56. Le pote de mauvais augure

9 minutes de lecture

Allan

Je me gare devant la maison après avoir déposé les enfants à la garderie, ravi de pouvoir enfin reprendre une vie normale. Ce foutu COVID a mis toute la famille sur les rotules et même si les jumeaux et moi n’avons rien eu, cet isolement forcé nous a tous fatigués. Et nous a mis sur les nerfs. Je crois que la cohabitation avec Jérôme a été si compliquée qu’il a compris qu’il ne fallait plus traîner et il est parti sans demander son reste dès que son isolement a été levé. Il est enfin allé chez sa sœur et j’ai honte d’avouer que je suis un peu soulagé. Je l’adore, c’est mon ami, on s’est toujours soutenus dans toutes les affaires sur lesquelles nous avons enquêté ensemble, mais Maeva et lui ne se supportent pas. Heureusement que je ne suis pas obligé de faire un choix entre les deux, parce que ça me mettrait en grande difficulté. Enfin, Maeva gagnerait, c’est sûr, mais à quel prix ?

Bref, tout est bien qui finit bien. Ils ne se sont pas entretués et Maeva a retrouvé le sourire depuis son départ. Et moi aussi, même si c’est toujours un peu tendu entre nous deux. J’espère que l’on va réussir à recoller les morceaux, je l’aime et je ne me vois pas vivre sans elle. Je suis content de voir qu’elle fait de vrais efforts pour ne pas nous oublier, les enfants et moi, au profit de son travail, même si ça n’est toujours pas parfait. Au moins, notre précédente grosse dispute a eu un effet positif. Et je fais tous les efforts possibles pour ne plus la critiquer. Enfin, le moins possible parce que qu’est-ce que ça m’énerve de la voir travailler alors qu’elle devrait se reposer dans son lit !

Je profite de ce temps calme, sans les enfants, pour remettre de l’ordre dans la maison. Maeva est retournée au travail depuis hier et je me dis que ça lui fera plaisir de trouver tout nickel à son retour. J’enfile un petit tablier pour ne pas me salir et me mets à récurer toute la maison. Je ne vois pas le temps passer et suis surpris d’entendre la sonnette alors que je n’attends personne. Pensant que c’est le facteur qui a un colis à nous remettre, je descends et ouvre la porte. Je tombe sur Jérôme qui est déjà de retour.

— Salut mon Pote. Tu as oublié tes caleçons ici ou quoi ? lui demandé-je en lui faisant signe d’entrer.

— Nom de… C’est quoi cette tenue ? Tu joues la soubrette ? Bordel, elle t’a vraiment coupé les couilles, soupire-t-il en se retenant visiblement de rire.

— Quoi, ma tenue ?

Je baisse les yeux et découvre le tablier que j’avais oublié et soupire car cela ne va faire que renforcer sa vision de moi.

— Tu sais que tu es un peu macho et que tu ne vis pas avec ton siècle ? Le meilleur moyen de mettre une femme dans son lit, c’est de dépasser les clichés de l’homme viril du début du vingtième siècle. Rappelle-moi la dernière fois que tu as baisé ?

— La secrétaire du poste, ça compte ? me demande-t-il en bombant le torse. Et ça marche, ton truc, avec Maeva ? Je suis sûr qu’elle adore que tu la domines, moi. Bref, ton Dragon est retourné bosser ? Tu m’offres un café sans que je risque de finir brûlé vif ?

Il n’a pas tout à fait tort sur ma relation au lit avec Maeva, mais c’est personnel et je ne confirme pas ses dires.

— Oui, elle est au boulot, tu ne risques rien, Monsieur “j’ai des couilles mais j’ai peur de la femme de mon pote.” Quel bon vent t’amène ? Tu as déjà besoin de moi pour une affaire ? Ne me dis pas que tu es simplement venu pour me remercier de notre hospitalité, il ne faut pas, si c’est le cas.

— Faut-il vraiment une raison pour venir voir son meilleur ami ? Et je n’ai pas peur de ta femme, j’ai juste envie de finir ma vie libre et elle me donne des envies de meurtre, la plupart du temps…

— En bon flic, tu serais capable de cacher tes traces, non ? Mais c’est vrai que si tu fais ça, tu auras le meilleur des policiers sur le dos. Aucune chance d’en réchapper. Tant pis pour la bavure, je te préviens, je serai impitoyable !

Je vais lui préparer un café, me débarrasse de mon tablier et reviens m’installer près de lui, dans le salon.

— Tu arrives à prendre des pauses alors que tu as été absent pendant presque deux semaines ? C’est les vacances, à la Grande Maison, ou quoi ? De mon temps, on bossait plus que ça.

— Je bossais de nuit, Crétin. T’as vu ma tronche ? J’ai plus vingt ans, ça me tue, ces horaires…

— Et tu n’as rien de mieux à faire que de venir me voir plutôt que d’aller dormir ou d’aller draguer ?

— J’avais envie de te voir, c’est un crime ? me demande-t-il après avoir marqué une hésitation.

— Ne me dis pas que tu as envie de revenir vivre un peu avec nous et que ça te manque de te faire engueuler à longueur de journée par Maeva !

— Non, oulah, certainement pas… C’est déjà un miracle qu’aucun de nous deux n’ait fini éventré, je ne vais pas jouer ma vie une seconde fois. Elle s’en sort, avec le boulot ?

— Elle a repris officiellement hier. Ça avait l’air d’aller, ils ont survécu sans elle, mais ce n’est pas une surprise. Je lui dis toujours qu’elle n’est pas indispensable à la survie de Belle Breizh, même si elle est convaincue du contraire.

— Hum… Bien, bien, marmonne-t-il avant de soupirer lourdement. Écoute… Tu sais que certaines infos ne doivent pas sortir du boulot, mais…

— Encore une affaire de cambriolage ? Tu peux en parler, tu sais, je n’ai rien dit à personne sur les précédentes.

— Non, disons que j’ai eu sous le nez des documents qui te concernent. Enfin non, pas toi, plutôt ta femme, grimace-t-il en fuyant mon regard.

Je le regarde sans vraiment comprendre et trouve vraiment étrange son attitude. Je me demande pourquoi il n’est pas plus franc dans sa manière de parler.

— Comment ça des documents sur ma femme ? Elle est allée porter plainte pour un de ses magasins ?

— Non. Je te parle d’une enquête financière, Allan… Tu vois le truc ?

Non, je ne vois pas du tout. Pourquoi est-il au courant d’une affaire financière ? Et quel genre d'affaires financières ? Cela n’a aucun sens !

— Je ne te suis pas, non, finis-je par lui répondre pour briser le silence.

— Une enquête vient d’être ouverte concernant les comptes de l’entreprise de ta femme. On parle de malversation, Allan…

— N’importe quoi ! m’esclaffé-je. C’est tout ce que tu as trouvé pour te venger d’elle ? Enfin, elle n’est pas drôle, ta blague.

— Ne dis pas de connerie, bordel, grommelle-t-il en me fusillant du regard. Je suis sérieux, Allan, j’ai autre chose à foutre que de te balancer de fausses infos pour faire chier le Dragon.

— Comment ça, tu es sérieux ? Tu sais bien que Maeva est prête à sacrifier sa famille pour son entreprise, ce n’est pas le genre à la mettre en danger pour s’enrichir personnellement. Tu vois bien où on vit ! On ne roule pas sur l’or.

— Bien, traite-moi de menteur si ça peut te rassurer, mon pote. Je sais ce que j’ai vu, soupire-t-il en haussant les épaules.

— Et qu’est-ce que tu as vu, au juste ? Franchement, s’il y a un con qui a porté plainte contre ma femme, je crois que je vais aller lui casser la gueule à ce menteur. C’est qui qui traîne notre nom dans la boue comme ça ? Et dans quel but ?

— J’ai pas eu le temps de consulter le dossier complet, t’imagines bien. Mais y a pas quarante entreprises Belle Breizh, à ce que je sache. La Brigade Financière est au taquet, je déconne pas, Allan.

Je le regarde et constate qu’il n’est vraiment pas en train de me faire une très mauvaise blague.

— C’est du grand n’importe quoi. Tu ne peux pas croire à ces foutaises, quand même ! Il y a franchement quelqu’un qui veut du mal à ma femme ou qui est jaloux de son succès. Tu ne leur as pas dit qu’ils faisaient fausse route ? Ne me dis pas que tu les as encouragés juste pour te venger d’elle ?

— Mais arrête tes conneries ! s’agace-t-il en se levant. Tu me penses con à ce point-là ? Je suis venu te prévenir, c’est tout, merde !

— Ouais, eh bien, tes mises en garde à la con, tu peux te les garder ! J’en reviens pas que tu n’aies pas pris sa défense alors qu’on t’a hébergé tout le temps où tu étais dans la galère. Notre amitié ne vaut pas plus que ça ?

— Comme si j’avais mon mot à dire dans ce genre d’enquêtes ! Non mais tu t’entends ? Tu délires, là, mon pote !

— Non, je ne délire pas. Merci d’être passé, mais si c’est juste pour te faire plaisir en disant du mal de ma femme, ça ne sert à rien de venir m’embêter. Salut, mon… Jérôme.

— Bien, comme tu veux… Merci pour le café, marmonne-t-il en se dirigeant vers l’entrée.

Je referme la porte derrière lui, un peu secoué par ce qu’il vient de m’annoncer. Même si j’ai crié au scandale, je me doute bien qu’il n’est pas responsable de ce qu’il dit avoir vu. Et si c’est vrai, ce n’est pas une bonne nouvelle. Qui pourrait en vouloir autant à Maeva ? Parce que ça ne peut pas être vrai, quand même !

Je passe le reste de la journée un peu à l’ouest, comme dans un brouillard. Je suis sur autopilote et gère ce que je dois gérer sans vraiment y penser. Je ne sais pas comment je fais, mais j’arrive à récupérer les enfants, les occuper tout l’après-midi et à préparer un petit dîner simple pour toute la famille. Un exploit vu toutes les idées qui se bousculent dans ma tête. Maeva finit par rentrer et je l’observe pour voir si elle est au courant de quelque chose et si elle va m’en parler, mais elle se contente de nous embrasser tous avant d’aller se changer pour venir manger avec nous.

— Tout s’est bien passé, Chérie ? lui demandé-je alors qu’elle s’installe à côté des jumeaux.

— Une journée de boulot classique, presque tranquille, d’ailleurs, sourit-elle. Et ta journée ?

— Oh, rien d’exceptionnel. Comme tu peux voir, j’ai fait le ménage. C’était… passionnant. Tout va bien alors, à Belle Breizh ?

— J’ai vu, oui. Ca sent le frais et le propre, pour ce que j’ai retrouvé de mon odorat. Tout va plutôt bien. On a connu mieux, on a connu pire. Rien de neuf sous les tropiques, tu sais.

Vraiment ? Elle essaie de me protéger peut-être ? Ou elle attend que les enfants soient couchés pour m’en parler ? Peut-être qu’elle n’est pas encore au courant, c’est aussi une possibilité.

— C’est quoi le programme, demain ? Toujours la même routine ?

Je vois qu’elle sourit, elle doit penser que je m’intéresse vraiment à ce qu’elle fait et doit se dire que je fais des efforts.

— J’ai une matinée de rendez-vous avec le service marketing, sinon, journée classique, oui. On doit bosser sur la pub pour la “Saint Valentine”, maintenant que Noël est bouclé.

Je souris en entendant la façon dont ils parlent de la Saint Valentin à Belle Breizh. Le “e” supplémentaire est un peu leur marque de fabrique et ça les occupe bien tous les ans. S’il y a anguille sous roche, elle cache bien son jeu et je me demande si je dois lui parler de la visite de Jérôme ou pas. J’hésite car elle a l’air de bonne humeur et vu son désamour pour mon pote, elle va simplement s’énerver et dire qu’il cherche juste à la déstabiliser. Mieux vaut que je garde ça pour moi et que j’attende de voir ce qu’il va se passer. Cela va me replonger dans des tas de questions, mais je ne vois pas comment faire autrement. J’essaie de faire bonne figure pendant le repas même si plein de questions me traversent l’esprit. Est-ce qu’il y a vraiment de la malversation à Belle Breizh ou bien est-ce un de leurs concurrents qui veut les déstabiliser ? Et s’il y a de la malversation, Maeva est-elle du genre à se mettre de l’argent de côté ? Cela ne me semble pas possible, mais peut-être qu’elle essaie de manigancer un truc avec ce Yoann qui la colle trop à mon goût ? C’est horrible, toutes ces interrogations… J’espère que je vais avoir très vite la confirmation de ce que m’a annoncé mon ancien collègue. Et que tout ça va se dégonfler comme ça a commencé, avec peu de fracas et de conséquences.

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