61. Une descente un peu virile

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Maeva

Personne ne sait comment les magasins ont pu être taxés davantage. Je ne comprends plus rien, sauf que ça vient forcément d’un haut placé ou de la comptabilité. Il n’y a pas d’autre possibilité, il me semble. Ce qui me pousse à douter de tous ceux qui m’entourent de près… Je ne vois pas Gaëlle me trahir après toutes ces années de travail main dans la main. Jamais elle ne me ferait ça, Belle Breizh est un peu son bébé à elle aussi. Yoann est donc mon suspect principal… Il ne m’assiste que depuis quelques mois et, s’il m’a toujours semblé correct et respectueux, je ne le connais finalement pas plus que ça. Je lui ai rapidement fait confiance et ma première impression est généralement la bonne en ce qui concerne les gens, mais peut-être… peut-être que je me suis trompée à son propos. Peut-être que j’avais tellement besoin de me sentir soutenue, d’être un peu déchargée, écoutée, suivie… Tout ce que Gaëlle faisait avant son congé maternité, somme toute. Yoann a assuré à mes côtés et je me suis sans doute laissée berner.

J’essaie de faire semblant que je ne soupçonne personne en particulier, mais il m’est plutôt difficile de faire comme si de rien n’était. Je me suis tellement investie dans cette entreprise que j’ai l’impression qu’on me poignarde personnellement dans le dos en la mettant en péril.

En attendant, cette nouvelle réunion ne sert pas à grand-chose. Aujourd’hui, toute l’équipe du siège est réunie pour que tout le monde soit au courant de ce qui se passe. Alors, hormis être ridiculisée, potentiellement accusée ou je ne sais quoi d’autre, cette réunion ne m’apportera pas les réponses que je cherche. Je voudrais pourtant voir une ou deux mains se lever, quelqu’un alléger la chape de plomb que j’ai sur les épaules en disant qu’il pense savoir de qui il s’agit. Je voudrais pouvoir quitter cette salle de réunion avec un nom, rentrer chez moi avec le sourire aux lèvres, retrouver ma famille sans avoir en tête le boulot et les problèmes qui pourraient nous tomber dessus lourdement.

Sauf qu’après l’annonce que je viens de faire, c’est silence complet dans la salle. Je suis sûre qu’on pourrait entendre une mouche voler. J’entendrais même les jumeaux quand ils sont silencieux parce qu’ils font une bêtise. Mon regard passe sur chacun des visages qui me font face, un à un. Le choc se lit sur beaucoup d’entre eux, la surprise se bat avec l’inquiétude… Oui, bienvenue dans mon monde. Possible que chacun soupçonne à présent son voisin, se demande qui pourrait faire ça, comment, pourquoi ?

— Sachez que dans les jours à venir, une équipe informatique va analyser tous les ordinateurs de l’immeuble afin d’essayer de débusquer la personne qui s’en prend à Belle Breizh et à chacun d’entre nous par la même occasion.

Gaëlle pense que ça ne servira à rien, mais je n’en peux plus de rester les bras croisés à ne rien faire à part remuer de la paperasse. Le problème étant que je ne vois pas quoi faire de plus. Il faut qu’on sache d’où proviennent les demandes faites à la banque pour augmenter les prélèvements à nos magasins, par exemple.

— De même, et afin que tout soit sécurisé jusqu’à ce que nous en sachions plus, sachez que tous les mots de passe seront modifiés cet après-midi par l’entreprise qui gère nos logiciels. Si vous avez des suggestions à faire, nous sommes ouverts aux échanges. Nous ne vous demandons pas d’entrer dans une paranoïa totale, mais soyez vigilants, et n’hésitez pas à nous faire remonter toute information qui vous paraîtrait importante. Je sais que certains d’entre vous doivent se dire qu’on a peur pour la société, que se faire voler nous emmerde, mais sincèrement, la première chose à laquelle je pense, ce sont vos salaires, vos familles et vos emplois. Parce que la réalité est là, ce qui se passe a un impact suffisamment conséquent sur nos finances pour que cela se répercute sur la masse salariale. Est-ce que vous avez…

Je suis coupée par le téléphone de la pièce qui sonne derrière moi, et Yoann répond tandis que les employés restent toujours aussi silencieux ou presque. Il y a quelques murmures, les gens se regardent, semblent chercher à savoir si les autres sauraient quelque chose. Je déteste ça…

— Maeva, m’interpelle Yoann avant de baisser la voix. La police est en bas, apparemment ils arrivent.

Il n’a semble-t-il pas été assez discret, puisque les murmures se transforment en un brouhaha dans mon dos, et je n’ai pas le temps de réagir ou de poser une quelconque question que la porte s’ouvre, ramenant un lourd silence dans la pièce. Magnifique… Sans compter que Jérôme est en tête de la file de flics qui entre dans la pièce.

— Bien, j’imagine que la réunion est terminée. Merci pour votre écoute, lancé-je avec tout le calme dont je suis capable avant d’avancer vers l’ancien collègue d’Allan. Messieurs… que se passe-t-il ?

Jérôme me tend un papier avec un logo qui a l’air officiel en haut de la page. J’essaie de comprendre de quoi il s’agit mais mon cerveau n’imprime pas.

— Messieurs, Dames, je vais vous demander de rester ici, commence-t-il alors que certains membres de l’équipe étaient presque sortis.

Il se tourne vers moi et continue, sans laisser apparaître une once d’émotion.

— C’est un mandat de perquisition signé par le juge. Nous sommes venus enquêter suite à un dépôt de plainte. Et j’ai ordre de saisir tout ce qui pourrait nous aider pour l’enquête que nous menons. Je peux compter sur ta coopération ?

— Un dépôt de plainte ? Mais… pour quoi au juste ? Et ça veut dire quoi, saisir ce qui pourrait vous aider ? Comment on bosse sans notre matériel ?

Je suis partagée entre un dépit total et un agacement grimpant, surtout envers Jérôme qui semble carrément prendre son pied à cet instant.

— Tu dois bien te douter de ce qu’il en est. Le nom de la plaignante est sur le document, de toute façon. Et j’ai comme l’impression que vous n’aurez plus à bosser d’ici quelques semaines.

Je remets le nez dans le papier et marmonne en constatant que la gérante de notre magasin de Bordeaux, ouvert il y a quelques mois seulement, n’a apparemment pas accepté mes excuses pour le problème de prélèvement du mois dernier. Toute gentille au téléphone, elle a eu le culot de porter plainte.

— C’était une erreur qui a été corrigée dès qu’elle a été repérée, bon sang ! Pourquoi une telle descente ? Et vire-moi ce sourire de ton visage, putain, y a pas de quoi rire, m’agacé-je.

— Je souris si je veux. C’est moi qui décide, maintenant, je te préviens que si tu t’opposes, tu vas finir au poste. Et s’il y a une telle descente, comme tu dis, c’est que le juge a estimé qu’il y avait possiblement des malversations à un niveau au moins départemental.

Magnifique… Fini l’enquête en interne, autant dire que nous n’allons plus rien gérer ou contrôler. Et ce petit con, lui, jubile littéralement. J’ai envie de lui faire bouffer son papier et de l’envoyer paître… J’ai les nerfs en pelote depuis des jours, il lui suffit d’allumer la mèche et je crois que je pourrais lui sauter au cou.

— Et donc, vous allez tous nous retenir en otage dans cette pièce ? Saccager nos bureaux ? Tous nous mettre sur la liste des suspects ? C’est comme ça que tu prends ton pied, toi ?

— Je te préviens une dernière fois, Maeva. Tu ne me manques pas de respect. Je ne suis pas ton pote, ici, je suis un officier en mission. Et là, on va juste prendre les identités de tout le monde et mon équipe va les accompagner à leur bureau pour les interroger et éventuellement les inviter à nous montrer le contenu de leurs ordinateurs.

— T’es quand même culotté d’oser parler de respect, m’esclaffé-je sans aucune joie. La bonne blague, sérieusement. Bien, on peut s’y mettre ? J’ai des rendez-vous et tout le monde a des choses à faire ici.

— Vous allez pouvoir annuler les rendez-vous. Vu le boulot qu’on a, on en a au moins pour la matinée. Mesdames, Messieurs, chacun son tour, s’il vous plaît. Qui commence ?

Je ris. Je ne peux pas m’en empêcher, je ne sais pas si c’est le stress ou simplement la réflexion de ce flic qui pense que nos vies doivent s’arrêter de tourner parce qu’ils ont décidé d’intervenir maintenant, tout de suite, mais ça sort tout seul.

— Annuler nos rendez-vous ? L’entreprise ne s’arrête pas de tourner parce que vous avez choisi ce jour pour mettre le nez dans nos finances, bon sang !

— A ta place, je ferais moins la fière, Maeva. Tu es quand même la principale suspecte dans cette histoire. Les comptes sont dans le rouge, il y a des prélèvements qui se font et qui ne sont pas autorisés, de l’argent qui disparaît. Franchement, tu devrais tourner ta langue dans ta bouche avant de parler.

— Moi, suspecte ? N’importe quoi ! Jamais je ne ferais ça à l’entreprise. Qu’est-ce que t’es allé inventer, toi, bon Dieu ! Comme si j’allais risquer l’entreprise pour me garder du fric, ça va pas, la tête ? Je me saigne tous les jours pour cette boîte, je t’interdis de m’accuser sans aucune preuve, enfoiré !

— Putain, mais tu comprends rien, toi ! s’emporte-t-il avant de me saisir violemment par le bras et de me retourner pour me plaquer sur la table.

Je le sens s’emparer de mes mains et vois la tête effarée de mes équipes devant moi alors qu’il me menotte dans le dos, sans ménagement.

— On va commencer par toi, puisque tu fais la maligne. Et tu as intérêt à te calmer parce que sinon, je t’emmène au poste et tu auras un dépôt de plainte pour insultes contre un agent dans le cadre de ses missions. Franchement, à ta place, je la boucle et je ne complique pas mon cas, d’accord ?

— Tu peux m’embarquer, saisir tous mes dossiers, mon ordinateur, je m’en fous. Tu sais que je n’ai rien à voir avec ça, jamais je ne prendrais le risque de mettre ma famille en danger pour du fric. Si j’avais su que te rembarrer quand tu m’as fait du rentre-dedans te rendrait aussi agressif, j’aurais été moins gentille, le provoqué-je suffisamment fort pour être entendue par tous, ses collègues compris.

S’il pense que je vais gentiment me taire, il se fourre le doigt dans l'œil. Quand Allan va savoir comment il m’a traitée, ça risque de chauffer pour lui.

— Eh Julien ! crie-t-il à un collègue. Emmène-la et garde-la au chaud dans la voiture. On la fout en GAV pour outrage à agent. Et le prochain qui l’ouvre, on fait pareil, grogne-t-il alors que Yoann s’est approché de nous, menaçant, avant de se reculer un peu face à la véhémence de Jérôme. Et prenez son ordi, il faut qu’on l’examine !

Je me sens tirée en arrière et me rends compte de l’image que je dois donner à mes employés… Une garde à vue, sérieusement… C’est une première pour moi qui ai réussi à y échapper à l’époque où je descendais dans la rue à chaque manifestation possible et imaginable ou presque. Mais je le retiens, lui. Il n’est pas près de remettre les pieds à la maison. Quitte à me faire embarquer la prochaine fois, ce sera parce que je lui aurais coupé les couilles qu’il a quand il porte son uniforme alors qu’il fait le gentil devant mon mari.

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