63. Des doutes qui font mal

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Maeva

Je suis l’agent dans le couloir sombre jusqu’à l’accueil où un policier, quinquagénaire au regard fatigué et aux gestes lents, tape sur son clavier comme si je n’existais pas. Foutue journée merdique, y a pas à dire. Quand je pense que la dernière fois que je suis venue ici, j’étais enceinte des jumeaux et Allan et moi avions copulé comme des lapins dans le vestiaire… Deux salles, deux ambiances. J’avais les hormones en ébullition, et quand je dis ça, je n’en rajoute absolument pas, et lui a dû grignoter son sandwich en cinq minutes, ayant utilisé sa pause déjeuner à me dévorer moi. La belle époque, celle où ce putain d’uniforme ne participait pas du tout à calmer mes ardeurs. Allan en tenue de flic ? Un fantasme sur pattes digne d’un shooting de mannequins qui jouent les bad cops. Si je ne savais pas que c’était son métier lorsque nous sommes entrés en collision, j’avoue que mon petit cœur a gonflé quand il me l’a dit, faisant un appel du pied monumental à ma libido qui était déjà en fusion face à ce beau gosse au sourire charmeur. Et puis, après le fantasme, la réalité a été bien moins agréable. Oui, une fois qu’on passe outre l’homme autoritaire capable de te prendre après t’avoir attachée, il y a le stress de la femme mentalement attachée cette fois. On entend tellement de trucs à la télé qu’être sereine quand ton homme pourrait être visé, c’est impossible.

Bref, ce soir, ma libido est à la cave, l’uniforme ne me fait plus du tout fantasmer, et je peux jurer que je ne suis pas près de laisser à nouveau Allan m’attacher. Maintenant que j’ai vécu ça avec Jérôme et ses gestes brusques, il va nous falloir un petit temps pour nous en remettre, mes poignets et moi.

Je récupère mon sac à main sans adresser la parole à quiconque, signe de la paperasse sans prendre en compte les soupirs des officiers qui attendent après moi alors que je lis consciencieusement chaque ligne, et rejoins finalement la rue, non sans remarquer le meilleur ami de mon mari qui me suit du regard depuis le couloir. Je crève d’envie de lui offrir mon majeur, mais j’ai suffisamment bataillé pour la journée, c’est bon, j’en ai marre.

Ils n’ont aucune preuve contre moi. Evidemment qu’ils n’en ont pas, puisque je n’ai rien fait ! Mais il faut croire que monter sa boîte à la sueur de son front, bosser dix à douze heures par jour pour la développer, et assurer d’une voix forte que jamais on ne mettrait en péril tout ça ne suffit pas. Je n’ose imaginer l’état de Belle Breizh après leur passage… ni l’état de la maison, d’ailleurs, puisque l’officier Simon m’a dit qu’ils avaient aussi perquisitionné notre chez nous. C’est totalement ridicule.

J’allume mon téléphone et essaie de ne pas regarder toutes les notifications qui s’affichent pour ne pas remettre le nez dans cette pagaille. Elle sera encore là demain, après tout, et moi je suis éreintée. Je cherche plutôt le contact d’Allan puisque je n’ai pas de voiture pour rentrer, et l’appelle en me demandant dans quel état il est, au vu de ce qui s’est déroulé à la maison dans la journée… J’aurais dû lui en parler avant, j’en ai conscience, tout comme j’aurais dû avertir la police plus tôt, mais je voulais tout régler par moi-même, comme d’habitude, et éviter que cette histoire ne s’ébruite dans les médias…

— Salut, Chéri, soufflé-je en entendant finalement la voix de mon mari alors que ma gorge se noue.

Je tiens sur les nerfs depuis la descente des flics au boulot, et je me rends compte, maintenant que je n’ai plus à tout contrôler devant les flics, qu’il ne me faudrait pas grand-chose pour craquer.

— Oh, c’est toi, répond-il simplement en attendant que je reprenne la parole.

— Oui… Jérôme m’a dit qu’il t’avait averti de ce qu’il se passait. Je viens de sortir du poste, est-ce que tu pourrais venir me chercher vu que je n’ai pas ma voiture, s’il te plaît ?

— Mince, j’allais mettre les jumeaux au bain, commence-t-il à répondre avant de se reprendre. Oui, bien sûr, j’arrive, on n’a pas d’autre solution de toute façon. Je fais au plus vite, d’accord ?

— Oui, oui, prends ton temps… Tu veux que je passe au traîteur pour prendre à manger pendant que tu les baignes ?

— Comme tu veux, je n’ai pas très faim de toute façon. Je me dépêche.

— Merci. A tout de suite.

Il raccroche sans me répondre et je grimace. Allan est resté poli, mais il vient de faire le minimum syndical. J’imagine que voir ses anciens collègues débouler à la maison pour la fouiller n’a pas dû lui faire plaisir, et je le comprends, mais on ne peut pas dire que ce soit moi la responsable…

Je file chez le traîteur au bout de la rue même si je n’ai pas vraiment faim non plus, et me dis que s’il n’a pas à préparer le dîner, ce sera toujours ça de fait. Et je patiente à quelques mètres du poste encore une vingtaine de minutes avant qu’Allan ne se gare devant moi. J’entre dans la voiture et fais coucou aux jumeaux, installés à l’arrière dans leurs pyjamas, avant d’embrasser mon mari sur la joue. Il ne bronche pas, ne me regarde même pas, et j’ai à peine le temps de boucler ma ceinture qu’il se réengage sur la voie.

Le trajet pour rentrer à la maison se fait dans un silence de mort, surtout de la part de mon chauffeur. Les jumeaux blablatent et je comprends qu’ils seront mes seuls interlocuteurs pour le moment. Je pousse un soupir discret lorsqu’Allan se gare devant la maison, descends rapidement et récupère Nora, installée de mon côté de la voiture, ainsi que le dîner.

Je dépose les sachets dans la cuisine alors que mon mari installe les petits devant un dessin animé. Je me sers un verre de blanc, dénoue mes cheveux et ouvre un bouton de ma jupe pour me sentir moins oppressée dans mes fringues. J’ai envie de monter, prendre une longue douche pour me laver de cette journée, et enfiler un jogging confortable pour me sentir plus à l’aise, mais je sens bien que mon mari est une bombe à retardement. Aussi, j’essaie de désamorcer les choses lorsqu’il vient se servir un verre d’eau, toujours aussi silencieux.

— Je suis désolée pour cette histoire, je ne pensais pas que ça irait jusque-là…

— Tu peux être désolée, oui, me répond-il vivement. Je ne sais pas comment je vais oser retourner là-bas maintenant que ma femme y a fait une garde à vue. Quelle honte. Et tout ça pour quoi ? Pour sauver ton entreprise ?

— Si ton abruti de meilleur ami n’avait pas agi comme un con, je n’aurais pas fini là-bas, marmonné-je.

— Parce que tu crois qu’il t’a emmenée juste pour nous embêter ? Je ne pense pas, non. Il a juste fait son boulot, il me semble, même si je lui en veux de ne pas avoir agi avec plus de pincettes. Et ils ont forcément des éléments à charge pour te mettre en garde à vue. J’en reviens pas que tu aies pu faire ce genre de trucs pas réglos.

Si ma mâchoire pouvait toucher le sol comme dans les dessins animés, elle le ferait à cet instant. Est-ce qu’il me croit vraiment capable de faire ça ? Je suis tellement sur le cul que je mets plusieurs longues secondes avant de réagir. Mes neurones se reconnectent finalement entre eux et je bois quelques gorgées de vin pour faire passer ce goût amer de trahison.

— Je te demande pardon ? Tu me crois coupable de malversation ? Moi ?

— Je n’ai pas dit ça, mais je suis convaincu que tu serais prête à faire beaucoup pour sauver ton entreprise. Il n’y a pas de fumée sans feu, comme on dit.

— Pu… Je viens de passer une journée de merde, à être suspectée de détourner de l’argent pour m’en mettre plein les poches, et je rentre chez moi, retrouver la personne en qui j’ai le plus confiance dans ce monde de dingue, pour entendre ça ? C’est Jérôme qui t’a retourné le cerveau ou bien tu en es venu à la conclusion tout seul comme un grand, malgré nos quinze ans de vie commune ? sifflé-je en tentant de masquer ma déception.

— Ne le prends pas comme ça… À ma place, tu ferais quoi après avoir vu tes anciens collègues retourner ta maison et partir avec tous les ordinateurs ? Il y a de quoi se poser des questions, je trouve.

— Je te l’ai dit, tu es la personne en qui j’ai le plus confiance. Alors à moins d’avoir sous le nez une preuve que tu es coupable, je doute que je remettrais en cause ton professionnalisme, ton éthique ou je ne sais quoi encore. Je n’arrive pas à croire que tu doutes de moi !

— Tu peux me dire en me regardant droit dans les yeux qu'il n'y a pas de malversation à Belle Breizh et que la police se plante en enquêtant ?

— Le fait qu’il y ait des malversations ne veut pas dire que je suis coupable ! m’écrié-je. Je bosse comme une dingue pour cette entreprise ! C’est mon bébé, qu’est-ce que je gagnerais à détourner du fric pour moi ?

— Et ça fait longtemps que ça dure et que tu es au courant ? Tu comptais m'en parler un jour ?

— Je comptais trouver le fumier qui met en péril ma boîte avant d’en parler à quiconque en dehors de Gaëlle et Yoann.

— Eh bien, ne t'étonne pas que je doute si tu as des secrets aussi importants envers moi. La confiance, c'est dans les deux sens. Quand je pense que je me suis engueulé avec Jérôme pour te défendre…

— Pourquoi j’aurais dû t’en parler ? Tu t’intéresses à l‘entreprise, maintenant ? C’est nouveau. J’ai plutôt l’impression de te faire chier quand je parle de mon boulot, et ça dure depuis des mois. Pourquoi est-ce que j’aurais dû me confier à toi, hein ? Quant à Jérôme, il était temps que tu prennes ma défense, je ne vais pas m’en plaindre.

— Bon, je vois que ça ne sert à rien de te parler ce soir. On va manger et on reprendra cette foutue dispute demain, ça vaut mieux, je crois.

— C’est ça. Comme d’habitude, tout est ma faute, soupiré-je en mettant les plats à réchauffer. Je vais me changer et chercher Albane. Enfin, si j’ai au moins ta confiance pour aller avertir notre fille qu’on passe à table.

— Je ne répondrai pas à tes provocations, grommelle-t-il en mettant les couverts sur la table.

— Tu doutes de moi… Tu m’as quasiment accusée de détourner de l’argent, je ne sais pas si tu te rends compte du couteau que tu viens de me planter en plein cœur, Allan, soufflé-je en rejoignant les escaliers.

Je monte rapidement les marches et vais avertir Albane que le repas est presque prêt, après quoi je m’enferme dans la chambre pour souffler une minute et me changer. Je n’arrive pas à croire que mon propre mari doute de moi, comme s’il ne me connaissait pas, comme s’il ne savait rien de moi ou de mes valeurs. C’est juste insensé pour moi d’imaginer qu’il doute plutôt que de me soutenir.

Après avoir enfilé un jogging, je récupère des draps propres dans l’armoire et vais préparer le lit de la chambre d’amis pour y dormir ce soir au moins. Dire que je suis déçue par ses doutes est un euphémisme, mais je suis également en colère contre la Terre entière, à cet instant. Contre lui, évidemment, mais aussi contre la police, contre cet abruti de Jérôme, contre l’enflure qui nous vole, contre ma stupidité, ma cupidité. Tout se casse la figure, là, et je ne suis pas sûre d’avoir les épaules assez solides pour tout supporter.

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