51. Se ressourcer sur le terrain
Maeva
Je pose mes lèvres sur la joue d’Allan avec délicatesse et souris quand son bras s’enroule autour de ma taille pour me ramener au lit. Il est tôt, mon cerveau s’est éveillé bien avant l’heure où mon téléphone sonne le début de ma journée et, ne parvenant pas à me rendormir, je me suis dit qu’il valait mieux que je parte bosser afin de rentrer plus tôt ce soir.
Allan caresse ma mâchoire de son nez comme s’il profitait d’un doudou, et ça me fait rire, me rappelant comment Albane utilisait son propre doudou pour s’endormir de la sorte.
— Il est tôt, rendors-toi, Beau Gosse, chuchoté-je. Je vais rentrer moins tard ce soir en partant bosser maintenant.
— Il est tôt, ne pars pas, Jolie Femme, murmure-t-il en réponse. Et je vais te faire oublier cette envie de partir.
Je souris et l’embrasse tendrement tandis que ses mains se promènent sur mon corps, cherchant à passer la barrière de mes vêtements pour entrer en contact avec ma peau.
— Pas ce matin, Amour. J’ai promis à ta fille de rentrer tôt pour un petit moment entre filles. Et tu n’as pas d’envie de partir à me faire oublier, si ça ne tenait qu’à moi, je resterais là.
— D’accord, je comprends, soupire-t-il en se redressant. J’ai quand même le droit à un baiser avant que tu ne m’abandonnes avec les monstres ?
— Bien sûr ! Et je te propose même un rencard, vendredi soir. Tes parents à la maison pour garder les petits, et toi et moi… Un restau, un ciné, un bowling, ce que tu veux, mais un truc rien que tous les deux.
Une improvisation – je n’y avais pas du tout songé en amont – qui me fait vraiment envie. Allan et moi nous sommes trop longtemps oubliés en tant que couple, ces dernières années. Il en a envie et moi aussi.
— Est-ce que ça vous va, mon beau petit mari ? continué-je en déposant de petits bisous sur son visage.
— Parfait, Chérie. Vendredi soir, on va faire la fête !
— Ça fait longtemps qu’on n’a pas fait de cochonneries dans une voiture, susurré-je à son oreille avant de rire. J’ai très envie de te voir galérer à bouger ta grande carcasse dans l’habitacle pour trouver une position idéale.
— Tout ce que tu veux, j’espère que les suspensions résisteront à nos folies, rigole-t-il, déjà bien excité à voir son érection.
— J’ai hâte de vérifier ça avec toi. Allez, je file, mon Coeur. Bonne journée.
Il me répond par un tendre baiser qui me fait presque hésiter à le quitter mais je parviens à me libérer de son étreinte pour me rendre au travail. Je déteste partir quand la maison est encore endormie, et je vais embrasser les enfants avant de prendre ma voiture pour me rendre au bureau. Je passe du dernier album de Kyo, dont j’étais fan à l’adolescence, au silence du bâtiment. Il n’y a personne avant huit heures du matin et je me retrouve dans la salle de repos à faire couler la cafetière. A la maison, Allan rêve du silence une fois les enfants couchés, ou d’une activité où ils ne crieraient pas, ne se chamailleraient pas. Moi, j’adore rentrer et entendre la vie dans notre chez-nous, les rires de nos enfants, celui de mon mari… J’aime observer leur complicité, même si elle me rend parfois jalouse. Le silence ici, quand j’arrive si tôt, me rappelle que je serais bien mieux chez moi, même si certains petits déjeuners sont catastrophiques, même si Albane est capable de parler féminisme ou religions dès qu’elle arrive à la cuisine. Même s’il arrive qu’Allan tire une tronche de trois pieds de long parce que nous nous sommes disputés.
Mes pensées me tirent une grimace, ce matin, et me donnent envie de reprendre ma voiture pour rentrer. Evidemment, je file à mon bureau et traite quelques mails plutôt que de céder à mon envie. Je relis aussi le dossier que Yoann et moi avons bouclé pour la banque pendant les vacances de Gaëlle, mais le silence reste pesant et, paradoxalement à ce qu’il représente, plutôt assourdissant.
Je finis par consulter mon planning de la journée et constate que ma matinée est libre. Mue par un besoin de bouger, de voir autre chose et surtout de briser ce silence, je récupère mes affaires et retourne au parking en envoyant un mail à mes associés pour les prévenir de mon absence au bureau ce matin. Saint-Malo serait le plus simple, mais j’ai trop besoin d’air, ou plutôt de m’éloigner d’ici, et je me rabats sur Caen. Quasiment deux heures de route, de quoi saigner l’album de Kyo comme une ado, chanter tranquillement à tue-tête sans aucun témoin, et me vider un peu la cervelle.
Il est dix heures lorsque je me gare dans la rue Saint-Jean, à quelques dizaines de mètres du troisième magasin que Gaëlle et moi avons ouvert. Ce n’est pas le mieux situé de notre chaîne, mais il bénéficie de clientes fidèles depuis des années, et l’accessibilité des produits bios attire les étudiantes également, ce qui nous garantit un chiffre d’affaires plus que correct chaque année.
Ça fait une éternité que je ne suis pas venue ici, et je ne reconnais pas toutes les vendeuses. Nous avons également lancé ici une politique de réinsertion en partenariat avec une association, et Pauline, la gérante d’une quarantaine d’années, mène la barque avec brio.
J’observe l’agencement de la boutique et ne suis pas surprise de la voir débarquer rapidement, un sourire avenant aux lèvres. Quand Gaëlle et moi l’avons embauchée, Pauline sortait d’une longue période de chômage après un congé maternité, et elle n’arrivait pas à retrouver du travail dans son domaine de prédilection. Sans diplôme qui correspondait à nos attentes, elle a malgré tout réussi à nous convaincre de lui confier la boutique, et nous n’avons jamais regretté ce choix.
— Je vois que vous êtes toujours aussi à cheval sur le rayonnage, Pauline, souris-je en serrant la main qu’elle me tend.
— Quelle surprise de vous voir ici, Maeva ! Et quel plaisir ! Vous êtes venue faire une inspection ? me demande-elle en souriant.
— Oh, non, pas spécialement. Disons plutôt que j’ai eu une envie, ce matin, et que je me suis dit “pourquoi pas ?”. Comment vont les enfants ?
— Ils vont bien même si ce n’est pas toujours facile tous les jours. Et les vôtres ? Toujours aussi en forme ?
— J’ai l’impression que c’est de pire en pire, m’esclaffé-je. Mais les jumeaux entrent à l’école en septembre, ça va permettre à mon mari de reprendre du poil de la bête, le pauvre. Entre les tornades et l’aînée qui entre dans l’adolescence, il a un planning aussi chargé que moi, je crois. Bon, je ne me plains pas, ce sont des amours malgré tout.
— Vous voulez faire un tour du magasin ? Il n’y aura pas de surprise, on respecte les consignes, mais ça vous intéressera sûrement de voir ce que ça donne en vrai et pas seulement sur les livrets qui sont réalisés au siège.
— Avec plaisir. Je vous suis.
Pauline ne ment pas. Effectivement, tout est respecté à la lettre et ça ne m’étonne même pas. Vu sa façon de gérer les choses, j’envisageais sérieusement de faire les travaux nécessaires ici pour que le magasin devienne l’un de nos centres de soins, mais l’architecture ne le permet malheureusement pas.
Sans prendre le melon, j’adore me promener dans nos magasins. Nous avons évidemment opté pour une décoration naturelle et plutôt zen, des couleurs sobres et chaleureuses. Mon petit plaisir de l’année, c’est de découvrir les magasins décorés pour la période de Noël sur les photos et vidéos qu’on nous envoie au siège. Il m’arrive aussi de filer à la boutique de Saint-Malo pour donner un coup de main à l’installation et la décoration du sapin. L’atmosphère se transforme et les lieux brillent de partout. Le petit plus, c’est que nous donnons un thème couleur chaque année et que les boutiques ont carte blanche sur un budget défini pour compléter leur stock de déco. Je sens que cette année sera basée sur le thème de l’économie de budget, mais je ne doute pas que nos magasins seront superbes. C’est l’esprit de Noël, après tout.
Oui, bon, penser à Noël en août est clairement le signe que j’ai le moral en berne, ce matin. Surtout que penser à ça me donne grandement envie de partager ce moment de déco à la maison avec les enfants. Et avec Allan. Oh oui, je dois être une fétichiste des fêtes de Noël, j’adore faire l’amour près du sapin. La magie des fêtes… Moral à zéro, mais libido au top niveau, voilà mon état d’esprit, à présent.
— Tout est parfait, Pauline, comme d’habitude. Pourriez-vous vous dédoubler pour être dans plusieurs magasins à la fois ? plaisanté-je alors qu’elle me sert un café.
— Je ne fais que suivre les consignes, vous nous accompagnez bien. Et pour ce qui est des autres magasins, je pense qu’il n’y a aucun souci, si ? On fait quand même pas mal de profits, ces derniers temps.
Mon ventre se tord et je fais de mon mieux pour garder mon sourire en allant m’accouder à la balustrade qui donne sur le rez-de-chaussée.
— Nous avons engagé pas mal de travaux pour modifier certains magasins, les profits sont vite réinjectés ailleurs.
— C’est bien de préparer l’avenir. Moi, je ne suis pas inquiète, je sais que tout est bien géré.
J’aimerais en être aussi certaine qu’elle, mais j’apprécie sa confiance. Reste encore à la mériter.
Je passe le reste de la matinée à discuter avec elle, échangeant sur les modifications que nous comptons faire pour la période de Noël, les coffrets plus nombreux par tranche de budget, les dates plus précoces que d’ordinaire. Pauline se montre enthousiaste et ne tarît pas d’éloges quant à nos idées et aux propositions que nous ferons dans la semaine à toutes les équipes. J’oublie souvent à quel point venir dans nos magasins, rencontrer gérants et clients, m’imprégner des lieux, me rappelle à quel point j’ai adoré créer nos premiers produits, puis bosser avec des professionnels pour élaborer les premières gammes, et participer à toutes les étapes de créations. Oui, une visite en magasin me rappelle que j’adore ce job, que je suis fière de ce que j’ai accompli jusqu’ici, et qu’il faut que je me batte pour que la boîte se maintienne à flots. Maintenant qu’Allan comprend mieux mes absences et que Yoann est un vrai associé à temps plein, je devrais pouvoir équilibrer boulot et perso sans sacrifier l’un ou l’autre.
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