62. Invasion et trahison

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Allan

— Albane, aide-moi s’il te plaît plutôt que de te moquer ! l’apostrophé-je alors qu’elle rit aux éclats devant le spectacle que je lui offre.

Je suis en effet trempé de la tête aux pieds suite au plongeon bien involontaire que j’ai fait dans la piscine alors qu’on jouait à s’envoyer la balle. Nora me l’a balancée tellement fort que j’ai sauté pour la rattraper… et j’ai oublié qu’il y avait la piscine. Bref, je ressors du bassin, tout mouillé, sous le regard hilare des jumeaux qui se sont joints à leur sœur pour se moquer de leur maladroit de père.

— Au moins tu n’as plus trop chaud, comme ça, se moque mon aînée en prenant la main de son frère et sa sœur. Je les surveille pendant que tu vas te changer, j’imagine ?

— Oui, et pas une moquerie de plus ou c’est moi qui vous jette à l’eau !

J’attrape une serviette qui traîne et récupère mon téléphone sur le transat avant de monter dans la chambre. Je surprends le regard amusé de mon aînée alors que je monte les escaliers et lui tire la langue avant de filer dans ma chambre où je me change. Je m’apprête à redescendre quand mon téléphone se met à vibrer sur le lit, là où je l’ai abandonné pour me déshabiller. Je réponds et me demande pourquoi Jérôme m’appelle à cette heure-ci.

— Salut, mon Pote. Ne me dis pas que les enfants t’ont déjà prévenu ?

— Prévenu de quoi, au juste ? C’est plutôt moi qui dois t’avertir…

— Eh bien, de ma maladresse ! Je viens de piquer une tête involontaire dans la piscine, ris-je. Tu aurais vu la scène, tu te serais marré !

— Hum… Sans doute, ouais. Bon… Garde en tête ta bonne humeur, OK ? Tu vas en avoir besoin pour la suite, l’ami, soupire-t-il.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? lui demandé-je, tout de suite plus sérieusement.

— Ta femme est au poste.

— Comment ça, “au poste” ? dis-je brusquement en l’interrompant. Elle a eu un accident ? Il faut que je vienne la chercher ? Pourquoi ce n’est pas elle qui m’appelle ?

— Disons qu’elle est plutôt en garde à vue que simplement là pour un dépôt de plainte… Je t’appelle surtout pour te dire qu’une équipe est en route pour chez toi, Allan. Ils vont retourner la maison, Maeva est suspectée de malversation et détournement de fonds…

— Comment ça ? Qu’est-ce que tu racontes, Jérôme ? Tu la connais, tu sais bien qu’elle ne ferait jamais ça ! Et comment tu es au courant ?

— Je t’en ai parlé il y a quelque temps, je te rappelle. Et j’ai fait la descente à Belle Breizh, ce matin. Ta femme a été… très peu coopérative, c’est la raison pour laquelle elle est au poste. Et je suis au courant pour la perquisition chez toi parce que j’ai les oreilles qui traînent, ce n’est pas nouveau. Tu devrais coller les petits chez la voisine et fissa, ils ne devraient pas tarder…

— Tu as fait une descente et coffré ma femme ? Tu rigoles, là ? Comment tu as pu lui faire ça ? Et à moi ? Putain, c’est ça que tu appelles être un pote ? Et ils peuvent venir, ils ne vont rien trouver ici, tu le sais bien, non ?

J’enrage de comprendre les implications de tout ce dont il est en train de m’informer. Il a arrêté ma femme, le con. Et il dit être mon ami ?

— J’ai pas eu le choix, Allan. Ta femme a été un vrai dragon, elle m’a carrément insulté devant les gars et devant ses employés. Et pas qu’une fois. Je devais faire quoi, laisser pisser ? J’espère pour toi qu’ils ne trouveront rien, sincèrement, sinon elle va vous ruiner…

— Que veux-tu qu’ils trouvent ? Tu la prends pour qui, là ? Quel ingrat tu fais ! Putain, je croyais qu’on était potes, mais tu me déçois là. Tu n’es qu’un profiteur, en fait !

— Allan, soupire-t-il. Tu crois vraiment qu’on aurait fait une descente si on n’avait pas déjà du biscuit ? Des milliers d’euros ont été détournés, la propriétaire d’un des magasins a porté plainte contre l’entreprise. Il n’y a pas de fumée sans feu.

— N’importe quoi, Jérôme. Oublie mon numéro, d’accord ?

Je raccroche sans lui laisser le temps de répondre, j’en ai assez de ses accusations gratuites. J’ai toute confiance en Maeva, elle est honnête et a toujours été franche. Et puis, elle n’aurait jamais risqué de tout mettre en l’air pour de l’argent. Cette entreprise, c’est toute sa vie. Mais bon, c’est peut-être là que le bât blesse. Je ne crois pas à la thèse de détourner de l’argent pour son profit personnel, mais peut-être qu’elle n’a pas été réglo pour sauver Belle Breizh de la faillite ? Elle en serait bien capable, de ça… et à cause de ces magouilles à la con, voilà que les flics vont débarquer à la maison. Jérôme avait raison au moins sur ce point, il faut que j’amène les enfants chez la voisine pour éviter qu’ils ne soient les témoins de cette perquisition car ce sont toujours des moments traumatisants quand on n’est pas du côté de la police.

Je descends et retrouve Albane dans la salle de jeux. A mon air, elle comprend immédiatement qu’il se passe quelque chose.

— Albane, je n’ai pas le temps de t’expliquer mais il faut qu’on aille chez Nina et que tu y restes avec les jumeaux jusqu’à ce que je vienne vous chercher, d’accord ?

— Ah… Bon, d’accord. J’ai le temps de prendre des jouets pour les petits quand même ? me demande-t-elle en attrapant déjà un sac.

— Non, ça ne sert à rien. Ou juste deux, trois trucs. Cela ne devrait pas durer longtemps. Dépêche-toi, dis-je en allant chercher Mika qui a profité de notre inattention pour sortir dans le couloir.

— D’accord, je suis prête alors. Viens, Nora, on va chez Nina, elle va être contente de nous voir, sourit-elle à sa sœur en l’entraînant à ma suite.

Malheureusement, j’ai à peine ouvert la porte que je me retrouve face à un jeune officier que je ne connais pas et qui nous bloque le passage. Il s’enquiert de mon identité et me présente immédiatement un papier signé du juge l’autorisant à effectuer sa perquisition.

— Je vais juste déposer les enfants chez la voisine et je reviens, d’accord ?

— Ah non, Monsieur, je ne peux pas vous laisser partir comme ça. Je vais vous demander de rentrer et de me montrer ce que vous avez dans le sac.

Il me montre ce qu’Albane a dans les mains et je n’en reviens pas de ce qu’il implique.

— Comment vous pouvez dire des âneries pareilles ? Ce sont des jouets, bordel ! Des putains de jouets ! Bref, venez, les enfants, on rentre. On peut aller s’installer dans la salle de jeux pendant que vous faites votre boulot ?

— Calmez-vous, Monsieur, nous ne faisons que notre travail. Allez-y, un agent va vous accompagner.

Je me retiens de pester contre lui car quand il dit “accompagner”, c’est bien surveiller qu’il veut dire.

— Papa, pourquoi les policiers, ils viennent à la maison ? me demande Nora en me serrant la main.

— Ils font une enquête, Chérie, c’est leur travail.

Je n’ai pas le temps de rentrer dans la salle que j’entends plus que je ne vois ceux qui pourraient être mes futurs coéquipiers commencer à ouvrir les portes des armoires et les tiroirs pour faire leur fouille. Je me demande ce qu’ils vont trouver mais n’ai pas le temps de me questionner davantage car mes enfants aussi sont en train d’ouvrir de grands yeux sur la scène qui se déroule près de nous.

— Allez, on rentre, on les laisse travailler, insisté-je en essayant de les faire avancer. Albane, aide-moi s’il te plaît.

— Tu me diras ce qu’il se passe vraiment ? me demande-t-elle en tendant la boîte de feutres aux enfants. Allez, venez faire un dessin pour Maman, elle sera contente en rentrant.

— Ils pensent que Maman a fait des bêtises et qu’elle cache des choses ici. Ils ne vont rien trouver, mais ils doivent faire leur travail, avoué-je, faisant le choix de l’honnêteté et la transparence. Moi, je sais qu’ils se trompent mais eux, ils ne peuvent pas savoir. Ils ont besoin de vérifier…

— D’accord… Bon ben… Ne reste plus qu’à passer le temps alors, grimace-t-elle.

— Papa, Maman, elle va aller au coin quand elle rentre ?

— Mais non, Mika. J’ai dit qu’elle n’avait pas fait de bêtise. Quand elle rentre, on va lui faire plein de câlins et lui dire qu’on l’aime parce que je crois qu’elle va en avoir besoin. D’accord ?

— Oui, Papa, me répond-il en gribouillant sur sa feuille. Les policiers, y vont nous laisser nos jouets, hein Papa ?

Cette question est terrible parce que je comprends que même à leur âge, ils saisissent la situation. Et je ne sais pas quoi leur répondre. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas de mot à mettre sur ce que je ressens, je n’arrive pas à assurer mon rôle de protecteur et j’ai l’impression d’échouer dans tout ce que j’ai entrepris jusqu’à présent.

— Mais oui, ils ne sont pas là pour les jouets. Tu ne risques rien, tenté-je de le rassurer alors que sa sœur s’assoit à côté de lui et l’aide à dessiner.

Ils sont mignons, tous les deux, et je les observe un instant avant de me rendre compte qu’Albane s’est postée à la porte et regarde ce que l’équipe policière est en train de faire. Je m’approche d’elle et constate qu’un des policiers emmène notre ordinateur tandis qu’un de ses collègues le consigne sur un petit carnet.

— Arrête, Albane, tu te fais du mal, là. On va les laisser faire leur travail.

— C’est moins impressionnant dans les films, murmure-t-elle. Y en a deux qui sont rentrés dans le bureau de Maman… Tu crois qu’ils vont aussi aller dans nos chambres ? J’ai pas envie que des mecs fouillent dans mes affaires, moi.

— Ils vont aller partout, oui. Et on ne peut rien faire, alors autant penser à autre chose.

Je referme la porte et fais un effort pour sourire et prendre un air faussement joyeux. J’essaie de ne pas me laisser distraire par leurs échanges qu’on entend, par le bruit des meubles qu’ils bougent. Je ne sais pas quels ordres ils ont, mais leurs recherches sont très méthodiques et très poussées. Rien n’est laissé au hasard et c’est toute notre intimité qui est ainsi violée. Nous sommes même obligés d’aller dans le salon plein de désordre le temps qu’ils fouillent la salle de jeux.

Lorsqu’enfin ils partent, j’échange quelques instants avec l’officier qui m’explique qu’un de ses collègues voudra sûrement m’entendre prochainement et qu’il faut que je reste à disposition. Il s’en va et je fais un tour de la maison tandis qu’Albane reste avec les enfants. Il y a du désordre partout, mais Jérôme a dû les briefer car il n’y a pas eu d’abus. Cela aurait pu être vraiment pire mais cette perquisition me laisse un profond sentiment d’amertume. D’abord contre Jérôme qui n’a rien fait pour empêcher ce cataclysme, qui l’a même encouragé si j’ai bien compris ses propos. Et puis surtout contre Maeva qui n’a pas réfléchi à toutes ces conséquences quand elle a fait ses bêtises. Enfin, SI elle a fait toutes ces bêtises, parce que rien n’est prouvé; même si cette perquisition parvient à me faire quelque peu douter. Il faut que je garde cette présomption d’innocence en tête et que je me sorte de l’esprit qu’elle est coupable. Jérôme a beau me dire qu’ils ont déjà des éléments, ça ne veut rien dire. Et si je me sens trahi pour l’instant, peut-être que ça passera quand j’aurai discuté avec elle ?

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