53. Un réveil presque lubrique
Maeva
Un rai de lumière perce la noirceur de la chambre et je niche davantage mon nez dans le cou d’Allan pour éviter de finir aveuglée. Je soupire en me resserrant contre lui, encore à demi-ensommeillée, et frissonne quand l’air frais du couloir vient caresser la peau nue de mon dos.
Je devrais me redresser, voir lequel de nos enfants a un problème pour venir au beau milieu de la nuit, mais mon esprit embrumé veut retrouver mon rêve, profiter de ces quelques heures de sommeil bien méritées. Et puis Allan resserre sa prise sur ma taille et sa chaleur contraste agréablement avec le courant d’air.
Malgré ma position et mes yeux fermés, j’entrevois le rai de lumière s’élargir. Autant dire que la nuit est définitivement interrompue, que je le veuille ou non. Je me tourne vers ma table de nuit, tâtonne pour trouver le drap qui a glissé je ne sais où et soupire en allumant ma lampe de chevet pour voir où il se trouve. Je fais un bond et pousse un petit cri ridicule sous l’effet de la surprise en découvrant que l’intrus n’est pas l’un de nos enfants, mais le squatteur de la maison. Le drap étant tombé au pied du lit, je récupère à la hâte mon oreiller pour cacher ce qui doit l’être et le fusille du regard tandis que mon mari me tourne le dos en soupirant, toujours dans les bras de Morphée. Eh bien… je pourrais me faire égorger sans qu’il se réveille, c’est rassurant.
— Qu’est-ce que tu fous là ? chuchoté-je avec autant de véhémence que je le peux.
— Je dirais bien que je suis venu apprécier le spectacle, murmure-t-il sans me lâcher des yeux. Ou peut-être que j’attends d’être invité à un plan à trois pour pouvoir à nouveau apercevoir ton joli corps. Tu es vraiment bandante, c’est fou…
Même si je ne suis pas bien réveillée, je ne peux manquer son regard lubrique et l’érection qu’il ne prend même pas la peine de cacher dans son jogging.
— Non mais t’es un grand malade ! Ça ne te gène pas de me reluquer comme ça alors que ton meilleur ami dort à côté ? Et d’avoir ces propos dégueulasses ? Putain de taré ! grogné-je. Sors d’ici !
— J’ai besoin d’Allan, répond-il sans cesser de me mater. C’est pour ça que je suis là.
L’intéressé se tourne enfin et commence à émerger en papillonnant des yeux. Il est toujours dans les limbes de son sommeil et ne se rend pas compte à quel point la situation est dérangeante pour moi.
— On est au beau milieu de la nuit. A moins que la maison prenne feu, je pense que ça peut attendre demain, marmonné-je en éteignant la lumière. Tire-toi de là et ne remets jamais les pieds dans notre chambre.
— Tu veux quoi ? m'interrompt Allan en s’adressant à son ami alors que la lumière se rallume. La maison brûle vraiment ?
— Mais non, je voulais voir si toutes les merveilles que tu dis sur ta femme étaient vraies, bien sûr, rétorque l’intrus avant d’éclater de rire.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? l’interroge mon mari qui se redresse enfin et me jette un regard perdu. C’est quoi cette histoire ?
Il n’a vraiment aucune gêne. Et le pire, dans tout ça, c’est qu’il va dire qu’il plaisante avec son rire gras, et pouf, Allan va faire comme si de rien n’était. On pardonne tout à Jérôme, il rigole après tout.
— A ton avis ? Ton foutu pote se rince l'œil comme si tu n’existais pas, grommelé-je. Enfin, il dit qu’il a besoin de toi comme excuse, histoire d’avoir une bonne raison de se retrouver dans notre chambre en pleine nuit. Je t’en prie, vire-le de là avant que je lui coupe les roubignoles, j’en ai ma claque de ce type.
— J’ai vraiment besoin d’Allan.
— Je te jure que si tu es venu mater, ça va mal se passer, grogne Allan. Tu as besoin de quoi à cette heure-ci ?
— Tu ne peux pas reprocher à mes yeux d’avoir été attirés par une femme nue l’espace de quelques secondes, mon pote, rit Jérôme. J’ai peut-être une piste sur l’enquête, j’ai besoin de toi pour avancer dessus. Ça m’obnubile, je n’arrive pas à dormir, il faut… Enfin, tu vois, quoi.
— Une piste ? En plein milieu de la nuit ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Et puis, tu vois bien que tu déranges, là. Tes yeux, tu les ranges, s’il te plait. Ce n’est pas n’importe quelle femme, c’est MA femme, insiste mon mari qui tourne la tête de droite à gauche pour nous regarder chacun notre tour et essayer de se faire une opinion sur l’attitude qu’il doit adopter.
— Une piste, oui. Je crois que j’ai trouvé un moyen de remonter jusqu’aux voleurs, mais je sèche. Déconne pas, tu sais bien que je ne serais pas venu te réveiller en pleine nuit sans raison, Allan. Et je n’ai pas touché à ta femme, j’y peux rien si elle s’est trouvée à poil dans mon champ de vision, elle se fait des films.
— Ben voyons ! C’est ma faute, évidemment, soupiré-je tandis qu’Allan rabat le drap sur nous.
— Bon, arrête de nous reluquer, ça me met mal à l’aise. Et donne-moi cinq minutes, je te rejoins en bas. Si je peux t’aider à arrêter ces racailles, je ne vais pas laisser passer l’occasion.
L’info met un petit temps à se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau, je me détends même quelques secondes lorsque Jérôme referme enfin la porte derrière lui.
— Attends, tu vas vraiment y aller, maintenant ?
— Oui, il a besoin de moi, c’est normal, non ? Enfin, quand je dis maintenant, ça peut attendre quelques minutes, ajoute-t-il en tirant le drap pour me lancer le même type de regard que son pote quelques instants plus tôt.
— Bien sûr, vas-y, baise-moi avant d’aller le retrouver, tant que tu y es. T’as pas l’impression d’abuser, non ?
— Ben qu’est-ce que tu as, Chérie ? me demande-t-il, tout penaud. Tu es juste superbe, ce n’est pas si étrange que ça d’avoir envie de toi, si ?
— Ce que j’ai ? Ton pote me reluque comme un morceau de viande et tu ne fais pas mieux en me proposant une partie de jambes en l’air avant de me laisser finir ma nuit sans toi. Manque plus que le billet sur la table de chevet en partant, tiens, marmonné-je en me réinstallant de sorte à lui tourner le dos.
Il vient se coller derrière moi et je sens ses mains qui me caressent doucement le dos. Je sens aussi son érection contre mes fesses et je m’avance un peu pour rompre ce contact que je trouve particulièrement gênant, vu les circonstances.
— Mais Chérie, c’est plutôt flatteur, non ? Je… Ce n’est pas du tout ça. Je vais juste aller voir ce qu’il a en tête et l’aider à mettre de l’ordre dans ses idées. Comme je le faisais avant, c’est tout.
— Eh bien, ne compte pas sur moi pour te soulager si tu descends aider ton pote après. T’as qu’à aller t’occuper de toi tout seul sous la douche.
— Tu sur-réagis, là, Maeva. Je ne te reconnais pas… Je vais te laisser tranquille puisque tu ne veux pas, mais c’est normal que j’aille lui donner un coup de main, non ? Cela ne va pas prendre longtemps, promis. Et si tu es réveillée à mon retour et que tu as changé d’avis, tu sais que je me ferai un plaisir de reprendre ce que l’on a si bien commencé hier soir.
— Je sur-réagis ? Ben voyons… Comme à chaque fois qu’il s’agit de Jérôme, c’est ça ? Après tout, autant que je me laisse complimenter par lui, puisqu’apparemment je suis bandante et que ça ne te dérange pas qu’il agisse comme un pervers avec moi. Pour le reste, fais ce que tu veux, je m’en fous. Ou non, je ne m’en fous pas, mais c’est ton choix. Et ne compte pas sur moi pour ouvrir les cuisses quand tu reviendras te coucher.
— Il n’est pas pervers, voyons, mais je le comprends, difficile de résister à cette vision magnifique.
Ses mains se posent sur mon dos et me caressent doucement. Elles sont bientôt rejointes par sa bouche qui me fait des petits baisers sur la peau tendre de mes épaules.
— Promis, je fais au plus vite et je te rejoins juste après. J’espère que même si tu ne m’ouvres pas tes cuisses, comme tu dis, tu me laisseras te faire un câlin ?
— Si tu me réveilles, je jure que je m’occupe de ton service trois pièces, et ça n’aura rien d’agréable, Allan. Et tu peux arrêter les papouilles, ça ne me fait aucun effet quand je suis en colère.
C’est à moitié faux, mais il n’a pas besoin de le savoir. Disons que ça aurait adouci ma colère s’il ne m’avait pas proposé de tirer un coup avant de m’abandonner dans notre lit. Ou s’il ne défendait pas son pote, encore une fois. Non, en fait, pas sûre que ça aurait marché non plus, pas cette nuit.
— Je ferai attention, se résigne-t-il en s’éloignant enfin. Excuse-moi, Chérie, je n’aime pas te savoir fâchée. Je reviens vite.
OK, là ma colère pourrait dégonfler comme un ballon de baudruche. Sauf que j’en ai marre de Jérôme, de son comportement envers moi, et plus qu’assez qu’Allan se voile la face à son sujet. Sans parler de ce réveil nocturne. Sérieusement, ça fait des mois que cet abruti pêche sur son enquête, je doute que douze heures de plus changent quoi que ce soit. Mais il sera bien content de savoir que nous nous sommes disputés grâce à sa petite intervention, je n’en doute pas.
— Alors arrête de le défendre sans cesse, ça m’évitera d’être en colère. Et rappelle-lui que notre chambre n’est pas un moulin, aussi. Je ne veux plus jamais me réveiller en ayant son regard lubrique et dégueulasse posé sur moi, grimacé-je en me recroquevillant sous le drap.
— Je vais lui dire, il ne le fera plus. Je t’aime, mon Amour.
J’ai bien envie de lui dire qu’il a parfois une drôle de façon de le montrer, mais je garde ma verve pour moi. Mieux vaut que je me rendorme. Et que je parte tôt au travail demain matin. Oui, avant de croiser Dupont et Dupond, histoire que ma colère ne grimpe pas à nouveau en flèche.
— Moi aussi. Bonne nuit, soupiré-je en bougeant dans le lit pour aller éteindre sa lampe alors qu’il n’est même pas encore sorti.
Je l’entends soupirer à son tour et la lumière du couloir illumine un instant la chambre avant que le noir remplisse à nouveau l’espace. Je jure que je vais mettre Jérôme à la porte rapidement, je n’en peux plus. En ce moment, si ce n’est pas mon boulot qui nous fait nous chamailler, c’est lui, alors à défaut de pouvoir changer de job, j’espère au moins pouvoir me débarrasser de ce coloc dont je n’ai pas voulu, puisque mon mari est incapable d’ouvrir les yeux à son sujet.
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