s’en prendre à nous comme ça ? Tout est hyper contrôlé, réglementé, détaillé, vérifié, revérifié. Impossible qu’une bourde ait été commise, nous sommes totalement control freak sur la provenance des ingrédients de nos produits.

— Une minute, grommelé-je en éloignant le téléphone de mon oreille.

Si appeler est une galère, naviguer sur le Net est catastrophique. Je monte les marches qui ramènent à la route pour essayer de trouver ce foutu article, que je prends le temps de lire même si c’est un ramassis de conneries. Du moins, je l’espère… parce que je vais tuer le responsable si ce n’est pas le cas, et pour le coup, la boîte qui nous fournit l’Aloé Véra est clairement incriminée. Pas le petit producteur, celui que nous réservons pour les crèmes visage et corps, mais une entreprise plus développée… Merde, pourquoi je n’ai pas géré ce contrat aussi ?

— Tu as bien tout vérifié avec l’entreprise, rassure-moi ? la questionné-je de manière bien plus froide que je l’envisageais.

— Oui, Yoann aussi s’en est occupé. Ils sont cleans. Je crois que c’est un concurrent qui a payé l’article, je ne vois pas d’autre possibilité.

Pourquoi est-ce que ça me rassure que Yoann ait lui aussi jeté son œil ? Si ma confiance en Gaëlle diminue, c’est mauvais pour les affaires qui sont déjà… bancales.

— Eh bien, il ne reste plus qu’à aller porter plainte pour diffamation, j’imagine. Je ne vois pas bien ce qu’on peut faire d’autre. Un démenti sur le site et les réseaux sociaux ? On pourrait aussi voir avec l’entreprise pour faire un reportage sur leur chaîne de production, qu’on diffuserait en ligne. Et je vais contacter mon ami journaliste pour lui demander de faire un sujet sur la marque… Fait chier, comme si on avait besoin de ça !

— Oui, c’est pour ça que je t’appelle ! On a besoin de toi, je te l’ai dit, non ? Quand est-ce que tu peux être là ?

— Heu… Lundi matin, comme c’était prévu à la base. Tu peux aller déposer plainte et… je vois avec Yoann pour qu’il se charge du démenti.

— Moi ? Déposer plainte ? Mais on fait comment ? J’ai jamais fait ça de ma vie…

— Yoann ne peut pas le faire pour la boîte étant donné que tu as voulu tout contrôler de son job et apposer ta signature pour valider. Alors, tu vas au poste, tu demandes à déposer plainte pour diffamation, et tu réponds aux questions du beau garçon en uniforme que tu auras en face de toi. Tu signes, et basta, que veux-tu que je te dise ? Il faut une première fois à tout…

— Je peux t’appeler si j’ai un souci ? Et il faudra qu’on revoie cette question d’astreinte, grogne ma partenaire à l’autre bout du fil.

— Non, tu ne peux pas m’appeler, je suis en weekend et je ne t’appelle pas quand c’est moi qui suis d’astreinte, bon sang ! Tu as déjà oublié que mon couple est sur la sellette ou il n’y a que ton petit confort qui t’intéresse ? Yoann n’avait rien de prévu, ce weekend, alors gère avec lui. J’ai trois enfants et un mari qui m’attendent, moi, m’agacé-je avant de souffler un coup. Désolée, Gaëlle, mais… cet article pourri va plomber nos ventes, alors plus vite on dément et mieux c’est.

— Je vais appeler Yoann, alors. Excuse-moi de t’avoir dérangée, me répond-elle froidement. Et amuse-toi bien avec ta petite famille pendant que je m’occupe seule de notre boîte, termine-t-elle toujours sur le même ton avant de raccrocher.

Il valait mieux qu’elle raccroche, pour le coup, parce qu’elle est parvenue à faire grimper mon taux d’énervement en quelques mots. Comme si je n’avais jamais dû gérer seule notre boîte, tiens !

Je redescends les marches pour rejoindre ma petite famille tout en envoyant un message à Yoann pour m’excuser de lui refourguer Gaëlle en colère, et pour lui dire de m’envoyer un message en cas de doute ou d’urgence. S’il risque de ne pas comprendre dans la seconde, je ne doute pas que quand Gaëlle lui demandera de rédiger le démenti, il saura à quoi je fais référence. En attendant, moi aussi, je vais aller tremper mes pieds dans le ruisseau tout en essayant de me calmer et de ne pas trop stresser quant aux conséquences d’un tel article sur notre nouveau produit phare… C’est la poisse, j’ai vraiment l’impression qu’on nous a jeté un mauvais sort parce que les galères s’accumulent. Morgane, un peu de poussière de chance, c’est possible ?

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