65. Des câlins qui font du bien
Maeva
Je lisse la couverture du lit de notre chambre conjugale du plat de la main en soupirant. J’ai regagné les lieux hier soir, après qu’Albane m’a grillée sortant de la chambre d’amis hier matin. Si nous faisons notre possible pour agir comme si de rien n’était, Albane n’est pas dupe et son “est-ce que Papa et toi allez divorcer ?” m’a brisé le cœur. Surtout que j’ai eu la pensée que, peut-être, je ne pourrai jamais pardonner à Allan d’avoir douté de moi. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un petit doute, celui que tu as quand on t’annonce quelque chose de futile. Monsieur n’en démord pas, il n’est pas revenu à la raison. Jamais m’endormir à ses côtés ne m’a autant coûté qu’hier soir, tout comme me réveiller lovée contre lui au beau milieu de la nuit, comme si mon corps en crevait d’envie alors que mon cerveau, en se réveillant, a crié au scandale.
Quand je descends, je trouve les enfants installés sur le canapé, pressés de partir retrouver leurs cousins et cousines pour la traditionnelle fête annuelle de la fin des vacances d’été, cette année organisée chez Maxence, mon frère aîné. Et pour la première fois depuis que nous avons instauré ce repas, je n’ai aucune envie d’y aller. Du moins, je n’ai pas envie de faire comme si j’allais bien, comme si tout roulait entre Allan et moi, mais je me dis qu’une journée entourée d’autres personnes me permettra de m’éloigner de mon mari. Je lui en veux tellement de ne pas me croire que ça me bouffe de l’intérieur. Si lors de nos moments compliqués, je restais malgré tout tactile avec lui, les habitudes ayant la vie dure, je n’y arrive même pas aujourd’hui. C’est le retour de la guerre froide et la température n’a jamais été aussi basse.
En parlant du loup, il sort du réfrigérateur les salades que nous avons préparées et indique aux enfants que nous pouvons y aller. Nos trois monstres, vêtus de shorts et de tee-shirts qui ne craignent rien parce que ces moments en famille sont toujours de bons moyens pour s’éclater au point de rentrer plein de terre, à moitié mouillés et tous tachés, ne se font pas prier et se précipitent hors de la maison. Ca piaille dans tous les sens à l’arrière de la voiture quand Allan quitte la cour de la maison, et ça ne s’arrêtera que ce soir, lorsque tout le monde sera couché. Au moins, l’enthousiasme des enfants contraste et balaie un peu le silence entre mon mari et moi.
Je ne sais même pas pourquoi je prends la parole alors que nous entrons dans le village où vit mon frère, mais après avoir tourné ma langue dans ma bouche un nombre incalculable de fois, je lâche à voix basse ce que j’ai sur le coeur et découvert hier en remettant le nez dans les documents comptables de la boîte.
— Ça a commencé avant l’arrivée de Yoann… Ce n’est pas lui qui fait ça.
— Comment ça, ce n’est pas lui ? me demande-t-il, concentré sur la route.
— La compta était foireuse déjà avant qu’il ne soit embauché. J’ai remis le nez dedans hier soir avant de me coucher. Ça ne peut pas être lui, il ne reste donc que Gaëlle…
Et le dire à voix haute me donne la nausée. Je n’arrive pas à croire qu’elle ait pu faire ça après toutes ces années à bosser ensemble. Ça me donnerait presque des envies de meurtre, d’ailleurs.
— Gaëlle ? Mais elle a fondé l’entreprise avec toi. Jamais elle ne ferait ça, voyons ! Et puis, tu l’aurais captée si c’était vraiment elle, quand même.
Je me décompose littéralement en l’entendant, et il quitte la route des yeux quelques secondes pour plonger son regard dans le mien, se demandant sans doute pourquoi je ne réponds pas. Vu sa tête, mon petit mari comprend sa bévue sans même que j’aie à lui rendre le nouveau poignard qu’il vient d’enfoncer profondément dans mon cœur.
— Non, ce n’est pas ça que je sous-entends, rajoute-t-il immédiatement. Parce que oui, tu as sûrement raison, mais c’est tout aussi invraisemblable que de te soupçonner toi, tu vois ? Et si ce n’est ni toi, ni Yoann, c’est forcément elle. Mais putain, quelle surprise… Comment tu as fait pour dormir la nuit dernière en sachant ça ?
— C’était ça ou débarquer chez elle pour l’étriper et la faire souffrir. Et puis… je n’ai pas de preuves pour le moment. Tu te rends compte que ta première réaction a été de ne pas la soupçonner alors que moi… Bon sang, je ne peux même pas le dire à voix haute tellement ça me choque.
— Tu ne sais pas ce que c’était, ma première impression, quand Jérôme m’a évoqué ce genre d’histoire, proteste-t-il sans élever la voix. Je suis désolé si tu prends mal tout ce que je dis ou fais.
Je ne réponds pas plutôt que de m’énerver encore une fois, et Allan ne reprend pas la parole sur le reste du trajet. Je suis à deux doigts de pousser un soupir de soulagement lorsque nous sortons de la voiture et que les cris des enfants parviennent à mes oreilles. Je sors la nourriture du coffre après avoir ouvert la porte aux enfants, et contourne la maison de mon frère pour retrouver ma famille dans la cour arrière. Les embrassades sont chaleureuses, les retrouvailles agréables, même si je constate que mes frères et sœurs m’observent avec attention pour évaluer mon état. Évidemment, l’histoire a été rendue publique, les médias récupérant des infos de je ne sais où. Personne ne m’a envoyé de message, interrogée ou simplement appelée pour en apprendre davantage ou me demander des comptes, mais je pense qu’ils me soutiennent et n’imaginent pas que je puisse être coupable d’une quelconque infraction. Enfin, sait-on jamais, puisque mon propre mari doute. Je crois que je ne pourrais pas supporter ça venant de l’un d’eux, alors je préfère autant ne pas en parler, et je ne réponds rien qui ait un lien avec le boulot quand Marie me demande des nouvelles.
Les enfants profitent de la cour pour faire une balle aux prisonniers lorsque je m’installe entre Maxence et ma mère pour profiter du verre de Mojito que mon frère m’a servi. Allan s’installe à quelques places de là, discutant de je ne sais quoi avec le mari de Mylène, et ça me va très bien comme ça.
— Tu as l’air en forme, ma petite Maman, souris-je en serrant sa main dans la mienne. C’est de voir tout le monde réuni qui te rend si souriante, aujourd’hui ?
— Bien sûr ! Et de te voir malgré ces bêtises qu’on raconte sur ton entreprise. J’ai eu peur que tu ne viennes pas ! Tu veux un petit remontant en apéritif ou un câlin de ta maman, ça te suffit ?
— Je crois que Max a bien chargé mon Mojito, ris-je en la prenant dans mes bras, mais je ne dis jamais non à un câlin. Merci, Maman.
— Aujourd’hui, on va te bichonner, promis. Et on ne parle pas de boulot, d’accord ?
Je sens la main de Maxence enserrer mon épaule et cligne des yeux avec vigueur pour repousser les larmes qui tentent de se frayer un chemin. Voilà le genre de réaction que j’aurais aimé avoir de la part de mon mari. Du soutien, c’est trop demander ? Ce sont des années de travail acharné qui sont remises en question avec cette affaire, et lui doute encore de moi. Oui, je suis capable de beaucoup de choses pour Belle Breizh, mais pas au point de faire n’importe quoi. Pas au prix de ma liberté, de l’équilibre de ma famille.
— Ça me va, mais si vous me faites tous des câlins comme ça, je ne donne pas cher de ma peau aujourd’hui, ris-je alors que Maxence me tire en arrière pour me serrer contre son torse à son tour.
— Coucou jolie Minette. Ta peau, on va la préserver, t’inquiète ! Allez, viens au salon nous raconter avec quel produit miracle tu vas rendre nos femmes encore plus belles !
— A ce rythme, je n’aurai bientôt plus l’occasion de vendre quoi que ce soit, soupiré-je. C’est vraiment la merde, tu sais ? Surtout qu’il est possible que ce soit Gaëlle qui ait merdé…
— Eh bien, vire-la, si c’est elle qui a fait le coup. Et demande à ton mari d’aller la tabasser en douce, pour les dommages et intérêts. Et hop, problème réglé !
— Maxence, on a dit qu’on ne parlait pas de boulot aujourd’hui, le réprimande notre mère. Surtout si c’est pour dire des bêtises comme ça.
— Si tu veux que je la tabasse, chuchote-t-il à mon intention, tu me dis, hein ?
— Tu serais sans doute plus efficace qu’Allan, murmuré-je, il ne me croit pas quand je lui dis que ce n’est pas moi. Mais s’il te plaît, pas de scandale, OK ? On est censés passer une bonne journée, je n’ai pas envie que ça parte en eau de boudin.
— C’est lui qui fait du caca boudin, là, me répond-il en levant les yeux au ciel. Je peux le tabasser aussi si tu ne veux pas que je fasse de scandale. Tu me dis, hein ? répète-t-il en me faisant un clin d'œil.
— Non, sois gentil, j’ai déjà du mal à le regarder en face, si en plus tu abîmes sa belle gueule, ça va être un cauchemar, ris-je en posant un baiser sur sa joue. Merci, Grand Frère. T’es chiant, mais je sais que je peux compter sur toi.
Je lui tapote la cuisse en souriant et me lève en lui ébouriffant les cheveux, le faisant ronchonner. Max commence à avoir une calvitie, il ne s’en remet pas, le pauvre, et déteste qu’on touche à sa tignasse grisonnante. Je me retrouve en un rien de temps assise sur ses genoux alors qu’il me chatouille les flancs, me faisant hurler de rire et le supplier de me lâcher. La vengeance est terrible, mais je l’accepte, je l’ai méritée, et au moins, je ris et me détends, ce qui fait un bien fou. Ce sentiment est d’ailleurs décuplé lorsque je croise le regard d’Albane qui nous observe, le sourire aux lèvres.
Le repas se passe dans la bonne humeur habituelle de la famille. Tout le monde y va de ses souvenirs de vacances, d’anecdotes plus mignonnes ou drôles les unes que les autres, et mon coeur se gonfle d’amour quand les jumeaux parlent de la fée Morgane de la forêt et du petit gnome vert qui a explosé. Mon regard croise celui d’Allan, et Dieu sait à quel point je voudrais être loin de notre quotidien actuel, de retour à Brocéliande… quand il n’y avait pas une telle distance entre nous. J’aimerais tellement pouvoir me lover contre lui et l’entendre me rassurer, me dire que ça va aller, que tout va bien se terminer et que je ne vais pas tout perdre, au lieu de quoi ma rancoeur reste bien présente.
Je ne suis pas stupide, tout le monde ici a remarqué le froid entre nous. Il est loin, le couple toujours en train de se bécoter, de se toucher, de se parler à l’oreille. Heureusement, personne ne fait de remarque à voix haute, parce que je crois que je ne pourrais pas m’empêcher de balancer devant toute ma famille que je me sens trahie par mon mari d’une manière bien pire que lorsqu’il a embrassé une autre femme. Si je pensais que cet épisode était douloureux, c’était de la tarte comparé à ses soupçons à mon sujet. Et j’ai beau tenter d’oublier tout ça le temps d’un après-midi, jouant avec les enfants, profitant de mes frères et sœurs, la blessure est à vif et je me demande réellement si je pourrai lui pardonner de ne pas me faire confiance. Finalement, Belle Breizh s’est à nouveau immiscée entre nous, à la différence que l’autre fois, j’avais l’envie et la force de me battre pour mon mariage alors que lui doutait. Aujourd’hui, je suis épuisée de batailler et je ne suis pas sûre d’avoir envie de le faire alors qu’il ne montre aucun remords et persiste dans ses convictions à la con.
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