64. Des échanges qui font mal

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Allan

Je tourne et me retourne dans ce grand lit qui est si froid quand je ne le partage pas avec Maeva. Malgré tout ce qu’elle a pu faire, malgré tout ce qu’elle pourrait faire à l’avenir même si là, elle est innocente, je crois que je l’aimerai toujours. Elle et moi, c’est une évidence, elle est ma raison d’être et j’ai horreur de me disputer ainsi avec elle. Plusieurs fois durant la nuit, j’ai failli me lever pour aller la retrouver mais je n’ai pas osé, ne sachant pas comment elle pourrait me recevoir.

Je finis par me lever, des cernes sous les yeux et plein de doutes dans la tête. J’ai envie de la croire, de lui faire confiance, c’est certain. Je sais aussi que je l’ai vraiment blessée en mettant en doutes ses paroles mais je ne peux m’empêcher de penser que si elle est honnête et ne prendrait jamais un euro pour elle, elle serait prête à faire énormément de choses pour sauver son bébé, cette entreprise qu’elle a développée et portée à bout de bras. Je me dis ça en boucle et le doute s’est installé, quoi qu’elle puisse en dire.

Malgré la fraîcheur du matin, je vais m’installer sur la terrasse et essaie de trouver un peu de réconfort en regardant la mer, en écoutant les mouettes qui crient et en profitant du soleil qui se lève pour m’offrir ce spectacle si magnifique. J’entends la porte coulissante s’ouvrir derrière moi, constate que c’est Maeva qui vient me rejoindre et soupire. Elle a la même tête que moi et je comprends qu’elle non plus n’a pas beaucoup dormi. Si elle a seulement réussi à fermer l'œil cette nuit… La pauvre, elle a vraiment eu une journée de merde hier et je n’ai rien fait pour la soutenir. J’en suis incapable cependant. Enfin, j’ai envie de la prendre dans mes bras, mais en même temps, vu sa tête et son attitude combative, je ne pense pas qu’elle me laisserait faire. Elle s’assoit sur le fauteuil près du mien et un silence pesant s’installe avant qu’elle ne le brise.

— Jamais je n’aurais pris le risque de ruiner notre famille en détournant des fonds de ma propre entreprise, ce serait complètement stupide, pour ce que ça vaut.

— Je sais que tu n’es pas stupide, maugréé-je. Et je n’ai jamais pensé que tu détournerais de l’argent pour ton profit personnel, je te connais quand même. Mais faire des trucs pas très légaux pour sauver Belle Breizh, ça ne m’étonnerait pas tant que ça. Tu ne peux pas nier que cette entreprise est au moins aussi importante que ta famille.

Je me tourne vers elle pour lui faire face et constate qu’elle est au bord des larmes mais qu’elle a l’air aussi farouchement prête à s’opposer à moi. Je ne connais que trop bien cet air de défi qu’elle arbore quand elle ne veut pas admettre qu’elle a tort et qu’elle s’entête dans sa position. Cela peut être amusant au quotidien sur des peccadilles, mais là, ça ne l’est que très peu.

— Tu n’y es pas du tout. Belle Breizh est dans le rouge parce que quelqu’un ponctionne les comptes. C’est ridicule d’imaginer que je puisse faire ça. Peut-être que ton informateur de meilleur ami aurait dû t’expliquer les choses telles qu’elles sont plutôt que de jubiler de me passer les menottes à défaut de pouvoir me sauter, marmonne-t-elle en gardant les yeux fixés sur l’horizon.

— Tu sais que je l’ai incendié quand il a mis en cause ton honneur ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse toujours le considérer comme mon meilleur ami. Mais ce n’est pas de lui dont il s’agit. Si le juge a validé toutes ces perquisitions, c’est qu’il a déjà un beau dossier. Tu ne peux pas nier ça.

— Bien sûr qu’il a un dossier, je suis en train de te dire que quelqu’un pompe le fric de nos comptes ! s’emporte-t-elle en se levant. On enquête là-dessus depuis des jours avec Gaëlle et Yoann ! Le problème, c’est que tu puisses penser que ça vient de moi, bon Dieu !

— Vous n’avez pas l’air très efficaces dans votre enquête. Et si vous ne trouvez rien, c’est soit que vous êtes nuls, mais ça m’étonnerait, soit c’est que ça vient forcément d’en haut. Vu le peu que Jérôme m’en a dit, on ne parle pas d’un truc d’une petite vendeuse de magasin. Et comme c’est toi qui contrôles tout, tu ne crois pas que ce soit normal de me dire que ça vient de toi ? Je ne veux pas dire par là que tu es une mauvaise personne, tu sais ? Juste que parfois, on fait tous des erreurs quand on est sous pression.

Je constate que mes propos l’exaspèrent encore un peu plus, je devrais peut-être faire des concessions, mais il vaut mieux être honnête et crever l’abcès, non ?

— Je ne contrôle pas tout, j’ai lâché du lest pour sauver mon mariage. Quand on voit ce que ça donne : une entreprise qui prend l’eau et un mari qui doute de moi… Magnifique.

— Les flics t’ont dit l’ampleur de ce qu’ils avaient découvert ? S’ils en sont venus à la perquisition, c’est qu’ils doivent enquêter depuis un petit moment.

— Ça chiffre… Et ça me tue de ne pas avoir remarqué plus tôt cette merde. J’ai d’abord soupçonné le comptable, ça coïncidait avec son arrivée… Et puis, je me pose des questions sur Yoann. Peut-être que je lui ai fait confiance trop vite…

Je réfléchis quelques instants à ses propos alors que la nature continue à vivre et respirer comme si mon couple ne vacillait pas. C’est fou de voir comme nous sommes parfois insignifiants dans le cours global des choses. J’ai besoin d’avoir des confirmations, des éléments concrets pour sortir de cette situation qui me mine. Je prends mon téléphone mais Maeva m’interrompt.

— Qu’est-ce que tu fais ? Pitié, ne me dis rien, je ne veux pas savoir ce qui se dit sur Internet à propos de la marque.

— Non, je m’en fous d’Internet. Les journalistes ne savent rien et quand c’est comme ça, ils inventent. J’appelle Jérôme. Je ne sais pas s’il va accepter de me parler, mais il faut qu’on sache ce qu’ils ont sur toi.

— Encore lui ? soupire-t-elle en se laissant à nouveau tomber sur le fauteuil.

Je fais fi de ses doutes et compose le numéro avant d’enclencher le haut parleur. Lorsqu’il décroche, je le salue froidement.

— Bonjour Jérôme, j’ai besoin de savoir ce que tu as sur Maeva. Et ne me dis pas que tu es soumis au secret professionnel ou je balance à tes chefs toutes les infos en ma possession sur le cambrioleur un peu fou.

— Je croyais que tu ne voulais plus me parler ? Et ça va changer quoi que je te dise ce que l’on a ? Tu ne vas jamais me croire de toute façon.

— Balance, je jugerai si c’est à dormir debout ou si vous avez des trucs concrets.

— Eh bien, tout a commencé avec la plainte d’une gérante de magasin qui a dit qu’on essayait de lui extorquer de l’argent et qu’on faisait pression sur elle pour qu’elle verse en liquide des compléments à ce qui était notifié dans les contrats. Tu sais comment c’est, le dossier a été transmis à un juge qui a transmis à un expert, bla, bla, bla. Et pour finir, l’enquête a démontré que ce n’était pas la seule dans ce cas et que les extorsions d’argent étaient monnaie courante. Un vrai système.

Un vrai système… Je regarde ma femme et me demande comment elle a pu ne pas se rendre compte de ce qu’il se passait si c’est aussi organisé que ça. Tu m’étonnes qu’ils aient déclenché des perquisitions en tout cas.

— Et les malversations, alors ? De quoi s’agit-il ?

— Eh bien, pour cacher tout ça, il faut maquiller la comptabilité. Ta femme est douée, tu sais ? S’il n’y avait pas eu dépôt de plainte, rien n’aurait pu être découvert à part par un audit très, très poussé.

— Arrête de dire que c’est Maeva. Elle dit qu’elle est innocente et si vous l’avez relâchée, c’est que vous n’avez rien trouvé l’incriminant. On ne me la fait pas, à moi, tu sais ?

— Pense ce que tu veux mais ta femme, c’est elle le boss. Ce n’est pas parce que tu lui manges dans la main que tu dois aussi être aveugle. Il n’y a qu’à son niveau qu’on peut faire un tel montage. Impossible de tout cacher autrement.

— D’accord. Autre chose, Jérôme ?

— Dès qu’on trouve où est parti l’argent, on reviendra à la charge. Et si tu as trempé dans l’histoire, tu plongeras aussi. Tu sais bien que ce n’est pas personnel, mais dans ce genre d’histoires, il n’y a pas d’ami qui tienne.

— Parce que tu doutes de moi aussi ?

— Je n’ai pas le choix, puisque tu la soutiens mordicus.

— Ouais, eh bien tu te trompes. Merci pour les infos, en tout cas.

Je raccroche et me tourne vers Maeva qui semble encore plus abattue qu’avant par ce qu’elle vient d’entendre.

— Un vrai système… Possible seulement à ton niveau. Tu comprends que je puisse douter, non ?

— Je voudrais me réveiller et que tout ceci ne soit qu’un cauchemar, murmure-t-elle avant de me fusiller du regard en posant brusquement son téléphone dans ma main. Tiens, t’as qu’à vérifier nos comptes personnels et professionnels. Les flics n’ont rien trouvé ici. Profites-en pour regarder mes échanges avec Gaëlle et Yoann. Tu as vu ma tronche, ces derniers temps ? J’ai l’air de quelqu’un qui extorque sa propre boîte, sérieusement ? Ou la tête de quelqu’un qui voit son entreprise en danger et qui se sent impuissante à trouver qui est l’enfoiré qui fait ça ? Merde, Allan, tu crois vraiment que j’ai besoin que tu doutes de moi, là ? Que je pourrais risquer de te faire tomber avec moi ? De faire du mal aux enfants ?

Je réfléchis à ce qu’elle vient de me dire. Elle a l’air sincère, mon coeur a envie de la croire mais les faits sont là et leur inquiétante réalité m’empêche de faire ce pas nécessaire vers elle. Et ce ne serait pas la première fois dans mon expérience de policier qu’un suspect plaide l’innocence jusqu’à convaincre tout le monde avant d’être finalement confondu.

— Tu aurais vraiment dû m’en parler dès le départ, marmonné-je. Là, ça fait tard et je ne peux m’empêcher de penser que si tu as réussi à cacher ça avant, que tu peux encore cacher des choses maintenant.

— Je vois… Tout le monde fait des erreurs, on n’est pas coupables pour autant. Regarde, ta bouche s’est retrouvée collée à celle d’une autre femme et tu ne m’en as pas parlé avant que je te sorte les vers du nez. Tu as couché avec elle ? Pas que je sache, à moins que tu ne caches des choses. Et je suis encore là. Mais tu sais quoi ? Laisse tomber, Allan, continue à douter. De toute façon, c’est trop tard, soutien ou pas, je n’oublierai jamais que tu m’as prise pour une criminelle.

Ça fait mal, ces mots que nous nous échangeons. Surtout qu’elle met fin à l’échange en se levant et en se dirigeant vers les escaliers. Je devrais la bloquer, l’empêcher de partir, mais je n’y arrive pas. Je suis comme cloué au sol par les paroles qu’elle vient de prononcer. Est-ce que je la considère vraiment comme une criminelle ? Assurément pas. Je crois que même si elle avait vraiment fait tout ce dont la police la soupçonne, je ne la considèrerais toujours pas comme une criminelle. Comme quelqu’un qui a fait une grave erreur de jugement, certainement, mais pas comme quelqu’un qui mériterait la prison et l'opprobre publique. Alors pourquoi est-ce que je ne lui dis pas tout ça ? Et pourquoi je doute à ce point-là ? Nous sommes mariés, nous nous sommes promis de nous soutenir jusqu’à la fin de nos jours et là, je n’assure pas du tout. Est-ce que c’est parce qu’on ne s’aime plus comme au premier jour ? Est-ce que j’ai envie que notre histoire s’arrête sur cette épreuve qui ébranle notre couple et notre famille ? Non. Et pourtant, je ne fais rien pour sauver ce qui peut encore l’être.

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