57. Anguille financière sous roche

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Maeva

Je ne peux m’empêcher d’observer Allan avec un certain amusement alors qu’il s’affaire avec les jumeaux comme un matin d’école. Evidemment, j’empêche tout sourire de naître sur mon visage et plonge mon nez dans mon ordinateur dès que je n’en suis plus capable. Il est vraiment trop mignon, et ce n’est pas faute de lui avoir dit que j’avais le temps, ce matin. Ma voiture est en révision au garage et j’ai besoin d’un chauffeur, sauf qu’avec des jumeaux de trois ans, impossible d’envisager un tête-à-tête en voiture même si le trajet n’est pas long.

Bonne joueuse, je débarbouille Mika pendant que mon mari s’occupe de Nora, et le hisse sur mes genoux pour un petit câlin. Je niche mon nez dans son petit cou et me repais de son odeur avant de lui offrir une petite séance de chatouilles qui le fait littéralement hurler de rire. Avec ça, Albane risque de voir sa grasse matinée habituelle amputée, mais tant pis, j’aime tellement entendre le rire de mes enfants… Et puis, ce n’est pas moi qui vais devoir supporter une ado ronchon toute la journée, après tout.

— Allan, tu peux ralentir, tu sais ? Je t’ai dit que je n’étais pas à cinq minutes près, interpellé-je finalement ma moitié en lui souriant.

— Excuse-moi, mais j’ai l’habitude d’être toujours pressé. Et puis, plus vite tu pars, plus tôt tu rentres, non ?

— Pas aujourd’hui, non. J’ai une réunion à seize heures trente, dans tous les cas, soupiré-je en attachant la sandalette de Nora alors qu’elle est dans ses bras.

— Tu sais que c’est moi qui viens te chercher ? Ça te fera une excuse si tu veux t’échapper rapidement.

— Gaëlle va apprécier, m’esclaffé-je en chatouillant ma fille qui se tortille contre son père. Dommage que ce soit si contraignant quand tu dois m’emmener, j’aime bien l’idée de passer un moment en plus avec vous.

— C’est vrai que ça fait plaisir, mais je ne ferais pas ça tous les jours, quand même !

— Dommage, mon escorte est canon, soufflé-je en passant ma main dans ses cheveux en bataille avant de lui claquer gentiment le derrière.

— Hue Dada, c’est ça ? rit-il en reproduisant le geste à mon intention.

— Il est vraiment temps que les enfants aillent à l’école, mon Chéri, ris-je en allant récupérer mes affaires. C’est bon, tout le monde est prêt ?

Allan acquiesce et j’écris un petit mot à Albane en vitesse avant d’embarquer Mika avec moi jusqu’à la voiture. Les petits sont tout excités de sortir et ça me chagrine de leur donner une fausse joie, mais j’adore les voir sourire et mon trajet en direction du boulot ne se fait pour une fois pas avec la tête déjà plongée dans la journée qui m’attend. Et ça, c’est non négligeable.

Gaëlle arrive tout juste lorsqu’Allan se gare devant l’immeuble. Elle nous salue d’un signe de main sans s’attarder, et moi je soupire comme une gamine qui n’a pas envie d’aller à l’école. Belle Breizh est devenu mon enfer personnel, ces dernières semaines. Trop d’histoires de fric, et surtout de manque de fric, ce qui nous éloigne largement de nos préoccupations habituelles, à savoir la conception de nouveaux produits bios et vegans, de toute la partie communication et publicité de la marque, du contact avec les producteurs et les divers partenaires. J’ai déjà eu du mal à me faire à tout ça, à l’époque, autant dire qu’aujourd’hui, je ne suis pas loin de me rendre au bureau à reculons. S’il n’y avait pas une masse salariale à protéger… je ne suis pas sûre que je m’accrocherais à ce point, en vérité. Ces derniers temps, mon entreprise m’a créé bien plus de problèmes que de moments de joie, et ce n’est pas quelque chose qui me ravit.

— Bon, merci pour le trajet. Je te paie en nature ce soir ? glissé-je à voix basse à Allan en me penchant pour l’embrasser sur la joue.

— J’ai hâte d’encaisser la facture, me répond-il avant de se saisir de mon menton entre ses doigts pour poser ses lèvres sur les miennes.

Un baiser appuyé, une langue taquine, il ne faut pas grand-chose à Allan, aujourd’hui encore, pour m’émoustiller et me déconcentrer pour la journée… Je n’aurais pas dû commencer ce petit jeu, parce que je n’ai plus qu’une hâte : être à ce soir, une fois les enfants couchés. La journée promet d’être très longue.

Je me détache à contre-coeur de mon petit mari et sors de la voiture après avoir envoyé des bisous au jumeaux qui me font coucou à travers la vitre lorsqu’Allan redémarre. Un nouveau soupir s’échappe d’entre mes lèvres, mais je me remobilise et tourne les talons pour gagner le bâtiment. Je monte jusqu’à mon bureau, vérifie l’heure, prends le temps de consulter mes mails avant de me diriger dans la petite salle de réunion où Yoann est déjà installé. Gaëlle a dû me devancer de quelques secondes seulement puisqu’elle s’assied lorsque je passe le pas de la porte.

— Bonjour à vous deux. C’est toi qu’on remercie pour le plateau de café ? demandé-je à Yoann en me servant à peine installée.

— Bien sûr que c’est lui ! Notre assistant est parfait, n’est-ce pas ? se moque ma partenaire, un peu mordante.

— Bonjour Maeva. C’est moi, en effet, je me suis dit que nous aurions besoin de ça pour affronter cette réunion budgétaire…

Je jette un coup d'œil à Gaëlle, indécise quant à sa remarque, et décide d’ignorer ce commentaire déplacé. Il est trop tôt pour se prendre le chou, surtout vu ce qui nous attend.

— Bon… La dernière campagne de promotion est une vraie réussite, c’est vraiment génial, mais ça ne suffit pas pour nous remettre sur les rails. Les finances restent bancales…

— J’ai fait une étude de la trésorerie, Maeva. Je vais vous la mettre à l’écran parce qu’il me semble qu’il y a des choses qui clochent, même si je ne sais pas dire ce qui me chiffonne exactement.

— Eh bien, ça promet d’être utile comme réunion si on se base sur des sentiments sans avoir d’éléments précis, grommelle Gaëlle.

— Tu as des éléments précis et des solutions, peut-être ? demandé-je à mon amie en la fusillant du regard. Vas-y, Yoann… Gaëlle semble en manque aujourd’hui, faut croire.

Mon amie d’enfance se renfrogne et me fusille du regard, mais j’abandonne vite son visage pour étudier la préparation de notre nouveau collaborateur. Nous passons une bonne partie de la matinée à échanger sur le sujet, inquiets, et je suis donc surprise de voir Yoann passer la tête dans l’encadrement de la porte de mon bureau quelques minutes après que j’y suis de retour.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Tu as quelques instants ? J’aimerais parler de… enfin, échanger avec toi si tu as le temps.

— Bien sûr, entre. De quoi tu veux parler ? lui demandé-je alors qu’il s’installe en face de moi, pensif.

— Eh bien, ces histoires de trésorerie, ce n’est vraiment pas normal. J’ai refait tous les calculs de Laurent suite à notre réunion, et c’est impossible qu’autant de cash ait disparu en si peu de temps. On ne devrait pas déjà avoir besoin de faire un nouvel emprunt. Regarde, j’ai tout mis sur ce tableau.

Je prends le temps d’étudier son tableau même si la concentration me fait défaut. Je vois où il veut en venir et ça commence à me faire flipper. Il est vrai que les prévisions budgétaires ne nous plaçaient absolument pas dans cette situation, mais nous avons beaucoup investi ces derniers mois et personne n’est à l’abri d’un couac.

— Effectivement… Où veux-tu en venir, Yoann ?

— Il y a quelqu’un qui détourne de l’argent, je ne vois pas d’autre explication à tout ça. Laurent, le nouveau comptable, tu crois qu’il est réglo ? Il avait de bonnes références, mais je trouve cette situation suspecte. Depuis qu’il est là, les comptes ne sont plus justes…

— Magnifique, marmonné-je, j’adore l’idée que quelqu’un vole l’entreprise… Je ne sais pas pour Laurent, j’avais un bon feeling quand on l’a rencontré avec la DRH, honnêtement, mais bon… On ne sait jamais, et la coïncidence mérite qu’on la prenne en compte, j’imagine.

— Il faudrait qu’on lance un audit de la compta, tu ne crois pas ? Même s’il donne une bonne impression, ça clarifierait le problème, je pense.

— Oui, oui… On va faire ça, je vais le convoquer en début d’après-midi. Vraiment, soupçonner les employés me lacère le coeur, mais je ne comprends plus rien à ce qui se passe ici. J’ai l’impression que tout part en live…

— Il faut qu’on trouve ce qu’il se passe, sinon on est foutus. Déjà que ce n’est pas terrible comme situation…

J’acquiesce en me massant les tempes, fatiguée de toute cette histoire. Je n’ai qu’une hâte, décrocher de tout ça en rentrant à la maison. Si tant est que j’en sois capable, parce que la situation est lourde à porter. S’il n’y avait que moi, je pourrais le supporter plus facilement, mais Belle Breizh regroupe bon nombre d’employés à présent, et je m’en voudrais terriblement de mettre à mal la vie de chacun d’eux à cause de nos problèmes financiers.

— On se commande un truc à manger sur place, ce midi ? Je voudrais bosser sur le temps du repas, c’est Allan qui vient me chercher vu que ma voiture est en révision, je ne peux pas rentrer trop tard.

— Si tu veux, oui. Je vais demander à Gaëlle ce qu’elle veut et ce sera là dans la demi-heure.

Je sors la plaquette du petit restaurant où nous avons pris l’habitude de commander et me perds dans mes pensées en choisissant mon repas. Parfois, j’aimerais que Belle Breizh redevienne ce simple magasin, le tout premier, où Gaëlle et moi bossions toutes les deux, gérions tout ou presque. Oui, c’était beaucoup de travail, mais au moins, il y avait moins de pression qu’aujourd’hui. Est-ce que nous avons eu les yeux plus gros que le ventre en voulant nous développer à ce point ? Peut-être bien, oui… L’expérience est belle, mais la chute peut être vertigineuse si nous ne comprenons pas ce qui se passe rapidement.

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