55. Le travail c’est la santé

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Maeva

— Parfait, Monsieur MacMillan. On se voit donc le mois prochain pour la visite du magasin. Bonne journée !

Je ne me fais pas prier pour mettre un terme à la visio dès lors qu’il m’a salué de son air enjôleur, et m’adosse contre mon fauteuil en soupirant. Ce type est dingue. Même malade comme un chien, le nez rouge, toussant toutes les minutes et me mouchant comme un gosse après la récré en plein hiver, il trouve le moyen de me draguer avec lourdeur. Comme si je n’étais pas déjà assez fatiguée comme ça.

Ce foutu COVID a pris la maison en otage. Albane va un peu mieux, mais moi je suis couchée depuis trois jours. Je ne fais qu’apercevoir les jumeaux au détour d’un couloir et, malgré l’habitude du masque dans certains lieux publics, la tête qu’ils font chaque fois qu’ils me croisent me fait grimacer. Comme s’ils avaient la trouille de leur propre mère.

Je plie la couverture que j’avais sur les jambes et la pose sur mon siège de bureau, déboutonne mon chemisier et le glisse sur le dossier avant d’enfiler ma robe de chambre toute douce et réconfortante. L’avantage du télétravail… Je souris en repensant à ma dégaine. Si MacMillan avait su que j’étais en boxer hors caméra, je suis sûre qu’il aurait bandé comme un âne… Pervers.

Je récupère ma tasse vide, mets mon masque et sors de mon bureau en toussant. Je souris en repérant Allan en train de jouer sur la terrasse avec les jumeaux, Albane installée sur un transat un peu plus loin, et leur fais un petit coucou en rejoignant la cuisine. Ô, joie ! Jérôme est là, forcément… Il a la même tête fatiguée que moi, des cernes sous les yeux et il porte un gros pull alors qu’il fait chaud en ce mois d’août.

— Toujours de la température ? lui demandé-je en me lavant les mains.

— Oui, c’est terrible. Je crois que je vais mourir, se lamente-t-il. Seul et en territoire ennemi, quelle tristesse…

— Pauvre petit bouchon, nourri logé aux frais de la princesse. Tu parles d’un territoire ennemi, marmonné-je en me préparant un café. Mais si ça te gène tant que ça, la porte est grande ouverte, je ne te retiens pas, personnellement. Au contraire.

— Je ne peux pas sortir, voyons, j’ai le COVID. Pas envie de contaminer toute la planète… Je ne sais pas comment Allan fait pour résister à ce virus, énonce-t-il difficilement avant de se lancer dans une grosse quinte de toux. Peut-être qu’on devrait se confiner tous les deux ensemble, loin de lui et des jumeaux, ça serait mieux pour le protéger, non ? parvient-il à me narguer malgré son état.

— Plutôt crever que de m’enfermer avec toi, grimacé-je en levant mon majeur dans sa direction. Tu profites déjà suffisamment de la situation depuis que tu es là. Et puis, ça ne ferait qu’augmenter mon désir de t’étouffer.

— J’étouffe déjà, ça ne me changerait pas beaucoup. Et puis, si tu veux assouvir tes tendances sado avec moi, fais-toi plaisir. Enfin, non, fais-moi plaisir.

— Toi, fais-moi plaisir, étouffe-toi suffisamment pour au minimum perdre connaissance, marmonné-je avant de tousser à mon tour.

— Et tu dis que je ne suis pas en territoire ennemi ? grommelle-t-il en se prenant la tête entre les mains.

— Va donc pleurnicher dans les bras de ton pote. Enfin… à distance. Tu dis que je le tiens par les couilles, mais je me demande comment tu fais pour qu’il te pardonne tout. Dites-le si vous ramassez la savonnette, tous les deux, je vous laisserai tranquilles.

— Ramasser la savonnette ? Je ne comprends plus rien, je vais me coucher, je crois que ça vaut mieux. Tu sais où me trouver si tu souffres trop. Je saurai te soulager, promis.

— Fais-moi plaisir, si tu t’étouffes, n’appelle surtout pas à l’aide. Je serai ravie de faire ton éloge funèbre et je ne manquerai pas de rappeler combien tu étais un connard, macho et insupportable.

Je récupère ma tasse et mon portable pro dans le bureau ainsi qu’un paquet de mouchoirs, puis file m’installer à côté d’Albane, sur la terrasse. J’inspire profondément après avoir retiré mon masque, tousse un bon coup pour avoir osé infliger à mes poumons un vrai bol d’air un peu trop brutal, et envoie un baiser aux jumeaux. Allan les empêche de me rejoindre et attire leur attention grâce aux avions en papier qu’ils ont pliés hier, et me lance un regard inquiet.

— Je vais mieux, je le jure, Monsieur l’agent, me justifié-je en lui souriant.

— Tu n’as pas l’air d’être en grande forme, si je peux me permettre, mais bon, sortir un peu te fera du bien.

— J’ai mal dormi cette nuit. Albane a beaucoup toussé et moi aussi. Mais je me sens moins fatiguée. Et vous, tout roule ?

— Je crois que les jumeaux et moi, on a le même système immunitaire. Ils ont l’air en forme et moi, je n’ai toujours aucun symptôme. Espérons que ça dure…

— Tant mieux, soupiré-je. Je ne sais pas si j’aurais la force de gérer les monstres dans l’état actuel des choses, honnêtement. Et toi, comment tu te sens, ma Puce ?

Albane relève le nez de son bouquin et remonte ses lunettes de soleil qu’elle rabaisse immédiatement en grimaçant. Oui, moi aussi, la lumière m’agresse les yeux et la tête, mais j’ai tellement la flemme de me relever que je fais avec, me cachant comme je peux avec mon avant-bras.

— Je m’en veux que tout le monde soit malade, finit-elle par dire, mais sinon, ça va. Je crois que je vais mieux.

Sa quinte de toux dément un peu ce qu’elle dit mais c’est vrai qu’elle a meilleure mine.

— Pas la peine de t’en vouloir, on ne sait pas si ça vient vraiment de toi… Peut-être que c’est Jérôme qui l’a chopé en premier, ou moi. Après tout, le masque au bureau n’est plus obligatoire. Ne te prends pas la tête avec ça, Chérie, souris-je en passant ma main dans ses longs cheveux de la couleur des miens.

Je sursaute en entendant mon téléphone sonner et grimace en voyant le nom de Gaëlle s’afficher. Aucune envie de lui répondre, alors je l’envoie sur messagerie et lui écris que je suis déjà en conversation téléphonique. Vilaine menteuse… mais j’aimerais bien que le peu d’énergie que j’ai soit utilisé à bon escient, et pas pour me prendre le chou parce qu’elle flippe d’avoir le COVID et de le refiler à sa fille.

— J’ai une visio à quatorze heures, mais si tu veux, après le goûter, on pourra se poser toutes les deux pour regarder un film ou faire un jeu de société.

— Ne me dis pas que tu vas encore travailler ? s’exclame mon mari. Tu sais que tu es malade et que tu as le droit de te reposer ? En plus, tu as posé un arrêt maladie, ça veut dire que c’est interdit de bosser, il me semble.

— Je ne serais pas la première cheffe d’entreprise à bosser en étant malade. Et puis, je vais bien, je ne me tue pas à la tâche non plus, la preuve : je suis là.

— Oui, tu es là, mais on dirait que tu as vu un fantôme tellement tu es blanche. Et tu tousses. Je suis sûr que tu as mal à la tête, ce n’est pas raisonnable de travailler.

Bien sûr que j’ai mal à la tête. Et mon café n’a aucun goût, je le bois par réflexe et ça me tue. Sans parler de cette toux qui m’arrache les poumons. Sérieusement, y a vraiment des cas pires que ça ? Parce que Jérôme a raison, parfois, j’ai l’impression que je vais crever. La différence entre lui et moi, c’est que je n’en fais pas étalage et que je passe outre la douleur. Quand tu as accouché deux fois, dont une de jumeaux, tu sais prendre sur toi.

— Je tousserais aussi et j’aurais mal au crâne même sans bosser. Ça ne change pas grand-chose. Il faut bien que je m’occupe, je ne suis pas à l’article de la mort, non plus.

— Je ne sais pas comment tu fais, Maman, mais moi, je n’arrive même pas à lire. Enfin, si, je lis, mais je ne comprends rien.

— Dois-je te rappeler le nombre d’heures que j’ai passées en salle d’accouchement pour voir ta petite frimousse ? On apprend à passer outre les signaux de son corps en grandissant, ma Belle, souris-je avant de baisser d’un ton pour qu’elle soit seule à m’entendre. J’avoue qu’il m’arrive de relire deux fois un mail, quand je ne pique pas du nez dessus. Mais je te punis de téléphone si tu le dis à ton père.

— Ça va, si ce n’est que deux fois, rit-elle doucement.

— C’est quoi, ces cachotteries entre femmes ? demande Allan en s’approchant. Albane, tu arrives à la convaincre d’arrêter de se faire du mal ?

— Je ne me fais pas du mal, soupiré-je. Je suis juste un peu malade, c’est pas la fin du monde, et le monde ne s’arrête pas non plus de tourner pour m’attendre, Allan.

— Je crois que je vais aller couper le Wifi, c’est le seul moyen de te rendre raisonnable, soupire mon mari en hochant la tête, clairement dépité que je ne suive pas ses conseils.

— Ah non, papa ! Comment je vais regarder Netflix, moi, sans Internet ? lui demande Albane.

— Ne t’inquiète pas, c’était juste une mauvaise blague, ce n’est pas mon genre d’agir ainsi, mais bon, ça serait mieux que tu te reposes, Chérie. Pour guérir plus vite.

— Je suis une femme, Allan. Mon corps est fait pour supporter la fatigue. Tu sais, l’accouchement, les réveils nocturnes, l’épuisement alors que tout ton corps se remet doucement pendant le post-partum. C’est pas un gros rhume qui va m’empêcher de vivre. J’apprécie que tu veuilles prendre soin de moi, mais je suis une grande fille, je connais mes limites. Et j’ai toujours des obligations, COVID ou pas.

Bon, OK, mon ton est un peu dur et je regrette l’intonation de ma voix, mais qu’est-ce qu’il attend ? On se connaît depuis longtemps, il sait très bien que je ne suis pas du genre à passer mes journées au lit, sauf si nous y sommes tous les deux. Envisager une journée complète à regarder un film ou une série avec Albane ? Très peu pour moi.

— Et moi, je ne suis qu’un mec faible et trop tendre. Tu sais que c’est pour ton bien que je dis tout ça, pas pour t’embêter, hein ?

Un mec faible et trop tendre. Et c’est reparti… Je me retiens de soupirer et de l’envoyer balader, j’ai mal à la tête et besoin de calme, et surtout pas qu’on se prenne le chou.

— Je sais, et je t’en remercie, Chéri, mais je connais mon corps, mes limites, dis-je alors que mon téléphone se met à nouveau à sonner. Sur ce, la pause est finie pour moi. Je retourne bosser.

Je me lève lentement du transat et vais déposer un baiser sur le front d’Albane alors qu’Allan marmonne dans mon dos.

— Tu devrais rentrer un peu et te reposer. Tu peux venir t’allonger dans mon bureau si tu ne veux pas rester seule. Tu veux que je te prépare un thé avec du miel avant de retourner bosser ?

— Non, ça va aller, Maman. Je suis comme toi, moi. Ce n’est pas un gros rhume qui va m’empêcher de faire ce que je veux.

— Hum… N’utilise pas mes propres arguments contre moi, jeune fille, la grondé-je en souriant. Et viens me tenir compagnie avant le déjeuner, s’il te plaît.

— Eh bien, on n’est pas sauvés, soupire Allan en nous entendant. J’espère que Mika viendra à mon secours quand il sera plus grand, parce que si toutes les femmes de la famille ont le même caractère, ça va être compliqué !

— Tu devrais t’occuper de Jérôme, lui est prêt à tout pour avoir de l’attention, il se dit à l’article de la mort. Enfin, évite de trop l’approcher quand même, soufflé-je en m’éloignant déjà. A tout à l’heure, mes Amours.

Oui, je remets Jérôme sur le tapis, je plaide coupable. Je n’arrive plus à m’en empêcher. Et puis, mieux vaut concentrer mon agacement sur le coloc imposé plutôt que sur mon tendre et faible époux qui, je le sais, veut juste prendre soin de moi, mais ne comprend comme d’habitude rien quant à ma situation. Ou ne cherche pas à comprendre, pour changer.

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