50. Les doutes du Petit Mari

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Allan

Installé entre les jumeaux, j’aide Mika à manger ses pâtes et observe du coin de l'œil Maeva faire de même avec Nora. Je me suis lancé un défi silencieux de garder mon tee-shirt propre plus longtemps qu’elle ne le fait pour son haut, mais ce n’est pas gagné. Je ne sais pas pourquoi ce samedi midi, j’ai choisi de faire des pâtes à la bolognaise, mais la lutte est réelle pour éviter de se retrouver couvert de sauce tomate. Albane semble perdue dans ses rêveries et je m’amuse à la titiller.

— Alors, tu penses à un garçon ou à un autre truc aussi agréable ?

— Quoi ? sursaute-t-elle. Heu… Et pourquoi un garçon, d’abord ? me demande-t-elle en rougissant, les sourcils froncés.

— Tu as le même sourire que ta mère quand elle pense à moi, souris-je. Je me trompe ou je suis dans le vrai ?

— Peut-être, mais ça pourrait être une fille, se renfrogne-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

— Et ce serait tout à fait normal, intervient Maeva qui la regarde avec intérêt. Ce ne sont pas nos affaires, mon Petit Mari, n’est-ce pas, Albane ?

— Je sais pas… Si vous comptiez me renier, je dirais que non, sinon… ça vous regarderait un peu quand même. Mais je suis pas attirée par les filles, hein ? C’est juste que j’ai lu un article là-dessus ce matin, et je me rends compte qu’il avait raison… On part du principe que les enfants sont forcément attirés par le sexe opposé, et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des homosexuels refoulés à l’âge adulte, ou des ados malheureux.

— Ouh la ! Ne te refoule pas ! Et ne sois pas malheureuse, tout va bien ! Il ne faudrait pas que je me retrouve avec les services de la DDASS sur le dos juste parce que je t’ai posé une question !

— T’es pas drôle, Papa, c’est un sujet très sérieux, tu sais ? J’ai une copine qui n’ose pas en parler à ses parents, tu te rends compte ? Moi, je pense que je pourrais vous en parler, si c’était le cas, mais… le regard des gens, c’est trop la merde, soupire-t-elle.

— Bien sûr que tu pourrais te confier à nous, lui souffle Maeva, mais sans les gros mots.

— Oh, désolée, répond-elle en se renfermant à nouveau sur elle-même.

Je n’en reviens pas de voir à quel point elle change et devient plus mature. Et les sujets sont vite passés de la dernière boîte de Légos à acheter à ce genre d’échanges bien plus complexes à aborder, même si je trouve que Maeva et moi nous en sortons plutôt pas mal.

— Et pour le regard des gens, seul compte celui des gens qui t’aiment. Et tu sais pourquoi ? Parce que, quoi qu’il arrive, ils continueront toujours à t’aimer.

— Papy aussi, tu crois ? Parce qu’il est un peu… étriqué du cerveau, sur certaines choses.

— On peut dire ça, oui, ris-je. Mais même étriqué, quand on aime, on ne juge pas, je suis sûr qu’il serait capable de le faire… mais en râlant, comme d’habitude !

Ma femme éclate de rire et s’asperge ce faisant de sauce tomate. J’ai gagné ! Je n’ai pas le temps de savourer ma victoire que son téléphone se met à sonner. Je soupire car ça doit forcément être le boulot. Un samedi midi, pour ne rien changer aux mauvaises habitudes.

— Weekend de Gaëlle, marmonne-t-elle en se levant et en s’éloignant déjà. Je reviens vite, désolée…

Qu’est-ce que je n’aime pas cette incapacité qu’elle a à ne pas savoir décrocher du travail. Ou plutôt, si je veux être exact, à toujours décrocher quand c’est le boulot. J’essaie de me débrouiller avec les jumeaux, mais c’est compliqué et ce qui devait arriver arriva ! Un coup de bras maladroit et la fourchette que je tenais tombe sur mon pantalon beige. On dirait une explosion de sang ! C’est pas ma journée.

Maeva revient quelques minutes plus tard et me dépose un baiser sur la joue avant de reprendre sa place.

— Elle voulait quoi ?

— Que je lui tienne la main comme à une enfant pour un problème de livraison… J’ai demandé à Yoann de gérer.

— Pourquoi elle ne démissionne pas ? Elle devrait retourner à un simple poste de salariée si être cheffe l’embête tant.

— Elle a participé à la création de la boîte, j’imagine que ce n’est pas évident de tourner la page.

Je me lève et débarrasse les assiettes des petits avant d’aller chercher les fruits pour le dessert. Ce qui est bien à cette saison, c’est qu’on ne manque pas de choix. Aujourd’hui, ce sera des prunes, miam ! Lorsque je reviens, Maeva est en train de pianoter sur son téléphone, un sourire aux lèvres.

— Qu’est-ce qui te met en joie comme ça ?

— La réactivité de Yoann. Bon sang, ça fait du bien de se sentir soutenue !

— Ah, bien, tant mieux, dis-je sobrement en me rasseyant.

— Je crois que l’embaucher a été l’une des meilleures décisions de ma vie, sourit-elle. Déjà en tant qu’assistant, mais là… je me rends compte que Gaëlle se la coulait douce, en fait…

— Une des meilleures ? Rien que ça ? Ce n’est pas le messie non plus, hein ? Juste un gars qui fait son boulot. Cela ne devrait rien avoir d’exceptionnel.

— S’il ne faisait que son boulot… Il en fait bien plus, je t’assure. Vu l’attitude de Gaëlle, sans lui, j’aurais coulé avec tout ce qui s’est passé ces derniers mois…

— Il a le chic pour te faire sourire, on dirait. Depuis quelque temps, tu ne parles plus que de lui. Yoann par ci, Yoann par là. J’ai des inquiétudes à me faire ?

Je fanfaronne un peu, je joue au gars qui n’a peur de rien et se moque gentiment, mais au fond de moi, je ne suis pas vraiment rassuré. Il est mignon, jeune et elle pourrait être charmée par lui, ça ne serait pas la première fois qu’une telle attirance brise un couple pourtant uni.

— Des inquiétudes ? Tu plaisantes ? me demande-t-elle en retrouvant son sérieux.

— Oui, oui, bien sûr, rétorqué-je en essayant de sourire naturellement. Enfin… tu as l’air de beaucoup te rapprocher de lui ces derniers temps.

— Je… N’importe quoi, marmonne-t-elle. Albane, et si vous alliez manger vos fruits sur la terrasse ? S’il te plaît, ma Puce…

— D’accord, Maman. Venez, les monstres. Maman a un truc à dire à Papa que vos petites oreilles pas si sensibles que ça ne peuvent pas entendre.

Je souris en les voyant tous les deux suivre leur grande sœur sans plus se préoccuper de nous et me tourne vers Maeva qui vient s’asseoir sur la chaise à côté de la mienne.

— Maligne, notre grande fille, n’est-ce pas ? Enfin, tu n’étais pas très subtile.

— Vu ce que tu me sors devant elle, j’imagine qu’elle a eu le temps de piger avant même que je lui demande ça. Sérieusement, Allan… Tu penses que je parlerais autant de Yoann si… enfin, si ton idée tordue était vraie ? Parce que personnellement, je n’ai pas souvenir d’avoir entendu un mot à propos de l’autre.

— L’Autre ? De quoi tu parles ? Tu essaies de détourner l’attention de Yoann parce que ça te dérange d’en parler ?

— Non, j’essaie de t’ouvrir les yeux, Allan, sur le fait que quand un homme ou une femme est attiré par un ou une autre personne que sa moitié, il n’en fait pas étalage. La preuve, tu ne m’as jamais parlé de Tiffaine, ou Tiffanie, ou je ne sais plus quoi.

Je la regarde et comprends enfin où elle veut en venir. C’est vrai que je ne lui ai pas parlé de Tiffany mais qu’elle me parle constamment de Yoann. Peut-être que je ne devrais pas être si jaloux, en fait. Ou alors, elle essaie de détourner mon attention ?

— Tu as raison, dis-je. Désolé, je me suis laissé emporter par une jalousie qui ne devrait pas exister. C’est juste qu’à t’entendre, c’est lui la huitième merveille du monde.

— Eh bien, je suis prête à lui décerner ce titre vu son travail, oui. Parce que sans lui, je crois que je vivrais actuellement au bureau plutôt que de rentrer à la maison. Il m’est d’une grande aide, alors oui, j’ai beaucoup d’estime pour lui, je le concède, mais je n’ai aucune hésitation à le quitter le soir pour venir te retrouver toi, sourit-elle en caressant ma joue barbue.

— Si tu le dis, grommelé-je, souhaitant mettre fin à cette discussion et éviter une dispute inutile.

Au lieu de me rassurer, ses propos m’inquiètent encore davantage. Et si tout le temps qu’elle passait au travail avec son ancien assistant, elle ne faisait pas que travailler ? Et si elle n’a pas encore cédé, pourquoi ne cèderait-elle pas bientôt ? Pourquoi je me mets à douter comme ça ?

— Je le dis et je l’affirme, Allan. Tu te fais des idées. Yoann est devenu un ami, mais regarde-le, il a dix ans de moins que moi, qu’est-ce que j’irais foutre avec un gamin ?

— Je ne sais pas, moi. Il en a peut-être une plus grosse ? Ou alors, tu nous fais la crise de la quarantaine ? Désolé, Chérie, je ne sais plus ce que je dis…

— Et donc, je fous nos années ensemble en l’air pour une plus grosse ? soupire-t-elle. Qu’est-ce que ça m’apporterait ? J’ai l’air d’être sexuellement insatisfaite ? Sérieusement, Allan, je… je ne sais pas comment te rassurer, là. Je te jure que je n’ai aucune vue sur Yoann.

— Je te crois, finis-je par dire après un long silence et même si le doute persiste en moi.

Je ne sais pas pourquoi tout à coup, je me suis mis dans cet état. Est-ce que mon cerveau a perçu un ton différent dans la voix de ma femme quand elle a parlé de son collègue ? Est-ce que je me fais des idées ? Comment savoir où est la réalité ? Et puis, outre le fait qu’il soit plus jeune et sûrement plus en forme que moi, lui a la possibilité de l’aider au quotidien alors que tout ce que je fais, c’est m’occuper des enfants. Tu parles que je n’ai aucune chance sur le long terme.

— Non, tu ne me crois pas, je peux le lire dans ton regard, soupire Maeva en s’asseyant sur mes genoux. Je t’aime, Allan. Je t’en conjure, arrête de te faire des films. J’ai bien d’autres choses à penser qu’aller voir ailleurs, en ce moment. Et le meilleur endroit au monde, pour moi, reste le même : le creux de tes bras.

— C’est vrai ? Vraiment vrai ? demandé-je avec plus d’espoir que je n’aurais voulu laisser transparaître.

— C’est quand même dingue que ce soit moi qui doive te rassurer alors que c’est toi qui en as galoché une autre, marmonne-t-elle en se lovant contre moi. Il s’agit juste d’une bonne entente professionnelle et amicale, monsieur l’agent.

— Très bien, Madame la Cheffe d’entreprise. Je n’irai pas voir le Juge, je crois que l’on va régler ça à l’amiable. Enfin, si vous en êtes d’accord, souris-je en la serrant fort contre moi.

— Si l’accord à l’amiable est signé sous les draps, ça me convient.

— Il faut attendre qu’on soit sous les draps ? Je ne sais pas si je vais pouvoir être si patient. Mais bon, pas sûr que les fruits durent encore bien longtemps, souris-je avant de déposer mes lèvres dans son cou.

— Tu m’as fait trois gosses, faut assumer, Amour. Mais si tu nous trouves un créneau, je dis oui, chuchote-t-elle alors qu’un frisson la parcourt.

— On va trouver, confirmé-je alors qu’elle s’amuse à se frotter contre mon érection.

Malheureusement pour nous, les deux monstres reviennent en courant, suivis d’Albane dont le sourire satisfait me réchauffe le cœur. Clairement, elle est contente de son stratagème, et rien que pour ça, je ne suis pas trop frustré quand Maeva se relève. Ma femme ne perd rien pour attendre. Et dès que possible, je vais lui montrer que personne ne sait la combler comme je peux le faire. Pas même un petit jeune qui est une merveille du monde !

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