54. L’invité surprise
Allan
Enfin quelques minutes de repos ! Je m’assois dans le transat, mes lunettes de soleil sur le nez et observe les jumeaux qui sont sortis de la piscine et jouent tranquillement sur la terrasse. Je crois que j’ai réussi à les fatiguer en les faisant nager encore et encore dans l’eau chaude. Là, ils ont pris des cahiers sur lesquels ils dessinent en parlant entre eux. De là où je suis, je n’entends pas ce qu’ils se disent mais c’est clair qu’ils se racontent des histoires que seuls eux peuvent comprendre. J’envie leur complicité et j’espère qu’ils la garderont en grandissant.
Je m’allonge sous le parasol en espérant que malgré ma peau claire, je n’ai pas pris de coup de soleil. Je ferme les yeux un instant et repense à tout ce que m’a dit Jérôme hier soir. Maeva est partie fâchée ce matin, mais grâce à ces nouveaux éléments, nous sommes à deux doigts d’arrêter le gars qui fait tous les cambriolages. Oui, je pense à ce “nous” qui me fait à la fois envie et qui me fait peur. J’ai besoin de cette action, de cette excitation et cette adrénaline qui nous prend quand on cherche à élucider une affaire. Mais j’ai aussi ma belle petite famille dont je veux m’occuper… Et impossible de concilier les deux, surtout avec Maeva qui travaille comme deux.
C’est le bruit de la porte d’entrée qui s’ouvre qui me tire de ma rêverie et je me redresse pour accueillir Albane que la mère de sa copine vient de déposer près de notre maison. Je jette un œil aux enfants et me dirige vers le salon où ma fille aînée s’affale sur le canapé.
— Eh bien, tu as fait des folies toute la nuit avec ta copine ? Je n’ai même pas le droit à un bisou ?
— Même pas, j’ai dormi plus de onze heures… Je crois que je suis malade, Papa, j’ai trop mal au crâne et j’ai plus de forces, je te jure.
Je hausse les sourcils et je l’observe avec plus d’attention. Elle est en effet toute pâle et une quinte de toux lui arrache presque les poumons.
— Tu as de la fièvre ? lui demandé-je en posant ma main sur son front mais sans parvenir à savoir si elle est chaude ou pas.
— J’en sais rien… Je crois que je vais aller me recoucher, je me sens pas très bien.
— A ce point-là ? m’inquiété-je immédiatement. Mais… tu ne vas pas dîner avec nous ? Tu n’as pas faim ? Est-ce que tu as attrapé quelque chose chez ta copine ? Elle était malade aussi ?
— Elle était un peu fatiguée et enrhumée, mais rien de fou. Je… Franchement, j’ai pas faim, Papa, et j’ai juste envie de dormir, me répond-elle alors qu’elle se lève en grimaçant.
Je la regarde se diriger vers l’escalier en me demandant ce qu’elle a. Se traîner plutôt, on a l’impression qu’elle n’a plus aucune énergie. Tout de suite, je pense à la recrudescence de cas de COVID dans le coin. Jusqu’à maintenant, on y a échappé, mais rien ne garantit que ça va continuer.
— Coucou Chérie. Tu peux acheter des tests COVID en rentrant ? Albane n’est pas en forme et je crois qu’il faudrait la tester. Si tu peux, ne rentre pas trop tard. Je t’aime.
Je lui envoie le SMS, m’assure que les deux petits sont toujours tranquilles et file à l’étage où je découvre Albane déjà au lit, les yeux fiévreux, sous la couette. Je ferme ses volets et récupère le thermomètre dans la salle de bain. Elle a un peu de température, mais rien de grave. Je soupire et file retourner auprès de Mika et Nora que je dois surveiller.
— Je passe à la pharmacie et j’arrive. Est-ce qu’on a ce qu’il faut dans le placard pour les maux de tête et la toux ? Si c’est le COVID, ça va être sympa à la maison…
— Tu peux racheter du Doliprane. Pour le reste, ça devrait aller. On va gérer.
Je suis content de voir qu’elle rentre rapidement. Une idée fugace me traverse l’esprit et je me dis que je devrais lui dire plus souvent qu’un des enfants est malade si ça la fait rentrer tôt, mais je me donne mentalement une tape sur la main car ce n’est pas bien de penser comme ça.
Lorsqu’enfin Maeva arrive, je me précipite vers elle. Elle a l’air soucieuse.
— Bonsoir, Chérie. Tu as les tests ? Tu veux que je lui fasse ou tu t’en occupes ?
— Salut, souffle-t-elle en m’embrassant sur la joue. Je vais monter la voir et en profiter pour lui faire. A moins que tu veuilles gérer ?
— Non, ça va, mettre des trucs dans le nez des enfants, je peux m’en passer.
— Comme tu veux. J’y vais alors, direction le nid aux microbes. Les petits vont bien, eux ?
— Ça a l’air, oui, même si leur calme ce soir ne présage rien de bon.
— Et toi ? En forme ? me demande-t-elle en fouillant dans le sac de la pharmacie.
— Je ne me sens pas malade, soupiré-je. Mais avec cette cochonnerie, on ne sait jamais.
— Oui, y a plus qu’à. Si ça se trouve ce n’est pas ça, après tout… J’y vais, à tout de suite.
Je l’observe monter les escaliers et m’occupe de préparer le diner des jumeaux. Lorsqu’elle redescend quelques minutes plus tard, je pense que je connais déjà la réponse à ma question en voyant son air contrarié.
— C’est positif, c’est ça ?
— Bingo… Dire qu’on a réussi à l’éviter jusqu’à présent, soupire-t-elle en s’asseyant sur l’un des tabourets du bar.
— Tu crois qu’on fait les tests aussi aujourd’hui ? Et il va falloir les faire aux petits monstres aussi, me lamenté-je en imaginant déjà la galère que ça va représenter de leur mettre ces cotons-tiges dans le nez.
— On va peut-être attendre demain matin pour les petits ? Ça va être un cauchemar s’ils sont fatigués… Je vais décaler mon rendez-vous de demain matin et rester à la maison, on pourra gérer à deux… Quant à nous, j’en sais rien, peu m’importe, de toute façon, je ne vais pas aller bosser sans me tester.
— On se fait une petite session de récurage de nez demain au réveil ? En attendant, je vais peut-être m’isoler avec Albane. Pour la surveiller au cas où… Enfin, tu vas te moquer parce que c’est bête et qu’à son âge, elle ne risque pas grand-chose, mais ça me rassurerait de ne pas être trop loin d’elle. Et puis, elle dort, ça ne devrait pas trop la déranger.
— Pas de souci, je préfère autant. Je déteste quand les enfants sont malades… On dîne et je gère les petits. Préviens Jérôme aussi, histoire qu’il fasse gaffe au boulot.
— Ouais, je vais lui dire, mais tu le connais. Il ne croit pas au virus… et pas au masque non plus.
— Manquerait plus que ça vienne de lui, tiens, marmonne-t-elle en servant la table. Ça ne m’étonnerait qu’à moitié, d’ailleurs.
— Tu es toujours en colère contre lui ? Il est ce qu’il est, mais ce n’est pas un mauvais bougre, tu sais ?
— Je ne discuterai plus de lui avec toi, ça ne sert à rien puisque tu pardonnes tout dès qu’il s’agit de Jérôme. Yoann aurait dit un quart de ce que ton pote “qui n’est pas un mauvais bougre” me dit, tu aurais déjà pété un câble. Bref, je vais te sortir le matelas gonflable et des draps, et me changer avant de manger.
— Je peux m’occuper du matelas, tu sais ?
Je préfère ne pas noter son mécontentement contre mon ami. Je sais qu’elle a raison sur pas mal de choses, mais c’est mon pote et je suis loyal en amitié comme en amour, même si c’est parfois difficile de concilier les deux.
— Comme tu veux, mais je monte me changer, alors autant faire d’une pierre deux coups, non ? A moins que te rendre service pose problème.
C’est fou comme à chaque fois que nous essayons tous les deux d’être gentils et prévenants pour l’autre, on finit par se disputer. Il vient d'où, ce problème ? Pas que de Jérôme, je pense.
— Non, du tout, tu as déjà passé la journée à travailler, si tu es fatiguée, c’est normal que tu te reposes un peu, c’est tout.
— Je ne vais pas m’épuiser en récupérant un matelas et en sortant des draps, ça devrait aller. Je me dépêche, soupire-t-elle en s’éloignant.
Nous faisons manger Mika et Nora en n’échangeant que peu de paroles, un peu comme si la maladie qui s’était infiltrée chez nous nous avait ôté toute envie de rire. Ce n’est pourtant pas très grave, Albane est vaccinée et ne devrait rien avoir de terrible, mais l’inquiétude nous ronge tous les deux. Avant de monter la rejoindre, je m’approche de Maeva qui fait la vaisselle et l’enlace en me positionnant derrière elle.
— Je t’aime, Chérie. J’espère que tu ne vas pas rester fâchée trop longtemps parce que ça me manque de t’entendre rire.
— Je ne suis pas en colère, je… j’en ai juste marre de voir Jérôme à la maison tous les jours ou presque, et qu’il se permette ce qu’il fait, me répond-elle en s’appuyant contre mon torse. Et j’espère que les jumeaux ne vont pas choper le COVID, parce que ça va être une vraie galère.
— Tu sais bien que si sa sœur n’avait pas eu son souci de santé, il serait déjà parti. Il va bientôt nous laisser et on pourra se retrouver entre nous. En attendant, ne nous disputons pas, nous avons d’autres problèmes à gérer. Je t’appelle pendant la nuit s’il y a un souci, mais bon, je crois que ça va aller, il n’y a pas de raison.
— N’hésite pas, si besoin. Et monte-lui des trucs à grignoter au cas où elle aurait faim dans la nuit. Je t’ai préparé une carafe d’eau et deux verres.
— Tu es un vrai ange, ma Puce. Je t’aime. A demain matin, ajouté-je avant de l’embrasser tendrement.
— Bonne nuit, Chéri. Je t’aime.
Je monte dans la chambre d’Albane où je m’installe discrètement. En même temps, vu son état, pas sûr que je puisse la réveiller même si je fais du bruit. Elle a la respiration un peu rauque et elle tourne souvent dans son lit. J’espère qu’elle ne fait pas de cauchemars mais ne peux rien faire d’autre que de lui essuyer un peu sa sueur et de l’observer dormir. Je pense que je ne vais pas dormir mais finalement mes yeux se ferment et je me réveille au petit matin, sans avoir eu la sensation de m’endormir. Je vérifie qu’Albane va bien, elle a déjà l’air plus apaisée et je descends, surpris de ne pas trouver Maeva déjà devant son petit déjeuner. Je remonte dans notre chambre et la trouve alitée, en train de tousser.
— Bonjour… Ça va ? demandé-je timidement sans oser me rapprocher plus d’elle.
— Pas vraiment… Faut croire que le virus est bien implanté à la maison, marmonne-t-elle.
— Tu veux que je te ramène un test ? Tu veux un café ou quelque chose ?
— Oui, et un doliprane aussi, s’il te plaît. Je crois qu’on va échanger nos lits, finalement. Les jumeaux n’ont pas toussé et ne se sont pas réveillés de la nuit, me dit-elle en montrant le babyphone du doigt, espérons que ça dure. Ça va, toi ?
— Oui, ça va. Je vais résister encore un peu, je pense. J’arrive tout de suite.
Je lui ramène ce qu’elle a demandé et nous confirmons qu’effectivement, elle aussi a succombé à ce virus qui progresse silencieusement. Je suis quant à moi négatif, tout comme le sont les enfants que je réussis à tester tant bien que mal. Malgré ça, nous décidons de nous confiner le temps de ne plus être contagieux. En plus des enfants, je vais devoir m’occuper d’une Maeva malade et informer Jérome à son retour. Ça promet de ne pas être de tout repos !
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